Lorenzo le Magnifique

2 février 1966 : Laurent Verbiest, le défenseur le plus racé de l’histoire du foot belge disparaît dans un accident de la route.

Mais pourquoi le patron de la défense mauve reste-t-il rivé à ce billard électrique de l’établissement tenu par l’arbitre Frans Geluck ? Espère-t-il un bon score ? Ce jeu constitue une de ses passions et les habitués de ce grand café situé près de la Gare du Midi le connaissent ou le reconnaissent. Laurent Verbiest est une idole, venue de la mer et de l’AS Ostende en 1960 pour déployer ses filets à Anderlecht.

Fils d’une famille de marins, il calme les rares tempêtes qui se déclenchent près des côtes du grand Anderlecht des années ’60. Son équipe écrase le championnat et se fait un nom sur les océans européens. Elégant, puissant (1,82 m, 80 kg), Verbiest est le phare qui ose prendre tous les risques avec une décontraction déconcertante. Une horloge indique le début de la soirée et la femme de Laurent, qui est avec lui, rappelle qu’il est grand temps de mettre le cap sur Ostende. Son mari traîne encore un peu sur la plage de son billard.

Pourtant, il n’a pas envie de rater la retransmission de Manchester United-Benfica. Alors, après avoir réglé sa note, il fonce : Alost, Gand, Bruges… Les kilomètres défilent vite au compteur de  » ce chauffeur incertain « , comme le dit encore un de ses anciens équipiers. Ce n’est pas grave, il connaît ce long ruban de plus de 100 km par c£ur. Que peut-il lui arriver, lui qui mettait dans sa poche des stars comme le Hongrois Ferenc Puskas (Real Madrid) et qui avait été surnommé Lorenzoil Magnifico après une exhibition en coupe d’Europe contre la Fiorentina ? Pense-t-il ce soir-là à cet ailier de Waterschei, Damatius Mantels, qu’il dribbla huit fois de suite, aux frissons qu’il donnait à ses équipiers en gardant trop longtemps le ballon ou en driblant dans son rectangle, à cet arbitre qu’il toisa après lui avoir passé la main dans les cheveux ( » J’ai l’impression qu’il n’y a pas grand-chose là-dessous  » = 6 mois de suspension), à ce… Manchester-Benfica ?

Bah, Ostende n’est pas loin, voici le Rond-Point Kennedy à l’entrée de la Reine des Plages. Et Laurent roule vite, trop vite probablement… Sa voiture de sport quitte brutalement la route, percute une balustrade, effectue plusieurs tonneaux. Laurent le Magnifique ne porte pas sa ceinture de sécurité et est éjecté. Son épouse a pris cette précaution et reste en vie ; mais grièvement blessé, Laurent est transporté vers un hôpital où tout s’arrête. Une brillante destinée s’achève à 26 ans. La triste nouvelle de son décès se répand comme une traînée de poudre. Tout le football belge est en deuil. Quelques jours plus tard, atterrés, les Mauves suivent leur ami vers sa dernière demeure. Son palmarès est beau mais incomplet : 23 caps en équipe nationale, quatre titre de Champion de Belgique (1962, 64, 65, 66) et, plus tard, un Soulier d’Or à titre posthume.

Le jour de ses funérailles, tout le monde souligne le talent fou de cet homme attachant, qui aimait tellement la vie. Lorenzo était le Franz Beckenbauer du football belge. Il aurait brillé dans les meilleurs clubs du monde. Son coach, Pierre Sinibaldi, a un problème : comment remplacer Verbiest contre le Real Madrid le 23 février 1966 en match aller des quarts de finale de la Coupe des Champions ? Sinibaldi imagine de confier cette mission à Julien Kialunda venu de l’Union Saint-Gilloise. Lorenzo aurait tant aimé défier Amancio et Gento. Anderlecht l’emporte 1-0 ce soir-là. Auteur du but, Paul Van Himst ne peut imaginer plus bel hommage à son ami. Le stade lui dédie ce succès. Tant d’années plus tard, Verbiest reste dans les mémoires. Mais du génial Lorenzo à l’inoubliable François Sterchele, trop de footballeurs ont trouvé la mort au volant…

PAR PIERRE BILIC

Fils de marins, il calme les tempêtes qui se déclenchent près des côtes du grand Anderlecht des années 60.

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