Madeleine de Wanze

Ça se passe un peu dans un mouchoir, surtout pour les enveloppés dans mon genre. Et la localité de Wanze devra bien mettre un jour à disposition un autre espace qu’une petite salle communale si elle veut conserver le privilège d’accueillir l’événement: car c’en est un, à condition d’être un maniaque de football ou de cyclisme d’âge à peu près mûr! Attention lecteur, je ne t’ai pas dit que cette Bourse Internationale des Collectionneurs était un truc de vieux: je veux simplement signifier qu’elle acquiert du charme à partir du moment où, dans ta passion, tu as déjà accumulé un certain vécu, où tu comptes déjà quelques milliers d’heures de vol en tant que spectateur et téléspectateur! Dans ce cas, en fouinant parmi les chromos, les magazines, les fanions, les programmes, les tickets ou les albums de tendance Panini, tu te retrouveras béatement submergé d’instants oubliés. Et quand je dis « béatement », c’est à prendre au sens premier, il ne s’agit pas de bonheur débile: mais de félicité parfaite en Dieu, ou en tout qui tu veux de transcendant qui y ressemble! Voilà pourquoi j’irai à Wanze samedi (*): pas forcément pour acquérir ou vendre, mais dans l’espoir de me refaire à moi-même le coup de la madeleine de Proust.

Le coup de quoi de qui? Okay, je t’explique: sors de ta bulle en forme de ballon, écoute le briefing, c’est bon pour ta culture. D’abord, une madeleine, ça n’a rien à voir ici avec un pleurnichage à grandes eaux, ni avec Jacques Brel qui poireaute: je parle du mini-gâteau rond et sucré, dont le dessus paraît moulé dans une coquille St-Jacques, vu? Ensuite, Proust. Ce n’est pas un footballeur de mes relations, mais c’est comme qui dirait Pelé en matière de littérature: la légende, le maître, un dribbleur de mots de génie en même temps qu’un architecte. Un type qui a tout l’arsenal technique pour virevolter et qui ne s’en prive pas, mais qui retombe toujours sur ses pattes: Pelé finissait par un but ou une passe lumineuse, Proust finit toujours par une pensée lumineuse. Quant à « la madeleine de Proust », c’est comme pour « l’arrêt de Banks« , « la talonnade de Madjer » ou « le slalom d’ Al Owairan« : c’est le passage emblématique de son oeuvre, celui que tu dois au moins lire pour ne pas mourir con. Vu?

Transposons maintenant cette histoire de madeleine. Si Proust avait été adulte en 2002, il aurait été footeux et se serait rendu à Wanze. Là, au lieu de bouffer une madeleine, il aurait par exemple saisi distraitement un album Panini.

Et au moment-même où il aurait vu, touché, humé l’album subconsciemment, une puissante joie l’aurait envahi: joie mystérieuse, soudaine, sans cause, rendant totalement dérisoires et futiles ses emmerdements du moment. L’album lui aurait rappelé quelque chose d’infiniment plus intense que d’avoir jadis lui-même collé des photos de footballeurs: mais quoi? Proust aurait tourné les pages pour se remémorer, avant de réaliser que cela ne faisait que réduire l’espoir d’y parvenir: Panini avait été l’heureux déclic, mais c’était maintenant sur lui-même que l’esprit devait faire un effort, intense, pour trouver la réponse.

Proust aurait fait l’effort en se trouvant dix fois à deux doigts de pied d’abandonner avant qu’enfin, pouf et ouf, le souvenir fasse irruption: et que Proust se retrouve soudain, enfant, dans la cuisine de sa grand-mère, là où il classait ses chromos de footballeur en rentrant de l’école. Et dans la foulée de la cuisine avaient alors surgi en trombe le tablier de grand-mère, le tic-tac de l’horloge, la photo de grand-père mort à côté du tic-tac, l’escalier du jardin donnant sur la grand’rue, le pharmacien d’à côté, la ville entière ou s’était essouflée l’enfance, bref: ce que Proust appelle « l’édifice immense du souvenir », sortait tout entier de l’album Panini. C’est dans l’espoir d’un truc comme ça que j’irai à Wanze samedi, et c’est bien plus que pour du foot.

Bernard Jeunejean *- de 9h30 à 13h, rens.071/21.59.10 et 0495/54.03.25

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