« Ma carrière est finie »

Son bilan brugeois le maintient hors de l’équipe d’Algérie pour le Mondial.Et ça le gonfle…

C£ur de Pirate joue peu avec Bruges mais se lâche toujours. Du Mohamed Dahmane (27 ans) pur jus. Il prévient dès les premiers mots :  » Une bonne interview choc pour que les gens sachent ce que je pense de ma situation… « 

Après ton but contre le Beerschot, tu dis à la RTBF :  » Mon entraîneur ne me fait pas confiance « . Pourquoi ?

Mohamed Dahmane : C’est la vérité. Ça fait des semaines que je refuse les interviews. Aujourd’hui, je sors un peu de ma galère et je fais le point. J’ai ramé. J’avais presque tout joué pendant la préparation. Mais je me suis blessé une semaine avant le championnat, au dos et au bassin. Quand je suis revenu à 100 %, l’équipe tournait et le coach ne comptait plus sur moi. Et on a transféré Dorge Kouemaha. Je n’ai fait que régresser : je rentrais d’abord en fin de match, puis je restais sur le banc, à la fin je n’étais même plus dans les 18. Il a finalement fallu quelques failles pour que je remette un peu les pieds dans l’équipe.

Tu as l’impression d’être vraiment revenu dans le parcours ?

Oui. Je me sens bien physiquement et toutes mes entrées ont été bonnes. J’ai été décisif contre Gand, j’ai fait des bonnes choses en Coupe de Belgique et en Coupe d’Europe, puis il y a eu ce beau but contre le Beerschot. J’ai montré au coach que j’étais là. On verra pour la suite. Je ferai le point en janvier.

C’est-à-dire ?

Il y a des joueurs qui se contentent du banc et de leur gros chèque. Pas moi. Je veux jouer et gagner. Je ne dis pas que je suis déjà prêt pour être un titulaire incontestable de Bruges mais je veux du temps de jeu. Et j’ai des objectifs à court terme : la CAN et la Coupe du Monde. J’ai encore rencontré des gens de la fédé algérienne cet été : ils m’ont confirmé que j’étais près de la sélection. Le staff de l’Algérie n’attend qu’une chose : que je joue chaque week-end. Dès que ce sera le cas, on m’appellera. Et je n’ai pas envie de passer à côté du Mondial. J’ai regardé le match de barrage contre l’Egypte avec mon pote Karim : j’ai pleuré. Les gens pensent : impossible, Dahmane ne peut pas pleurer. Mais c’était terrible comme émotion. Je suis né en France mais je me sens algérien à 3.000 %. Ce qui m’a sauvé quand j’ai connu des galères, ce n’est pas mon éducation française mais le sang qui coule dans mes veines. Je porte un brassard avec le drapeau de mon vrai pays à chaque match. L’Algérien est fier, il veut prouver que son peuple a su relever la tête alors que récemment encore, il vivait sur une terre sans avenir : terrorisme, privation de liberté, pas de tourisme, il n’avait rien. Tout a changé et il y a maintenant un futur.

Mais la Coupe du Monde est pour demain et tu n’as jamais été international !

J’ai joué avec les Espoirs. Etre en Première, c’est difficile quand on est blessé, quand on est dans un club de bas de classement comme Mons ou quand on n’est pas titulaire.

Je reviens à l’interview que tu donnes à la télé après le match contre le Beerschot…

C’est la vie. Je ne me prends plus la tête avec des trucs pareils. J’ai eu une carrière tellement chahutée. On m’a descendu combien de fois ? Maintenant, je sais aussi que ce qui m’est arrivé est en partie de ma faute. J’ai un franc-parler qui dérange. Je ne suis pas un suceur. C’est très bien : je resterai toujours moi-même. La télé me pose une question à propos de l’entraîneur, je réponds ce que je pense. Adrie Koster a tout entendu. Mon interview a été reprise dans des journaux mais il n’y avait rien de nouveau pour lui puisque j’avais déjà eu un entretien avec lui. Il sait aussi que je respecte ses choix : p–, tu peux prétendre à quoi quand les autres attaquants marquent ? J’ai été décisif presque chaque fois que je suis rentré mais ce n’est pas encore assez pour lui. C’est comme ça. Je reste calme. Tout le monde croit que je vais foutre la merde ou une bombe dans le vestiaire parce que je ne joue pas. Non !

Le départ de Jacky Mathijssen, ça a été un sale coup pour toi.

Oui. J’étais arrivé en janvier et j’avais fini la saison comme titulaire. Mais Mathijssen est parti parce que la sauce n’a pas voulu prendre. Des circonstances atténuantes, il en a plein. Il s’est passé beaucoup de choses en interne, il ressentait une pression énorme. Il y a des joueurs qui n’étaient pas à fond derrière lui, dont les objectifs personnels ne collaient pas avec ceux du Club : ces gars-là devraient se remettre en question. Il faut être honnête et arrêter de mettre tous les problèmes sur le dos de Mathijssen. Moi, j’ai côtoyé un coach qui n’avait rien à voir avec l’ancien entraîneur de Charleroi. Là-bas, on voyait un Mathijssen sans failles, costaud mentalement, toujours serein, en pleine confiance. Il était tout-puissant et ça se sentait. Ici, il a vécu des trucs qu’il pensait ne jamais connaître. Quand quelques joueurs commencent à prendre l’ascendant sur leur entraîneur, ce n’est jamais bon. J’ai connu ça à Mons. Je pourrais faire un parallèle entre Mathijssen et Thierry Pister. Aujourd’hui, quand je le vois sur le banc d’Ostende, c’est un autre homme. Il y avait plein de problèmes à Mons et il a payé. J’étais allé le trouver plusieurs fois pour le prévenir : tout ce que je lui avais dit s’est vérifié. Rudi Cossey avait juré que si Pister sautait, il partirait avec lui. Mais qui a remplacé Pister après son C4 ? Cossey… Quand tu fais un projet d’hommes, tu dois bosser avec des hommes. Pister était nickel quand il était adjoint de Philippe Saint-Jean. Il a changé dès qu’il est devenu T1. Il est tombé dans un traquenard. Dix fois au moins, je lui ai dit : -Tu dois faire attention à ça, à ça et à ça. Il ne m’a pas écouté. Il a préféré se fier à son adjoint… On a dit que Momo Dahmane avait eu la peau de Pister : désolé, je n’ai pas ce pouvoir. Quand Domenico Leone m’a questionné, je lui ai simplement dit que le coach avait perdu le contrôle. A partir du moment où un entraîneur n’ose plus entrer dans son vestiaire, il y a un gros problème.

 » Comment tu peux savoir si une voiture est capable de monter à du 200 km/h si tu ne la mets jamais sur une autoroute ? »

On revient à Bruges : tu ne t’es jamais dit que c’était peut-être trop haut pour toi ?

Qu’est-ce que j’aurais dû faire ? Entre Mons et Bruges, viser une étape intermédiaire, comme on dit ? Une belle connerie : ça me fait trop rire. Comment peut-on classer les footballeurs entre top, subtop, deuxième zone, etc ? Avant de juger quelqu’un, il faut lui donner une vraie chance de montrer ce qu’il a dans le ventre. Et peut-être le faire jouer à sa meilleure place. J’ai toujours joué comme deuxième attaquant ou un peu décalé sur la gauche. Ici, on me met à droite. Mais demande aux cadres du groupe ce que je vaux. Vadis et les autres, ils te diront tous que j’ai quelque chose. A l’entraînement, je prouve beaucoup plus que certains coéquipiers. Mais je n’ai pas encore un nom, c’est ça mon problème. J’aimerais bien recevoir ma chance comme d’autres la reçoivent. Mais je ne peux pas en vouloir aux autres attaquants : ils ne font que profiter de la situation. Moi, j’attends. Mais comment tu peux savoir si une voiture est capable de monter à du 200 km/h si tu ne la mets jamais sur une autoroute ?… Comment on peut me juger sans m’avoir vu ?

Je sens le discours d’un gars qui prépare son départ !

Quand tu ne reçois jamais la confiance de ton coach, tu réfléchis. Il faut trouver une solution.

Un prêt ?

Ce n’est jamais bon d’être prêté car tu as une pression terrible. De la part du club auquel tu es prêté parce que tu es censé lui apporter directement le plus dont il a besoin. Et de la part de ton propre club car tu sais qu’il te surveille chaque semaine, histoire de savoir si tu mérites de revenir la saison suivante. De toute façon, Bruges n’accepterait pas de me louer à une équipe belge : Luc Devroe m’a déjà dit que c’était exclu.

Si tu pars cet hiver, ce sera sur un constat d’échec ?

Je sais pourquoi je ne joue pas. Et les raisons ne sont pas footballistiques. Si on ne tenait compte que du foot, je serais titulaire à Bruges : sûr et certain. Je ne suis pas prétentieux, c’est un constat. Je n’ai rien à envier aux attaquants qui jouent chaque semaine. Ou juste une chose : le crédit qu’on leur donne. Je n’en dis pas plus. Je déballerai tout quand je serai parti. Tout le monde sera surpris.

C’est ta relation avec l’entraîneur qui est en cause ?

C’est une des explications. Il y en a d’autres, c’est un tout.

 » Je parle anglais avec le coach. Mon anglais ressemble à celui de Mister Bean « 

Comment peux-tu communiquer efficacement avec Koster ? Il ne parle pas français, tu ne parles pas néerlandais ?

On communique en anglais. Même si mon anglais ressemble à celui de Mister Bean… (Il se marre).

Il ne t’a rien dit quand tu as pris une carte jaune pour avoir enlevé ton maillot après avoir marqué contre le Beerschot ? C’est ridicule, surtout quand on cherche du temps de jeu !

On ne va pas se plaindre, pour une fois que l’Union belge a pris une bonne décision : maintenant, on n’est plus suspendu après trois cartes jaunes, il en faut cinq. Vu la confiance que j’ai du coach, il me faudra deux saisons pour arriver à cinq… (Il rigole).

Sur ton T-shirt, il y avait un message en arabe.

Oui : Merci Dieu. Parce que c’est le seul qui est là quand tout va très mal. Dans la vie, je suis soutenu par mes amis et ma famille. Mais sur le terrain, ils ne peuvent pas être près de moi. Le seul qui a la possibilité de m’assister, c’est Dieu.

On a dit que tu avais brossé un match de Réserve ! Explique.

C’était un problème de communication. J’avais dit à Luc Devroe que je ne pourrais pas jouer ce match-là parce qu’il tombait le jour de la fin du ramadan. C’est aussi important pour moi que Noël pour un catholique. Devroe m’avait donné son accord mais l’info n’est pas remontée jusqu’à Koster. Il m’a sanctionné, je n’ai pas voulu faire d’histoires et je n’ai pas été repris le week-end suivant.

Le point positif, c’est que tu es moins souvent sanctionné que Nabil Dirar…

Oui, Dirar… le meilleur footballeur du championnat. Le meilleur joueur que j’ai jamais croisé en Belgique. Il me rappelle le Cristiano Ronaldo des premières années à Manchester : lui non plus ne parvenait pas à lâcher son ballon. Dirar peut faire la même carrière que Ronaldo. La star de Bruges, c’est évidemment lui. Mais à côté de son football, il y a ses manquements. Quand il parle à la presse, il utilise des termes secs et ça passe mal. Tout le monde le voit comme une tache ! Alors que c’est un gars extraordinaire. Mais parfois maladroit dans sa com’. Quand il est revenu du Maroc, il ne s’est pas présenté à l’entraînement du lendemain et il a dit au coach qu’il était fatigué. Tout était faux. Mais il n’a pas osé dire la vérité : comme d’habitude, il s’était démené pour aider sa mère.

Dirar et Dahmane sont les bad boys ou les incompris du Club ?

Dirar est un incompris. Moi, apparemment, je suis un bad boy. J’ai cette étiquette, je l’assume. Un journal flamand vient de me mettre dans l’équipe type des bad boys du foot belge : très bien, pour une fois, je suis titulaire ! Mon exemple, c’est Eric Cantona. Je dis tout et je ne passerai jamais en dessous d’une table pour jouer. C’est peut-être ce qui a détruit ma carrière. Elle est finie !

Pardon ?

Oui, finie. Ce n’est pas mon monde. Je n’ai jamais été un vrai footballeur professionnel.

 » A quoi ça me servirait de m’impliquer dans un milieu dont on peut se faire jeter comme un chien ? »

Qu’est-ce qu’il t’a manqué pour l’être ?

Le faux-jetonisme. Je pense que le mot existe. Vérifie quand même parce que j’ai été à l’université, j’ai un Deug en espagnol, et je ne voudrais pas passer pour un gars qui invente des mots… Je suis heureux d’être à Bruges, mais si j’avais eu cette hypocrisie, je serais bien plus haut. Je ne pourrai jamais dire que j’ai eu une carrière pro. Parce que je ne vis pas ma vie comme un pro. Pour moi, le football n’est pas prioritaire. Quand je vois des gars qui ont un oreiller avec un ballon dessus et regardent des DVD de Ronaldinho du matin au soir en espérant pouvoir l’imiter, ça me fait rire. Tous ces gars qui ont leur petit plan de carrière : tu tapes dans un ballon quand tu es gosse, puis tu regardes la Ligue des Champions ou la Coupe du Monde en rêvant d’y être un jour, tu prends une grosse gifle et tu recules de quelques cases, tu te dis que ce serait déjà bien de gagner une Coupe de Belgique ou de finir meilleur buteur, tu commences à avoir l’obsession de mettre ta famille à l’abri, tu es chaque jour un peu plus persuadé que le foot est toute ta vie. Mais le jour où tu n’avances plus, tu fais quoi ? Tu t’achètes une corde ? Je connais bien le milieu et je ne peux pas te dire que je suis en pleine extase. Je ne suis pas en osmose avec ce petit monde. A quoi ça me servirait de m’impliquer dans un milieu dont on peut à tout moment se faire jeter comme un chien ? Et il faut arrêter de croire tous ces types qui disent qu’ils jouent parce qu’ils adorent l’odeur du gazon. Non, ils jouent pour le fric. Moi, je sais qu’un jour, de l’argent, je n’en aurai plus. Je retournerai alors à mes racines et ce sera très bien comme ça.

Tu termineras vraiment sans argent ?

Et alors ? Je serais le seul ? On est tous des êtres humains. On finira tous entre quatre planches et personne n’emmènera son magot au cimetière. Mais je constate que des anciens bons joueurs, quelques années après la fin de leur carrière, viennent frapper à la fenêtre d’un club où ils ont joué pour avoir un petit boulot. Ça me désole quand je croise dans des discothèques des pros qui se la pètent et font les kings en commandant des bouteilles à 1.000 euros alors qu’ils n’en gagnent que 8.000 par mois, et encore, je suis gentil. N’importe quoi.

Par Pierre Danvoye – Photos: Reporters

Tout le monde croit que je vais foutre la merde ou une bombe dans le vestiaire parce que je ne joue pas. Non !

Dès que je suis titulaire à Bruges, l’Algérie m’appelle et je pars à la Coupe du Monde.

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