Marcel à confesse (1)

M arcel croyait en Dieu, c’était embêtant mais c’était comme ça. Il croyait surtout au châtiment de Dieu, à un Diable Rouge moins sympa que les autres, à l’Enfer, à la Damnation forever, à tous ces corps qui crament ad vitam aeternam : à toutes ces bondieuseries qui lui avaient fichu la trouille dès l’enfance, parce qu’il y avait peut-être une vie après le foot et la mort.

Depuis, les inclinations bigotes de Georgette, ses sermons en conséquence, n’avaient évidemment rien arrangé. Tant et si bien qu’après chaque petite crapulerie commise, sa mauvaise conscience martelait à Marcel, sur l’air des lampions, le mot  » péché mortel « . La seule issue pour l’extirper était alors d’entrer dans le confessionnal de Maurice, aujourd’hui curé du village, mais voici un demi-siècle équipier de Marcel jusqu’en équipe cadets. A douze ans, pour Maurice, l’appel de Dieu s’était montré plus fort que les appels de balle…

Prenant place sur l’agenouilloir, Marcel se fit la réflexion qu’il était littéralement sur les rotules. Son arthrose en prit un coup, son humeur aussi. Il allait falloir expliquer clairement mais en chuchotant. Il faisait pénombre mais ça n’empêcherait pas Maurice de le reconnaître, ce système de confessionnal était une sacrée magouille cléricale !

Situé entre le visité et le visiteur, le petit panneau de bois glissa, dans un bruit de portes du Jugement Dernier…

–  » Ha, Marcel ! L’équipe sera au complet dimanche ? », s’enquit le curé, de profil derrière la claire-voie de bois.

–  » Maurice, ce n’est pas le moment, bénis-moi parce que j’ai péché « , souffla Marcel en se signant.  » Je dors mal depuis quelque temps « .

–  » Tu dors mal ou tu crains Dieu ? Ne te fais pas prier, va droit au but, Marcel. Dans le temps, c’était ta spécialité. ça remonte à quand, ces insomnies ? »

–  » Avril dernier. Tu te souviens de ce match à 6pts pour le maintien, chez nous contre Bourg-en-Volaille ? »

–  » 1-0 sur coup franc, j’ai adoré ce but ! « , confessa le curé.

–  » Un seul Dieu tu adoreras, Maurice ! « , osa ricaner Marcel avant de poursuivre.  » Mais c’est quand même chouette que Noiseux-sur-Berwette se soit maintenu, hein ? »

–  » C’est que se maintenir était la volonté de Dieu, Marcel. De Dieu. J’ai d’ailleurs prié pour ce maintien, j’ai joint les mains face au Seigneur ! Toi aussi, j’espère ?… Tu ne vas quand même pas me parler de corruption ? », s’angoissa Maurice soudain plus supporter que confesseur.

–  » Non.. Eeuuh… Disons que j’ai utilisé les mains aussi, un peu comme si j’avais corruptionné manuellement ! Tu vois cette petite ouverture discrète entre toi et moi ? »

–  » Elle me permet de t’écouter, Marcel « .

–  » Eh bien justement : moi aussi je me suis dit que ce serait utile d’écouter. Et comme je suis bricoleur dans l’âme « .

–  » Réserve ton âme à Dieu, plutôt qu’au type de bricolage que tu vas hélas m’apprendre « , soupira le curé en se cachant le front dans la main.

–  » Donc, en avril, juste avant la venue de Bourg-en-Volaille, j’ai bricolé une petite ouverture ronde, dans le mur entre la remise de matériel… et le vestiaire des visiteurs : juste derrière le tableau noir solidement accroché au mur, et sur lequel le coach d’en face donne sa théorie. De l’autre côté du mur, j’ai adapté à l’ouverture un flexible avec petit système amplificateur, et qui se terminait par un casque. Au jour J, j’ai mis le casque, je me suis assis confortablement à la petite table préparée pour la circonstance, et j’ai soigneusement pris des notes durant tout le briefing adverse : pour briefer ensuite notre propre entraîneur !  »

–  » Dieu ait effectivement ton âme, Marcel… « , gémit Maurice en fixant ardemment le plafond du confessionnal.  » C’est une faute grave, volontaire, intentionnelle…  »

–  » C’était une faute nécessaire, curé ! « , argumenta timidement Marcel.  » Je me suis sacrifié sur l’autel du résultat « .

–  » N’aggrave pas ton péché, on ne plaide pas devant Dieu ! « , coupa Maurice.  » Encore heureux que Lui, pas plus que moi, ne croyons à ces fadaises de briefing et de théorie ! Ce but sur coup franc qui nous a maintenus, c’était juste un magnifique exploit technique « .

–  » Pas tout à fait, Maurice « , avoua Marcel.

(à suivre)

par Bernard Jeunejean

 » Ne croyons pas à ces fadaises de briefing et de théorie ! « 

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