Maillot JEUNE

A 22 ans, l’ancien médian de Charleroi s’apprête à prendre part au Tour du football français.

La Baie de la Seine s’inscrit élégamment entre histoire et modernité. A Caen, chef-lieu du département du Calvados, en Basse-Normandie, l’ordre et la propreté sautent aux yeux. Magnifique et sereine, cette ville a les bras chargés de passé et fut largement démolie lors des combats qui entourèrent le débarquement des Alliés le 6 juin 1944.

A quelques kilomètres de Caen se situe Utah Beach, où le Jour J, à 6 h 30, les premiers soldats américains ont offert leur sang pour la liberté en posant le pied sur le sol français. Arromanches, Omaha Beach, Juno Beach, et tant d’autres plages, indiquèrent, il y a 60 ans, les chemins de la victoire. Caen s’est splendidement redressé des cendres de la Seconde Guerre mondiale, s’en souvient avec émotion, a consacré des musées et autres initiatives à ses libérateurs et, en même temps, regarde l’avenir avec confiance.

Le stade Michel d’Ornano symbolise ce goût du futur. Cette magnifique arène, qui fait penser à celle d’Anderlecht, entoure 21.500 places assises. Des ouvriers communaux s’y multiplient sans cesse en coiffant la pelouse et chassant les poussières afin que le confort n’y soit pas un vain mot. Pour la saison qui s’annonce, près de 12.000 supporters ont déjà réservé leur abonnement afin d’encourager les joueurs du stade Malherbe Caen Calvados lors de leur retour en Ligue 1.

Après quelques semaines de travail, avez-vous toujours le sentiment d’avoir fait le bon choix, à ce moment de votre carrière, en optant pour ce club fondé en 1913 mais qui n’a pas encore vécu de grandes heures de gloire ?

Grégory Dufer : Je suis plus que jamais ravi. Je vais avoir la chance de jouer dans un des meilleurs championnats d’Europe. Même si les Bleus ont raté leurs deux derniers rendez-vous, la Coupe du Monde 2002 et l’EURO 2004, le championnat français garde la cote. Marseille a disputé la finale de la Coupe de l’UEFA la saison passée. Monaco en a fait autant en Ligue des Champions. Ce n’est pas l’effet du hasard. Les grands clubs européens viennent chercher chaque année des renforts en France. Chelsea a transféré Didier Drogba, de l’OM, pour 35 millions d’euros. Qui parlait de ce buteur il y a un an quand l’OM le recruta à Guingamp pour six millions d’euros ? La L1 française est donc une formidable caisse de résonance. Cet incessant essor trouve que le travail au quotidien, et certainement dans les centres de formation, est de qualité.

Rien n’est laissé au hasard. J’ai immédiatement pu m’en rendre compte. La préparation physique est plus poussée qu’en Belgique. Tactiquement, tout est décortiqué en profondeur. Chaque joueur connaît son job sur le bout des doigts. Je souffre hélas d’une petite déchirure au mollet et je raterai le premier match de championnat à domicile face à Istres qui est monté en L1 en même temps que Caen et St-Etienne. Je découvre un nouvel environnement. C’est enrichissant et même si je n’ai que 22 ans, j’espère que ce sera un coup d’accélérateur. Je vivais chez mes parents et je dois désormais m’assumer seul. Ma copine me rejoindra à la fin de l’année. Le club m’a déniché un bel appartement près du stade. Entre deux entraînements, les joueurs rentrent à la maison pour manger et se reposer. En Belgique, où les joueurs habitent parfois à plus d’une heure de route de leur club, il faut souvent tuer le temps entre deux séances de travail au stade.

Avez-vous déjà découvert votre nouvelle région ?

Très peu car la préparation de la saison a la priorité. Mais j’ai tout de même vu quelques sites historiques et un petit port de la Manche. Je dois encore beaucoup découvrir. Il y a une immense salle de spectacles à Caen, le Zénith, où des stars se produisent comme ce fut le cas dernièrement du groupe anglais Placebo, etc. Caen est le point de départ d’une célèbre course à la voile, la Solitaire du Figaro-Afflelou, et j’ai admiré les bateaux de cette épreuve. Je suis sous le charme d’une région située à 500 km à peine de Charleroi. Caen a un passé en D1 et veut s’y installer pour longtemps. Le but sera de se sauver le plus vite possible. Ceux qui ne connaissent pas le stade Malherbe de Caen feraient bien de le visiter. C’est un petit bijou. Il sera souvent plein à craquer car la L1 rencontre un succès populaire de plus en plus vif. La moyenne des spectateurs ne cesse de monter partout. A Marseille, ils sont plus de 50.000 à vibrer lors de chaque match. Que ce soit là, ou ailleurs, je vivrai dans des ambiances qu’on ne connaît guère en Belgique. Cela motive, incite à travailler, à se dépasser afin de progresser. J’avais déjà été approché par un club français il y a quelques années mais cela ne m’intéressait pas car Lorient vivait en L2.

Pas de terrain d’entente entre Charleroi et Genk

N’êtes-vous pas étonné par le fait qu’aucun grand club belge n’ait pas été capable de déposer un million d’euros sur la table pour un jeune Diable Rouge de 22 ans ?

C’est un thème de réflexion et chacun défend sa politique, sa façon de voir les choses. Je suppose qu’Anderlecht est d’autant plus paré dans ce secteur que Christian Wilhemsson a réalisé un bon EURO 2004. Bruges compte sur Gert Verheyen dans ce secteur même si le poids des ans ne joue pas en sa faveur. Le Standard a trouvé la solution avec Jonathan Walasiak. Je n’avais discuté qu’avec Genk et, personnellement, j’avais trouvé un terrain d’entente avec le club limbourgeois. Le discours de son président, Jos Vaessen m’avait plu et c’était une option intéressante pour moi. Elle m’aurait permis de progresser, d’échapper à la lutte pour le maintien afin de participer aux chocs pour un ticket européen.

A Charleroi, à qui je dois tout, j’ai vécu avec le couteau sur la gorge depuis mes débuts. J’ai chaque fois tout donné pour que les Zèbres gardent leur place en D1. Il était logique d’espérer d’autres défis. J’ai cru que mon avenir serait limbourgeois mais Charleroi et Genk n’ont pas trouvé d’accord. Les clubs belges n’ont probablement plus la même surface financière qu’autrefois. Si j’en crois certains chiffres, Luigi Pieroni, le meilleur buteur de D1 – c’est quand même une référence -, est parti pour un million d’euros. Moi aussi même si je ne connais pas le montant exact. Ce n’est pas la mer à boire mais c’est déjà trop et les clubs belges se tournent vers les joueurs en fin de contrat et les marchés inconnus à l’étranger. Je n’ai pas hésité quand mes agents, Youri Selak et Nicolas Dervisaj, me firent part de la proposition de Caen. Didier Frenay était à la base de cet intérêt. Mon salaire a été multiplié par quatre. Je ne fais pas du tout un pas en arrière par rapport à ce que j’aurais pu vivre à Genk. Caen m’a offert un contrat de quatre ans et le coach m’a choisi car il me connaît bien. C’est à moi de tirer le plus grand profit sportif de ce que je vais vivre à Caen.

Ne vous éloignez-vous pas un peu de l’équipe nationale où vous avez marqué des points importants ces derniers temps sans vous y installer ?

Non, je ne pense pas. Je fais un pas en avant dans ma carrière. J’en ai parlé à Bertrand Laquait, le gardien de Charleroi, qui me conseilla vivement de tenter ma chance à Caen. Je n’ai pas de problème de langue et cela facilite l’intégration dans ma nouvelle équipe. Mes équipiers me chambrent un peu à cause de mon accent et de mes belgicismes mais c’est amusant. Je vais vivre un gros match chaque semaine. Même si trois ou quatre équipes font la différence au bout du compte, ce n’est pas un championnat à deux vitesses. Les meilleures formations peuvent être battues à chaque instant par des équipes moins huppées. La concurrence est très vive. Aucune équipe ne peut jamais s’endormir. J’ai eu Aimé Anthuenis au téléphone. Il a été précis. L’essentiel pour moi est de jouer, comme il me l’a répété. Je suis dans le même cas que Luigi Pieroni. Le coach fédéral suit le championnat de France et en connaît bien la valeur. J’espère participer aux matches de qualification pour la Coupe du Monde 2006. L’exemple grec doit nous inspirer. Ce ne sera pas facile mais une équipe décidée et bien organisée peut aller loin.

Dans la presse française, on a pu lire que Caen espère que vous deviendrez le Jérôme Rothen du flanc droit : fameux compliment n’est-ce pas ?

Oui, mais bonjour la pression. Je dois encore trouver mes marques en L1 comme ce fut le cas de Jérôme Rothen quand il quitta Caen pour Troyes avant de se retrouver à Monaco, de disputer la finale de la Ligue des Champions et d’être transféré au PSG. Il me reste du chemin à parcourir si je veux être à la hauteur de cette comparaison. Je préfère vivre tout cela calmement, ne pas rêver. Caen a une mission : rester en L1. La suite dépendra de cette lutte. L’Angleterre n’est pas loin et j’entretiens toujours l’espoir de jouer un jour en Premier League.

En attendant, quelles seront, à votre avis, les grandes tendances du prochain championnat de France ? Qui dominera le Tour de L1 ?

Les mouvements ont été nombreux dans pas mal de clubs. A mon avis, le PSG est le favori de cette compétition. Les Parisiens n’ont plus remporté le titre depuis 1994 et dix ans sans la récompense suprême, c’est beaucoup. Le PSG s’est réorganisé et monta en puissance la saison passée sous la direction de Vahid Halilhodzic. Leur secteur offensif laissait un peu à désirer malgré les atouts de Pauleta et de Danjel Ljuboja arrivé en cours de saison de Strasbourg. Il y avait des détails à régler au niveau de l’alimentation des finisseurs. C’est pour cela que le PSG a recruté Rothen. Ce club a élargi son noyau avec d’autres joueurs : Sylvain Armand et Mario Yepes sont venus de Nantes afin de renforcer la défense. Même si Gabriel Heinze est parti à Manchester United et Frédéric Déhu à Marseille, le PSG est nettement plus fort que la saison passée. C’est mon principal candidat dans la lutte pour le titre même si son programme sera plus éprouvant avec les obligations en Ligue des Champions. Lyon a réussi un fabuleux tir groupé : trois titres en trois ans. La passe de quatre est-elle possible ? Je me pose la question. Lyon a tout de même perdu des joueurs qui ont compté : Eric Carrière est parti à Lens, Eric Deflandre a rejoint le Standard après avoir tout vécu au stade de Gerland, Vikash Dhorasoo a été transféré à l’AC Milan, Patrick Muller a pris le chemin de Majorque, etc. C’est énorme même si Pierre-Alain Frau débarque de Sochaux afin d’aider Péguy Luyindula et Giovanne Elber en pointe. Lyon a désormais moins d’arguments que le PSG.

Guy Roux ne s’est pas intéressé à la légère à Pieroni

Mais n’est-ce pas Monaco qui a subi le plus de ponctions ?

Monaco et Marseille. Les Monégasques ont perdu une grande partie de leur division offensive. Dado Prso a souvent marqué des buts décisifs et cette tour a répondu à l’appel des Glasgow Rangers. Il sera difficile à remplacer et on peut en dire de même pour Morientes qui rentre au Real Madrid où il avait été snobé. L’Espagnol avait beaucoup apporté à Monaco en pointe, surtout en Ligue des Champions. Rothen est passé avec armes et bagages au PSG. Mais Monaco a aussi dû céder son côté droit, Ludovic Giuly au FC Barcelone. Ce ne sont que quelques changements parmi d’autres et cela fera beaucoup de travail pour Didier Deschamps. Marseille n’échappe pas à ce phénomène avec, en plus, des mouvements en cours de saison. Ainsi, le départ de Daniel Van Buyten pour Manchester City avait ébranlé le groupe. L’OM n’est jamais capable de s’épargner des soucis inutiles. Ce club passe d’une tension à l’autre. Dans ces conditions, il est difficile de progresser tranquillement même si Déhu est venu du PSG et Benoît Pedretti de Sochaux. Marseille ne jouera pas en Coupe d’Europe cette saison : ce sera peut-être un avantage pour l’équipe de José Anigo qui avait succédé à Alain Perrin la saison passée.

La Belgique aura également le regard tourné vers Auxerre. Luigi Pieroni n’a-t-il pas rejoint une équipe à la recherche de nouveaux équilibres après des départs très importants ?

Guy Roux a l’habitude de changer son jeu de cartes et de lancer des jeunes dans la bagarre. Auxerre dispose d’un centre de formation qui a largement fait ses preuves. Cela dit, l’hémorragie est très importante cette année. Il est beaucoup question de l’évasion de Philippe Mexès d’Auxerre à l’AS Rome sans l’accord de son club. J’aime beaucoup ce joueur qui aurait dû prendre part à l’EURO 2004. Jacques Santini préféra le laisser à la maison : quelle erreur. Jean-Alain Boumsong, l’autre arrière central d’Auxerre, file aux Glasgow Rangers. Guy Roux doit cimenter un nouvel axe défensif. Ce ne sera pas une mince affaire. Olivier Kapo a été recruté par la Juventus mais le départ le plus important concerne le meilleur buteur du dernier championnat, Djibril Cissé, devenu le fer de lance de Liverpool. Ce sont des transferts importants qui prouvent, là aussi, que les joueurs de L1 sont très appréciés à l’étranger. Luigi Pieroni a fait le bon choix en optant pour Auxerre où Guy Roux ne s’est pas intéressé à la légère à lui. Il a mesuré son potentiel et ses marges de progrès. Luigi saura en profiter et avancer.

Cette saison sera également marquée par le retour de St-Etienne en L1 : ce club a-t-il les moyens de surprendre ?

Peut-être. C’est un club mythique, celui de la fièvre verte. Elie Baup, le coach, y revient, succède à Frédéric Antonetti après un long passage à Bordeaux. Ce sera intéressant à suivre mais il y a des tas d’autres clubs intéressants : Sochaux, Nantes, Lens, Rennes, Bordeaux, Lille, Lens, Caen, etc. Je fais un pas en avant dans ma carrière. Je vais me régaler. Je suis sûr de moi car j’ai quand même mon vécu en D1 belge. Le stress, j’ai connu ça à Charleroi…

La catastrophe vécue par les Bleus au Portugal n’a-t-elle vraiment pas laissé des traces dans les esprits ?

Non, franchement, mes équipiers ne m’en ont même pas parlé. La page est tournée. La presse a abondamment évoqué le remplacement de Santini par Raymond Domenech à la tête de l’équipe nationale mais les joueurs n’en parlent pas du tout entre eux. Il n’y a qu’une chose qui les intéresse : la L1.

Et la dernière histoire belge, c’est quoi ?

L’arrivée de Steve Dugardein me fera du bien. Ibrahima Faye, le Sénégalais venu de Gand, connaît bien la Belgique aussi. Non, tout se passe bien et mes équipiers se marrent un bon coup quand je dis septante au lieu de soixante-dix. Et quand on commande à boire, cela fuse : Pour le Belge, pas d’eau mais une bonne bière, une fois. Tout cela est très sympathique.

Pierre Bilic, envoyé spécial à Caen

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