» MA CARRIÈRE COMMENCE « 

Le gardien corse a un sacré talent mais aussi un sacré caractère. A-t-il parfois été incompris ?

On est le samedi 10 décembre. Lors du match de championnat contre Beveren, qui se passe mal pour l’Excelsior Mouscron, le gardien Patrice Luzi (25 ans) entend des sifflets émanant des supporters hurlus et a une réaction malheureuse (peut-être exagérée) envers eux. Il sera sanctionné par ses dirigeants, et Christophe Martin, éternel numéro 2 depuis qu’il a rejoint le Canonnier, recevra l’occasion de prouver, l’espace de quelques matches, qu’on pouvait également lui faire confiance. Il ne déméritera pas.

Mercredi 25 janvier : Luzi, qui a récupéré sa place dans le but, retrouve Beveren pour le quart de finale aller de la Coupe de Belgique. Il livre le match parfait, préservant ses filets inviolés au prix de plusieurs arrêts décisifs. Un nouvel entraîneur est arrivé, le passé est effacé et chacun recommence avec un casier vierge. Le gardien corse est bien décidé à faire parler de lui uniquement par ses prestations sur le terrain. Pourtant, lorsqu’il évoque ses six premiers mois dans les buts de l’Excel, il semble soulagé à l’idée d’évacuer ce qu’il a sur le c£ur et de dissiper certains malentendus.

Paul Put a fait certaines constatations qui vous concernent au premier chef. Il estime, par exemple, que la défense manque de taille et que la meilleure solution est, dès lors, de s’en remettre au gardien. Qu’en pensez-vous ?

PatriceLuzi : Si le nouvel entraîneur estime que j’ai un rôle important à jouer, tant mieux. De toute façon, réguler le trafic aérien, c’est mon point fort. Mais je ne pense pas que le manque de taille des défenseurs constitue un problème. Si l’on prend l’exemple de Geoffrey Toyes – NDLA : 1m76 -, on constate qu’il possède une très bonne détente et un excellent timing. Il est capable de prendre le dessus sur des adversaires beaucoup plus grands que lui. Je ne trouve pas, personnellement, qu’on souffre particulièrement sur les phases arrêtées.

Autre constatation faite par Paul Put : votre équipe prend beaucoup de buts sur les rebonds, conséquence d’un manque de réaction ou de coordination entre les lignes…

On a, effectivement, tendance à se reposer un peu trop les uns sur les autres, au lieu de réagir et d’anticiper sur le fait que le gardien pourrait éventuellement relâcher le ballon. On doit se rendre compte que, même avec de bons joueurs, un mauvais contrôle ou une mauvaise prise de balle peuvent arriver.

 » On devient plus réalistes  »

Enfin, troisième constatation : la défense a parfois tendance à paniquer.

Il y a parfois l’un ou l’autre moment de panique, certes, mais depuis la reprise, je constate surtout que, pour la première fois cette saison, on n’hésite plus à dégager pour se donner de l’air lorsqu’on est sous pression. Lorsqu’on joue contre une bonne équipe et qu’on est acculé devant notre but, il faut parfois pouvoir parer au plus pressé. Durant le premier tour, on a souvent manqué de réalisme. On partait à l’aventure, sans trop réfléchir. Car, dites : lorsqu’on perd 3-0, qu’on est réduit à dix ou à neuf et qu’il reste un quart d’heure à jouer, combien de chances croyez-vous qu’on ait encore d’égaliser ? Tout ce qu’on risque, en tentant le tout pour le tout, c’est d’encaisser un ou deux buts supplémentaires. Et c’est, malheureusement, ce qui s’est parfois passé.

Estimez-vous cependant, compte tenu de ces constatations, qu’à Mouscron le rôle du gardien est plus important qu’ailleurs ?

Le rôle du gardien est important dans toutes les équipes. Et, en règle générale, chaque gardien se fixe son propre rôle, en fonction de son caractère. Personnellement, j’aime être décisif. Je sors, je vais de l’avant. A mes yeux, il n’est même pas nécessaire de toucher le ballon pour réaliser un arrêt. Si, par une sortie ou un bon positionnement, je perturbe l’attaquant adverse et je le force à tirer à côté, j’ai aussi évité un but. En règle générale, j’essaie cependant de capter tous les ballons qui traversent mon rectangle.

Est-ce une facette du jeu que vous avez apprise en Angleterre ?

Non, j’ai toujours joué de cette manière. En Angleterre, j’ai été mis à rude épreuve au niveau des contacts, mais je ne pense pas avoir adopté un style anglais. Je trouve que les gardiens anglais ont plutôt tendance à rester sur leur ligne. Sur les phases arrêtées, la densité de joueurs dans le rectangle est telle que les sorties s’avèrent beaucoup plus risquées là-bas qu’en France ou en Belgique. Pourtant, quels qu’étaient les risques auxquels je m’exposais, j’essayais de sortir le plus souvent possible. Comme je continue à le faire aujourd’hui.

Cela vous a souvent réussi… sauf à Genk, où vous n’avez pas pu capter le ballon et où Mouscron a perdu 1-0.

Une faute évidente avait été commise sur ma personne : l’attaquant m’avait pris le bras, je ne pouvais pas capter le ballon. Je me trouvais dans la situation d’un basketteur auquel on aurait demandé d’attraper le ballon avec une main. L’arbitre n’a pas vu la faute, cela arrive. Il y a toujours des petits malins parmi les attaquants. De toute façon, lorsqu’un gardien sort, il ne peut pas connaître un taux de réussite de 100 %. Depuis quelques semaines, j’essaie toutefois de me montrer plus raisonnable dans mes sorties. Je ne me lance plus à corps perdu, alors qu’il y a quelques mois, mon envie de capter le ballon était tellement grande que je ne reculais devant rien. Je voulais venir au secours de mes partenaires en difficultés et, finalement, ce comportement s’est retourné contre moi. Tout le monde s’en est sorti, sauf moi.

 » J’ai été le seul écarté  »

Que voulez-vous dire ?

C’est clair, je pense : il n’y a que moi qui ai été écarté ! J’étais titulaire et j’ai été relégué au rang de deuxième, puis de troisième gardien. Aujourd’hui, je retrouve ma place et j’essaie de tirer les leçons de ce qui s’est passé. Je veux devenir meilleur qu’avant et ne plus commettre les mêmes erreurs.

Votre premier tour a pourtant été bon ?

Si c’est votre avis, tant mieux. Personnellement, je ne veux pas être un gardien moyen. Je ne peux que monter, puisque je suis au plus bas pour l’instant.

N’exagérez pas…

Je n’exagère pas. J’ai livré un premier tour normal, sans plus. Je considère que c’était une période de rodage.

Avez-vous souvent ressenti de la frustration durant le premier tour ?

Ces six premiers mois à Mouscron furent les pires de ma carrière. Je n’avais jamais pris autant de buts. Cela me fait une belle jambe d’entendre que j’ai bien joué, si j’ai dû me retourner une, deux ou trois fois. Pour l’équipe, il est préférable de gagner 6-5. Mais, d’un point de vue personnel, je suis plus satisfait après un 0-0. Le match idéal, pour un gardien, c’est celui durant lequel il ne prend pas de but.

 » On a beaucoup parlé pour ne rien dire  »

Aujourd’hui, avec l’arrivée d’un nouvel entraîneur, chacun est replacé sur un pied d’égalité. De votre côté, avez-vous l’impression de repartir de zéro ?

Personnellement, j’étais déjà décidé à repartir de zéro et à écrire la suite de l’histoire sur une page blanche bien avant l’arrivée du nouvel entraîneur. Ce qui s’est passé m’a servi, et me servira encore, d’un point de vue personnel et dans mon jeu. Je me suis fait beaucoup engueuler. Pas au club, mais dans mon entourage. Par ma famille et mes amis. Cela m’a ouvert les yeux. J’ai su réagir vite et positivement. J’ai tourné la page dès le lendemain de ce qui s’est passé ici.

Et que s’est-il passé exactement ?

Lors du match de championnat contre Beveren, les supporters ont sifflé dans mon dos. Je me suis retourné et j’ai applaudi. C’est tout. Cela a été mal interprété, car en ce qui me concerne, cela partait d’une bonne intention : je voulais simplement faire comprendre aux supporters que s’ils voulaient que l’équipe redresse la situation, ils devaient l’encourager. Certains ont insinué que j’avais fait un doigt d’honneur. Cela n’apparaît nulle part sur les images de la télévision…

Le comportement des supporters mouscronnois, que l’on vous avait présenté comme les meilleurs de Belgique, vous aurait déçu.

Lorsque j’ai signé pour Mouscron, on m’a effectivement affirmé que l’Excelsior disposait d’un super public. Aujourd’hui, je le confirme : ce sont des supporters extraordinaires. Ils ne sont pas les plus nombreux du pays, mais ce sont des gens sincères, qui m’ont très bien accueilli… jusqu’à cet incident. C’est oublié : la semaine dernière, ils ont applaudi et scandé mon nom. De mon côté, j’ai été content d’aller les applaudir à mon tour et de les remercier. Je crois que ce qui s’est passé m’a rapproché d’eux.

Vous avez été sanctionné par le club pour votre geste. Estimez-vous la sanction justifiée ?

Je n’ai pas à l’estimer justifiée ou pas. Les dirigeants ont jugé qu’il fallait me sanctionner, ils l’ont fait, point à la ligne. J’ai respecté leur décision.

 » Quoi qu’on en dise, je suis sociable  »

Certains ont stigmatisé votre caractère…

Je suis hargneux, mais je pense avoir réussi à canaliser cette hargne. Je me réfugie dans le travail et dans la concentration, plus que dans d’autres domaines, plus futiles, où je pourrais perdre de l’énergie inutilement.

D’où une réputation de solitaire, peut-être trop replié sur lui-même ?

Un gardien de but est souvent solitaire. J’ai lu certaines déclarations à propos de mon comportement. Dans un groupe qui vit, il y a parfois des tensions. Personnellement, je n’ai jamais tenu des propos négatifs dans la presse à propos de l’un de mes coéquipiers. Je suis là pour jouer au football et je pense, quoi qu’on en dise, être quelqu’un de sociable. Lorsque certains coéquipiers ont eu besoin d’équipements, je leur ai spontanément proposé de s’approvisionner chez mon sponsor. Sur le terrain, j’essaie de donner le maximum et c’est le coach qui décide qui joue. Si je suis choisi comme numéro un ou comme numéro 2, je n’y peux rien. Je suis gardien de but depuis huit ans et je n’ai jamais eu de problèmes avec l’un de mes collègues, fût-il concurrent. Je ne vois pas pourquoi je devrais en avoir aujourd’hui.

Dans l’ensemble, comment avez-vous vécu ce mois de décembre 2005 ?

Cela n’a pas été facile à vivre. Après le dernier match de 2005, que Christophe Martin a joué comme titulaire, je suis parti en vacances sans savoir si je redeviendrais le numéro un en 2006. C’est seulement le jour du match à Lokeren que j’ai appris que je prendrais place entre les perches. Pour autant, je n’étais pas encore assuré de rejouer quatre jours plus tard, contre Beveren. Cela ne me dérange pas : un sportif doit pouvoir se remettre en question. Encore une fois, certaines personnes ont beaucoup trop parlé en méconnaissance de cause. J’ai lu que je voulais quitter le club. Je n’ai jamais rien déclaré en ce sens. Je suis un homme entier et j’ai un caractère impulsif, mais je n’ai jamais eu de pensées négatives. Je suis toujours prêt à défendre le club, et si demain, il faut plonger tête la première là où certains hésiteraient à mettre le pied pour sauver un point, je le ferai. Je considère que ma carrière débute maintenant. Je n’ai pas 300 matches de D1 derrière moi. J’ai fait mes armes en CFA (Championnat de France Amateur), j’ai joué quelques matches en coupe et une poignée en D1, mais c’est tout. J’ai choisi d’emprunter un chemin inverse à celui de la plupart des joueurs actuels. Les clubs lancent désormais les jeunes joueurs très tôt en D1, et ceux-ci ont déjà 200 matches de D1 dans les jambes à 22 ou 23 ans. Personnellement, j’ai préféré travailler avec les plus grands, dans des clubs où je savais que j’avais peu de chances de jouer, pour pouvoir apprendre le maximum au contact des joueurs et des entraîneurs que je côtoyais. Je m’étais fixé l’âge de 24 ou 25 ans pour commencer à jouer. Lorsque j’ai quitté Liverpool, je n’ai cherché ni le club le plus prestigieux, ni le meilleur contrat. Ce qui m’importait, c’était de jouer en D1. Lorsque j’ai discuté avec Mouscron, j’ai senti que ce club était prêt à me faire confiance et j’ai signé. Aujourd’hui, je veux le remercier de cette confiance.

 » Par rapport à mon potentiel, on n’a encore rien vu  »

Comment jugez-vous vos six premiers mois dans la cité des Hurlus ?

Je joue, c’est un point positif. Et je ne livre pas de mauvaises prestations, à mon humble avis. Mais, par rapport à mon potentiel, on n’a encore rien vu. Je suis encore loin, très loin, de mon niveau maximum. Cela viendra. Et, je l’espère, déjà au cours des six prochains mois. J’espère pouvoir apporter 10 ou 12 points par saison au club.

Votre ambition, c’est de jouer un jour comme titulaire dans l’un des plus grands clubs européens ?

C’est effectivement mon ambition, et je le clame déjà aujourd’hui : je jouerai un jour comme titulaire dans l’un des plus grands clubs européens ! Je ne suis pas prétentieux : aller le plus haut possible, c’est l’ambition de tout sportif qui se respecte. J’ai déjà connu Liverpool de l’intérieur. Il ne faut pas croire que les joueurs qui jouent là-bas sont des surhommes. J’ai vu, en Belgique, de très bons joueurs qui pourraient jouer dans de très grands clubs. Du rêve à la réalité, il n’y a qu’un pas. Si, déjà, on n’y croit pas au départ, on n’a aucune chance de réussir. Il faut travailler, savoir qu’on peut toujours s’améliorer quel que soit le niveau que l’on a déjà atteint, et bénéficier du petit brin de chance indispensable.

Mouscron peut-il constituer un bon tremplin ?

Je n’aime pas le mot tremplin. Je n’oublie pas qu’après tous les clubs que j’ai fréquentés pour m’aguerrir, Mouscron est celui qui m’a accordé une véritable chance. Je ne suis pas un ingrat. Pour l’instant, ma vie est ici et je ne pense pas à ce qui se passera dans un an ou dans deux ans. Cela dit, si demain le Milan AC proposait un contrat à un joueur de Mouscron, quel qu’il soit, je n’en connais aucun qui refuserait. Moi non plus, forcément. Mais je n’en suis pas là, et actuellement, seul l’Excelsior accapare mes pensées.

DANIEL DEVOS

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