Maestro Baseggio

Bruno Govers

Le Footballeur Pro de l’Année possède un magnifique registre technique. Un aperçu.

Après avoir été couronné à deux reprises « Jeune Pro de l’Année », Walter Baseggio (22 ans) a été désigné cette fois « Footballeur Pro de l’Année » par ses pairs. C’est une première dans l’histoire du referendum, une distinction qui honore le médian d’Anderlecht, auteur d’un parcours formidable avec son club, tant en compétition nationale qu’en Ligue des Champions.

Walter Baseggio (1,84 m pour 82 kilos), c’est la force tranquille couplée à une technique hors du commun. La preuve par ces quelques séquences et lignes où le Clabecquois nous invite à plonger dans son univers.

La technique, c’est inné, ou s’est-elle développée, chez vous, au fil des ans?

Walter Baseggio : Elle constitue, pour 70%, un don de la nature. Les 30 autres % sont affaire de travail. Un footballeur doué au départ peut donc, s’il s’applique, atteindre quasiment la perfection. Les moins talentueux, s’ils font preuve d’un même zèle sur le terrain, peuvent combler dans une certaine mesure leur absence de dispositions au départ. Mais ils ne seront évidemment jamais des orfèvres en la matière. Pour cela, il faut qu’une bonne fée se soit penchée sur votre berceau ( il rit).

Au SC Clabecq, le club de vos débuts, Walter Baseggio se distinguait-il déjà des autres par ses qualités techniques?

J’ai eu le bonheur de faire partie d’une bonne génération, la meilleure, peut-être, que Clabecq ait jamais produite. Tous mes compagnons d’âge et moi-même avions réellement une technique au-dessus de la moyenne. Sans doute était-elle liée, en bonne partie, aux conditions que nous avions tous connues avant de nous affilier au sein du club local. Car tous, sans exception, nous avions fait notre apprentissage dans la rue. Tous les jours, dans le quartier du Texas, où j’habitais, c’était la même rengaine : le haut de la cité jouait contre le bas avec, comme enjeu, une coupe qui voyageait sans cesse d’un groupe à l’autre. Nous jouions à dix contre dix sur un terrain d’une longueur de vingt mètres à peine. Et le premier à quinze buts avait le droit de garder le trophée jusqu’au prochain affrontement, souvent le lendemain ( il rit). Ces matches-là, sur l’asphalte ou les pavés, auront énormément influé sur le développement de chacun d’entre nous. Car il n’était évidemment pas question de tackler, ou de pousser le cuir à dix mètres, chacun l’aura fort bien compris. Aussi, pour l’apprivoisement du ballon, il n’y avait probablement pas meilleure école. Les recruteurs de Clabecq l’avaient d’ailleurs vite remarqué, eux qui envoyaient régulièrement leurs scouts sur place afin d’encourager les meilleurs à emprunter le chemin du stade. C’est ainsi que je me suis affilié chez eux à l’âge de six ans.

Comment faut-il s’imaginer le jeune Walter Baseggio?

J’étais plutôt bien campé sur mes jambes ( il rit). Et j’avais une frappe de mule. Au même titre que la technique, la puissance de tir est un cadeau du ciel. On peut, certes, gagner quelque peu en force de frappe par un positionnement adéquat. Mais l’amélioration ne sera jamais de l’ordre de 30%, comme dans le cas de la technique. Sinon, à force de remettre le travail sur le métier, chacun pourrait prétendre devenir un Ronald Koeman. Or, il n’y en a jamais eu qu’un seul comme lui. La sécheresse de mes envois aura été un atout tout particulièrement précieux, pour moi, dans les équipes d’âge de Clabecq d’abord, puis à Anderlecht. Il est vrai qu’en tant qu’extérieur gauche, j’étais souvent en position de tir. Je ne me bornais d’ailleurs pas à tenter ma chance au but aux abords du rectangle. Il n’était pas rare que je fasse un essai à trente ou quarante mètres du goal déjà. Compte tenu de la petite taille des gardiens, ils n’avaient aucune chance sur ces tentatives. Jusqu’à l’âge de quatorze ans, j’étais dès lors coutumier de septante voire quatre-vingt buts par saison.

Comme ailier, aviez-vous une petite astuce technique de prédilection?

Le passement de jambes. Je faisais semblant de m’écarter vers la gauche et propulsais le ballon du droit devant moi. Comme je n’étais pas des plus rapides, il arrivait que le défenseur commis à ma garde me rattrape. Dans ce cas, je faisais un crochet, ramenant le ballon sur mon pied droit, et je centrais. En classes de jeunes, bon nombre de buts découlèrent de ce mouvement-là. Comme la plupart des gauchers, je n’ai jamais été totalement malhabile du pied droit. Le contraire n’est pas toujours aussi évident. Chez les gauchers, je n’ai connu qu’un seul joueur qui répugnait réellement à faire usage de son droit : Johan Walem. Jo se contorsionnait dans tous les sens pour déposer le ballon sur son gauche magique. Pourtant, au même titre que moi, il a eu droit, au Sporting, à des entraînements individuels afin d’atténuer l’écart entre le gauche et le droit. Deux fois par semaine, le mardi et le jeudi, j’ai personnellement été pris en charge par d’anciens Sportingmen de grand renom, comme Werner De Raeve, Pierre Hanon, Jean Cornélis et Filip Van Wilder. Tous m’ont incroyablement marqué. C’est fou ce qu’ils étaient capables de faire balle au pied.

Y avait-t-il des jeunes Anderlechtois qui vous épataient par leur technique?

Un garçon m’a tout particulièrement sidéré : Akim Bülent, avec qui j’ai joué en Cadets nationaux et qui évolue à Galatasaray actuellement. Il avait la plus extraordinaire panoplie de trouvailles que l’on puisse se représenter. Chaque jour, il nous gratifiait d’une prouesse géniale. Mais sa grande spécialité, c’était la roulette, celle-là même qui est chère à Zinedine Zidane aujourd’hui.

Un geste que vous avez vous-même effectué à Bruges récemment. Etait-ce la première fois?

Je l’avais déjà accompli à l’une ou l’autre reprise à l’entraînement mais jamais en match. Son exécution à Bruges est, en réalité, la résultante d’un pari que j’avais effectué avec le journaliste Christophe Berti, Clabecquois comme moi. Il m’avait interviewé la veille de cette rencontre et je lui avais parlé du reportage que Sport/Foot Magazine voulait faire avec moi. Au cours de cette entrevue, je lui avais dit : -Chiche que je ferai un truc sortant de l’ordinaire au Club. Il m’avait répondu que je n’oserais pas et je me suis évidemment piqué au jeu. A un moment donné du match, une situation s’est parfaitement prêtée à cette astuce technique. Alors que j’étais sur le point de conquérir le ballon, Timmy Simons et Philippe Clement se dressèrent subitement tous deux devant moi. Il m’était à la fois impossible de poursuivre ma route ou de bifurquer. Aussi ai-je tenté cette fameuse roulette, avant d’être dépossédé du cuir au prix d’une intervention fautive de Nzelo Lembi. A présent que je sais que je suis capable de réaliser pareille action en match, je vais la tenter à nouveau, c’est certain.

Le Turc Akim Bülent, le Roumain Alin Stoica, le Suédois Pär Zetterberg, les Italiens Enzo Scifo et Walter Baseggio : faut-il être nécessairement d’origine étrangère pour être un bon technicien?

Moi-même, je me suis souvent demandé pourquoi les Africains étaient tellement forts balle au pied, également. Une fois encore, la raison découle des conditions dans lesquelles tous ces gars-là ont débuté. Enzo et moi avons fait notre écolage en rue, c’est certain, et je présume qu’il n’en est pas allé autrement en ce qui concerne Pär et Akim. Les Africains sont logés à la même enseigne et, de surcroît, ils n’ont pas la chance, comme les Européens, d’évoluer par la suite sur des pelouses dignes de ce nom. Je reste convaincu que ces difficultés-là les servent. Car plus l’apprentissage est ardu, plus le joueur s’élèvera au-dessus de la mêlée par la suite. En Belgique, par contre, les joueurs sont souvent élevés dans l’ouate, à tous niveaux. Ce n’est vraiment pas l’idéal pour leur développement. Je me demande aussi dans quelle mesure les parents ne favorisent pas cette situation. Il y a tant de possibilités sportives aujourd’hui, qu’à choisir, les mères préfèrent que leur fils s’adonne à une activité en salle plutôt qu’à une discipline de plein air où les enfants reviennent souvent crasseux à la maison. Moi, je rends hommage à ma mère qui, pendant des années, a fait trois lessives par jour pour moi.

A part vous, quel autre jeune de Clabecq a fait carrière?

Mon meilleur ami, Badredine Amira, un Marocain qui s’est illustré dans le football en salle et qui évolue toujours parmi l’élite de nos jours. En Futsal, il n’y a pas meilleur que les joueurs d’origine maghrébine actuellement.

Comment expliquer qu’ils ne percent pas, chez nous, dans le football de plein air? Car à l’exception de Moukrim, Lashaf, Jbari ou Zyatti à l’Antwerp actuellement, aucun n’a réellement percé jusqu’ici?

En Futsal, les contacts sont interdits. Et quand on laisse un Marocain jouer à sa guise, il est inarrêtable, tout simplement. Dans le football de plaine, par contre, les duels sont permis. Ils constituent même la clé du match. Comme ces joueurs répugnent généralement à mettre le pied, leur effacement s’explique. En revanche, à qualités techniques égales, les Latins ont cette grinta qui leur permet de faire la différence.

Un joueur vous a-t-il servi de modèle?

Diego Maradona. Cent fois plutôt qu’une, j’ai essayé de le singer. Mais même au ralenti, je ne parvenais pas à exécuter ce qu’il faisait à la vitesse de l’éclair ( il rit). L’Argentin était tout bonnement inimitable.

Quel football recueille le plus votre adhésion : l’italien, calculateur, ou l’espagnol, autrement plus généreux?

Au risque de vous surprendre, j’apprécie sans doute davantage encore le football anglais. En Ligue des Champions, les joueurs qui m’ont le plus impressionné, c’étaient deux Anglais en tout cas : Roy Keane et Paul Scholes, de Manchester United. On dit souvent que les Britanniques ne sont pas des fins techniciens. Et c’est vrai qu’on ne verra pas de sitôt ces deux joueurs, ou encore un David Beckham, dribbler trois hommes dans un mouchoir de poche. Mais pour jouer vite et juste comme eux, il faut un bagage au-dessus de tout soupçon. Cette simplicité dans le geste, doublée d’une rare efficacité, c’est ce que je préfère. Et c’est l’exemple que j’essaie d’imiter.

Avant un entraînement, sacrifiez-vous à un rituel bien particulier avec le ballon?

Tout à fait. Avec Bertrand Crasson et Olivier Doll, nous plaçons le cuir à vingt-cinq mètres du but et essayons de toucher le cadre le plus souvent possible. Sans vouloir me pousser du col, je suis souvent le plus performant en la matière. L’ennui, c’est qu’en match, mes envois frappent plus souvent l’armature qu’ils font trembler les filets. Aussi, il faudrait peut-être qu’on change les règles de notre jeu ( il rit).

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