Mal de TÊTE

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

L’ex-puncheur de Lokeren a raté sa première saison à Sclessin. A qui la faute ?

Sambegou Bangoura a pris le premier avion pour sa Guinée, une fois le championnat terminé. Il décomptait les jours avant son retour au pays. Et, décompter les jours, cela semble encore plus long quand on est réduit à l’inactivité. Blessé au genou, il n’a pas disputé les derniers matches de la saison. Et, avant cela, il a rarement donné satisfaction au Standard. Bref, une première saison pourrie à Liège.

L’attaquant qui épatait encore avec Lokeren il y a un peu plus d’un an, est méconnaissable. Où est passé le buteur ? 16 buts et 5 assists en 2002-2003, 5 goals et 2 passes décisives en 2003-2004 : dans les chiffres, la régression est évidente.

Sambegou Bangoura : Je suis au moins sûr de deux choses après ma première année dans ce club. D’abord, le Standard a raté son championnat. La Coupe de l’UEFA, c’est bien pour certains, mais c’est insuffisant quand on n’a eu que la Ligue des Champions en tête durant toute la saison. Ensuite, je suis moi aussi passé à côté de mon sujet. J’ai trop peu joué. Trop peu marqué. Bref, je n’ai pas répondu à l’attente.

Pourquoi ?

Il y a plusieurs raisons. Des blessures, en premier lieu. J’ai été touché à l’épaule, puis au genou. C’est la toute première fois, depuis mes débuts de pro, que le sort s’acharne ainsi sur moi. Quelque part, c’est logique : depuis deux ans, je n’ai plus eu de vacances, vu que je jouais l’été avec la Guinée. Il arrive un jour où ça finit par craquer, où le corps dit stop. La CAN est une autre explication. Elle m’a pénalisé dès le début de la saison. La direction du Standard savait que j’étais fort susceptible d’y participer et elle a renforcé le noyau en conséquence. En transférant Emile Mpenza notamment. Depuis un an, j’ai fait six ou sept déplacements vers l’Afrique : c’est beaucoup. Cela fatigue évidemment un joueur, mais surtout, ça peut irriter l’entraîneur parce qu’il sait qu’il ne pourra jamais compter sur vous pendant une longue période. J’étais à Liège un jour, à Conakry le lendemain. Puis, il y a eu la phase finale, qui m’a retenu en Afrique pendant plusieurs semaines. Je connais peu de joueurs africains capables d’être réguliers à un très bon niveau à la fois avec leur club et leur sélection. Je n’ai pas fait exception.

Envisagez-vous toujours de renoncer à votre équipe nationale ?

Je me donne l’été pour réfléchir. Mais je n’ai toujours pas digéré le peu de temps de jeu que Michel Dussuyer m’a accordé à la CAN. Avoir hypothéqué mes chances de jouer avec le Standard pour un tournoi où je n’ai été qu’un joker de luxe, c’est difficile à accepter. Ce serait un crève-c£ur terrible d’annoncer mon retrait de l’équipe guinéenne, mais ce sera peut-être la seule solution si je veux m’imposer pour de bon à Sclessin.

Il voit sa fille pour la première fois… sur Internet

En plus, la CAN vous a fait rater la naissance de votre premier enfant. N’est-ce pas encore plus grave ?

Je n’aurais pas été trop affecté d’avoir raté cet événement si j’avais joué tous les matches de la Guinée à la Coupe d’Afrique. Mais là… Je me demande si le jeu en valait bien la chandelle. Une naissance, c’est évidemment quelque chose d’unique. J’ai déposé ma femme à l’hôpital en partant à Zaventem, où je devais prendre l’avion pour rejoindre la sélection en stage, à Nice. Ma femme a accouché quand j’étais là-bas. Pierre François a trouvé un truc pour que je voie mon enfant le plus vite possible : il a mis sa photo sur le site internet du Standard. Sympa, mais comme ça, je n’ai même pas été le premier à voir ma fille… Des supporters l’ont découverte avant moi. Des manques pareils sont durs à vivre.

Même quand vous étiez là, on a rarement eu l’impression que Dominique D’Onofrio comptait vraiment sur vous… Avouez que vous n’avez jamais eu, avec le Standard, le même niveau qu’avec Lokeren.

Je suis certain que je suis toujours le même joueur. Je n’ai pas perdu mes qualités en quelques mois. La grosse différence, c’est le style de jeu des deux clubs. Je suis le prototype du joueur qui a besoin de bons centres pour marquer des buts. J’en recevais beaucoup à Lokeren. Par contre, avec le Standard… D’une équipe qui jouait spécifiquement en fonction de moi, je suis passé dans une autre où on n’a pas cherché à s’adapter à mes qualités. J’ai essayé de me fondre dans le système du Standard, mais je trouve que mes coéquipiers auraient aussi dû tenter de se familiariser à mon jeu. Ils ne l’ont pas fait.

Et si le Standard était, tout simplement, un palier trop élevé pour vous ?

Non ! Si j’ai accepté de venir ici, c’est parce que j’étais sûr de moi. Je veux montrer, dès le début de la saison prochaine, que je vaux une place de titulaire dans cette équipe. Il est temps qu’on voie de quoi je suis capable et qu’on arrête de me considérer comme un transfert pas franchement réussi. Mais je vous répète que, pour y arriver, j’aurai aussi besoin de mes partenaires : s’ils ne décident pas d’exploiter mes points forts, le staff technique et les supporters seront encore déçus la saison prochaine.

En avez-vous parlé avec l’entraîneur ?

Je veux une bonne discussion avec lui durant l’été. Il se rend certainement compte que j’ai été mal utilisé la saison dernière. Il m’a quand même suffisamment vu jouer avec Lokeren, il sait de quoi je suis capable quand on m’alimente bien.

On a parfois eu l’impression que vous vous contentiez de votre place sur le banc.

Je ne serai jamais un réserviste content, mais mon éducation fait que je ne remets jamais en question les choix du coach.

Emile Mpenza dit que vous êtes moins fort en déplacement qu’à domicile.

Ça n’engage que lui ! Je lui répondrai seulement que l’équipe a mieux exploité mes points forts lors des matches à Sclessin. Peut-être que les joueurs censés me faire bien jouer se sentent moins bien dans leur tête dès qu’ils évoluent en déplacement ? Nous avons fait quelques bons matches à l’extérieur, mais aussi beaucoup de très mauvais. C’est sur ce plan-là qu’Anderlecht a creusé une telle différence au classement. La lutte entre Anderlecht et le Standard, cette saison, c’était la régularité face à l’inconstance…

Vous avez déclaré que vous étiez plus fort qu’à Lokeren : vos statistiques ne le prouvent pas !

Et pourtant, je suis sûr de ce que j’avance. Il y a un an, j’étais un attaquant capable de marquer presque exclusivement de la tête. Aujourd’hui, je sais jouer avec mes pieds. C’est le point positif de ma première saison au Standard : comme on ne m’expédiait pas beaucoup de centres exploitables, j’ai été obligé de compenser en progressant dans le jeu au sol… J’ai marqué trois buts du pied dans un match international, en cours de saison : en Guinée, les gens n’en revenaient pas parce qu’ils croyaient que je ne savais scorer que sur des reprises de la tête.

L’échec face à Bruges pour la deuxième place, comment l’expliquez-vous ?

Nous avons raté beaucoup trop de points faciles en janvier et février. Tout s’est décidé à ce moment-là.

Comment expliquez-vous ces séquences de mauvais résultats du Standard ? Trois défaites d’affilée au premier tour, une succession sans fin de nuls au début du deuxième tour…

Au premier tour, la deuxième défaite n’était qu’une conséquence de la première. Et la troisième résultait des deux précédentes… Il a suffi que l’équipe prenne un bon coup sur la tête, et il lui a fallu du temps pour s’en remettre. Ce n’est pas normal. Idem en janvier et février, avec tous ces nuls. Anderlecht et Bruges n’ont jamais connu un passage à vide prolongé. Ces deux équipes ont su se relever très vite après chaque déception.

 » Dindane va achever de crédibiliser les Africains  »

Comment les joueurs africains de Belgique réagissent-ils à cette saison très black ? Dindane, Kompany, Emile, Mbo, Wamberto, les Ivoiriens de Beveren et d’autres ont sans cesse fait l’actualité.

Je n’étais pas encore en Belgique quand Souleymane Oulare a reçu le trophée du Footballeur Pro de l’Année, mais je sais que les Africains de Belgique avaient déjà considéré cette victoire comme une première reconnaissance. Aujourd’hui, c’est Dindane qui est sur le devant de la scène : fantastique parce que ça va achever de nous crédibiliser, de nous faire passer pour des footballeurs qui, en plus d’être spectaculaires, savent aussi être très réguliers et efficaces.

Qu’apportent, pour vous, les Africains à notre championnat ?

Beaucoup.

Si vous deviez résumer cet apport en trois mots ?

Nous apportons tout ce qu’il faut (il rit).

Mais encore ?

En trois mots, c’est impossible. De toute façon, il n’y a pas de généralités. Je ne suis pas d’accord quand je lis que les Africains ont presque systématiquement telle et telle qualité, ainsi que tel et tel défaut. Non, nous sommes tous différents. Il y a, parmi les Africains, des gardiens fiables, des défenseurs efficaces, des distributeurs performants, des dribbleurs fantastiques, des passeurs, des buteurs, etc. Mais aussi des petits, des grands, des sveltes, des costauds, etc. Il y a des joueurs blancs bien plus musclés que moi. Finalement, seule la couleur de peau diffère.

Et la mentalité, non ?

Je suppose que vous voulez parler de notre prétendu manque de discipline et de discernement tactique ? Là encore, je ne suis pas d’accord. Je connais pas mal de Blancs qui manquent méchamment de discipline. Tactiquement, nous sommes pour ainsi dire tous moins forts quand nous débarquons en Europe, mais ça, c’est tout à fait normal. Dans le foot africain, il n’y a pas de tactique !

Qu’ont apporté les joueurs de couleur, cette saison, au Standard ?

C’est tout un groupe qui s’est battu pour décrocher la troisième place. Les joueurs africains ou d’origine africaine n’ont pas spécialement fait la différence.

Le black power, vous y croyez ?

A fond. Plus que jamais.

Cette réussite est-elle le coup le plus dur dont on pouvait rêver pour le racisme dans notre football ?

Le racisme, les réactions stupides de supporters, on n’y est confronté que quand on n’a pas encore percé. J’ai souffert de ce phénomène lors de mes débuts à Lokeren. A l’époque, Sambegou Bangoura n’était encore qu’un sinistre inconnu. J’ai été insulté, sur les terrains et en rue. Mais, dès que je me suis fait un nom, on n’a arrêté de me provoquer. Comme par hasard.

Pierre Danvoye

 » J’AI RATÉ MA SAISON, et le Standard aussi « 

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