Ludo BOUM

L’Anderlechtois est décédé il y a 25 ans suite à un accident de voiture. Trois ans plus tôt, c’est grâce à un de ses obus des 35 mètres que les Diables Rouges prirent une option sur les huitièmes de finale du Mundial en Espagne.

Ils ne courent pas les rues les footballeurs qui peuvent se targuer d’avoir vu l’un ou l’autre de leurs buts passer à la postérité. Arraché trop tôt à notre affection, Ludo Coeck (mort à 30 ans…) était de ceux-là. Pendant des années, le goal décisif qu’il inscrivit des 35 mètres au gardien de la République Démocratique Allemande Bodo Rudwaleit (2-1, 27 avril 1983, stade du Heysel, éliminatoires de l’EURO 84) figura au générique de l’émission Sportweekend sur la VRT.

L’élégant médian anderlechtois n’en était pas à son coup d’essai en sélection. Neuf mois plus tôt, dans le cadre de la phase finale de la Coupe du Monde 82, il avait atomisé de manière en tous points similaire le portier salvadorien Luis Mora. Une réalisation qui valait son pesant d’or car elle nous offrait à la fois la victoire et la perspective d’accéder au deuxième tour de l’épreuve, un honneur auquel la Belgique n’avait encore jamais goûté.

Nos représentants avaient fait fort lors de leur entrée en matière dans cette compétition, en l’emportant 1 à 0, contre toute attente, face aux champions en titre argentins, emmenés par Diego Maradona. Coeck s’était déjà signalé ce jour-là, à l’image de ses compères dans l’entrejeu, en mettant complètement le Pibe de Oro sous l’éteignoir.

 » Pour les besoins de ce match d’ouverture, le coach fédéral, Guy Thys, avait choisi de pratiquer un marquage en zone en lieu et place d’un marquage individuel sur lui « , observe Guy Vandersmissen.  » J’étais chargé de le museler sur le flanc droit, Jan Ceulemans devait faire de même dans l’axe et Frankie Vercauteren à gauche. Dès l’instant où Maradona prenait le meilleur sur l’un d’entre nous, le coéquipier le plus proche venait à la rescousse. Et si Diego parvenait à se faufiler, malgré tout, il était automatiquement pris en charge par Ludo Coeck, pare-chocs devant la défense. D’un bout à l’autre de la partie, le maître à jouer des Argentins n’est jamais parvenu à s’extirper de cette toile d’araignée. Sous l’angle tactique, ce match était un véritable chef-d’£uvre. L’entraîneur l’a toujours considéré comme LA référence absolue. Mais s’il avait concocté son plan de maîtresse manière, ce sont bien évidemment les joueurs qui l’exécutèrent et, de ce point de vue-là, Ludo se révéla le prolongement du sélectionneur sur le terrain. Qui dit Belgique-Argentine songe souvent, a priori, au but victorieux paraphé par Erwin Vandenbergh sur un centre-banane de Vercauteren. Mais le grand architecte, ce jour-là, c’était ni plus ni moins Ludo. Si son nom a été repris après coup dans le onze-type du Mundial, c’est pour sa prestation face aux Argentins. Suivie, évidemment, de ce but d’anthologie qu’il marqua ensuite contre le Salvador sur une de ces fusées dont il avait le secret.  »

La frappe la plus puissante d’Europe

 » Ce deuxième match de poule, contre les joueurs d’Amérique Centrale, était, sur le papier, le plus facile « , dit Alex Czerniatynski, artisan de la qualification des Diables Rouges pour les huitièmes de finale suite à son but égalisateur (1-1) contre la Hongrie.  » Alors que nous avions donné la réplique à l’Argentine en guise d’entrée, les Salvadoriens s’étaient fait laminer 10-1 par les Magyars. Inutile de préciser que l’épreuve était déjà terminée pour eux. Avec deux matches en perspective, contre nous puis face aux Argentins, ils se doutaient qu’ils ne grappilleraient pas grand-chose. D’autant plus que la bande à Maradona, suite à sa défaite face à nous, avait besoin de deux victoires contre la Hongrie et le Salvador pour arracher son passe-droit pour le tour suivant. Les Salvadoriens, naïfs devant les Magyars, furent nettement plus rigoureux contre nous. Indirectement, ils avaient sans doute été motivés par Guy Thys. Interrogé sur leur revers cinglant, notre coach avait déclaré à la presse belge que le Salvador n’était pas à sa place à la Coupe du Monde. Ses propos furent repris par les medias espagnols et lus ensuite par nos adversaires. Il en résulta un match pourri, avec des Salvadoriens arc-boutés à neuf devant leur but. Seul JorgeGonzalez restait seul en pointe. Erwin Vandenbergh et moi en avions plein les pieds avec nos vis-à-vis respectifs, Francisco Cruz et Jaime Rodriguez, qui sortaient régulièrement la faucheuse. Il était quasiment impossible de franchir cette muraille. Notre salut devait obligatoirement venir d’un envoi lointain. Et c’est Ludo qui s’en chargea avec un obus de la deuxième ligne qui laissa le gardien sans réactions.  »

 » Coeck est le joueur au tir le plus meurtrier que j’aie jamais connu dans ma carrière « , précise Jacky Munaron, doublure de Jean-Marie Pfaff lors de ce Mundial et coéquipier de l’Anversois pendant une bonne dizaine de saisons au Parc Astrid.  » A l’époque, j’étais franchement exposé à du lourd au Sporting avec ce gaucher à la frappe de mule et Arie Haan qui était à peu de choses près son homologue, du pied droit. Le Néerlandais avait une frappe rectiligne alors que l’autre expédiait toujours des ballons flottants. Ludo avait la particularité de chausser des boots de pointure différente : du 41 à gauche et du 43 à droite. Il enveloppait parfaitement le cuir, tout en lui imprimant de l’effet en fin de toucher. C’était quasiment impossible d’effectuer un arrêt en un temps. Etant donné que la balle changeait de trajectoire in extremis, il fallait s’y prendre à deux reprises pour la maîtriser. Et encore, ce n’était pas évident… Plus il frappait de loin, plus il était dangereux. D’ailleurs, son tir a été mesuré un jour à 118,7 km/h, ce qui faisait de lui le joueur à la frappe la plus puissante d’Europe devant le portier du PSV, Jan van Beveren et Peter Lorimer, l’avant écossais du grand Leeds United de jadis. Ce qui n’est pas peu dire « .

Surnommé la momie

 » Au moment d’entamer la deuxième mi-temps de ce match contre les Salvadoriens, j’étais monté au jeu à la place de Guy Vandersmissen « , se rappelle François Vander Elst, alors sociétaire de West Ham Utd et ex-partenaire de Coeck au RSCA dans les années 70.  » Je ne devais pas jouer comme attaquant supplémentaire mais surtout neutraliser le véloce ailier gauche Jorge Gonzalez, véritable poison pour notre défense. Le mot d’ordre de Thys avait été clair au repos : puisque l’adversaire refusait tout simplement le combat en se retranchant loin dans son camp, il ne s’agissait pas de tomber dans son piège et de se faire surprendre sur un contre. Nous avons donc géré le match calmement, sans plus vraiment inquiéter leur gardien. De notre côté, il n’y eut plus le moindre danger non plus car le fameux Speedy Gonzalez fut mis complètement sous l’éteignoir. Au terme des 90 minutes, mon premier souci fut de remercier Ludo pour la précieuse victoire qu’il venait de nous offrir grâce à son shoot supersonique. Je lui fis remarquer qu’on allait l’appeler Ludo Boum à l’avenir.  » J’ai marqué grâce à mes chaussures « lança-t-il en guise de boutade. Il faisait allusion à une scène qui s’était déroulée avant notre match contre l’Argentine, six jours plus tôt. A notre arrivée au Camp Nou de Barcelone, où était programmé notre affrontement, il s’était subitement rendu compte en vidant son sac qu’il avait laissé ses chaussures de foot à l’hôtel. Un motard dut retourner sur-le-champ à l’endroit où nous avions logé dans la périphérie pour aller les récupérer. Ce n’est qu’à un quart d’heure du coup d’envoi qu’il entra en possession de ses chaussures. Il avait à peine eu le temps de les mettre que l’équipe était déjà appelée sur le terrain. Malgré ce souci, il n’avait pas perdu son légendaire entrain. A un moment donné, Maurice Deschrijver avait demandé si quelqu’un pouvait lui prêter une clé pour resserrer ses crampons. Ludo s’était exécuté en faisant remarquer au joueur de Lokeren qu’il contrôlait toujours son sac avant de partir. De quoi susciter l’hilarité générale « .

 » Comme d’hab, Ludo sortait dernier du vestiaire après les matches « , souligne Erwin Vandenbergh.  » C’était dû à la fois à sa coquetterie, car il prenait toujours le temps de se doucher, de s’habiller et de se coiffer surtout, mais aussi parce qu’il lui fallait du temps pour ôter tous ses bandages qui entouraient ses chevilles très fragiles. Il s’est fait un nombre incroyable d’entorses au long de sa carrière et avait d’ailleurs subi plusieurs interventions chirurgicales. Avant un match, c’était à chaque fois la même rengaine : il fallait que le kiné lui place un tape des plus rigides, de manière à bloquer tout à fait ses chevilles. On l’appelait la momie. Je me suis souvent demandé comment il parvenait à jouer dans ces conditions. Car sa mobilité était réduite. De plus, il se présentait souvent sur un terrain avec des chaussures de rugby et non de football. Celles-ci avaient en effet un contrefort plus haut, de quoi protéger encore un peu plus ses articulations. Malgré cela, je n’ai jamais entendu Ludo Coeck se plaindre. Que du contraire, son rire communicatif ne l’a jamais quitté. Il avait une proie facile aussi en Juan Lozano, avec qui il faisait la route quotidiennement entre Anvers et Bruxelles. Je me rappellerai à jamais qu’avant la finale de la Coupe de l’UEFA 1983 au Heysel, face à Benfica, le Roi Baudouin était monté sur le terrain pour se faire présenter les deux formations. L’Andalou, qui se trouvait à côté de son compagnon de route, lui demanda en quels termes il devait s’adresser à notre souverain. Ludo lui répondit : – Il faut l’appeler Sire. Si t’as un trou de mémoire, tu n’as qu’à songer au mot cidre et le tour est joué. Eh bien, quand Sa Majesté le Roi serra la main de Juan, celui-ci lui dit évidemment : Bonsoir Cidre. Ces mots-là ont souvent fait le tour du vestiaire après coup. Et Ludo n’était jamais le dernier à en rire… « l

par bruno govers

« Coeck est le joueur au tir le plus meurtrier que j’aie jamais connu. » (Jacky Munaron)

« Il se présentait souvent sur un terrain avec des chaussures de rugby. » (Erwin Vandenbergh)

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