« Maintenant, je comprends Emile »

L’ex-Anderlechtois n’a pas eu une adaptation facile en Bundesliga.

Berlin. Aéroport Tempelhof. Une vieille base militaire au coeur de la ville, l’ancien aéroport des Américains. Il s’agit donc de Berlin-Ouest mais on ne le remarque plus autant qu’en 1989. A l’époque, en décembre également, le Mur venait de tomber, les Ossies rêvaient et, curieux de tout, ils se glissaient dans les trous de la muraille de béton qui les avaient écartés pendant tant d’années des excès de la société de consommation. Berlin-Est était alors une ville belle et spacieuse, comparée aux files du Kurfürstendamm, où l’église du Souvenir se fondait dans les néons publicitaires et où l’objectif suprême était d’acquérir la dernière BMW ou Mercedes. Non, il était plus agréable de séjourner un peu plus loin, dans l’avenue Unter den Linden, large, parfois sillonnée par une Trabant ou une Watburg, témoins d’une autre économie.

Il faut l’avouer: en 1989, le soleil brillait et l’air était empreint du romantisme de la future réunification. En 2001, il pleut, fort, et Berlin n’est pas romantique. Elle n’est qu’un gigantesque chantier surmonté d’échafaudages à perte de vue. Chekpoint Charlie n’est pas un témoignage de l’histoire mais un furoncle dans la Friedrichstrasse, envahie par les boutiques de grand luxe. Charlie ne retient plus les gens. Seulement la circulation. Oh, on les voit encore, les joyaux de l’industrie allemande automobile. Ils sont partout, maintenant. Les Trabant sont au musée ou ailleurs en-dehors de la ville.

La porte de Brandebourg est cernée, non comme le Reichstag par Christie comme jadis, pour un mégalomane projet culturel, mais de publicités pour Telekom, qui finance les travaux de rénovation. La population se presse ou achète ses cadeaux de Noël. Le Mur a complètement disparu. On nous assure que psychologiquement, il fait cinq mètres de plus que celui qu’ont bâti les Russes jadis. Les Wessies haïssent les Ossies, car ils estiment que ceux-ci sont des profiteurs et qu’ils ne savent pas ce qu’est le travail. Souvent, ceux-ci sont aussi néo-nazis.

Les Ossies, eux, rétorquent que les Wessies sont imbus d’eux-mêmes. Non, être Berlinois n’est pas une sinécure, du moins en hiver, car c’est aussi la ville du soleil et de la Love Parade, en été. Et ce malgré tous les marchés de Noël -ce n’est sans doute pas un hasard s’il y en a deux-, la foule des touristes dans l’ancien Ouest, le désert à l’Est. Nous allons voir l’Opéra National. Les guichets sont merveilleusement décorés mais personne n’achète de billet. Sur un podium, un pianiste-chanteur tente, en vain, de réchauffer l’ambiance en entonnant des chansons à succès. Un couple de septuagénaires danse sous la pluie, pour vaincre sa nostalgie, à moins qu’il ne lutte contre le froid.

Une ville agréable

Transféré l’été dernier d’Anderlecht au Hertha BSC, Bart Goor réside à Berlin. Il est tombé sous le charme de la ville. « Certains de nos supporters sont Ossies mais en fait, l’Union Berlin, qui évolue en deuxième Bundesliga, est davantage leur équipe. Kristof Stas y évolue. Ce que ma femme et moi remarquons, en-dehors du football, c’est l’incroyable bouillon de cultures. On voit beaucoup de gens de Yougoslavie, de Croatie, d’Amérique, de France et sur les 3,5 millions d’habitants, un million serait d’origine turque. On ne trouve donc pas ici la mentalité typiquement allemande, renfermée. C’est aussi une ville agréable pour les enfants. A la Côte d’Azur, on nous a déjà remballés parce que notre fils, Robbe, nous accompagnait. Ici, on trouve tout de suite de la place pour les gosses ».

Le nazisme et le racisme subsistent peut-être mais il n’en décèle aucun symptôme car il ne fréquente le plus souvent que les plus beaux quartiers de Berlin. « J’ai été surpris quand nous avons joué à Rostock, à trois heures de route de Berlin. Là, tout est encore comme il y a trente ans. Les jeunes ont le crâne rasé, des crêtes de coq, ils sont vêtus de noir ».

Le bilan des six premiers mois est plutôt positif. Un début pénible, une meilleure période et un final négatif, avec une élimination en Coupe d’Europe et une blessure qui l’a mis au repos avant les autres. « J’ai dû m’adapter. A un autre pays, à un autre championnat, à un autre style de jeu. Au début, je ne trouvais pas mes marques car l’équipe elle-même ne tournait pas. J’ai souvent dû changer de position et de système de jeu. J’ai occupé toutes les places à gauche et à la fin, j’ai même été ailier droit. Je suis heureux que mon père m’ait obligé à jouer du pied droit quand j’étais petit! J’ai tendance à converger vers l’axe mais j’ai toujours pu évoluer offensivement, ce dont je suis heureux. Au sein du quatuor défensif, ça n’allait pas du tout. Notre entraîneur, Röber, m’y a testé ».

La principale différence, c’est la vitesse d’exécution et la puissance. « On critique le football allemand parce qu’il expédie trop de ballons vers l’avant. C’est un fait mais c’est parce qu’on met la pression sur les défenseurs. Il faut donc choisir ceux qui s’accommodent le mieux de ces longs ballons. C’est ce qui m’a demandé le plus d’effort pendant mon adaptation ».

Les duels sont nombreux, aussi: « Oui, à cause de la pression. Même si un ballon est sur le point de sortir, il faut sprinter et tenter de le rattraper. Le jeu est extrêmement dur ».

Stoica serait obligé de tackler

S’entraîne-t-on spécialement afin d’être présent dans ces duels? « Non mais je pense qu’on les inculque très tôt aux jeunes. Il faut se battre. Si c’est le cas, tout le monde est content… Ce n’est plus une véritable couverture individuelle, on pratique une sorte de zone, dans laquelle on exerce cependant un excellent pressing. Peut-être est-ce un héritage du temps des stoppers ».

Dieter Hoeness, le manager du Hertha BSC, espérait davantage de lui au début. Après tout, Goor a coûté un quart de milliard. Il ne l’a pas ressenti comme un problème: « Je n’ai jamais été un meneur et je ne le serai jamais. Je me bats. Si le groupe tourne moins bien, ce n’est pas moi qui vais réaliser quelque chose à moi tout seul. Je ne suis pas un ailier style Overmars. Ils doivent le savoir. On m’a critiqué dès la première journée. C’est courant, ici. On peut être très dur envers les joueurs, y compris dans les journaux. D’un autre côté, quand ça va bien, on est vite content. Je reviens souvent en arrière, jusqu’à la dernière ligne, pour effectuer un sliding. C’est obligatoire, dans le football allemand. Même un Stoica y serait contraint ici, faute d’être renvoyé, tout simplement ».

Il a suivi l’intégralité du match Westerlo-Hertha du banc, à cause de son mauvais début. N’était-ce pas particulièrement pénible d’être écarté alors qu’il retrouvait sa région?

« Sur le moment, ce fut très dur. Je traversais déjà une période difficile mais au fil du temps, vous trouvez ça normal. C’est courant ici: on fait banquette lors de certains matches. J’espérais à tout le moins jouer quelques minutes. Un jeune prendrait ça très mal mais j’ai déjà vécu pas mal de choses et j’ai mieux digéré cette mauvaise passe. Röber estimait que je devais récupérer des efforts consentis la saison précédente. Le fait que nous jouions en Belgique ne comptait pas. A Anderlecht, j’ai également eu besoin d’un temps d’adaptation. Je pense que c’est tout à fait normal ».

Il est passé d’une équipe dominante à une formation de battants. Goor: « En effet, et il faut aussi s’y habituer. L’environnement est différent, il faut s’y retrouver ».

Aurait-il craqué, s’il était été plus jeune? Goor a 28 ans. « Peut-être. On a déjà écrit que le transfert de 12,5 millions de marks est un échec. Ce constat revient maintenant. Un jeune le supporterait sans doute moins bien. Je comprends mieux ce qu’ Emile a traversé: des problèmes linguistiques, une blessure. Il est difficile d’exprimer dans une autre langue où le bât blesse exactement. Je pense que c’est le cas d’Emile. Il n’a déjà guère de contacts avec ses coéquipiers. A Anderlecht, je faisais toujours rigoler les autres. Je voudrais faire pareil ici. Quand on ne parle pas la langue, c’est vraiment très difficile ».

Il a déjà déclaré que les Allemands n’avaient pas d’humour. « Un autre, moins marqué. Les Allemands sont plus disciplinés. Jusqu’à présent, je suis donc resté calme. Je ne peux de toute façon pas m’exprimer comme je le voudrais et le club est très calme, avec des garçons très faciles. Il n’y a pas d’ Urban ici ».

Exagère-t-on la portée des choses? « Parfois. Il y a neuf journaux rien qu’à Berlin, dont deux sont de vrais quotidiens à sensation. Connaissez-vous l’affaire du chèque de Deisler? Il a reçu 20 millions de marks, soit 400 millions de francs, pour signer au Bayern. Le prix et le chèque étaient dans le journal alors que c’est quand même protégé par le secret bancaire. Vrai ou pas, personne ne s’y est arrêté. Ce qui intéresse les gens, ce sont les chiffres ».

De quelle taille était son propre chèque? Il grimace: « Nettement plus petit ».

Lyon et le PSV s’intéressaient à lui.

La rotation est le propre des grands championnats. Pendant quasiment deux ans, Anderlecht a évolué avec un onze identique, à peu de choses près. « Il serait difficile de recomposer une équipe pareille. Tout s’est parfaitement emboîté. Quand l’un était dans un jour sans, l’autre le compensait en travaillant davantage ».

La rotation ne rend-elle pas les joueurs plus égoïstes, plus concentrés sur leur jeu personnel? « Peut-être au début. Il y a tellement de matches et les autres se tiennent prêts. Nous n’avons pas de championnat de réserves et ceux qui ne sont pas sélectionnés ne jouent donc pas. Les matches des amateurs sont réservés aux joueurs de moins de 20 ans. On les lance dans la bataille si le club joue un match de Coupe contre un pensionnaire de D3, pour qu’ils acquièrent du rythme. Victoire ou défaite, peu importe. Au début, je n’appréciais pas ce système car j’aime jouer beaucoup de matches et normalement, j’en suis capable. J’ai besoin de plusieurs matches pour trouver mon rythme ».

Avant de signer, il a été courtisé par Lyon, qui lui a offert des sommes folles pour le persuader de renier la parole donnée à Berlin. Un autre aurait privilégié l’argent. « Hertha m’a témoigné beaucoup de respect, je lui devais quelque chose. Lyon a fait une offre importante en dernière minute. Ça me dérangeait. J’ai eu des entretiens avec les représentants de Berlin. Lyon a fait beaucoup de foin puis pendant un mois, ce fut le silence radio. Le PSV est arrivé trop tard également. Il faut tenir parole. J’avais envie de venir ici. Berlin est une ville agréable. Il est important qu’il y ait des choses à voir, que ma femme puisse se promener en ville. Je ne pourrais pas vivre dans un bled où il n’y a rien à visiter. Mes prestations s’en ressentiraient. Je voulais également évoluer dans une équipe ambitieuse où je puisse être utile. Une formation qui n’émarge pas à l’élite absolue. Si vous rejoignez le Bayern, vous éprouvez nettement plus de difficultés à vous imposer. Je préfère donc un club qui m’offre la certitude de pouvoir m’illustrer. Ainsi, je suis suffisamment en confiance. Si je n’y arrive quand même pas, ce qui est possible, je dois en chercher la cause en moi-même ».

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Bart Goor a dû s’adapter à un tout autre système de jeu à Hertha Berlin.

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Peter T’Kint, envoyé spécial à Berlin

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