MACHINE ARRIÈRE TOUTE !

Pas moins de cinq joueurs qui composent le compartiment défensif des Diables Rouges à l’EURO ont commencé leur carrière comme attaquant. En Jupiler Pro League également, on trouve pas mal de footballeurs qui ont d’abord appris à inscrire des buts avant d’apprendre à les éviter. Pourquoi est-il plus facile de transformer un puncheur en arrière, que l’inverse ?

Transformer un attaquant en défenseur, ce n’est pas qu’un phénomène de mode. Au début des années 80, Georges Grün a entamé sa carrière en pointe, mais a progressivement reculé dans le jeu pour finalement devenir Diable Rouge comme arrière droit. Mais le phénomène a pris de l’ampleur. Aujourd’hui, c’est fou le nombre d’attaquants reconvertis en défenseurs que l’on retrouve en Jupiler Pro League.

Le groupe actuellement présent au Championnat d’Europe comprend pas moins de cinq défenseurs qui, autrefois, évoluaient plus haut sur l’échiquier. Jason Denayer était un attaquant dans les équipes de jeunes d’Anderlecht. Il s’est reconverti en défenseur durant son passage à l’académie Jean-Marc Guillou à Tongerlo, entre 2008 et 2012.

Toby Alderweireld, l’un des meilleurs défenseurs d’Angleterre avec Tottenham et désormais le nouveau leader du compartiment défensif élaboré par Marc Wilmots, était jadis un bombardier dans les 16 mètres adverses. Avec les équipes d’âge du Germinal Ekeren, Alderweireld trouvait le chemin des filets les yeux fermés. C’est plus tard qu’il a reculé dans le jeu.

Trois autres Diables Rouges actuellement présents en France ont suivi le même parcours. Thomas Meunier avait été transféré en tant qu’attaquant de Virton au Club de Bruges, mais est désormais un arrière droit moderne. Christian Kabasele a joué comme attaquant à Malines et à Ludogorets en Bulgarie, mais est devenu défenseur central lors de sa deuxième période à Eupen. Là aussi un pari réussi, car cette reconversion lui a valu un transfert au Racing Genk et une sélection inespérée pour l’EURO avec les Diables Rouges. Jordan Lukaku (Ostende), aujourd’hui arrière gauche, a été formé à Anderlecht comme flanc gauche offensif.

TRAVAIL PSYCHOLOGIQUE

Pourquoi transforme-t-on un attaquant en défenseur ? Cette reconversion prend-elle beaucoup de temps ? Est-il facile de convaincre le joueur de reculer dans le jeu ? Et pourquoi, à l’inverse, ne parvient-on pas à transformer un défenseur en un bon attaquant ? GeorgesLeekens est un spécialiste en la matière. A Mouscron, l’ancien sélectionneur des Diables Rouges a fait du centre-avant Gordan Vidovic un défenseur central. Une reconversion qui a également valu au Belge d’origine bosnienne une place chez les Diables Rouges.

A Gand, le même Leekens a transformé l’attaquant SandyMartens en un arrière droit. Et c’est toujours chez les Buffalos, et toujours avec ce même Leekens, que Guillaume Gillet a subi la même transformation. Le Liégeois n’était pas un véritable attaquant lorsqu’il est arrivé à Gand, plutôt un milieu offensif, mais le principe est le même.

Leekens, encore lui, a été à la base de la reconversion réussie de Meunier.  » Il faut réussir à convaincre le joueur qu’il a plus de possibilités comme défenseur, dans une position que beaucoup de footballeurs jugent moins intéressante « , dit-il.  » Aucun footballeur ne saute de joie à l’évocation de cette idée. Meunier n’a pas fait exception à la règle. Mais, après de longues discussions avec lui, j’ai découvert qu’il nourrissait l’ambition de réussir au niveau international.

Je lui ai alors expliqué : ‘Si tu veux te donner un maximum de chances, tu dois te reconvertir en arrière droit. Ce poste t’offrira davantage de possibilités et t’ouvrira peut-être même les portes des Diables Rouges. Tu es un bon attaquant, mais tu peux devenir un très bon arrière droit’. Ce n’était pas des promesses en l’air, on s’en rend compte aujourd’hui.  »

Combien de temps faut-il pour convaincre le joueur ? Cela dépend d’un footballeur à l’autre.  » Il arrive même qu’on ne parvienne jamais à le convaincre « , constate Leekens.  » Dans le meilleur des cas, le processus prend quelques semaines, parfois quelques mois. Ce n’est que lorsque le joueur a réellement tourné le bouton, qu’on peut tenter l’expérience en match. C’est tout un travail psychologique qui doit être effectué.  »

CONCOURS DE CIRCONSTANCES

Cette reconversion ne s’effectue donc pas sur un simple claquement de doigts, même s’il existe des exceptions. Chris Janssens, qui redeviendra l’entraîneur-adjoint du Lierse la saison prochaine, en est un bel exemple.  » Durant la saison 1995-1996, j’avais inscrit pas mal de buts pour Saint-Nicolas comme soutien d’attaque, ce qui m’avait valu un transfert à Lokeren. Lors des matches de préparation, j’ai d’ailleurs joué devant à Daknam. Une semaine avant le début du championnat, l’entraîneur Fi Vanhoof m’a prévenu qu’il comptait m’utiliser comme défenseur central. Il était convaincu que ce poste me conviendrait mieux « , se souvient Janssens.

 » Nous avons commencé le championnat contre le Racing Genk, dont le duo d’attaque était constitué par Branko Strupar et Souleymane Oulare. Durant la semaine qui a précédé ce match, Fi a consacré beaucoup de temps à améliorer mon jeu de position à l’entraînement. Il n’avait que quelques jours devant lui, mais il a réussi à m’inculquer les bases : je me suis très bien débrouillé contre Genk, à tel point que je n’ai plus changé de place. Avec le recul, je me dis que cette reconversion m’a permis de faire carrière. C’était donc bien vu de la part de Vanhoof.  »

Parfois, c’est un concours de circonstances qui force un attaquant à reculer dans le jeu. Bart De Roover, l’entraîneur de Lommel en D2 la saison dernière, peut en parler en connaissance de cause.  » J’ai été transféré de Zwarte Leeuw à Lokeren en tant qu’attaquant, et c’est d’ailleurs comme centre-avant que j’ai débuté dans mon nouveau club, mais la concurrence était grande à ce poste. En outre, je n’étais pas assez rapide pour le style de jeu pratiqué par Lokeren : la contre-attaque.

Si ce club avait joué majoritairement dans le camp de l’adversaire, j’aurais peut-être fait carrière comme attaquant, mais ce n’était pas le cas et mon style de jeu n’était pas adapté à ma nouvelle équipe. Lorsque le défenseur Ronny Leroy a été suspendu, l’entraîneur AiméAnthuenis m’a positionné en défense pour affronter Anderlecht. J’avais pour mission de garder Edi Krncevic hors du match. J’étais fort dans les duels, bon de la tête et capable de tacler.

Cela n’était pas passé inaperçu aux yeux d’Aimé. J’ai tellement bien défendu que je n’ai plus changé de place après ce match contre Anderlecht. J’avais l’insouciance de mes 20 ans et je ne me posais pas trop de questions à l’époque, mais avec le recul, je dois reconnaître que cette reconversion a été bénéfique pour moi. Comme attaquant, je n’aurais probablement pas réussi la même carrière « , admet De Roover.

QUESTION DE MORPHOLOGIE

Il va de soi qu’un attaquant reconverti doit posséder les qualités nécessaires pour jouer en défense. Etre costaud dans les duels et exceller dans le jeu aérien sont des atouts importants, comme l’a souligné De Roover.  » La morphologie est souvent à l’origine du positionnement d’un jeune joueur dans le compartiment offensif, alors qu’il possède plus de qualités comme défenseur « , estime Janssens.

 » Dans les équipes d’âge, les entraîneurs placent souvent les plus costauds en pointe, parce qu’ils pensent que leurs qualités athlétiques leur permettront de faire la différence. Plus tard, lorsqu’il apparaît que ces joueurs ne sont pas assez rapides pour devenir des attaquants de haut niveau, ils les font reculer en défense.  »

Les ‘nouveaux défenseurs’ ne peuvent pas se contenter d’avoir une taille appréciable. Les arrières latéraux, en particulier, doivent posséder bien d’autres qualités, affirme Leekens :  » Prenez l’exemple de Meunier : en plus d’avoir une taille appréciable, il a un gros volume de jeu, un bon centre, une bonne technique et une bonne condition physique. La taille est importante, même chez les arrières latéraux, car ce sont des joueurs qui doivent d’abord penser à défendre.

Mais un joueur comme Meunier est aussi capable de donner les impulsions offensives à son équipe, à partir de sa position d’arrière latéral. Un football offensif, cela commence par l’arrière. Pour jouer offensivement, il faut des défenseurs capables d’adresser une passe de construction précise et de déborder sur leur flanc.  »

Selon De Roover, les anciens attaquants disposent d’un atout supplémentaire lorsqu’ils se reconvertissent comme arrières latéraux.  » Lorsqu’ils se portent à l’attaque, ils réfléchissent et agissent d’une autre manière que les arrières latéraux de formation. Aux Pays-Bas, surtout, on s’aperçoit que les arrières latéraux se contentent de déborder jusqu’à la ligne de fond et de centrer. Chez un joueur comme Meunier, c’est différent. Il s’aventure dans les 16 mètres adverses et ressent mieux que d’autres l’endroit où il doit se positionner pour être dangereux. Un tel joueur est dès lors plus imprévisible pour l’adversaire. En soi, les braconniers font les meilleurs gardes-chasse.  »

Boli Bolingoli (FC Bruges), Brecht Capon (Ostende) et Guillaume François (Charleroi) sont d’autres joueurs de notre championnat qui ont eu un parcours similaire à celui de Meunier. Ils ont effectué leurs débuts en D1 comme attaquant sous le maillot du Club (pour les deux premiers) et de Mouscron (pour le troisième), mais défendent désormais les flancs de leur club respectif actuel.

PAR PHILIPPE CROLS – PHOTOS BELGAIMAGE

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