Maître achat avec 16 buts?

Ça va de « l’élite absolue » à « Bruges mérite mieux »… mais l’avant norvégien ne fait toujours pas l’unanimité.

Contrairement à Raymond Goethals, l’ex centre-avant international Raoul Lambert n’a jamais été considéré comme un fin connaisseur de football. Non qu’il manque de qualités en la matière mais Lotte, la personnification de la convivialité brugeoise, préfère se profiler en fidèle des Blauw en Zwart qu’en analyste, commentateur ou autre professeur de football.

Revenons à Raymond Goethals. On le considère comme une éminence es football. On a même fait un film sur lui: Raymond a toujours raison. Eh bien, Raymond n’a pas toujours raison. Pas plus que les appréciations de Lotte ne sont toujours exactes. Il y a quelques mois, tant Raymond que Raoul ont affirmé que Rune Lange était le plus gros échec de toute l’histoire des transferts de Bruges. Leurs qualificatifs se rejoignaient: Lange était nul. En aucun cas ce balourd n’allait marquer cinq buts cette saison. D’ailleurs, 95% de la Belgique footballistique partageait cet avis. Jusqu’au 11 août 2001, date du début du championnat.

Là, Lange a bel et bien commencé à marquer. Après quinze journées, son compteur personnel était à 16 buts. Par-dessus le marché, le Norvégien a délivré six assists. Si ce n’est pas là un achat rentable… Les critiques se sont tues. On ne les entend plus.

Le père de Lange, Kall, rayonne. C’est inhérent à la paternité. Il est fier de son fils. Il n’empêche qu’il connaît bien le football. Kall Lange a entraîné son fils à l’âge de dix ans, à IF Floya. Il l’a dirigé jusqu’à son départ pour Tromsdalen, six ans plus tard. Le père avait achevé son travail, il n’est plus entraîneur, depuis, et il suit les exploits de son aîné, confortablement assis dans un fauteuil, depuis sa froide contrée. Les Lange sont venus deux fois en Belgique et ont assisté à cinq matches de Rune. Il en faut bien plus pour entendre Kall vanter les mérites de son fils.

« Les journalistes veulent placer des louanges dans ma bouche. Ils veulent m’entendre dire que Rune doit être international. Ou qu’il est capable de jouer en Premier League. Je ne marche pas ».

Il n’y croit qu’à 16 ans

Oui mais, Monsieur Lange, vous l’avez entraîné si longtemps… « Oh, cette formation n’était pas si terrible. Nous étions limités par les rudes conditions climatiques du Nord de l’Europe. Ici, les terrains sont généralement enneigés, vous comprenez? Rune était déjà puissant à l’époque, a big boy. Il a donc toujours marqué aisément, même si je dois dire qu’il a toujours privilégié l’esprit d’équipe. Il aimait s’entraîner dur mais enfant, on ne peut dire qu’il était très ambitieux et qu’il rêvait de l’élite. Je pense qu’il a commencé à y songer vers l’âge de 16 ans, quand il a été transféré à Tromsdalen. Ce n’est pas non plus un don héréditaire car moi-même, je n’ai joué que pour une équipe corporative ».

« Son succès à Tromsö nous a agréablement surpris. Nous avons été effrayés quand il nous a annoncé vouloir partir en Turquie. Nous avons tout fait pour lui ôter cette idée de la tête, en vain. Ce n’était même pas une question d’argent. Il nous répétait: -Je dois tenter ma chance. Je suis content qu’il soit maintenant à Bruges. Je pense qu’il y est heureux. En tout cas, il a trouvé en Sollied un entraîneur qui lui offre beaucoup de confiance. Même s’il a encore du pain sur la planche, évidemment ( il rit). Il peut améliorer son pied gauche et dans les duels, il n’est pas encore assez fort non plus. Avant, nous nous sommes souvent entraînés individuellement mais j’avais deux autres fils. Je ne pouvais les négliger pour Rune.

Si je n’ai pas douté à ses débuts au Club Brugeois? Ah, ainsi va le football: -One day good, one day bad. J’étais plutôt confiant. Mais non, je ne prédirai pas le nombre de buts qu’il va inscrire cette saison. Vous êtes finalement comme les autres journalistes! » ( il rit).

Un énorme esprit d’équipe

Après Tromsdalen, Rune Lange a atterri à Tromsö, en 1997. Il en est devenu le meilleur buteur et un copain de Johnny Hansen. ce dernier a ensuite évolué à l’Eendracht Alost, mais deux opérations ont ralenti sa carrière. Il rejoue maintenant dans son pays natal, à Lim Oslo. Et il ne souffre plus de la moindre blessure. Johnny et Rune sont restés en contact, même lorsque Rune est parti en Turquie. Ils n’ont pas brisé le lien qui les unit.

Hansen: « Nous étions complémentaires. Rune est un chouette gars et il était bien intégré dans le groupe. Il ne dédaignait pas sortir avec nous. Il buvait un verre ou deux et s’amusait bien mais il a toujours été timide, calme. Il préfère rester à l’arrière-plan. Jamais il n’a tenu le crachoir. Il est sociable et j’ai été très étonné qu’il s’en aille en Turquie, tout d’un coup. Je me doutais qu’il y dépérirait. Maintenant, il se sent mieux en Belgique. Tout y est très bien et les gens sont gentils (il rit). Je le lui ai dit quand il m’a demandé des renseignements.

Je savais qu’il serait un big succes. Surtout grâce au style de jeu, nettement plus ouvert qu’en Turquie, où il était constamment tenu par un homme. Rune atteint son meilleur rendement au sein d’un trio d’attaque, avec deux wings à ses côtés. Pas seulement grâce à son sens du but car il a l’esprit d’équipe, depuis toujours. Davantage qu’ Ole-Martin Aarst, je trouve, bien que celui-ci travaille plus. Etablir une comparaison plus poussée ne serait pas correct, je trouve, car tous deux sont de brillants attaquants.

Nous nous sommes téléphonés, à l’époque où il était tellement critiqué. Ça ne l’amusait pas, évidemment. Je lui ai dit: -Ah, tu connais quand même les journalistes. Ce sont des démons qui n’y connaissent rien au football! Rune avait tout simplement besoin d’une période d’adaptation. La prochaine étape doit être l’équipe nationale. J’ai l’impression qu’il est défavorisé parce qu’il vient du Grand Nord. En Norvège, on s’intéresse davantage aux joueurs du Sud ».

On ne peut le perdre de vue

Depuis lors, les défenseurs centraux de D1 ont fait la connaissance de Lange. Il les a presque tous déjoués et il se retrouve à 16 buts en 15 journées. Contre Lommel, par exemple, 3-1, deux fois Lange. Une première fois suite à un malentendu entre Noben et le gardien, Davidts; ensuite à la Lange: un ballon du flanc et paf, dedans. Sur les photos, on voit Carl Hoefkens, admiratif.

Hoefkens: « C’est vraiment un avant qu’on ne peut perdre de vue un seul instant. Il n’est pas constamment en mouvement mais il guette sa chance et il la saisit, avec sang-froid. Tous les avants norvégiens sont ainsi: Frigard, Aarst, Brattbakk, de Rosenborg. On les forme comme ça. Ils ne sont pas égoïstes, ils jouent toujours en fonction de l’équipe et sont très froids. Ça doit être dû à leur climat, je crois ( il rit). Il est également rude dans les duels mais je le trouve très correct. Selon moi, son jeu de tête est son principal atout. Pas tellement pour prolonger les ballons. Il est surtout brillant quand il est servi du flanc. Je ne sais pas comment il fait: il plonge toujours au bon endroit. On l’a vu contre le Standard. Il est même parvenu à berner Van Meir, qui a un bon jeu de tête aussi et qui ne manque pas d’expérience. Il obtient donc un meilleur rendement s’il est flanqué de deux ailiers, comme au Club. Je pense toutefois qu’il se mettrait aussi en évidence au sein d’un duo d’attaque. Car il sait tirer! Il en est déjà à 16? Alors, il va sûrement en marquer 26 ou 27 sur l’ensemble de la saison ».

Assez bon pour l’Angleterre

Son compatriote Geir Frigard n’y arrivera sûrement pas. Enrôlé par le Lierse pour marquer le plus de buts possible, il réussit moins bien que Lange (quatre buts en 16 rencontres). Il n’est pas surpris que Lange lui soit tellement supérieur.

Frigard: « J’en ai discuté avec IgorNikolovksi pendant la préparation. Nous étions tous deux convaincus qu’il réussirait ici. C’est simple: c’est un bon attaquant, très fort dans le rectangle. Il avait déjà fait ses preuves. On ne devient pas meilleur buteur de Norvège en deux coups de cuillère à pot. En plus, durant toute sa carrière, chaque saison, il a marqué un paquet de buts. Il dispose de toutes les qualités requises: il est solide, empreint de sang-froid, il a le sens du but. Sans oublier un brillant jeu de tête. S’il lui a fallu un certain temps avant de s’imposer, c’est normal. Chaque joueur doit s’adapter. En Turquie, il est resté longtemps sans jouer. Mais je savais que Sollied lui faisait confiance. Ce n’était qu’une question de temps.

Nous ne nous connaissons pas personnellement. Nous nous sommes adressé la parole avant Lierse-Club pour la première fois. Je l’ai toujours suivi, à la télévision: un vrai buteur. Il a ça dans le sang. Lorsqu’on le compare à Ole-Martin Aarst, on répète qu’il est techniquement plus fort, plus collectif aussi mais qu’il bouge trop peu. Pour moi, ces comparaisons n’ont pas de sens. On parle d’une chose, au fond: de rendement. Et si Aarst a marqué trente buts à La Gantoise, je suis convaincu que Rune est capable d’en faire autant à Bruges.

Le Club lui convient bien. Il doit s’y sentir merveilleusement bien mais je suis sûr qu’il est aussi capable d’évoluer en Premier League. On y trouve des attaquants moins doués que lui. Y jouer accroîtrait ses chances d’être repris en équipe nationale. Manifestement, il faut jouer en Angleterre pour entrer en ligne de compte en Norvège. Sinon, comment expliquer pourquoi Rune n’a jamais reçu sa chance? Flo est-il si nettement meilleur? »

Frank Buyse

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