» MALADE, PAS MORT « 

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

L’ex-buteur explique pourquoi il ne marque plus avec le Sporting de Charleroi.

7 mai 2005, Charleroi – Brussels 1-2, but carolo par Toni Brogno sur penalty. Le dernier envoi gagnant avant une interminable traversée du désert pour l’ancien international. Six mois sans connaître les sensations grisantes du buteur en match officiel : Toni rencontre cette triste situation pour la première fois de son parcours de footballeur. Est-il fini, à 32 ans ? Depuis sa véritable éclosion en D1, en 1997-1998 avec Westerlo, il avait toujours entretenu sa moyenne : 49 buts en 3 ans avec les Campinois, 8 en 2 saisons avec Sedan, 17 en 2 campagnes avec Westerlo à nouveau, 8 dans le championnat 2004-2005 avec Charleroi. L’année dernière à cette époque, Toni Brogno crachait le feu avec le Sporting, il était redevenu l’un des meilleurs buteurs belges, on évoquait du bout des lèvres un éventuel retour chez les Diables Rouges. C’était il y a un an, un siècle, une éternité.

Depuis le début de cette compétition, son temps de jeu s’est limité à une peau de chagrin. Il y a 10 jours, face à Westerlo, il connut même l’affront suprême : être envoyé au jeu à la 90e minute, à la fois pour faire tourner la montre à l’avantage des Zèbres (qui menaient 2-1) et pour permettre à François Sterchele, le nouveau goleador du Mambourg, de quitter le terrain sous les applaudissements. Tout cela s’est passé contre l’ancien club de Toni, encore bien ! Il reste d’ailleurs sous contrat à Westerlo, qui le prête au Sporting depuis le début de la saison dernière et lui paye une bonne partie de son salaire.

Toni Brogno a récemment dévoilé une partie de l’explication de son niveau actuel : il souffre de recto-colite chronique et cette maladie a bousillé son début de saison.

Toni Brogno : Je souffre de ce problème depuis une dizaine d’années. Tout a commencé lors de ma première saison en D1, au Sporting avec Georges Leekens. La veille de notre déplacement à Anderlecht, il m’a annoncé que j’allais entamer ce match. Mon tout premier en championnat de Belgique. Je ne me sentais pas bien, dans les heures qui ont précédé le coup d’envoi, mais je pensais que c’était simplement dû au stress. J’ai joué une heure. Le lendemain, j’étais très mal. Je suis entré à l’hôpital. Là-bas, le médecin a vite vu de quoi je souffrais et il m’a dit que je pouvais faire une croix sur le foot professionnel. Il estimait que cette maladie m’empêcherait d’enchaîner les efforts, les entraînements, les matches. Je suis alors allé voir un spécialiste, qui m’a rassuré : son diagnostic était le même mais il était certain que le foot pourrait rester mon métier.

Cortisone, visage boursouflé et autres effets secondaires

Comment se manifeste le mal ?

Essentiellement par des crises de diarrhée. Quand ça me prend, il m’arrive de me lever 20 ou 25 fois par nuit et je perds parfois du sang. Je me sens faible, mon visage pâlit et je perds vite du poids.

Quelle en est la cause ?

Les médecins n’en savent rien. Ils parlent du stress, des nerfs, de la fatigue. C’est assez flou. Le point positif, c’est que je n’ai fait que trois crises depuis 10 ans : la première à l’époque Leekens, la deuxième à Sedan, et la troisième durant l’été dernier.

Comment traitez-vous la maladie ?

C’est chaque fois un traitement de trois mois, à la cortisone. Forcément, mon visage se boursoufle à cause de ce produit et tout le monde a l’impression que j’ai grossi. Mais non, je suis en dessous de mon poids habituel dans ces moments-là. La cortisone m’aide à guérir les crises, mais ses effets secondaires sont très embêtants : je suis terriblement fatigué, j’ai l’impression d’avoir un sac de sable sur le dos dès que je monte sur un terrain, je transpire plus vite, j’ai des bouffées de chaleur et ma température monte. L’été dernier, je m’affalais dans mon divan après chaque entraînement. Je n’ai rien raté du travail avec le groupe depuis le mois de juin, mais je n’ai évidemment pas bossé à 100 % et mon niveau s’en ressent forcément. Je me suis aussi occasionné une déchirure derrière la cuisse : la toute première de ma carrière ! C’est normal, la cortisone fragilise les muscles. J’aperçois toutefois la sortie du tunnel : je viens de terminer mon traitement de trois mois et j’espère revenir assez vite à mon meilleur niveau.

Pourquoi n’avez-vous rien dit quand vous étiez malade ?

J’ai ai directement parlé au staff technique mais je ne voulais pas que d’autres personnes soient au courant. Certains auraient sans doute dit que je cherchais des excuses. Ce n’est pas mon genre : j’ai une maladie et je l’assume.

En attendant, on vous a jugé sans concession, sans savoir que vous aviez des circonstances atténuantes.

Je sais. J’ai entendu pas mal de choses, j’ai lu que Toni Brogno était en fin de carrière, qu’il ne savait plus marquer, les gens se posaient beaucoup de questions et expliquaient mon passage à vide à leur façon. Mais j’ai préféré laisser glisser… En patientant, calmement. Jacky Mathijssen m’avait directement dit qu’il me laisserait le temps de guérir, qu’il ne précipiterait pas mon retour. A 20 ans, j’aurais pris des risques pour revenir plus vite dans le parcours, quitte à forcer et à le payer par la suite. A 32 ans, je raisonne différemment : la santé d’abord.

Votre début de saison raté a-t-il d’autres explications ?

Sans aucun doute. Je ne veux pas non plus tout mettre sur le compte de ma maladie. Mais bon, je ne connais pas ces autres raisons… Je cherche sans les trouver.

 » En pointe avec le Sporting ? Je n’y crois plus  »

Comment avez-vous vécu les 8 matches sans victoire ?

C’était frustrant et je ne savais pas trop ce que je devais en penser. D’un côté, j’avais envie de monter au jeu et j’étais convaincu que je pouvais remettre l’équipe sur les bons rails. D’un autre, je me rendais bien compte que je n’avais pas le niveau. Il y avait en moi cette dualité difficile à gérer. Le banc ne m’amusait pas du tout. Bref, j’étais prêt mentalement mais pas physiquement.

Il y a un an, vous étiez un des meilleurs buteurs belges du championnat. Grandeur et décadence ?

Je suis frustré mais je ne veux pas faire de comparaisons pareilles. Avec le mal dont je souffrais, je ne pouvais pas faire mieux. OK, je viens de passer six mois sans faire trembler une seule fois les filets en match officiel, mon étiquette de pur buteur ne se justifie plus actuellement, mais ne comptez pas sur moi pour baisser les bras. Je ne suis pas mort et je le montrerai sur le terrain.

Comment avez-vous vécu votre montée au jeu contre Westerlo ?

C’était encore une frustration. J’aurais préféré rester sur le banc jusqu’à la fin du match, plutôt que de monter pour deux ou trois minutes. L’entraîneur aurait pu lancer un jeune, qui aurait apprécié beaucoup plus que moi. Mais bon, je suis pro et payé pour respecter ses choix.

Vous êtes rabaissé au rang d’un jeton qui sert à gagner quelques secondes quand il faut sauver un résultat…

Je fais avec ! On m’a demandé de m’échauffer puis de monter sur le terrain, je l’ai fait, on ne pourra rien me reprocher.

Vous aviez François Sterchele dans les jambes, il y a désormais Izzet Akgül en plus !

Que voulez-vous que je vous dise ? Le plus fort jouera. De toute façon, ce n’est plus en pointe que je vois mon avenir au Sporting. J’ai joué tout devant en début de saison dernière, puis j’ai glissé sur le flanc. Je n’espère plus rien en pointe.

Et ça ne vous manque pas, ce poste où on est le mieux placé pour scorer ?

Si, évidemment. Mais je sais que je ne serai plus le buteur attitré du Sporting aussi longtemps qu’on jouera dans le système tactique appliqué depuis le début de la saison dernière. Si on n’aligne qu’un seul attaquant spécifique, il faut que ce soit un type grand et costaud, capable de dévier des ballons de la tête. Ce n’est pas pour moi, évidemment. Mon truc, c’est plutôt un concept avec deux attaquants : un gars tout devant et moi pour tourner autour. Enfin bon, je ne vais évidemment pas remettre en question un système de jeu qui nous a permis de prendre plus de 60 points la saison dernière. Je suis obligé de faire 70 % de travail défensif et seulement 30 % de boulot offensif, ce n’est pas du tout dans ma nature, je joue 20 ou 30 mètres plus bas que quand j’étais à Westerlo, je dois parfois me farcir une quarantaine de mètres pour arriver dans le rectangle à partir du moment où je suis impliqué dans une action offensive, mais bon…

Pourquoi aviez-vous alors entamé la saison dernière comme attaquant de pointe ?

L’entraîneur n’avait sans doute pas d’autre choix à ce moment-là. Izzet Akgül ne s’était pas encore révélé.

 » A vouloir trop, on obtient un peu moins  »

Depuis le début de cette saison, on a souvent dit et répété que l’absence d’Izzet Akgül coûtait cher au Sporting. Alors qu’on ne prenait jamais votre propre absence comme prétexte aux moins bons résultats. N’est-ce pas dur à digérer ?

J’essaye de faire abstraction de tous les commentaires qui ne me sont pas favorables.

Comment expliquez-vous les problèmes offensifs de cette saison ? Sont-ils uniquement dus à la longue indisponibilité d’Akgül ?

Je ne serai pas original en disant que nous n’avons plus le brin de chance qui nous a accompagnés tout au long de la saison passée. Il y a un an, il nous suffisait d’une occasion pour marquer deux fois… Aujourd’hui, il faut que nous arrivions trois fois devant le goal adverse pour scorer une fois. Sauf contre Westerlo : ce soir-là, notre équipe est redevenue rentable et concrète. Ce match résumait toute notre saison dernière.

Estimez-vous, comme Jacky Mathijssen, que Charleroi joue mieux cette saison que l’année dernière ?

Oui. Dans certains matches, en tout cas. Prenez nos affrontements avec le Standard à Sclessin. La saison passée, nous n’avions eu besoin que d’une occasion et un corner pour marquer deux buts et prendre les trois points. Tout le reste du temps, nous avions été enfoncés. Cette année, nous avons fait jeu égal avec les Liégeois pendant presque tout le match mais nous sommes rentrés bredouilles. Plusieurs fois depuis le début de ce championnat, nous n’avons pas récolté ce que nous méritions.

C’est un peu simpliste comme explication, non ?

(Il réfléchit). Il y a peut-être, aussi, un petit problème de mentalité collective. Notre philosophie, l’an dernier, c’était : -On ferme tout derrière et on marque un but si possible. Aujourd’hui, c’est plutôt : -On essaye de marquer et, si possible, on ne prend pas de but. Vous comprenez la différence ? C’est subtil mais ça peut expliquer certains résultats décevants. Le discours de Jacky Mathijssen n’a pas changé, ce sont les joueurs qui voient les choses autrement. Ils se disent que s’ils ont terminé une fois à la cinquième place, il doit être possible de faire encore mieux la saison suivante. Mais, à vouloir trop, on obtient un peu moins au bout du compte. Je pense aussi que, dans l’esprit de pas mal de gars du groupe, c’est plus agréable de jouer offensivement que défensivement.

Enfin un joueur qui reconnaît le style défensif du Sporting…

Défensif… non, ce n’est pas le terme exact. Je dirais plutôt : discipliné. Et cette discipline n’est plus la même depuis l’été. Il en faut énormément pour tenir la baraque derrière et exploiter le quart d’occasion que l’adversaire nous offre. Cette année, les rôles se sont inversés : nous commettons une erreur et l’équipe d’en face en profite. On nous aborde aussi différemment parce qu’on connaît notre jeu. L’année dernière, tout le monde venait chez nous pour gagner. Cette année, tout le monde vient chez nous pour ne pas perdre. Et nous souffrons dès que nous sommes obligés de prendre le jeu à notre compte. Autre différence : l’an passé, nous savions repartir et égaliser chaque fois que nous prenions un but. Cette fois, dès que nous sommes menés, c’est tout notre château de cartes qui donne l’impression de pouvoir s’écrouler.

Le bilan personnel de votre retour à Charleroi ?

J’ai marqué 9 buts la saison passée et nous avons terminé à la cinquième place : c’est ça, le côté positif de mon bilan. Dans la colonne des points négatifs, je regrette de ne pas avoir apporté encore plus sur un plan purement offensif, je râle toujours qu’on ne soit pas allés plus loin en Coupe de Belgique et je ne peux évidemment pas être satisfait de ma production depuis le début de cette saison.

Vous êtes en fin de contrat à Westerlo et en fin de location à Charleroi…

Avant le déclenchement de ma maladie, durant l’été, j’avais parlé d’une prolongation éventuelle avec Mogi Bayat. Les discussions ont ensuite été mises en stand-by, c’était logique. Je ne m’en fais pas : la seule chose qui m’importe pour le moment, c’est de revenir à 100 %.

A 32 ans, vous approchez doucement de la retraite ?

Je ne commettrai pas la même erreur que Dante : arrêter trop tôt. Je ne ferai pas la saison de trop mais je continuerai aussi longtemps que ma tête et mon corps me permettront d’être performant.

PIERRE DANVOYE

 » Le diagnostic médical posé était que le foot professionnel était terminé pour moi « .

 » JE NE COMMETTRAI PAS LA MêME ERREUR QUE DANTE : ARRêTER TROP TôT  »

 » L’AN PASSÉ, il nous suffisait d’une occasion pour marquer deux fois  »

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