» Après la mort de ma femme, j’ai erré pendant trois ans sans savoir ce que je faisais. Je vais mieux mais je suis incapable d’arrêter de coacher… « 

J an Boskamp (59 ans) :  » J’ai grandi au nord de Rotterdam. Mes parents trimaient et c’est ma grand-mère qui a assuré l’essentiel de mon éducation. Mon père a été postier puis chauffeur de poids lourds. Ma mère travaillait dans la même entreprise. Mon frère Aad a trois ans de moins que moi. L’ex-star du foot hollandais et coéquipier Wim Jansen habitait à trois immeubles de chez nous.

Rotterdam avait été rasée par les bombardements pendant la deuxième guerre mondiale et nous jouions encore dans des ruines. Voir une plaque d’immatriculation allemande attisait notre haine. Dans ce quartier populaire, les gens s’asseyaient sur le pas de la porte. C’était la loi de la rue, même en foot : nous jouions rue contre rue. C’est aussi en rue que j’ai appris le plus, pas à l’école. A sept ou huit ans, j’ai été arrêté par la police. Nous volions du plomb dans les ruines et le revendions à un camelot pour nous faire de l’argent de poche. Nous piquions aussi des bouteilles vides, des vidanges. L’agent m’a conduit à ma mère. Tout le monde se connaissait. Plus tard, je suis d’ailleurs allé en visite dans une prison, pour parler de football.

Ma grand-mère était paralysée d’un côté. Mon grand-père vendait des fruits et légumes en gros. Il se levait à quatre heures du matin. A onze heures, il avait fini et s’occupait de ses pigeons. L’oncle Dirk veillait sur la grand-mère… quand il n’était pas en mer. Il convoyait des troupeaux en Argentine. Nous prenions le relais. Le week-end, mon grand-père ne pensait aussi qu’à ses pigeons. Le samedi, il était là à crier en rue et dès que les volatiles étaient revenus, je devais courir au café pour le prévenir. Si ma grand-mère n’avait pas été handicapée, elle lui aurait volé dans les plumes. Moi, je n’ai jamais consommé d’alcool. Je n’en ai pas besoin et je sais que je pourrais devenir difficile si j’en buvais. Mes enfants ne boivent pas non plus « .

 » Je voulais être marin « 

 » J’ai arrêté l’école vers douze ans. Je n’aimais pas. Hélas, mon frère fréquentait le même établissement. Quand je rentrais tard et que ma mère me demandait où j’étais passé, je ne pouvais répondre : -A l’école. Sinon, c’était la claque. Aad n’aime pas le football. Il a travaillé à la commune jusqu’à ce qu’il soit victime d’une hémorragie cérébrale, il y a trois ou quatre ans. Il est rétabli. Il habite à Rotterdam mais vient tous les quinze jours entretenir mon jardin à Bruxelles.

Jenny habitait au sud de la ville, de l’autre côté de la Meuse. C’est le fief de Feyenoord. Elle jouait au handball et nous nous sommes connus à 14 ans. Nous ne nous sommes plus quittés jusqu’à sa mort.

J’ai travaillé avant de rejoindre Feyenoord. Quelque huit mois… Je voulais être marin. Un footballeur naviguait et le week-end, il revenait avec des paquets d’argent… Ma mère m’a dit : -Vas-y mais ne reviens plus jamais. Rotterdam, ville portuaire, avait de l’argent mais une mauvaise réputation.

Je m’appelle Jan, on m’a rebaptisé Johan en Belgique car mon passeport mentionne Johannes. Je m’y suis fait. Au début, nous avons habité à Woluwé, derrière l’OTAN. Les villas étaient superbes mais les habitants ne se parlaient pas. C’était pénible pour le gamin de rue que j’étais. Lors de notre déménagement suivant, un voisin nous a aidés. J’étais allé trouver mon président au RWDM, le père L’Ecluse en lui disant que je ne pouvais plus vivre comme ça. La firme m’a trouvé une maison à Relegem « .

Pendant notre interview, la TV diffuse des matches de la CAN. Boskamp :  » Je capte les chaînes du monde entier. Ne me demandez pas comment ça fonctionne, un copain m’arrange ça. Je capte 4.000 chaînes, le sport du monde entier. Je lui verse 600 euros par an pour qu’il règle l’appareil. Une fois, j’ai passé en revue les 4.000 chaînes. J’en avais des crampes aux doigts « .

C’est impossible de nos jours mais dans les années 70, un international hollandais pouvait s’intéresser à la Belgique. Feyenoord avait gagné la C1 et la Coupe Intercontinentale.  » L’entrejeu de Feyenoord était fantastique. Au début, je n’ai pu m’y faire une place. J’y suis parvenu avant d’être écarté les deux derniers mois. J’ai demandé à partir. Si Wim Jansen ne m’avait retenu, j’en aurais collé une à Wiel Coerver !  »

Ce n’était donc pas un bon entraîneur… Boskamp rigole :  » Il faut replacer les choses dans leur contexte. J’étais repris dans la présélection du Mondial 1974 et tout s’effondrait. Quatre ans plus tard, j’ai participé à la Coupe du Monde mais je n’ai joué qu’un match et l’ambiance en, Argentine ne me plaisait pas. C’était plus convivial en Allemagne. J’ai disputé la Coupe Intercontinentale avec Feyenoord en Argentine, en 1970, sous la direction d’ Ernst Happel. C’était face à Estudiantes, au stade de Boca Juniors. Les Argentins avaient des flûtes dans lesquelles ils glissaient des pièces. Pendant l’échauffement, j’ai senti un coup à la nuque. Je saignais, incroyable. Le président a réagi : nous ne jouerions pas. Happel, lui, a tranché : – Les supporters ne pouvaient résister à viser Boskamp… Nous jouons. Tout le monde se marrait. La prime de victoire représentait cinq ans de travail pour mon père.

Au Mondial, nous étions menés 3-1 par l’Ecosse puis Reppie a tiré dans la lucarne : nous étions qualifiés au goal-average. Tout le monde était fâché car nous voulions rentrer mais ensuite, tout est devenu facile, jusqu’en finale. Buenos Aires était tellement dangereuse qu’on ne pouvait mettre un pied dehors. Des gamins de 14 ans nous suivaient tout le temps, même aux toilettes « .

La dictature a été installée en 1976, des gens ont été assassinés, ont disparu… Boskamp opine :  » Le général Videla. Nous avions plaisanté : – Nous ne ressortirons jamais vivants d’ici. Je l’avais rencontré en 1970. Mais je ne me suis jamais occupé de politique. J’ai travaillé en Géorgie, dans le Golfe, au Maroc. Le football n’a rien à voir avec la politique, même si je ne suis pas aveugle. J’ai accompagné des actions humanitaires au Botswana. Ce que j’ai vu m’a rendu malade. Cette misère ! Ne pouvons-nous rien faire ? A Dubaï, nous ne faisions pas grand-chose. Quelques heures d’entraînement… Le football n’est pas un travail mais il permet de gagner gros alors que là, d’autres travaillent douze heures par jour pour 120 ou 150 dollars. Je leur donnais de l’argent, plus qu’ils n’en gagnaient en un mois, je les invitais à manger. C’est de l’esclavage moderne là-bas « .

Boskamp a toujours eu bon c£ur. Il réagit :  » Ce n’est pas important. Quand mon père a besoin de quelque chose, je le lui donne. Il doit être hospitalisé. Il est tellement fier qu’il se traîne depuis des mois. Je lui propose de se faire opérer en Belgique mais il préfère mourir de douleur. C’est la hanche. J’ai été opéré aussi. C’est dans le sang. En fait, j’ai longtemps souffert plutôt que de me faire opérer tellement j’avais peur de cette intervention. FransVan Hoof, l’ancien président de Beveren, avait subi cette opération et il continuait à en souffrir après. Maintenant, je me traite d’idiot de ne pas y être passé plus vite « .

Les Boskamp-boys

C’est un hasard s’il a été transféré au RWDM et non à Anderlecht, où jouait Robbie Rensenbrink.  » Je devais jouer un match d’essai en Pologne avec Anderlecht mais le RWDM m’a transféré directement, sans formalité. Le championnat de Belgique était renommé. ArieHaan, Robbie, Peter Ressel, Ruud Geels ont joué en Belgique. Les Diables Rouges étaient redoutés. C’était chouette, jusqu’à ce que le juge Bellemans s’en mêle. (Il rit). J’ignorais tout de la rivalité entre le RWDM et Anderlecht. MichelVerschueren avait dit qu’il faudrait construire des appartements sur le terrain des Mauves. Il nie ça maintenant mais je m’en souviens. Médian offensif, je marquais de dix à quinze buts par saison. Ici, au RWDM, on m’a fait reculer au médian défensif. Courir ne me dérangeait pas. Je joggais près de l’Atomium, pour moi-même, deux ou trois fois par semaine en plus des entraînements. La première saison, j’ai aussi entraîné une équipe de jeunes de Woluwe. Felix Week, l’entraîneur du RWDM, me l’avait interdit alors j’organisais ça derrière ma maison. Les Boskamp Boys !

J’ai commencé à coacher des jeunes à 14 ans. Ben, mon entraîneur à Feyenoord, m’avait demandé de lui donner un coup de main. S’occuper des jeunes est ce qu’il y a de plus beau. Il faut les encourager, sans mettre d’interdits. Je travaille avec des couleurs, disons du rouge et du jaune. Les gosses ont tendance à courir en regardant le sol. Or, ils doivent acquérir le sens du ballon. Donc, ils doivent dire quelle couleur j’ai en main. Au début, le ballon roule partout sauf entre leurs pieds mais au fil des semaines, ils contrôlent le cuir « .

Il montre un paquet de feuilles dactylographiées :  » J’ai écrit des tas de choses. Lydia, mon amie, a tout retapé. Je ne sais pas travailler sur ordinateur. Les organisateurs de la Licence pro ont sursauté mais j’ai quand même obtenu mon diplôme. Alors que les autres étaient restés une heure à l’examen, je suis sorti après cinq minutes. Depuis, j’ai réalisé ce travail sur Feyenoord « .

Pour se détendre, Boskamp a toujours été beaucoup au cinéma.  » Mes premières années à Bruxelles n’ont pas été marrantes, du moins pour Jen. Nous n’avions plus de contacts. Je me comportais comme à Feyenoord dans le vestiaire mais ça n’allait pas. J’étais trop sarcastique. Chez nous, l’humour s’opérait toujours au détriment des autres. Récemment, j’ai participé à une émission flamande. Je crois que l’animateur voulait me convertir mais je suis athée, point à la ligne. J’ai raconté des choses que j’aurais mieux fait de taire. Heureusement, ils ont coupé. Pourtant, 80 % de l’émission est consacré à la religion. Je respecte la foi des autres mais je n’aime pas parler de ça. Une chose me fait peur : Breendonk et les camps de concentration. Je voudrais visiter Auschwitz. Breendonk m’a déjà beaucoup impressionné. C’est incroyable ce que les gens peuvent s’infliger les uns aux autres. J’ai rassemblé 400 à 500 documentaires sur la façon dont tout a commencé, comment les gens sont suivi Hitler et tout ça. Je dévore les livres consacrés à ce sujet. Je suis en train de lire La Belgique pendant la Deuxième Guerre mondiale « .

La maladie

 » J’ai trois fils. Tom aurait pu évoluait au Racing Malines, alors en D2, mais il a souffert du genou. Jan jouait pour le plaisir, comme Pimmetje. C’est un bon vivant, celui-là. Quel père ai-je été ? Un bon, j’espère, mais je ne sais pas. Je n’allais pas souvent voir mes enfants jouer au football. Tom en était malade. J’accompagne mes petits-enfants mais je reste dans mon coin. L’essentiel est qu’ils soient heureux. Jen s’occupait plus d’eux. Tant mieux pour les gosses, peut-être « .

Jen, quand il prononce ce nom, sa gorge se noue.  » Ma mère est morte il y a 17 ans. Au téléphone. En une minute, c’était fini. C’est une plus belle mort que celle de Jen, qui a lutté onze ans. Nous n’en avons jamais parlé. Têtue comme elle était, elle ne m’en avait pas touché mot, d’ailleurs, mais je ne suis pas aveugle. Son père est mort puis Jen et deux ans plus tard, sa mère, tous du même mal. Maintenant, je parviens à en parler mais il y a trois ans, je n’en aurais pas pipé mot. Je parle trop vite en général mais je suis capable de compartimenter ma vie et de taire ce qu’il faut. La maladie de Jen ne regardait personne. C’est étrange mais à Genk, j’ai fui le football. Je me suis rendu compte qu’il n’avait pas l’importance que je lui avais accordée. Les gamins ont été plus forts que moi. A la fin, ils insistaient pour qu’on aide leur mère. Je ne comprenais pas. Le médecin est arrivé, c’était affreux quand j’ai… Passons. Dubaï a été le bienvenu. Pourquoi pensez-vous que je veuille vendre cette maison ? Je commence à peine à retrouver le sentiment qu’elle est mon foyer. Nous étions ensemble depuis l’âge de 14 ans et j’ai dû la laisser partir, prendre une décision. J’ai passé des heures là, à refuser, à argumenter. J’ai pensé au passé, à l’Amérique, à des issues mais non. Elle faisait confiance au personnel de l’hôpital. Après, je leur ai offert des chocolats car tous ont été très bons pour elle, ils l’ont bien soignée. Moi, je devais apprendre à vivre avec ça « .

60 ans

 » Je n’aime plus rouler. C’est à ça que je remarque que je vieillis. Je roule plus lentement. Je choisis des matches proches de mon domicile. Je ne prends plus l’avion, même si j’ai eu peu d’expériences négatives. Une fois à Newcastle, une autre avec Beveren. ChidiNwanu s’était emparé de la Bible et a commencé à prier. Je rigolais mais c’était peut-être nerveux…

Je fête mes 60 ans cette année. Je ne crains pas la vieillesse. Jen et moi avons éduqué les enfants, chacun à notre façon, j’ai encore un peu d’économies, que puis-je demander de plus ? Si je ne suis pas d’accord, je démissionne, comme je l’ai fait en Angleterre. Deux semaines plus tard, en revoyant le montant de mon salaire, je l’ai quand même regretté ! Mais je suis comme ça, ma liberté passe avant tout le reste « .

Est-il heureux maintenant ?  » Je retrouve le bonheur. Pendant trois ans, j’ai tourné en rond sans savoir ce que je faisais. J’ai fait la connaissance de Lydia par hasard. Elle habite dans les environs et c’est chouette. J’ai commencé à faire des choses qui ne sont pas obligatoires. Je suis en congé, aujourd’hui, et je viens de passer trois heures avec HermanVan Holsbeeck. Maintenant, c’est votre tour et à 18 heures, j’ai une réunion… On va affronter deux fois Anderlecht et c’est génial ! Déjà rien que la réaction de notre manager, Patrick Asselman. J’en ai rigolé pendant dix minutes au moins. J’arrive au club…

-Pat, contre qui jouons-nous en Coupe ?

-Nous avons gagné au Lotto !

-Quoi ? Contre qui jouons-nous ?

-On a gagné des millions au Lotto ! !

-OK j’ai compris… Mais nous pouvons aussi perdre notre pantalon.

C’est une façon de parler mais j’aurais préféré tirer Courtrai. Un jour, il faut tourner la page comme coach. Je pensais en être capable mais ce n’est pas le cas. Je dois accomplir des tâches qui ne m’amusent pas. Je dois dire au responsable du matériel et aux autres qu’ils ne peuvent plus s’asseoir sur le banc mais que tout doit être prêt. A Gand, je me suis trouvé enfermé dans le couloir avec deux blessés. La porte était verrouillée. Le kiné et le responsable du matériel se marraient, clef en poche, sur le terrain. Voilà comment ils sont. C’est marrant mais…

par peter t’kint

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