Majorité des deux tiers

Après quatre ans de galères étrangères, le buteur est de retour.

On ne s’attendait pas à le revoir si vite en Belgique. D’autant plus que Wesley Sonck avait déclaré, du temps de son exil, qu’aucun club du pays n’était en mesure de le payer. Mais les aléas d’une carrière l’ont finalement amené à rebrousser chemin plus tôt que prévu. A Bruges, où il a paraphé un contrat de deux ans, l’ancien puncheur de Genk tentera de relancer une mécanique qui s’était grippée à l’Ajax Amsterdam d’abord avant de rendre définitivement l’âme au Borussia Mönchengladbach.

Wesley Sonck : Quel regard portez-vous sur ces deux expériences à l’étranger ?

Les débuts, tant aux Pays-Bas qu’en Allemagne, ont chaque fois été prometteurs avant que l’expérience ne tourne malheureusement en eau de boudin. Chez les Ajacides, j’avais commencé très fort la première saison, en tant qu’attaquant axial, avant de rentrer dans le rang, progressivement, en raison de mon passage sur le flanc droit. Outre-Rhin, j’ai malheureusement eu la poisse chevillée au corps sous la forme de multiples pépins physiques. De surcroît, le club ne s’apparentait pas, non plus, à un exemple de stabilité. Le va-et-vient des joueurs et des coaches y était continuel. J’en ai consommé trois en l’espace de deux ans et demi, qui dit mieux ?

Auréolé d’un double titre de meilleur buteur de la Jupiler League, vous étiez au sommet au moment de quitter Genk durant l’été 2003. Par la suite, à l’étranger, vous avez indubitablement perdu de votre superbe. Que vous a-t-il manqué pour vous imposer hors frontières ?

On prétend souvent que, pour un footballeur, il importe d’arriver dans le bon club au bon moment. J’ai vécu ce contexte à l’Arena, durant mes premiers mois là-bas, avant d’y faire l’objet d’un nouveau rôle, nettement moins en phase avec mes aptitudes réelles. En Allemagne, j’ai dû composer avec une entité luttant pour sa survie, ce qui me changeait bien évidemment de la situation que j’avais connue aussi bien à l’Ajax qu’au Racing. Dans ces clubs, je recevais des tas de ballons valables par match. Mais cette quantité se réduisait à une peau de chagrin en Bundesliga. Une opportunité ou deux par rencontre, c’était tout. De là à dire que je n’avais pas le niveau, il y a quand même une marge. A mes yeux, les trois-quarts de mes coéquipiers au Borussia n’étaient sûrement pas plus doués que moi. Evidemment, sans le soutien du coach, c’est peine perdue. Je reste persuadé que j’aurais fait mon trou au sein de l’équipe allemande si j’avais pu y jouir des faveurs du coach.

Une saine arrogance

Quelle différence avez-vous relevée entre un club huppé en Belgique, comme Genk, et l’Ajax, qui tient le haut du pavé par-delà le Moerdijk ?

La saine arrogance, comme le soutiennent les Néerlandais eux-mêmes. Genk émarge à coup sûr au sommet mais ne fait pas dans l’esbroufe pour autant, préférant cultiver une sage discrétion. A l’Ajax, c’est différent. La cravate officielle du club, par exemple, y est pourvue d’un numéro 1 lorsque le club est champion. C’est une manière d’indiquer son rang et d’imposer le respect. Chez nous, cette attitude serait susceptible d’offusquer alors que chez nos voisins du Nord, personne n’y trouve à redire. Pourquoi se dérober aux regards, si on peut s’y exposer ?

Vous avez été privé d’une telle exposition à Mönchengladbach, au point même d’y devenir joueur non grata. Pourquoi ?

C’est avec le coach néerlandais Jos Luhukay, essentiellement, que tout a coincé. Sans que je sache vraiment pourquoi. Avec ses devanciers, Horst Köppel et Jupp Heynckes, je n’avais pas connu les mêmes problèmes. Ce dernier s’était d’ailleurs érigé contre un transfert de ma part au CSKA Moscou, en janvier dernier. Au terme du mercato, il avait opposé de la même manière une fin de non-recevoir à une requête de Genk, qui désirait me louer pour une période de six mois, entendu qu’Ivan Bosnjak était indisponible à ce moment. C’est dire si le coach comptait sur moi. Mais deux semaines plus tard, c’en était fini pour lui au club et hélas, Luhukay n’avait pas les mêmes priorités. Avec lui, j’ai joué franchement les utilités, sans jamais connaître les véritables raisons de ma mise à l’écart. De l’équipe d’abord, puis carrément du noyau cette saison. Deux jours avant la reprise, en effet, j’ai appris que je ne devais plus m’entraîner avec les A mais avec les Espoirs. J’étais privé de numéro également. C’était surréaliste mais dans la mesure où c’est le club qui a le dernier mot, il fallait bien que je m’incline. Beaucoup n’ont pas du tout compris cette mesure. Une enquête menée auprès des fans du club a même démontré que 70 % d’entre eux se prononçaient en faveur de mon retour dans le groupe. L’ancien international allemand, Oliver Neuville, qui s’était ému de ma mise à l’écart, et qui avait plaidé lui aussi pour ma réhabilitation, fut d’ailleurs mis à l’amende. C’est tout dire. Dans l’ensemble, les réactions des joueurs furent extrêmement chouettes. Les jeunes, notamment, qui redoublaient d’ardeur aux séances de préparation, histoire de se mettre en valeur, prenaient toujours soin de ne pas me tackler, pour ne pas contrecarrer un éventuel transfert. C’était très sympa.

Vous-même aviez subi les foudres du coach, cette année, après une intervention un peu trop musclée sur votre coéquipier brésilien Kahe ?

Comme bon nombre de footballeurs qui ne jouent pas, j’étais alors frustré sur le terrain. Et à un moment donné, j’ai effectivement chatouillé le tibia de ce joueur. Mais c’est le genre de scènes qui se produit partout, sur tous les terrains d’entraînement du monde, sans qu’on y trouve à redire ou qu’on crie au scandale pour autant. Ce geste-là n’était d’ailleurs rien comparé à d’autres que j’ai vécus de près au Borussia où tout le monde y défend ardemment son bifteck. C’est lié, plus que probablement, au système de paiement en vigueur dans ce club ainsi que dans d’autres cercle en l’Allemagne. Là-bas, les titulaires ont droit à 100 % des primes. Mais pour peu qu’on rentre après le repos, ce pourcentage est ramené à 50 %. Et ceux qui ne jouent pas doivent la plupart du temps se contenter de clopinettes. C’est très différent de ce qu’on connaît chez nous, où tous les joueurs inscrits sur la feuille de match ont droit au même montant. C’est pourquoi une place dans le onze de base est sacrée outre-Rhin et qu’on fait réellement le maximum pour y parvenir.

 » Le coach a esquivé nos deux rendez-vous  »

Est-ce après cet épisode que la situation s’est dégradée entre Luhukay et vous ?

Honnêtement, je ne sais pas pourquoi tout a dérapé. Personnellement, je n’ai jamais eu quoi que ce soit à redire sur lui. Ses entraînements étaient bien, ses vues sur le football aussi, même si j’estime qu’il aurait pu m’accorder sa chance. En l’espace de 15 matches, l’équipe a pris 11 points sous sa gouverne. C’est maigre. Il aurait pu tenter autre chose, dans ces conditions, en faisant appel à moi, par exemple. D’autant plus que les autres avants, comme Kahe, Neuville, Moses Lamidi ou Nando ne faisaient pas plus parler la poudre que moi. Mais non, je continuais à être sacrifié et le coach ne m’a fourni la moindre explication. Après avoir été relégué dans le groupe des Espoirs, cet été, j’ai tenu à avoir un entretien avec lui : il n’a jamais eu lieu. A deux reprises, le coach a brillé par son absence au rendez-vous fixé. Auparavant, les échanges entre nous avaient déjà toujours été limités. Après une montée au jeu d’un quart d’heure, contre Dortmund, il avait estimé que je n’avais pas répondu à l’attente. C’était son bon droit mais j’ai tenu à lui ventiler aussi mon propre point de vue. Il m’a alors interrompu en me demandant de poursuivre la discussion en allemand afin que son adjoint puisse savoir également de quoi il retourne. Je n’ai plus voulu insister car j’étais d’avis que ce problème ne regardait que nous deux. Depuis lors, ce fut le silence radio. Il n’était évidemment plus possible de persévérer dans ces conditions. C’est pourquoi la touche brugeoise est tombée à pic.

Le Club Bruges n’était pas le seul club intéressé par vos services. L’AEK Athènes, le Maccabi Tel-Aviv et Vitesse Arnhem vous avaient fait un appel du pied également. Votre choix, en définitive, pour les Bleu et Noir était-il dicté davantage par des raisons familiales que financières ?

L’argent n’a jamais été une priorité. Quand je suis passé du Germinal Beerschot au Racing Genk, les données chiffrées de mon contrat ont bel et bien été revues sensiblement à la hausse. Mais je n’étais pas, pour autant, le footballeur le mieux rétribué du club limbourgeois. Malgré les prestations probantes que j’ai livrées au stade du Phénix au cours des trois années que j’ai passées là-bas, je n’ai jamais songé à demander une amélioration de mes conditions financières. J’avais marqué mon accord pour un certain montant et il m’appartenait donc à l’assumer jusqu’au bout. Par après, je me suis rattrapé à Amsterdam et à Mönchengladbach. C’était essentiellement la dimension de ces clubs et la valeur des compétitions respectives qui avaient dicté cette majoration. Si je l’avais réellement voulu, j’aurais pu opter pour l’argent. Mais c’est l’envie de me refaire une place au soleil qui m’interpellait au premier degré. De là ma décision finale : au Club Bruges, je sais à quoi m’attendre. A Vitesse aussi, mais ses dirigeants s’étaient manifestés sur le tard, après que j’eus déjà donné mon accord de principe aux Flandriens En Grèce ou en Israël, par contre, c’eût été un pas dans l’inconnu. Et puis, de toute façon, je ne me voyais pas jouer au Proche-Orient. Pour avoir été là-bas avec l’Ajax, j’avais été marqué par la vue de tous ces soldats armés jusqu’aux dents. Une bombe avait d’ailleurs explosé là-bas un jour avant notre arrivée. Je ne voulais pas imposer ces risques aux miens.

 » Je me rendais souvent à Genk pour faire de la salle « .

Que vous inspire votre retour anticipé au pays ?

Les départs de Bosko Balaban et Jeanvion Yulu-Matondo ont eu une incidence des plus heureuses pour moi, c’est évident. Dès cet instant, tout est allé très vite. D’emblée, j’ai été positivement impressionné par le contact que j’ai eu avec le manager Luc Devroe. Après une heure de conversation, j’étais conquis. Le reste aura été à l’avenant car sur le plan physique, j’étais OK. De fait, même si je n’étais plus partie prenante avec les A au Borussia, j’ai continué à m’entraîner ferme avec les jeunes. Après mes heures au club, je me rendais souvent à Genk en compagnie de Bernd Thijs pour faire de la salle. J’étais donc fin prêt au moment de passer mes tests à Bruges. Tout ce qui me manquait, et qui me manquera encore quelque temps, c’est le rythme, l’intensité des échanges. Ce qui reviendra au fil des matches.

Vous étiez explosif, dans toutes les acceptions du terme, au moment de quitter la Belgique. Vous êtes-vous assagi entre-temps ?

L’âge aidant, je suis peut-être devenu moins soupe au lait, en effet. Et je réfléchis avant d’exécuter un salto après un but désormais ( ilrit). C’est trop bête de se blesser dans ces conditions. Reste que je ne regrette rien. Certains n’encaissaient sans doute pas toujours mes remarques sans sourciller, à l’époque. Mais ils me sont peut-être reconnaissants à présent. Je songe à un Didier Zokora, notamment, que je n’ai pas épargné verbalement. Normal, dans la mesure où il était bourré de qualités mais qu’il n’exprimait que trop rarement à Genk. Il s’est rebiffé, en partie grâce à mes injonctions, je crois. Et depuis lors, il a réalisé une belle carrière, à Saint-Etienne d’abord puis à Tottenham. Cela valait donc le coup d’être secoué de temps en temps. L’Ivoirien peut à coup sûr m’en remercier.

Qu’attendez-vous de ces deux ans à Bruges ?

Je veux retrouver le plaisir de jouer, qui s’était érodé lors de mes derniers mois chez les Allemands. Ce qui est positif, c’est que le 4-4-2 cher à Jacky Mathijssen est également l’approche qui me convient le mieux. Le Limbourgeois a obtenu des résultats à partir de ce concept, tant à Saint-Trond qu’à Charleroi. C’est prometteur dans un entourage plus huppé à présent. Personnellement, il m’appartiendra de me montrer à la hauteur. C’est un fameux challenge, en ce sens que la concurrence est tout de même rude à l’attaque avec des gars comme François Sterchele, Dusan Djokic, Daniel Chavez et Salou Ibrahim. Mais je vais me battre pour me rendre indispensable.

Vous avez hérité du numéro 10, qui était celui de Bosko Balaban. Un fameux héritage ?

Le Croate a ses qualités, moi j’ai les miennes. Avec, peut-être, un point commun : les coups francs. Mais il a eu davantage l’occasion de montrer ses aptitudes que moi dans cet exercice au cours des mois écoulés. Pour la bonne et simple raison que lui jouait, tout simplement.

Que vous inspire le football belge, quatre ans après ?

Je remarque que les commentaires vont le plus souvent dans tous les sens, au gré des dernières impressions. Un jour on se plaint de ne pas avoir d’attaquant international d’envergure et le lendemain on se félicite de pouvoir compter sur des gars comme Kevin Mirallas ou Moussa Dembele. Mon intime sentiment, c’est que nous ne sommes pas aussi démunis que ça.

Que peut-on espérer de Bruges ?

Je pense que tout va se resserrer cette saison au sommet de la hiérarchie. Anderlecht a conservé ses meilleurs éléments mais la concurrence n’a pas ménagé ses efforts pour étoffer ses cadres. En principe, on devrait aller au-devant d’un championnat captivant. Avec un Club Bruges qui aura sûrement son mot à dire dans la course au titre.

par bruno govers – photos: reporters/ vander eecken

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