Marcel en dessous de zéro (2 et fin)

Dès 21 h 30 et c’était bizarre, Marcel rentra de l’entraînement : lequel, par -15° si pas pire, s’était mal passé ! D’abord, et Georgette l’avait prédit, huit joueurs s’étaient débinés, ces saloperies de SMS permettant les lâchetés de dernière minute : Sorry coach, gosse malade (…) pas encore rentré boulot because verglas (…) toujours petite douleur mollet (…) accident vasculaire belle-maman (…) batterie en panne (…) tousse comme onze cheminées, etc. Pas un qui t’aurait essémisé franchement : Pas moi coach, refus de me geler couilles (…) pas me confondre avec ours polaire (…) ma santé avant ta folie furieuse

Ensuite les joueurs présents, fiers de l’être malgré l’ambiance arctique, avaient réclamé la récompense d’un simple petit match peinard. Marcel avait refusé, arguant d’une condition qui devait être au top : pour que, lorsqu’enfin les matches cesseraient d’être remis, le onze de Noiseux écrase physiquement ses adversaires qui, eux, se seraient relâchés par couardise frileuse… Il avait donc imaginé un exercice avec ballon mais hyper-crevant, où il s’agissait de placer moult accélérations successives : soit pour abattre d’une frappe de balle un des 12 grands cônes éparpillés sur le terrain, soit pour empêcher ceux du camp adverse de les abattre. Ses joueurs rechignaient.

Joliment, pourtant, les projecteurs transperçaient une nuit noire parsemée de brillances de gel : mais les plus râleurs prétendaient qu’il s’agissait là de ces fameuses particules fines qu’évoquait la météo, nocives et qu’ils étaient en train de bouffer par milliers. On était en Alerte Smog, et le coach leur faisait dépasser la vitesse maximale ! Marcel balaya l’argument en rétorquant qu’il s’agissait là d’une énième invention des Ecolos, lesquels feraient mieux de la mettre en veilleuse par 15° sous zéro : vu que pile douze mois plus tôt, ils maudissaient l’inéluctabilité meurtrière du réchauffement climatique, tu parles !

Par ailleurs, le champ de patates bosselé, gelé, dangereux, transformait les joueurs les plus doués en canards malhabiles et découragés. Un seul parvenait à s’illustrer. L’Ukrainien Youri Margarine était dans la froidure comme un poisson dans l’eau, maîtrisait le cuir, courait comme un dératé : si bien qu’il niquait tout son monde dans l’abattage des cônes plastiques… mais qu’en 50′, sa frappe sèche et précise en avait fait exploser la moitié, durcis et fragilisés par le gel intense ! Marcel n’appréciait pas qu’on lui démolisse son matériel, les autres joueurs comprirent qu’en laissant jouer Youri, l’exercice prendrait fin faute de cônes entiers. Si bien qu’à l’heure de jeu qui n’en était plus un, quand Youri fit voler le huitième cône en éclats dans les éclats de rire, Marcel fâché rapatria tout son monde au vestiaire…

Il rentra chez lui en hurlant qu’il avait un pied gelé sans avoir rien fait, offrant derechef à Georgette la vue d’un gros doigt de pied effectivement très bleu !

–  » Pas d’apitoiement, t’avais qu’à pas exposer au froid tes orteils de vieux, tu es à un doigt d’une amputation méritée ! « , ricana-t-elle.

Elle s’apitoya néanmoins vers minuit, surtout parce qu’elle ne dormait pas : à côté d’elle, son époux pleurait comme une gonzesse, prétendant que son orteil brûlait, cognait, gonflait à vue d’£il. Elle sortit du lit, alluma l’ordinateur, encoda dans Google les mots ongle bleu et orteil gelé. Un forum de discussion lui apprit ce qu’il fallait faire dare-dare avant que le sang sèche sous l’ongle. Elle prit sur le bureau un trombone, un briquet et un mouchoir en papier. Elle revint armée dans la chambre, arracha la couverture des pieds maritaux.

– » Maintenant tu me laisses faire ou je te laisse mourir ! « , dit-elle sèchement.

Georgette chauffa le bout du trombone avec le briquet, le plaça perpendiculairement à l’orteil meurtri. L’ongle fut transpercé à la septième tentative, le sang gicla en même temps que Marcel hurlait un bon coup.

–  » Désolée de ne pas t’avoir fait ça sous anesthésie, mais c’est ta faute « , poursuivit-elle imperturbable.  » D’ordinaire, tu rentres parfaitement anesthésié, puisque toi et tes joueurs – pour l’esprit de groupe – vous vous envoyez deux ou trois casiers de Jup dans le vestiaire à l’issue de chaque entraînement ! Qu’est-ce qui t’a pris de rentrer si tôt ? Y’avait pas de casiers au frais ? »

–  » Je les avais laissés dans mon coffre. Tu ne vas pas me croire, toutes les bouteilles étaient gelées « , marmonna Marcel qui ronflait déjà.

par bernard jeunejean

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