Magical Mystery Tour

En battant Sturm Graz, le Sporting s’est assuré de passer son quatrième hiver sur ses dix dernières campagnes en Coupe d’Europe. D’anciens joueurs ravivent leurs souvenirs.

Le 7 septembre 1955, Anderlecht se préparait à effectuer ses débuts, lors de la première édition d’une Coupe d’Europe, au gigantesque stade Nep de Budapest. 16 clubs participaient à ce qui s’appelait la Coupe d’Europe des Clubs Champions, même si seulement sept équipes étaient réellement championnes de leur pays.

Chelsea, tenant du titre, se vit interdire de participation par la Football Association, mais les Hibernians, cinquièmes du championnat écossais, furent repris grâce à leur stade pourvu d’un éclairage. Willem II, champion des Pays-Bas, fut remplacé par le PSV. Deux formations allemandes participaient : Rot-Weiss Essen, champion, et le FC Sarrebruck, représentant de la fédération de football de la Sarre, qui jouissait d’un statut particulier après la guerre avant de réintégrer l’Allemagne.

Anderlecht, champion en titre, affronta le vice-champion de Hongrie, Voros Lobogo, qui était en fait l’ancien club judéo-aristocratique du MTK Budapest mais qui changea de nom à plusieurs reprises après la prise de pouvoir des communistes. Le Sporting s’inclina 6-3. Il dut patienter jusqu’à son quatrième match pour décrocher une victoire, contre le Real, présenté comme invincible.

Martin Lippens (1955-1964)

 » Je ne me souviens plus de cette rencontre. Par contre, je me rappelle qu’un an plus tard, on a joué à Manchester United. Avant la rencontre, un de mes équipiers préféra une séance de cinéma à la présentation tactique… Blessé, je me suis installé dans la tribune parmi les spectateurs anglais, en survêtement mauve. A chaque but des Anglais, les gens autour de moi s’interrogeaient : – What’s going on ? Au bout d’un moment, je n’osais plus regarder. Au sixième but, un Anglais m’a interpellé : – Come on, applaud for that team ! Au septième but, j’ai donc applaudi un peu. A cette époque, on était assez bons pour la Belgique mais pas pour la scène européenne. On se livrait à fond en essayant de développer un beau football, comme en Belgique. Ce n’était pas un football de peureux.

En 1965, on a disputé un test-match contre Bologne, à Barcelone. Chacun s’était imposé à domicile et les buts marqués à l’extérieur n’étaient pas encore prépondérants. La confrontation s’acheva sur un nul blanc. L’arbitre lança une pièce de monnaie devant les deux capitaines pour déterminer le vainqueur. La première fois, elle tomba sur la tranche. La seconde, elle faillit retomber droite puis bascula à notre avantage. On a commencé par jubiler puis on a réalisé qu’une pièce de monnaie ne pouvait décider du sort de 22 personnes… Ce fut ma seule expérience du genre : par la suite, on a procédé aux tirs au but.

Je n’ai pas vraiment d’anecdotes croustillantes de déplacements. Je préférais sortir à Bruxelles, que je connaissais bien. Eugène Steppé, le secrétaire général, montait la garde dans le hall de l’hôtel en déplacement. Mais certains sortaient parfois et nous réveillaient en rentrant. On a même dû aller chercher une échelle. Je me suis laissé tenter une fois, mais après j’ai été mauvais et je me suis fait réprimander.  »

Georges Heylens (1962-1972)

 » Le match aller au Real, en 1962, fut ma première expérience européenne. Devant plus de 80.000 personnes, on a marqué trois buts contre le grand Real, qui avait déjà conquis cinq Coupes d’Europe. Avant le match, l’entraîneur PierreSinibaldi nous avait dit :- Nous sommes ici pour gagner, pas pour encaisser un but. On logeait dans un superbe hôtel, à 100 kilomètres de Madrid. On s’entraînait sur la superbe pelouse de l’hôtel. On voulait marquer le plus vite possible. J’étais opposé à Gento. Jean-Pierre Janssen devait l’intercepter, avec mon soutien. Il ne m’a passé qu’une seule fois. Quand Gento vous passait, vous ne le rattrapiez jamais.

On a gagné le retour grâce au fameux but de Jef Jurion. C’était la première victoire européenne d’Anderlecht. 65.000 personnes avaient rallié le Heysel. Ce jour-là, toute ma famille vendait des souvenirs. Nous avions planté quatre tentes remplies d’écharpes, de casquettes, de chiens en peluche mauve, de porte-clefs et d’autocollants, sur le conseil d’Eugène Steppé. Une casquette coûtait 50 francs (1,25 euro), un autocollant dix francs (0,25 euro). La famille a réalisé une recette de 750.000 francs de l’époque, soit près de 20.000 euros.  »

Paul Van Himst (1962-1975)

 » Ma première rencontre, le 3-3 au Real, est mon plus beau souvenir. J’ai inscrit mon premier but en Coupe d’Europe. Je n’avais que 17 ans mais je n’étais pas nerveux. Je ne le suis devenu qu’en fin de carrière. On avait une équipe de classe et un entraîneur, Sinibaldi, qui nous permettait de développer un beau jeu. On était presque toujours la meilleure équipe, même si on était parfois naïfs quand on jouait le hors-jeu.

Une fois, j’ai refusé de participer à un match, à l’époque d’ Urbain Braems. J’étais blessé. Anderlecht avait battu Diest sans moi mais contre le FC Zurich, Braems voulait me placer sur l’aile droite. Ce n’était pas mon poste. André De Nul et Inge Ejderstedt y étaient bons et j’ai refusé de jouer. Le soir, Robbie Rensenbrink, qui partageait ma chambre, m’a dit : – Ne te prends pas la tête. Une fois le match entamé, tu cours quand même où tu veux, non ? Mais j’ai tenu bon.  »

Jan Mulder (1965-1971)

 » Je me souviendrai toujours de Real-Anderlecht en 1965. Evoquer ce match suffit à raviver des images en moi. Je pense évidemment à l’arbitre français JoseBarberan, qui dirigea la rencontre de manière très douteuse. Plusieurs hors-jeu sifflés n’en étaient pas. Un moment donné, je m’élance et il siffle à l’avantage du Real, comme souvent ce soir-là. A son regard, je sentais qu’il était du côté madrilène. Il détournait les yeux quand je le fixais, comme s’il voulait dire que nous savions tous les deux ce qui se passait. Après dix minutes, je me dis qu’il avait certainement reçu en cadeau des vacances à la Costa del Sol. Il a ensuite été suspendu de matches européens et son nom est devenu synonyme d’arbitrage partisan.

A cette époque, chaque match était clôturé par un banquet convivial qui réunissait les directions et les joueurs des deux clubs. On a supprimé la tradition après ce match. Albert Roossens ne s’est pas contenu dans son discours. Pour la première fois, j’ai été très fier du président de mon club. Santiago Bernabeu, le président du Real, a provoqué un tumulte à la table d’honneur. Jacky Stockman et moi nous sommes trouvés dans l’ascenseur avec Gonzalez, du Real. Il nous a adressé un sourire faux, un énorme cigare de près d’un demi-mètre de long au bec. Je me suis demandé où je me trouvais. Au pays de la mafia ? Je n’étais professionnel que depuis six mois et je me trouvais déjà confronté à la réalité. Jusque-là, à mes yeux, le Real et Bernabeu étaient le summum. Ils me faisaient rêver. Cette soirée fut le pire moment de ma carrière.

Un soir, on a gagné 1-10 en Finlande, sur le terrain du Haka Valkeakoska. Blessé, je ne pouvais pas jouer. Avant le match, un train d’au moins un kilomètre de long, rempli de troncs d’arbres, est passé derrière le stade, qui ne comportait qu’une tribune. Je le jure : un homme tenant un sac de sport a sauté du dernier wagon ! C’était le gardien ! Il n’était pas terrible… On a reçu en cadeau un poignard, orné de l’emblème du club. Je l’ai toujours, comme la montre offerte par le Real.

Le public le plus bruyant était celui de Newcastle, qu’on a affronté quelques années plus tard. On s’était imposé 2-0 à domicile mais à St James Park, le score était de 3-0 pour les Anglais quand Tom Nordahl a marqué le but salvateur. C’était la première fois que Constant Vanden Stock, qui allait devenir président une semaine plus tard, nous accompagnait en déplacement. Il nous a attendus à l’entrée du vestiaire, pleurant de joie, et nous a tous enlacés.

La meilleure anecdote ? Avant la finale de la Coupe des Villes de Foires 1970, on est allé inspecter le terrain d’Arsenal, à Highbury. On avait gagné 3-1 à l’aller. Le terrain était épouvantable. Il n’y avait plus le moindre brin d’herbe et ils avaient arrosé à fond. On était dans le rond central quand Wilfried Puis, pris d’un besoin urgent, est sorti uriner. On a perdu 3-0.  »

Gilbert Van Binst (1970-1978)

 » Je retiens notre victoire en Coupe des Coupes contre West Ham, en 1976. C’était la première d’Anderlecht et d’un club belge tout court. En plus, c’était à Bruxelles. Normalement, Erwin Van den Daele aurait dû jouer et recevoir la Coupe, en tant que capitaine, mais il était blessé. Il aurait pu jouer mais l’entraîneur, Hans Croon, ne l’a pas repris, à la surprise générale. Peut-être parce que, trois jours plus tôt, en championnat, sa rentrée n’avait pas été très positive, mais surtout par superstition. Croon voulait à tout prix entamer le match avec l’équipe qui avait gagné les demi-finales, avec Michel Lomme. J’ai hérité du brassard et je suis devenu le premier Belge à brandir une Coupe d’Europe. La chance nous a souri. Menés 0-1, on égalise juste avant le repos grâce à une gaffe de l’arrière droit anglais. Comble de malchance, Ludo Coeck se blesse mais Croon hésite longtemps à le remplacer, pour ne pas modifier l’équipe des demi-finales… Finalement, il finit par faire monter Frankie Vercauteren, qui renverse le match en notre faveur.

J’ai marqué lors de mon premier match européen, en 1970 contre Zeljesznicar Sarajevo, mais la plupart des journaux ont attribué le but à Van Himst et non à Van Binst. On ne me connaissait pas encore… Cette année-là, j’ai inscrit quinze buts en championnat, dont le hattrick le plus rapide de tous les temps : en 4 minutes et 50 secondes, j’ai fait passer le score de 0-3 à 3-3 au Beerschot mais on a quand même perdu.

La Supercoupe contre Liverpool s’est déroulée dans le brouillard. Après le match, Constant Vanden Stock m’a demandé comment j’avais joué. J’ai répondu : – Ce fut un de mes meilleurs matches. Il n’avait quand même rien vu… On parle souvent du brouillard contre Leeds mais au moins, on voyait quelque chose. Contre Liverpool, rien ! Un moment donné, j’entends du bruit et je demande ce que c’est à Hugo Broos, qui était à mes côtés. Il m’a répondu : – Je crois que nous venons de marquer. Ce jour-là, j’affrontais David Fairclough. Je ne l’ai pas vu de toute la soirée…  »

Jacky Munaron (1975-1988)

 » Notre victoire en Coupe UEFA contre Benfica en 1983 reste mon plus beau moment. J’avais très bien joué à l’aller. On ne réalisait évidemment pas qu’on était en train de remporter notre dernière Coupe d’Europe. A cette époque, on trouvait quasiment normal d’atteindre la finale. On a fêté ça à l’hôtel. Le lendemain, Paul Van Himst s’est retrouvé dans l’ascenseur avec un joueur, qui ne l’a pas reconnu. – Quoi, tu ne sais plus qui je suis ? On a dû retenir ce même joueur la nuit : il voulait jeter sa télévision et son minibar par la fenêtre. Or, on était au dixième étage…

Par contre, j’ai rapidement oublié un match comme celui de Lens, où j’ai laissé passer un ballon qui revenait et qui a été dévié par une pierre lancée par le public. Mon erreur n’a pas eu de conséquence puisqu’on s’est qualifié et on a joué la finale contre Tottenham. « 

Marc Degryse (1989-1994)

 » Notre victoire à domicile contre le Barcelone de Johan Cruijff, avec Ronald Koeman et Michael Laudrup, reste mon meilleur souvenir. C’était ma première campagne européenne, après mon transfert du Club Bruges. On avait brillamment entamé le championnat, avec un football fantastique, et on a battu Barcelone sur un but de Milan Jankovic et un de ma part. Gagner contre une équipe pareille, en jouant bien en plus, m’a donné beaucoup d’assurance.

Deux ans plus tard, on devait battre le PSV pour nous qualifier pour la première édition de la Ligue des Champions, qui ne portait pas encore ce nom mais se déroulait pour la première fois par poules. C’était le match à 100 millions de francs, puisque les clubs qualifiés recevaient l’équivalent de 2,5 millions d’euros comme prime de départ. Ce fut 0-0 à Eindhoven, on a gagné 2-0 chez nous et j’ai marqué. A l’issue du match, Constant Vanden Stock m’a avoué s’être souvent interrogé quant à mon transfert et aux 90 millions de francs (2,25 millions d’euros) qu’il avait coûtés mais après ce coup-là, il avait récupéré la somme.

A Anderlecht, j’avais l’impression que la Coupe d’Europe allait de soi, alors qu’au Club, elle était considérée comme quelque chose de spécial. Le Sporting n’avait ce sentiment que contre les ténors : l’Ajax, Barcelone, le Bayern. « 

Manu Karagiannis (1995)

 » Mes seules rencontres européennes avec Anderlecht sont nos deux matches contre Ferencvaros. La barre était placée haut mais tous les joueurs n’acceptaient pas l’approche du nouvel entraîneur, Herbert Neumann. CelestineBabayaro ne supportait qu’il interrompe constamment les entraînements pour faire des corrections. On a compromis notre qualification au match aller, perdu 0-1. C’était un échec collectif. Selon certaines rumeurs, Neumann n’avait pas visionné notre adversaire en Hongrie ; selon moi, ils ne nous ont pas surpris. Dans un bon jour, on était capable de vaincre cette équipe mais dans un mauvais, une défaite n’était absolument pas exclue.

Neumann a été limogé le week-end suivant. RaymondGoethals est parvenu à nous remotiver et en route vers la Hongrie, on pensait vraiment se qualifier. On a eu suffisamment d’occasions. Peu avant la fin, Gilles De Bilde en a raté une superbe. Cette défaite est longtemps restée dans nos têtes. Je venais d’arrêter de fumer, avec beaucoup de mal, et j’ai repris. A Seraing, je dirigeais les autres sur le terrain, encouragé par Georges Heylens, mais Neumann me l’interdisait à Anderlecht, certains ne le supportaient pas. Je ne pouvais donc pas être moi-même.  »

Filip De Wilde (1988-2003)

 » Je retiens Barcelone, à domicile, en 1990. Eliminer le Barça de Cruijff, ce n’est pas rien ! On a livré une superbe performance, avec un excellent Marc Degryse, puis on a surmonté la tourmente là-bas, avec un but en or de Marc Vanderlinden en fin de partie. A l’époque, on logeait encore sur place, après le match. La plupart des joueurs sont sortis en ville. C’était la règle plutôt que l’exception. Je m’abstenais en général et si je les accompagnais, je rentrais tôt. On ne voyait rien de la ville où on jouait mais à Madrid, on logeait juste en face du Prado. Le matin, j’ai visité le musée, du moins ses principales salles, car on partait à midi.

Il y a aussi eu cette campagne mémorable en Ligue des Champions, où on a battu Manchester United et le Real, mais surtout, on avait éliminé Porto au tour préliminaire. Une fois qualifiés pour la phase de poules, on n’avait plus rien à perdre. On s’appuyait sur une équipe bien équilibrée, avec des joueurs qui débordaient de talent et deux attaquants capables de forcer une action : Jan Koller et Tomasz Radzinski. Les matches du tout ou rien, comme Porto ou avant le PSV et ensuite le Sparta Prague m’ont davantage marqué à cause de la pression qui les précédait et de notre soulagement ensuite. En poule, on passait d’un extrême à l’autre : brillants à domicile, on a aussi pris quelques sévères défaites. On méritait notre victoire contre Manchester United. Après le repos, on a bétonné mais ça a été vite oublié.  »

Geert De Vlieger (1995-1998)

 » J’ai ressenti pour la première fois à Guimaraes, en 1996, que j’étais capable de montrer en Coupe d’Europe ce dont j’étais capable depuis longtemps en championnat. J’avais signé un excellent match, qui s’est achevé sur un nul et nous permettait de nous qualifier. La rencontre a eu une suite. On nous a retenus une heure et demie dans le vestiaire à cause des bagarres qui avaient éclaté dans le stade. Deux heures plus tard, le calme revenu, on est enfin sorti mais ça a de nouveau été l’enfer. Des supporters portugais ont surgi de partout et ont jeté des pavés sur le car. Trois vitres ont éclaté, tous les joueurs se plaquaient au sol et le chauffeur a fait la seule chose possible : pied au plancher, il a foncé en brûlant tous les feux. « 

PAR GEERT FOUTRÉ

 » A 6-0, un Anglais s’écria : – Come on, applaud for that team ! A 7-0, j’ai donc applaudi un peu.  » Martin Lippens » Croon avait écarté Van den Daele par superstition, ça m’a permis d’être le premier Belge à brandir une Coupe d’Europe.  » Gille Van Binst  » Un homme a sauté du dernier wagon d’un train transportant du bois. C’était le gardien du Haka Valkeakosken.  » Jan Mulder  » Trois vitres ont éclaté. Le chauffeur a fait ce qu’il pouvait : il a accéléré et est passé au rouge.  » Geert De Vlieger

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