« Lucien D’Onofrio doit tenir parole »

C’est chez lui, à Liège, en présence de sa femme, Marlène, et de leur fils, Dieumerci junior, que l’attaquant congolais a fait le point sur son désir de quitter Sclessin.

Durant deux saisons, Sclessin a ressemblé à une bonne boulangerie artisanale où les clients appréciaient le chant des pains au sortir des fours à bois. Dieumerci Mbokani était le levain d’une recette égarée en 2009-2010. La vedette noire du Standard est probablement le meilleur attaquant africain ayant jamais évolué en Belgique. Ses équipiers et ses adversaires le qualifient de  » monstre de talent « . Luciano D’Onofrio a toujours estimé qu’il est  » capable de jouer dans tous les grands clubs européens « .

Le principal intéressé est lié à son club actuel jusqu’en 2014 mais estime qu’il a suffisamment fait le tour du propriétaire. Mbokani a participé à la construction d’un Standard, celui des deux titres, et accorde désormais la priorité à son plan de carrière. Il nourrit des rêves et des ambitions qui éloignent son regard de la D1 belge…

Mais Dieumerci ne veut pas s’en aller en claquant la porte.  » Non, je laisserai des amis ici « , lance-t-il.  » Le Standard m’a tant apporté, je ne le nierai jamais, mais, de mon côté, je n’ai pas été un ingrat. J’ai beaucoup rendu. La saison passée, Luciano D’Onofrio m’a donné sa parole. Je sais qu’il la respectera…  » La perle congolaise a changé. Chez lui, à deux pas de la Place Saint-Lambert, il est cool. On est loin de l’image de joueur replié sur lui-même. La maturité a accompli son £uvre. Dieumerci est aux petits soins pour sa femme et leur fils. Cette vie de famille a donné une autre dimension à un homme dont on ne connaît pas toutes les facettes. Cet été, à Kinshasa, sa fondation a payé les frais d’accouchement de 17 femmes plongées dans la plus désolante des pauvretés. Cela aussi, c’est Mbokani.

La parole de Luciano D’Onofrio, c’était quoi ?

Dieumerci Mbokani : Ce n’est pas bien compliqué ou secret. La saison passée, Stuttgart avait vendu Mario Gomez au Bayern Munich. Ce club avait des liquidités et était prêt à offrir 15 millions au Standard pour mon transfert. C’était beaucoup d’argent pour le club et, pour moi, c’était un grand pas en avant. Je pouvais découvrir la Bundesliga. J’ai connu de grandes soirées européennes avec le Standard et c’était bien mais Stuttgart, c’est un ton au-dessus. D’Onofrio ne voulait pas me lâcher. Il avait ses impératifs mais m’a bien dit, pour cette saison, qu’il m’aiderait et ne me bloquerait pas en cas d’offre valable de l’étranger. Je ne veux pas rester et il se souviendra de ce qui avait été convenu entre nous. D’Onofrio avait besoin de moi ; maintenant, j’ai besoin de lui, de sa parole.

Avez-vous des préférences ?

Oui, je songe surtout à l’Angleterre et à l’Allemagne. Mon agent, Fabio Baglio, a des contacts intéressants. Il suit ces dossiers avec la plus grande attention. La Coupe du Monde vient de se terminer et le marché des transferts ne va pas tarder à s’animer. Les offres vont se concrétiser.

Savez-vous que D’Onofrio estime que vous pourriez même tenir votre place au Real Madrid ?

Je l’ai lu ou entendu.

 » Je suis prêt pour vivre autre chose « 

Et cela signifie forcément qu’il estime que vous valez plus de 15 millions et qu’il dégagera lui aussi des pistes intéressantes pour vous ?

Baglio sera à l’écoute et optera pour la solution qui conviendra à tout le monde. Mon agent estime qu’une étape intermédiaire sera peut-être indiquée avant d’atteindre le top. On verra mais je ne crains aucune possibilité. Je suis prêt à vivre autre chose. J’ai déjà fait mes preuves, il me semble…

Avant que Jovanovic ne signe à Liverpool, D’Onofrio lui proposa l’AC Milan : voulez-vous parier qu’il sortira un lapin de son chapeau ?

C’est possible. Il défend les intérêts du Standard. Je ne parle pas italien mais mon agent oui. Pour le moment, je penche quand même pour la Premier League. Et ma femme s’exprime bien en anglais.

Ne dit-on pas que Roy Hodgson s’était intéressé à vous quand il coachait Fulham ?

Il n’était pas le seul. Les clubs anglais me connaissent bien. Ils ont retenu la manière dont le Standard avait posé des problèmes à Everton et à Liverpool. Là, on a forgé une bonne partie de notre crédit européen.

Un crédit qui sera bientôt oublié car le Standard est privé de gâteau européen cette saison, non ?

Sur ma lancée, je ne peux pas me permettre de ne pas jouer en coupe d’Europe. Tout serait à refaire. Non, c’est le moment ou jamais de partir par la grande porte tout en permettant au Standard de gagner beaucoup d’argent…

Hodgson, qui vous connaît si bien, est désormais le coach de Jovanovic à Liverpool !

Je sais mais c’est de la supputation. Je n’ai pas eu Jova au téléphone depuis son départ du Standard.

Milan a toujours affirmé que vous déteniez la classe mondiale. Si Hodgson lui demande son avis…

Je sais ce que Jova pense de moi. Nous nous sommes parfois frités sur le terrain mais cela n’a jamais rien hypothéqué entre nous. C’est un ami mais cela ne signifie pas que je le rejoindrai cette saison. Je suis sûr d’une chose : je vais partir car c’est indispensable. Mais j’ignore autre chose : le nom du club qui m’accueillera.

Cette attente n’est-elle pas angoissante ? Jova et de Camargo ont été fixés avant la Coupe du Monde.

Non, ce n’est pas stressant car je sais qu’il n’y a pas d’autre issue. Les cas sont différents. Jova était fin de contrat et l’offre de Mönchengladbach pour Igor a tout de suite convenu au Standard.

Serez-vous encore au Standard pour la visite du Real Madrid le 17 août ?

J’espère bien que non. Il faut que tout se débloque au plus vite, dans les jours à venir si possible. Je ne suis pas du tout aigri, au contraire. Je suis fier de tout ce que j’ai vécu ici mais j’ai besoin de nouveaux défis. Je ne peux plus remettre le couvert en Belgique. J’ai gagné deux titres, aidé à relancer le Standard. C’est pas mal, je crois, et je ne peux plus me motiver comme ce fut le cas durant trois saisons au Standard. J’ai besoin de découvrir autre chose pour ne pas faire du sur-place après avoir tant avancé. C’est une question d’ambitions, de plans d’avenir. Le plus facile serait de rester mais je veux savoir où le football peut me mener. J’aurai la réponse à l’étranger. C’est de ma carrière et de l’avenir de ma famille qu’il s’agit aussi…

 » J’ai fini mon travail ici « 

Si le nouvel avant égyptien Moteab trouvait facilement ses marques, votre départ serait plus aisé…

Je ne suis pas concerné par ce thème-là. La vie d’un club est faite d’arrivées et de départs. C’est comme cela le football actuel. Personne n’est éternel. Après moi, il y aura d’autres noms et le Standard a beaucoup de bons jeunes. J’ai fini mon travail ici ; maintenant, c’est à Moteab, à Christian Benteke, à Eric Bokanga (ex-Vita Club de Kinshasa) et aux promesses du club de reprendre le flambeau et de saisir leur chance. La voie a quand même été tracée. Notre exemple doit les inspirer…

Et si le Standard refuse toutes les possibilités en estimant que vous êtes indispensable à son redéploiement ?

Je n’y pense pas parce que je n’y crois pas. J’en reviens à la promesse de Luciano D’Onofrio… Il y aura de bons clubs et des offres très intéressantes.

Pour le moment, il ne reste que vous de l’attaque des deux derniers titres : est-ce cela qui vous effraye un peu ?

Non pas du tout. Je suis très heureux pour Milan et Igor. Ils ont mérité leur transfert. Mon ambition aurait été la même s’ils étaient restés au Standard. Mon désir de tenter ma chance plus haut aurait été le même.

En attendant, il y a aussi vos quatre matches de suspension qui vous priveraient du début de championnat en Belgique, encore un argument pour partir au plus vite ?

Cela n’ajoute rien à ma détermination.

Ce n’est d’autant pas à l’ordre du jour que j’espère bien ne pas entamer ce championnat.

N’êtes-vous pas déçu par votre absence au palmarès de trophées comme le Footballeur pro de l’année ou le Soulier d’Or ? N’est-ce pas un peu à cause de ce manque de reconnaissance que vous désirez partir à l’étranger ?

Il y a des votes qui m’ont étonné dans le mauvais sens du terme. Tout le monde souligne ce que j’ai apporté au Standard et je n’apparais pas dans le haut de ces classements. Vous savez, je ne suis pas un footballeur comment dire…

Un footballeur people ?

Oui, exactement. J’ai toujours cru, et c’est encore le cas, que tout passe par le terrain. C’est quand même là qu’on prouve sa valeur. On dit parfois que je ne sais pas me vendre. Quand des ténors du football belge affirment que j’ai du talent, cela suffit à mon bonheur. Eux, ils savent ce que je vaux. Non, ces histoires de trophées ne me font plus rien. Les clubs qui s’intéressent à moi ne consultent pas ces palmarès. Ils sont venus me voir à l’£uvre à plus d’une reprise. Mon manager me dit que je dois soigner mon image pour qu’on apprenne à connaître le vrai Mbokani. Je suis parfois un peu trop catégorique et cela peut être mal interprété. Je me suis quand même calmé. Ma femme m’aide à examiner les choses avec plus de recul.

En quoi allez-vous progresser à l’étranger ?

Je ne m’améliorerai pas tellement que cela techniquement ou physiquement. Je suis  » fait  » en tant que joueur. J’ai mes qualités, mes atouts. Je ne serai pas tellement différent dans un autre club. Mais, et ce qui m’importe le plus, j’aurais plus de matches de référence. Dans certains pays, chaque journée de championnat est l’égal, ou presque, d’une soirée de Ligue des Champions : c’est ce que je recherche…

Quel bilan personnel tirez-vous des trois ans passés au Standard ?

Deux titres et une grande campagne européenne : c’est pas mal quand même… Je me suis fait un nom au Standard. Je me suis adapté au football européen. J’ai connu, vécu et apprécié des choses différentes avec mes différents coaches. Et j’ai toujours respecté leurs directives même quand cela me convenait moins.

 » J’étais trop seul sur mon île… « 

Que retenez-vous de Michel Preud’homme ?

L’esprit de groupe, la camaraderie, le partage du même objectif, le soin dans la préparation tactique. C’était beaucoup de bonheur avec un titre mérité, préparé avec minutie.

Dans l’équipe de base actuelle, il ne reste quasiment que trois survivants de cette époque : Steven Defour, Axel Witsel et vous.

Tiens, je n’y avais pas pensé…

Laszlo Bölöni était-il totalement différent par rapport à Preud’homme ?

Oui. Nous sommes passés à plus de pressing. Bölöni a apporté sa confiance qui a été intéressante en coupe d’Europe. Au fil du temps, nous avons joué en championnat comme en coupe d’Europe. Or, les contextes étaient totalement différents. Le Standard devait prendre des précautions sur la scène européenne mais pas en championnat. J’étais laissé à moi-même contre des équipes largement à notre portée. Or, le système ne le permettait pas. A la longue, il y a eu des éloignements entre le coach et nous. Je préférais jouer avec Jova et Igor près de moi, c’est évident. J’étais trop seul sur mon île…

C’était trop tard pour Dominique D’Onofrio et Jean-François de Sart ?

Oui, je crois. La soupe était déjà froide.

Dominique D’Onofrio et Sergio Conceiçao la réchaufferont-ils ?

Je pense que ce sera le cas.

Avant de partir, qui fut pour vous le défenseur arrière adverse le plus coriace en D1 ?

Aucun ne m’a posé des problèmes insolubles. Mais si je dois accorder la palme du meilleur arrière adverse de D1, je la décerne à Roland Juhasz d’Anderlecht. Avec lui, rien n’est jamais facile. N’est-ce pas un ancien attaquant ?

Et le meilleur attaquant adverse ?

Mbark Boussoufa sans aucun doute…

Avez-vous suivi le Mondial ?

Avec passion. L’Afrique du Sud peut être fière de son organisation. Notre continent a été à la hauteur de l’événement. Même s’il n’y a pas eu de pays africain dans le dernier carré, l’Afrique a fait un pas en avant. A mon avis, un pays comme le mien devrait participer régulièrement aux phases finales. Il y a tant de talent au Congo. J’ai supporté le Ghana qui méritait mieux. L’Uruguay a aussi prouvé que les petites nations peuvent réaliser de grands parcours : c’est encourageant. J’ai aussi beaucoup apprécié les prestations de Diego Forlán. L’Espagne a produit le plus beau jeu offensif. Il n’y avait pas photo entre le football espagnol et celui des autres…

En disant cela, toujours pas envie de jouer contre le Real Madrid et ses champions du monde à Sclessin le 17 août ?

Non, non, je ne changerai pas d’avis.

Même si Luciano D’Onofrio ne vous lâche finalement qu’en janvier, lors du mercato d’hiver ?

Ce ne sera pas le cas. l

par pierre bilic, photos : reporters

Le Standard m’a beaucoup apporté, je ne le nierai jamais, mais, de mon côté, je n’ai pas été un ingrat.

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