Made in Texas

Le club flandrien revient en D1 après neuf années d’absence et une faillite dont il s’est bien remis.

Neuf ans après l’avoir quitté, et connu les affres d’une descente en D3 consécutive à une faillite, Courtrai – grande ville d’une région que les économistes appellent le Texas belge – est de retour parmi l’élite. Le KV, né le 6 mai 1971 d’une fusion entre Courtrai Sport et le Stade Courtrai (deux clubs de Promotion à l’époque), avait déjà fréquenté la D1 de 1976 à 1991, puis en 1998-1999. L’an passé, il avait déjà participé au tour final de D2 (Malines fut d’ailleurs sacré au stade des Eperons d’Or) mais n’y joua qu’un rôle de figurant. Cette fois, Courtrai a choisi de rejoindre la Ligue Jupiler en passant par la grande porte : celle de champion.

 » La différence, par rapport à la saison dernière, c’est qu’on avait un groupe soudé « , estime JimmyHempte (26 ans, ex-Mouscron et La Gantoise).  » Davantage que des collègues, c’étaient des copains pour lesquels on était toujours prêts à fournir un effort supplémentaire « .

Mais on obtient difficilement des résultats sans une équipe de qualité, et en particulier, sans une attaque percutante.  » CédricBétrémieux a apporté de la profondeur, ErnestNfor de la puissance et IstvanBakx, de la créativité et des buts « , poursuit Hempte.  » Istvan a souvent fait la différence. Mais je pense qu’on avait une équipe complète. Sur 38 matches, on a gardé 17 ou 18 fois le zéro. La défense était donc au point. Et, dans l’entrejeu, on avait des travailleurs « . Sans oublier les louanges adressées à l’entraîneur.  » HeinVanHaezebrouck est l’un des meilleurs que j’ai connus « , estime Hempte.  » Il sait parfaitement gérer un groupe. Humainement, c’est quelqu’un de super « .

La preuve par la coupe

Avant même d’être sacré champion de D2, Courtrai avait déjà prouvé sa valeur en Coupe de Belgique en faisant souffrir des équipes de D1 : l’an passé, il avait éliminé le FC Brussels et Saint-Trond avant d’échouer de justesse, en quart de finale, face au Club Bruges ; cette saison, il a éliminé Mouscron et Zulte Waregem avant de buter, toujours de justesse (il avait gagné l’aller 5-1 avant de s’incliner 4-0 au retour) et toujours en quart de finale contre La Gantoise. Lors de l’aller, Bakx avait inscrit quatre buts. A propos de l’attaquant néerlandais, une anecdote savoureuse circule : l’entraîneur HeinVanHaezebrouck l’aurait découvert sur… internet ! Il aurait tapé linkeraanvaller (attaquant gaucher) et le moteur de recherche l’aurait orienté vers ce jeune homme qui évoluait à Hoek, un club amateur de Zélande proche de la frontière belge.  » S’il était originaire de Groningen, on aurait tout de suite laissé tomber « , reconnaît le coach.  » Mais là, on est allé le voir et le jeu en valait effectivement la chandelle « .

Le père d’Istvan, AlexBakx, est un ancien marin qui a fait le tour du monde. Il travaille aujourd’hui sur un remorqueur dans le port de Rotterdam. Dans les équipes d’âge, Istvan se signalait par sa petite taille mais aussi par sa rapidité.  » J’étais un pur gaucher « , se souvient-il.  » Mon pied droit ne me servait qu’à monter dans le bus, comme on dit communément. J’ai évolué un moment comme n°10, mais un jour, un entraîneur m’a dit : – Tujouerasailiergauche !  »

Lorsque Courtrai l’a contacté, Bakx a directement été séduit. Comme il était encore aux études, l’horaire et la fréquence des entraînements lui convenaient parfaitement. Il était sans doute un peu échaudé, aussi, par ses expériences précédentes au sein de clubs de l’élite néerlandaise. Gamin, il avait été engagé par Feyenoord après un test concluant.  » Quatre fois par semaine à Rotterdam : une heure et demie de route, soit en voiture avec mon père, soit en train avec mon grand-père « , se remémore Istvan.  » Je me souviens d’un petit match disputé en lever de rideau au Kuip devant 25.000 personnes. C’était chouette. Mais la combinaison avec les études était difficile et, après six mois, ma mère a pris la décision pour moi : priorité aux études. Je peux la comprendre « .

Après un match amical gagné 3-0 contre le Club Bruges, en -12 ans, Istvan pouvait aussi rejoindre la Venise du Nord, mais le même problème se posait. A 19 ans, alors qu’il venait d’obtenir son diplôme d’éducateur sportif et son permis de conduire, arriva une proposition du Sparta Rotterdam. Là, il se laissa tenter.  » J’ai reçu une voiture et 500 euros par mois. J’ai joué 30 minutes en Eredivisie contre Heerenveen – où évoluait encore un certain KlaasJanHuntelaar – et 20 minutes contre Roda JC. Puis, plus rien. Peut-être étaient-ce les trajets incessants qui me fatiguaient « . A Hoek, un club amateur plus proche de son domicile de Flessingue, il retrouva le plaisir de jouer et son niveau d’antan. Au point d’être repris en équipe nationale amateur.

Van Haezebrouck juge ses attaquants

Courtrai a flairé la bonne affaire.  » Aujourd’hui, Istvan est pratiquement aussi habile du pied droit que du pied gauche « , estime Van Haezebrouck.  » Il marque facilement, est très rapide, possède une bonne frappe et un bon centre. Créatif, efficace et performant. Pourtant, il dispose encore d’une grande marge de progression, selon moi. Jadis, on lui a reproché de laisser tomber les bras trop facilement. Chaque entraînement représente pour lui 300 kilomètres de route, car il habite et étudie encore à Flessingue. Il faut trouver une solution à ce problème, car il manque encore de régularité alors qu’il possède certaines qualités d’un joueur du top. Il devrait exploser s’il pouvait consacrer davantage de temps au football « .

 » Nfor, lui, a déjà énormément progressé. Au départ, il était un peu égocentrique : il estimait que tout le monde devait jouer en fonction de lui. Il a eu des frictions avec certains partenaires, en est même parfois venu aux mains avec eux. Jusqu’au jour où un déclic s’est produit dans sa tête. Depuis lors, il s’est totalement affirmé. J’ai rarement vu un footballeur africain qui travaillait autant. Il est rapide et possède une détente phénoménale : il est capable de remporter des duels de la tête contre des joueurs qui ont 20 centimètres de plus que lui « .

 » Bétrémieux, c’est le buteur. Puissant, explosif, doté d’une frappe fantastique. C’est un joueur au jeu très vertical. Il m’est arrivé de le faire commencer sur le banc pour l’introduire, à une demi-heure de la fin, afin de forcer la différence. Bakx et lui nous ont permis de tenir le coup durant les moments difficiles. Malheureusement, ces dernières semaines, il a souffert d’une pubalgie et a dû être laissé au repos « .

Très apprécié en Flandre, où il a d’ailleurs officié comme consultant à la télévision, Van Haezebrouck (qui porte une écharpe aux couleurs rouges et blanches du club lorsqu’il s’assoit sur le petit banc) est encore peu connu en Wallonie. Sa carrière de joueur, entamée à Lauwe, l’a mené au RC Tournai, à Courtrai, à Harelbeke et à Lokeren. Au terme de celle-ci, il est devenu l’adjoint de GeorgesLeekens à Daknam. Il a commencé à voler de ses propres ailes dans les clubs qu’il avait connus comme joueur : Lauwe, Harelbeke (rebaptisé Sporting West) et désormais Courtrai. Son talent de meneur d’hommes n’a pas échappé aux dirigeants d’autres équipes, et notamment de La Gantoise, qui en avait fait l’un des candidats les plus sérieux à la succession de TrondSollied. Mais, comme Courtrai évoluera lui-même parmi l’élite, Van Haezebrouck a préféré y poursuivre le travail entamé.

Le carton rouge oublié de Nfor

Le tournant du championnat s’est sans doute situé à trois journées de la fin, lorsque Tubize s’est déplacé au stade des Eperons d’Or. A l’époque, les Brabançons étaient encore virtuellement leaders (ils comptaient deux points de retard mais un match de moins), mais la défaite 1-0 sonna le glas de leurs ambitions. Dès la fin du coup de sifflet final, PhilippeSaintJean s’est d’ailleurs résolu à préparer ses troupes pour le tour final plutôt qu’à espérer un retour plus qu’hypothétique. Lorsqu’on lui demande ce qui a fait la différence, Saint-Jean répond de façon laconique :  » Nfor… qui devait être suspendu contre nous ! Il a inscrit l’unique but du match, sur un superbe centre de Hempte, alors qu’il ne devait pas être sur le terrain. Un peu plus tôt, à l’Olympic, il avait également fait la différence alors qu’il devait déjà être suspendu ! Comment l’Union Belge a-t-elle pu perdre son exclusion de vue ? Tout le monde en a parlé, puisqu’en écopant d’un carton rouge à La Gantoise, le joueur camerounais avait précipité l’élimination de son équipe en Coupe de Belgique… Je me demandais pourquoi cela traînait autant avant qu’un jugement ne soit rendu. On avait tout simplement… oublié ! L’internet de l’arbitre est tombé en panne lorsqu’il a voulu transmettre le rapport, paraît-il. Et le fax aurait été classé verticalement par l’employé de l’Union Belge qui l’a réceptionné. Petite cause, grands effets. Incroyable ! « .

Le moment d’amertume passé, Saint-Jean reconnaît néanmoins les mérites des Courtraisiens.  » Sur papier, c’était le noyau le plus complet. Il recèle un potentiel énorme. Là où d’autres équipes de D2 préfèrent miser sur des joueurs expérimentés qui ont leur carrière derrière eux, Courtrai a misé sur des jeunes en devenir. Le gardien PeterMollez, le défenseur NicolasTimmermans et le médian VincentProvoost, tous âgés de 24 ans, ont les qualités de futurs joueurs de D1, où ils ont d’ailleurs déjà joué furtivement (le premier au Club, au Cercle et à La Gantoise, le second au RWDM et au Lierse, le troisième au Club Bruges). Hempte, un rien plus âgé, est un arrière gauche de qualité. L’expérience est incarnée par StéphaneDemets (31 ans, ex-RWDM et Beveren). Bétrémieux et Bakx, un Français et un Néerlandais donc, furent des acquisitions judicieuses. Et puis, il y a l’excellent travail réalisé par l’entraîneur. Mais, au risque de me répéter, je persiste à affirmer que si on avait fait match nul au stade des Eperons d’Or – ce qui aurait été le cas sans la présence de Nfor – on aurait eu toutes les cartes en mains. Et si on s’était imposé, on pouvait carrément envisager le titre « .

Quelle équipe en D1 ?

Le président de Courtrai est un avocat, JosephAllijns, qui avait repris le club en D3. Le budget, qui était de 1,2 million cette saison, devrait logiquement être triplé. Le stade n’a pas changé depuis les passages précédents du club en D1… Son état s’est même dégradé, puisque la grande tribune debout latérale, qui fait face à la tribune assise principale, a été fermée pour des raisons de sécurité. Elle devra forcément être rénovée, mais c’est prévu : la ville, dirigée par l’ex-ministre démocrate-chrétien StefaanDeClerck, compte investir 1,6 million dans les installations.

Suivant l’exemple de Malines, et avant cela de Roulers et Zulte Waregem, les clubs de D2 ont désormais compris qu’il valait mieux poursuivre dans une spirale positive et conserver l’ossature du noyau qui a conquis la promotion en n’y ajoutant que quelques renforts ciblés, mais le tout est de voir si ce sera possible. Plusieurs titulaires, dont Hempte mais également Demets, DanielCalvo, BrechtVerbrugghe et BramDeLy arrivent en fin de contrat et devront négocier. Demets se demande s’il doit sacrifier son emploi de banquier pour une nouvelle expérience en D1 peut-être aléatoire. Timmermans a signé à Westerlo, Provoost devrait rejoindre Roulers et N’for devrait retourner à La Gantoise. D’autres joueurs sont courtisés. Il y a donc du travail en perspective pour les prochaines semaines.

par daniel devos

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