« Ma crédibilité en aurait pris un coup »

Cette légende du football belge nous reçoit chez lui et revient sur ses derniers mois tumultueux.

Toute la D1 a repris, tu es sur la touche : pour longtemps, peut-être ?

Enzo Scifo : Aucune idée. Je ne me pose pas cette question-là. Ce qui est certain, c’est que je ne m’imaginais pas à la maison ou en vacances ailleurs au début du mois de juillet. J’ai déjà connu des breaks : après mon expérience à Charleroi, après mon boulot à Tubize. Mais ici, je n’avais pas du tout l’intention de m’arrêter. J’avais vraiment envie d’enchaîner directement avec une nouvelle saison. C’est dommage. Jusqu’à ma décision de ne pas prolonger à Mouscron, une chose était claire dans ma tête : on reprenait les entraînements le 15 juin. J’étais déjà bien préparé. J’avais discuté de tous les détails pratiques de la reprise et du stage avec mon staff : Francky Vandendriessche, Geert Broeckaert, Gil Vandenbrouck. Maintenant, je suis hors du circuit et j’espère seulement que ça ne durera plus aussi longtemps qu’après Charleroi et Tubize.

Pourquoi as-tu arrêté alors que tu pouvais rester ?

Dès la fin du championnat, je me suis dit que ce serait mieux de stopper. Je l’ai déjà dit aux dirigeants à ce moment-là. Mouscron m’a beaucoup donné, j’ai longtemps travaillé dans des conditions exceptionnelles, mais à partir du moment où les problèmes financiers ont éclaté, c’est devenu de plus en plus pesant. Eprouvant. Et quand la saison s’est terminée, j’ai compris une chose : le club n’avait pas solutionné ses difficultés. On allait repartir pour le même genre de galère. J’avais assez donné et c’est pour ça que j’ai décidé de ne pas signer de nouveau contrat. Je n’étais pas certain qu’en recommençant une année dans les mêmes conditions de travail, on allait encore pouvoir faire les mêmes résultats. Et qui aurait payé ? L’entraîneur, comme partout. Ma crédibilité en aurait pris un coup. Peut-être que ça aurait encore marché. Mais peut-être, aussi, que ça aurait foiré. Je pouvais rester, et alors, je jouais au poker. Je n’ai pas voulu prendre le risque. Dans ce boulot, il faut de la sérénité pour pouvoir donner tout ce qu’on a dans le ventre. A Mouscron, il n’y en avait toujours pas. Mais j’ai été patient : j’ai longtemps attendu avant d’annoncer ma décision parce que je pensais qu’une solution définitive allait peut-être finir par se dégager.

Mouscron semble sauvé : il y a eu des injections d’argent, le club a eu sa licence et il peut même à nouveau transférer.

Sauvé, sauvé… C’est ce que les gens de l’extérieur retiennent. Quand tu vis dans un club, tu vois les choses autrement, tu es au courant de tout. Ce n’est pas parce qu’on trouve subitement quelques centaines de milliers d’euros pour boucher un trou que tous les problèmes sont résolus. Je ne suis pas un financier mais je savais beaucoup de choses. J’ai rencontré deux ou trois investisseurs qui étaient prêts à aider l’Excel. Mais je n’ai pas voulu les berner. Je leur ai dit : -La situation, c’est ça ! Depuis mon départ, je ne suis évidemment plus au courant des détails de la vie financière du club. Il est peut-être définitivement sauvé. Je n’en sais rien du tout.

Viré d’office pour faire place à Carboni & Co ?

Un bruit circule : tu aurais appris dès avril ou mai qu’Amedeo Carboni allait débarquer avec son staff. Tu aurais automatiquement sauté. Et donc, tu aurais pris les devants en annonçant toi-même ton départ !

(Il rigole).

C’est donc ça, la bonne version de ton départ ?

Je ne dis pas que ce n’est pas vrai. Laisse-moi t’expliquer… Une semaine avant l’annonce de l’arrivée éventuelle de Carboni, je parle à mon staff, je leur dis que la situation n’est pas claire. La direction ne nous communique plus rien et je dis à mes adjoints : -Je ne peux plus vivre une saison pareille, je ne m’y retrouve plus, on ne sait rien préparer dans des conditions comme celles-là, donc je vais sans doute partir. C’est d’ailleurs à ce moment-là que Vandendriessche commence à discuter avec Mons : il sait que je vais probablement m’en aller et il doit aussi penser à son avenir. Puis, un journaliste m’appelle et me demande si je suis au courant des grands changements qui vont se produire dans le club. Je suis censé être informé sur tout mais je ne le suis plus sur rien. Alors, la sauce commence à monter. Je prends mon téléphone, j’essaye d’appeler Philippe Dufermont. Pendant deux jours. Aucune réponse. J’appelle Vandenbrouck, il me dit que lui aussi se pose plein de questions. Il sent que des choses se passent mais il n’en sait pas grand-chose. A ce moment-là, je l’informe déjà que je vais partir. Ensuite, un autre journaliste, qui connaît très bien le club, me dit que Dufermont va être obligé d’opter pour la solution Carboni. Je parviens enfin à avoir Dufermont au téléphone, ça dure cinq minutes et je lui dis : -Je ne sais pas exactement ce que vous allez faire mais je vous enlève une épine du pied, je pars. Là, je le sens un peu gêné. Il me dit qu’il n’a encore rien décidé. Je lui réplique que moi, je ne peux pas lui apporter de solution à ses problèmes financiers. Et avant de terminer la conversation, je le rassure en lui disant que je ne retiendrai pour ainsi dire que du positif de mon expérience à l’Excel. En résumé, je n’ai pas voulu être un obstacle pour l’avenir du club.

Si on t’avait garanti à ce moment-là qu’au début du mois de juillet, le club aurait sa licence et l’autorisation de transférer des joueurs, tu serais resté ?

Oui. Mais au moment où j’ai pris ma décision, c’était impossible de rester.

Tu n’y as pas cru et tu n’étais pas le seul : si Vandendriessche et Broeckaert ont foncé sur une offre d’un club comme Mons, en D2, c’est qu’ils étaient persuadés qu’il n’y aurait certainement plus de place pour eux à Mouscron.

Ils ont accepté Mons pour trois raisons : parce que Rudi Cossey les connaît bien et a trouvé les mots pour les convaincre, parce que Mons est quelque part un club de D1 – il va dominer le championnat de D2, j’en suis persuadé – et parce qu’ils ne pouvaient pas se permettre d’attendre. Moi, j’ai ce luxe. Je leur ai conseillé de partir à Mons, je leur ai dit : -Si on vous propose du concret, foncez. Je trouve qu’il est très chouette, le défi de Mons.

La nouvelle structure ne semble pas très homogène : un entraîneur serbe, Miroslav Djukic ; un directeur sportif italien, Amedeo Carboni ; un directeur sportif adjoint espagnol, Juan Sanchez. Tous des gens qui ne connaissent rien du football belge.

J’ai eu une discussion avec Philippe Dufermont la semaine passée, nous sommes restés en très bons termes et c’est normal car nous avons toujours eu une relation très forte. Il m’a expliqué la nouvelle construction, cela ne me pose pas de problème. Il m’a dit qu’il vivait désormais au jour le jour. Il a aperçu une solution, il l’a exploitée. Il ne garantit rien pour l’avenir à long terme. C’est clair que s’il avait été au courant de tout avant de reprendre le club, il se serait abstenu. Et quand il aura l’occasion de partir dans de bonnes conditions, il s’en ira. Le foot comme ça, ce n’est pas son monde à lui. Je retiendrai toujours de Dufermont l’image de quelqu’un de bien, de quelqu’un de vrai. On le juge mal, on le critique parce qu’il est rarement à Mouscron. Mais c’est normal : un homme d’affaires de son niveau n’a pas que son club à gérer.

Carboni et Sanchez toucheront un pourcentage sur la revente de joueurs : ce n’est pas le système le plus sain !

On verra, c’est un coup de poker. La plus grosse erreur serait de ne plus faire confiance à l’équipe de la saison dernière car elle a quand même suffisamment fait ses preuves. Elle a sa place en D1 sans aucun problème. Je ne sais pas si on peut dire que ce système est malsain. L’important est qu’il soit bien géré et que les règles soient claires pour tout le monde, dès le départ. Maintenant, si j’avais été le président de l’Excel, je ne me serais pas aventuré dans une construction pareille. Enfin bon… j’ai déjà vu tellement de choses dans le foot que je ne sais pas s’il existe encore vraiment des règles !

 » La phase des doutes est dans mon dos depuis longtemps « 

Tu as quitté toi-même Charleroi, Tubize et Mouscron : es-tu vraiment sûr que ce job te plaît ?

Absolument. Pour le moment, ça me fait mal d’être inactif car j’estime que ma place est sur un banc. Je suis sûr que ce boulot me colle à la peau. Contrairement à ce que beaucoup de gens imaginent. Je viens même de décrocher le diplôme de l’Union belge : depuis le temps qu’on m’énervait avec ça…

Mais tu n’as pas toujours été accro à ce métier !

Non. C’est normal. Quand on n’arrête pas de te taper dessus, tu finis toi-même par douter. Dès que je débarquais quelque part, on attendait d’Enzo qu’il soit le nouveau Messie. Mais cette phase de doutes est dans mon dos depuis longtemps. On a dit que j’avais échoué à Charleroi et à Tubize. Maintenant, les mêmes personnes reconnaissent que j’ai fait du bon travail à Mouscron : ça fait plaisir. J’ai aussi gardé d’excellents contacts avec les trois patrons qui m’ont employé : Abbas Bayat, Raymond Langendries et Philippe Dufermont. C’est une autre satisfaction. Elle est énorme. Je suis fier aussi que, dans les trois clubs, j’aurais pu continuer si je l’avais souhaité.

Quand tu avais été exclu de la session de l’école des entraîneurs parce que tu avais brossé la plupart des cours, on avait dit que l’envie n’était vraiment pas là.

C’était un argument en plus pour ceux qui avaient toujours mis ma motivation en doute. Mais il faut replacer cela dans son contexte. Je venais de perdre mon frère dans un accident, je n’avais plus l’envie de rien. Plus la force d’entreprendre quoi que ce soit. C’est pour ça que j’ai tout arrêté. Puis, je me suis dit : -Mais qu’est-ce que je pourrais faire d’autre que du foot ? Alors, j’ai repris mon sac et je suis reparti au charbon. Aujourd’hui, je suis sûr d’une chose : j’ai bien progressé depuis mes débuts dans ce métier. Je te promets que s’il n’y a pas les problèmes financiers qui apparaissent en cours de saison à Mouscron, on termine dans le Top 5. On était dans une toute bonne dynamique, à la septième place à la trêve. Tout était fantastique, tout tournait bien, on avait même par moments le petit brin de chance qui peut faire basculer des matches de ton côté.

Finir deux fois 11e avec Mouscron dans des conditions extra-sportives pareilles, c’est encore plus beau qu’avoir terminé 12e avec Charleroi, non ?

A la limite, le classement de Mouscron n’avait aucune importance, la première année où j’ai coaché. J’étais arrivé en décembre, et tout ce qu’on me demandait, c’était de sauver le club en commençant sa reconstruction. Une 15e place aurait été considérée comme un succès. Normalement, il faut deux ou trois ans pour bâtir une équipe. On l’a fait beaucoup plus vite, en quelques mois. Après trois ou quatre semaines de collaboration, on commençait déjà à faire des résultats. Et après cinq journées dans le dernier championnat, on était carrément en tête. Chapeau aux gars qui ont continué à tout donner alors que tout allait aussi mal dans le club. Il y a parfois eu des étincelles, je me suis pris la tête avec quelques joueurs. C’était intenable par moments. Ils venaient me trouver pour avoir des nouvelles, ils contactaient la direction. J’ai toujours été honnête, je leur ai toujours dit tout ce que je savais. Je leur ai fait une promesse : -Je ne vous mentirai jamais. Et j’ai souvent tapé sur le même clou : je leur ai dit de continuer à jouer. Un jour, j’ai posé la question de confiance : -Y en a-t-il dans le vestiaire qui ne se sentent plus capables d’être bons ? Je les aurais compris. Mais tout le monde a continué à se battre. Des dirigeants d’autres clubs m’ont dit : -Mais comment font-ils pour continuer à jouer ? La preuve que mes joueurs étaient dans le bon, c’est qu’ils ont tous un club aujourd’hui : l’Excel ou une autre équipe.

par pierre danvoye – photos: reporters/guerdin

Je me suis pris la tête avec quelques joueurs. C’était intenable par moments. J’étais censé être informé sur tout mais je ne l’étais plus sur rien. Alors, la sauce a commencé à monter.

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