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 » MA FIERTÉ, C’EST D’AVOIR DONNÉ UN NOM À MON PÈRE « 

Invité dans les locaux de Sport/Foot Magazine, Felice Mazzù retrace son parcours atypique, qui l’a mené des séries provinciales à la Division 1. Voyage entre Pays noir et tableau noir, avec une bonne dose d’humanité en toile de fond.

Felice Mazzù n’a décidément peur de rien. Même un rendez-vous bruxellois en pleine heure de pointe n’effraie pas le coach de Charleroi, qui débarque avec quelques minutes d’avance à Evere, où il est le premier invité de notre rédaction pour cette nouvelle saison. Une seule chose semble l’inquiéter :  » Ça va durer longtemps tu penses ? Parce que j’aimerais bien voir le match de Bruges.  »

Deux heures plus tard, pourtant, l’entraîneur des Zèbres fait encore résonner son rire éclatant dans la salle à manger. Les remerciements sont plus fréquents que les coups d’oeil vers sa montre. Felice a pris le temps de raconter sa méthode, sa vie et son métier.

Comme chaque année, tu as perdu deux joueurs importants au mercato. Et à chaque fois, on est étonné de voir la vitesse à laquelle tu remets une équipe en place. Trond Sollied disait qu’il avait besoin de six semaines pour arriver à quelque chose de cohérent…

FELICE MAZZU : Six semaines, ça dépend de la façon dont un staff travaille avec son noyau. À un moment donné, un coach a toujours une équipe-type en tête. Mais, de manière plus globale, il doit être capable d’entraîner tout le monde à son meilleur poste, comme s’il allait jouer. Je prends l’exemple de l’époque de Dewaest. Willems, qui était déjà là, a été préparé aux entraînements comme s’il était le titulaire. Ils faisaient les mêmes exercices. Même chose pour Mata pendant que Marinos était titulaire. Cette façon dont on travaille depuis plusieurs saisons, c’est une des forces du Charleroi actuel. Si j’ai 22 joueurs dans mon noyau, je travaille avec les 22. Les gars qui n’ont pas joué le week-end, c’est moi qui les prends en charge au premier entraînement de la semaine.

C’est vraiment important ?

MAZZU : C’est capital ! Ce n’est pas l’adjoint, ou le T3, c’est moi. C’est une priorité que je me fixe, parce que ce sont les joueurs les plus importants à gérer. Ne pas le faire, ce serait un manque de respect envers ceux qui n’ont pas joué.

Quand on parle de Mazzù, on parle souvent d’un  » tacticien « . Tu trouves ça justifié ? Et finalement, c’est quoi un tacticien ?

MAZZU : Je ne sais pas si ça me correspond. À la limite, ça me gêne d’en parler parce que je pense que tous les entraîneurs sont un minimum tacticiens. (Il réfléchit) Pour moi, le vrai tacticien, c’est celui qui est capable de changer le cours des choses pendant un match, par rapport au dispositif adverse. Préparer de grosses choses tactiques avant un match, ce n’est pas facile. Mais pendant un match, en fonction de l’évolution du score, c’est là que le coach a le plus d’impact pour moi. S’il estime qu’il y a des faiblesses dans une zone de l’adversaire, il y met quelqu’un avec de la vitesse verticale, par exemple. Pour moi, ce sont ces paramètres-là les plus importants. Mais il ne faut pas toujours vouloir changer les choses avant un match, dans sa préparation. Une équipe doit d’abord se baser sur sa philosophie et ses principes tactiques. C’est la meilleure manière d’acquérir des automatismes.

 » POUR MOI, LE FOOT, C’EST LE BALLON  »

Agir sur le match, c’était plus simple à faire quand tu entraînais en provinciales ?

MAZZU : Au niveau des choix en eux-mêmes, que ce soit en D1 ou en P1, ça ne change rien. Mais au niveau du coaching et de la voix, oui. En D1, pour faire passer un message, c’est très difficile. On vieillit plus vite en D1, parce qu’on doit crier très fort. (Il sourit)

Est-ce que ta philosophie de jeu est restée la même, des provinciales à la D1 ?

MAZZU : Oui. Il y a une chose que je ne retirerai jamais de mon credo, c’est le plaisir. Je l’ai toujours mis en évidence. Ça ne veut pas dire que tout le monde fait n’importe quoi. Mais j’estime que dans tout ce qu’on fait dans la vie, il faut être heureux. Et le résultat sera meilleur, parce que quand on prend du plaisir on est beaucoup plus productif. Donc, je veux toujours que les joueurs se sentent bien. J’ai besoin de sentir que les gens sont heureux. Et ma manière de travailler en découle : dans tous les entraînements, je suis un adepte du jeu. Même mon travail tactique, je le fais sous forme de jeu.

Concrètement, comment tu rends tes joueurs heureux à l’entraînement ?

MAZZU : Pour moi, le football c’est le ballon. Pour lancer le javelot, il faut le javelot. Au foot, il faut le ballon. C’est la chose la plus importante. Et je me bats, tous les jours, avec tous les entraîneurs de jeunes que je croise, pour que tous les entraînements de jeunes soient faits de la première à la dernière seconde avec le ballon. C’est interdit de faire autre chose. Parce qu’on peut tout faire avec le ballon : courir, faire crever les joueurs… Le préparateur physique fait évidemment des séances sans ballon, mais Mario Notaro et moi, on utilise le ballon, même quand on veut mettre un paramètre physique dans un atelier. J’ai la chance de pouvoir compter sur un staff extraordinaire, où tous les gens me soutiennent alors qu’ils auraient pu me prendre de haut lors de mon arrivée à Charleroi.

En passant des divisions inférieures à la D1, tu es devenu plus exigeant avec tes joueurs ?

MAZZU : Bien sûr ! Le joueur qui arrive plus tard à l’entraînement en première provinciale, et qui me dit :  » Coach, j’ai eu fini plus tard au travail « , ça passe. Le professionnel qui arrive en retard quand le rendez-vous est à neuf heures du matin, ça ne passe pas. Les exigences sont différentes parce que c’est leur métier. Après, j’ai de la souplesse, je ne suis pas un dictateur ou un coach hyper sévère comme d’autres. Je pense que le respect s’acquiert par le respect, pas par la dictature. C’est ma manière de fonctionner.

 » JE VIENS DE TELLEMENT LOIN QUE JE NE PEUX PAS ME PLANTER  »

Tu es aussi plus exigeant envers toi-même ?

MAZZU : Evidemment. Parce que je suis le genre d’entraîneur, si je ne prépare pas mes entraînements, si je ne bosse pas ma théorie, si je ne découpe pas les vidéos et qu’on est battu le dimanche, je considérerai que c’est de ma faute. J’essaie de faire tout ce qu’on peut faire avant un match pour amener les joueurs dans les meilleures conditions possibles. Après, je me ferai encore des reproches sur la composition et les changements, mais plus sur la préparation.

Quand il est arrivé dans le monde professionnel, Arrigo Sacchi disait qu’il avait l’impression de voler du temps quand il pensait à autre chose qu’au football…

MAZZU : Il n’y a aucun moment où je ne pense pas au football. On n’a plus de temps pour penser à autre chose, malheureusement pour ma famille. Ce soir en rentrant, je vais regarder Bruges (l’interview a été réalisée le jour de Bruges-Leicester, ndlr), mais pas pour le plaisir. Je vais encore disséquer, dans ma tête. Mes enfants vont me parler, je ne vais pas… Voilà, on pense  » foot, foot, foot, foot.  » Les exigences sont là, les objectifs aussi. Et puis dans ma position, je viens de tellement loin que je ne peux pas me planter. Il y a des entraîneurs qui peuvent se planter, parce qu’ils ont le crédit de leur carrière de joueur, ou de dix ans de coaching en D1 : s’ils se plantent, ce ne sera pas forcément de la faute de l’entraîneur. Un gars comme moi, qui vient de l’étage inférieur, si je me plante ce sera de ma faute. Donc, je ne peux pas me planter.

Même avec le statut que tu as acquis par ces saisons passées à Charleroi ?

MAZZU : Ce sera toujours pareil avec moi, j’en suis conscient. Ce n’est pas une plainte, c’est un constat que je fais. Si un jour je ne suis plus à Charleroi et que ça va moins bien dans mon nouveau club, on dira :  » Vous voyez, finalement ce n’était pas ça. À Charleroi ça fonctionnait parce que c’était sa ville « , etc. Mais je suis prêt à tout ça. Je sais que j’aurai moins de crédit, et donc que je dois avoir un autre discours qu’un Michel Preud’homme dans le vestiaire, parce que je ne suis personne.

Tu accordes beaucoup d’importance à la relation avec tes joueurs ? Tu veux aussi les connaître en tant qu’hommes ?

MAZZU : Je pense avoir un bon contact avec mes joueurs. Je communique beaucoup avec eux. J’essaie de connaître leur vie privée. Quand je dis connaître leur vie privée, je parle de savoir s’ils ont des besoins familiaux par rapport à leur femme ou à leurs enfants. Après, ça s’arrête là. Quand un joueur a des soucis avec sa famille, j’essaie de les aider en leur accordant des préférences, ou plus de liberté. Je parle beaucoup avec eux. Un joueur qui ne joue pas saura toujours pourquoi il ne joue pas. Même chose si un joueur est remplacé sans comprendre pourquoi, alors qu’autre chose avait été prévu.

 » LE FOOT M’A RENDU CONFIANT EN MOI  »

C’est quelque chose qui doit plaire aux joueurs…

MAZZU : Il y a eu une année – je ne vous dirai pas dans quel club – où en faisant ça, les joueurs estimaient que je me justifiais. Et que le fait de se justifier voulait dire que je n’étais pas sûr et que je tentais de camoufler. Donc il faut faire attention à ce qu’on dit, et à la manière dont on le dit.

Neeskens Kebano a été un des exemples majeurs de cette gestion d’un individu.

MAZZU : Au départ, il ne jouait pas. Alors qu’il arrivait de Paris ! Mais pour moi, le plus important chez un joueur c’est l’attitude et le respect vis-à-vis des équipiers. Et cette attitude n’était pas suffisante pour moi quand il est arrivé. Ensuite, il est rentré dans le moule de Charleroi et il a explosé. La deuxième chose, c’est que je pense que chaque individu doit être traité d’une manière spécifique. Chacun n’accepte pas qu’on lui parle de la même manière. Donc, j’essaie d’apprendre à connaître chaque joueur. Je ne me suis jamais énervé sur Neeskens Kebano, je l’ai toujours pris à part pour parler mais je n’ai jamais crié sur lui devant tout le groupe. Et je pense que finalement, avec mon staff, on avait trouvé la bonne manière de lui parler.

Trouver la clé pour parler à chaque joueur, c’est un défi ?

MAZZU : Un grand défi. Mon frère est licencié en philosophie et psychologie à l’ULB, j’ai beaucoup de discussions avec lui parce qu’il m’a toujours épaté. J’essaie toujours de rentrer dans son domaine au fil des conversations. Je veux réussir à tirer le maximum de chacun, mais je sais que chacun ne perçoit pas les choses de la même manière. Ça, c’est certain. Donc, on essaie de trouver les meilleures méthodes. Et on se trompe. Mais ça, les joueurs ne comprennent pas. C’est difficile qu’ils comprennent que je peux être calme avec l’un, puis crier sur l’autre. Ils penseront tout de suite que le premier est mon chouchou et que l’autre, je n’en ai rien à foutre. C’est la grosse difficulté.

Être entraîneur en première division, ça a fait de toi un homme différent ?

MAZZU : Mazzù, c’est toujours Mazzù. Il s’habille avec des jeans, il s’occupe de ses enfants quand il peut, il a une femme qui travaille, il fait les courses… Voilà. Je suis juste entraîneur en D1, j’ai un niveau de vie un peu plus élevé, j’ai une belle voiture, mais je ne pense pas avoir changé fondamentalement. Je vis de la même manière. J’ai toujours ma maison, que j’ai achetée et retapée pendant quinze ans quand j’étais enseignant. Rien n’a changé.

Le football ne t’a pas changé ?

MAZZU : Le football m’a rendu confiant en moi, en mes capacités. Donc, je suis devenu confiant dans la communication alors que j’étais quelqu’un de très timide face aux gens. Dans mon enfance, je n’avais pas la possibilité de sortir faire des choses, donc on ne faisait rien. Maintenant, quand je ne suis pas content, j’ose le dire à quelqu’un, alors que ce n’était pas le cas avant ma période foot.

Quelle est ta plus grande fierté, dans ce que tu as accompli jusqu’ici ?

MAZZU : Ce dont je suis le plus fier, c’est que Mazzù est devenu un nom connu à Charleroi. Pas pour moi : pour mon père. Il est parti d’un petit village de 50 personnes en Calabre, détruit par la guerre. Et aujourd’hui, il reçoit du monde dans sa petite maison ouvrière, des gens qui viennent lui demander des autographes ou des T-shirts. Quand il va sur le marché, on lui offre ses légumes. Ce n’est pas le fait que ce soit gratuit, hein. Mais ma fierté, c’est ça : avoir donné un nom à mon père. Aujourd’hui, il est heureux. Et si ça peut lui donner quatre ou cinq ans de vie en plus, pour moi c’est la plus grande fierté. Le reste, ce n’est pas important.

PAR GEERT FOUTRÉ, GUILLAUME GAUTIER, BRUNO GOVERS ET JACQUES SYS – PHOTOS BELGAIMAGE – DIRK WAEM

 » Il n’y a aucun moment où je ne pense pas au football.  » FELICE MAZZÙ

 » J’ai besoin de sentir que les gens sont heureux.  » FELICE MAZZÙ

 » J’ai la chance de pouvoir compter sur un staff extraordinaire.  » FELICE MAZZÙ

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