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LONDON ON FOOT

Alors que les dossiers des stades de Bruxelles et de Bruges font l’objet d’interminables discussions, le Londres du foot a entrepris une métamorphose spectaculaire. Dans le sillage de l’International Football Business Institute, Sport/Foot Magazine a pris la température du côté de West Ham, Arsenal et Chelsea.

Onze étudiants – huit Indiens, un Américain, un Allemand et un Belge – se sont inscrits en première année académique à l’InternationalFootballBusinessInstitute, qui a vu le jour l’été dernier à Bruxelles. Le diplôme offre des débouchés dans les domaines, non exhaustifs, du droit du football, de la recherche de sponsors, du travail en communauté. Bref, quasiment tout ce qui touche au football international.

Parmi les orateurs, on trouve des experts du secteur comme Alexander Koch (directeur de la communication à la FIFA), David Borja (conseiller de la Confédération asiatique de football), David Moss (chef de la cellule scouting du Celtic Glasgow), pour n’en citer que quelques-uns. On trouve aussi des experts belges comme Walter Mortelmans (agent de joueurs), Michel D’Hooghe (ancien président de la fédération et ancien chef du département médical de la FIFA) et Lieven Maesschalck (Move to Cure).

 » Les clubs abandonnent progressivement l’idée d’intégrer autant d’anciens joueurs que possible dans leur comité de direction. Car ces fonctions requièrent des qualités spécifiques qu’ils ne possèdent pas nécessairement « , explique Simon Van Kerckhoven, co-fondateur de l’IFBI avec Jos Verschueren (VUB). En matière de connaissance et d’utilisation de médias sociaux, la nouvelle génération de diplômés peut certainement aider les clubs de football.

La cerise sur le gâteau, dans la formation offerte par l’IFBI, est certainement l’ExperienceTour. Des voyages à l’étranger pour ‘reconnaître le terrain’. Barcelone, Lyon, Amsterdam et Genève ont déjà été passés en revue. Au début de ce mois, c’était au tour de Londres. Sport/FootMagazine a accompagné le groupe à West Ham, Arsenal et Chelsea.

LONDON STADIUM

Premier arrêt : West Ham United. Depuis cette saison, les Hammers jouent leurs matches à domicile au London Stadium, construit pour les Jeux olympiques de 2012 et qui offre une capacité de 80.000 spectateurs (pour les matches de football, la capacité maximale est de 57.000 spectateurs, car la Premier League interdit de vendre des places avec vue partielle).

Cette gigantesque enceinte intéressait plusieurs clubs, dont Tottenham Hotspur, mais West Ham a emporté le morceau. Le club de David Sullivan et David Gold a investi jusqu’à 120 millions d’euros pour mettre le stade aux normes de West Ham United et verse un loyer annuel de trois millions d’euros à la Ville.

Aujourd’hui, toute trace faisant référence aux JO a disparu. Tout a été repeint en bordeaux et bleu, les couleurs des Hammers, et un panneau LED futuriste en 3-D présente la composition de l’équipe sur les murs extérieurs du stade. A l’intérieur, la piste d’athlétisme est toujours là. Elle doit encore servir pour d’autres événements, comme le Championnat du Monde d’athlétisme en août de cette année, mais elle est cachée par une tribune démontable qui s’avance tout près de la pelouse.

C’est là que nous prenons place, au milieu des Irons, comme on surnomme les supporters des Hammers, afin d’assister au match contre Swansea City, important dans l’optique du maintien. Alors que, sur les côtés, on souffle des bulles de savon, les 50.000 spectateurs entonnent à tue-tête l’hymne du club, I’m Forever Blowing Bubbles.

L’ancien Anderlechtois Cheikhou Kouyaté est l’homme du match : c’est lui qui inscrit l’unique but d’une rencontre par ailleurs très décevante. La Premier League est magnifiquement exploitée et mise en images – on a l’impression que chaque match est un sommet – mais croyez-nous : le niveau n’est pas toujours très élevé.

Kouyaté est l’un des chouchous du public, avec le capitaine Mark Noble, un véritable clubman. C’est ce que l’on nous explique au fan-shop : un mégastore de deux étages où l’on trouve tout, des barres de chocolat estampillées West Ham à une couverture de journal personnalisée qui annonce votre transfert chez les Hammers.

Tout cela s’inscrit dans le développement de West Ham United, qui veut suivre les traces des grands clubs traditionnels de Londres. C’est dans cette optique, également, que s’inscrit l’engagement récent de Richard Lamb comme Chief Revenue Officer. Le Britannique possède 20 ans d’expérience dans le monde du football, d’abord à Manchester United, puis à l’Inter Milan, où il était responsable du marché asiatique.

MARCHÉ MONDIAL

Au coup de sifflet final, il pousse un soupir de soulagement :  » Le plus difficile, dans ce job, c’est qu’il faut toujours travailler à deux vitesses : à long terme et à court terme. De nombreuses personnes se lancent en pensant qu’elles pourront mener à bien un projet à long terme, mais elles s’aperçoivent bien vite que certains problèmes requièrent une solution immédiate. Comme les résultats sportifs. Imaginez que West Ham soit relégué : cela fait un monde de différence.  »

C’est, entre autres, ce que Lamb enseigne aux étudiants de l’IFBI. Lamb explique aussi plus en détail l’approche stratégique de West Ham. D’emblée, il se montre très clair : tous les clubs de Premier League ont les yeux rivés sur le monde et pas seulement sur le voisinage immédiat.  » Cela ne va pas faire plaisir à l’UEFA, mais j’ose affirmer que la Premier League est la compétition la plus importante du monde, plus encore que la Ligue des Champions « , insiste Lamb.

Actuellement, West Ham s’intéresse surtout aux marchés américain, chinois et indien. Pas nécessairement pour inciter ces gens à venir au London Stadium – les revenus de la billetterie sont de toute façon inférieurs à ceux des droits TV, du merchandising et du sponsoring – mais pour les lier virtuellement au club. Pour créer un sentiment d’appartenance à une communauté. C’est le but recherché actuellement. Plus le succès d’un club est étendu à l’échelle mondiale, plus juteux sont les contrats de sponsoring. Avoir des supporters aux Etats-Unis ou en Inde, cela offre des perspectives sur le plan commercial.

Pour prendre pied dans ces régions intéressantes, les clubs anglais utilisent le système des académies de jeunes. Elles ne servent pas seulement à détecter le talent. Leur rôle est aussi, si pas plus, d’attirer la sympathie de la population locale. Cela peut s’effectuer par le biais des franchises : le prêt du nom du club, sans intervention quotidienne. Comme Arsenal le fait.

 » West Ham recherche davantage l’approche personnelle « , explique Lamb.  » Nous envoyons notre propre personnel sur place pour mettre une organisation sur pied.  » C’est une vision très commerciale de la globalisation du football, mais d’autres méthodes peuvent être utilisées. Lamb ne tarit pas d’éloges au sujet de son ancien employeur Massimo Moratti, l’ancien président de l’Inter Milan :  » Sans en faire tout un foin dans les médias, Moratti a injecté plusieurs millions d’euros de sa propre poche dans des académies et des projets sociaux dans les régions les plus pauvres d’Amérique du Sud.  »

OLD STAMFORD BRIDGE

Au lendemain du match, nous avons droit à une visite du London Stadium, qui sera sans doute rebaptisé Vodafone Stadium. Il est situé au milieu du Queen Elisabeth Olympic Park, qui a été transformé après les Jeux en un espace vert où les hommes d’affaires peuvent s’allonger dans l’herbe pendant la pause de midi et où les enfants s’adonnent aux joies du skateboard.

A l’intérieur du stade, nous sommes intrigués par la piste d’athlétisme : invisible de l’extérieur, mais utilisée par les joueurs pour s’échauffer avant de monter sur la pelouse. Près de la piste, se trouve le bureau de l’entraîneur Slaven Bilic. Sur la porte, une pancarte indique qui peut entrer ou pas. Nous apprenons qu’en allongeant quelques billets, il est possible de prendre le café avec le manager de West Ham juste après le match. L’argent est le nerf de la guerre.

Depuis le Queen Elisabeth Olympic Park, nous nous déplaçons en bus vers l’autre extrémité de Londres : le quartier de Hammersmith & Fulham, au sud-ouest de la ville, où est érigé Stamford Bridge, le stade du Chelsea FC. Si le club a pris le nom de Chelsea lors de sa création en 1905, c’est parce que le Fulham Football Club existait déjà depuis 20 ans.

L’accueil est très différent de celui que nous avons reçu à West Ham, très peu personnalisé et même un peu froid. A l’image de l’actuel leader de la Premier League, en fait. Les visites du stade s’effectuent à intervalles rapprochés, jusqu’à 20 groupes par jour. Tout se passe selon un horaire bien établi. La machine doit tourner. Malgré l’accueil moins chaleureux, on ressent immédiatement l’ambiance qui se dégage de Stamford Bridge.

Ce n’est pas encore une enceinte ultra-moderne, mais un stade de football qui a une histoire et qui a subi plusieurs transformations depuis sa construction, au début du XXe siècle. La dernière fois, c’était en 2001. Les supporters prennent place tout près de la pelouse. Dans les couloirs, ce n’est pas le grand luxe. Seul un côté du stade, le West End, possède des loges.

MILLENNIUM BOXES

Celle du propriétaire Roman Abramovitch est située au centre, celles d’à côté sont les Millennium Boxes, qui coûtent trois millions d’euros chacune pour une location de dix ans. L’une des loges deviendra la saison prochaine la propriété de Nike, qui remplacera Adidas comme équipementier de Chelsea. Un espace est également réservé aux épouses et compagnes des joueurs, explique, notre guide, Nigel.  » Mais nous demandons aux joueurs de ne pas inviter les deux en même temps « , plaisante-t-il. Nigel n’est pas avare d’anecdotes. Ainsi, il explique que les vestiaires visiteurs – particulièrement sobres – étaient encore plus petits autrefois, mais que José Mourinho a insisté pour les agrandir et les moderniser, car leur exigüité motivait l’adversaire à vouloir à tout prix se venger de Chelsea sur le terrain. Dans le vestiaire visité, beaucoup plus vaste cela va de soi, Nigel dévoile la raison pour laquelle John Terry joue avec le n°26 : le n°25 était attribué à Gianfranco Zola, dont il devait cirer les chaussures lorsqu’il était apprenti. En choisissant le numéro suivant, Terry voulait démontrer qu’il était capable de suivre les traces de son idole, à force de travail.

Terry est resté une véritable icône dans le club, même s’il joue de moins en moins et qu’il a récemment annoncé son départ. C’est lui, par exemple, qui effectue la répartition des places dans le vestiaire. Jadis, à l’époque de Ruud Gullit, les Anglais et les étrangers étaient obligés de se mélanger, afin de favoriser les échanges mutuels, mais Terry en a décidé autrement. Aujourd’hui, les Brésiliens ont leur petit coin, les Espagnols le leur.

Au centre du vestiaire, Eden Hazard a sa place à côté de son copain César Azpilicueta. Thibaut Courtois se change près des jeunes Ola Aina et… Charly Musonda Jr. L’international Espoir belge n’est pas encore parvenu à percer à Chelsea, mais il a quand même une belle armoire dans le vestiaire de l’équipe A. A côté de celle de Terry, une armoire est restée inoccupée : c’était autrefois celle de Frank Lampard, le meilleur buteur de tous les temps chez les Blues. Personne n’a pris possession de son armoire.

RESPECT POUR WENGER

Le dernier arrêt de l’Experience Tour est l’Emirates Stadium d’Arsenal. Le jeune manager des ventes, Hadleigh Miles Solorio, qui n’a que 23 ans, nous guide dans les espaces VIP et les business lounges du stade inauguré en 2006, à portée de fusil de l’ancien Highbury. La seule référence au mythique stade d’Arsenal est l’horloge, placée tout en haut du toit. Les tribunes supérieures possèdent un toit rétractable. De quoi permettre à la pelouse d’avoir suffisamment de lumière et d’air pour être entretenue de manière naturelle.

Une pelouse parfaite, aux dimensions maximales : c’était l’une des exigences d’Arsène Wenger, qui a été largement consulté pour la construction de l’Emirates Stadium. L’entraîneur français a aussi insisté pour que les vestiaires soient vastes et agréables. Tout est fait pour que les joueurs restent un moment ensemble après le match, au lieu de filer à la maison une fois leur douche prise.

 » Cette communion dans le vestiaire, ce sont des moments très spéciaux que les joueurs n’apprécient à leur juste valeur qu’au terme de leur carrière « , explique Wenger dans un petit clip diffusé à l’intention des visiteurs. Le manager, qui n’est guère épargné par les critiques de ses propres supporters après 20 ans au service d’Arsenal, a droit à un buste à l’entrée VIP du stade, entre d’autres personnalités de l’histoire des Gunners.

L’Emirates Stadium porte évidemment sa griffe. Solorio, le jeune manager des ventes, trouve que Wenger est traité de manière injuste :  » C’est sous son impulsion qu’Arsenal a conquis ses plus grands succès. Il mériterait un peu plus de respect.  »

A l’intérieur du stade, les références au chiffre 49 ne manquent pas. C’est le nombre de matches durant lesquels les Gunners sont restés invaincus entre mai 2003 et octobre 2004. L’équipe a remporté le titre sans connaître la défaite, ce qui a donné à cette génération son surnom d’Invincibles. Les joueurs de l’époque sont toujours les héros d’aujourd’hui : Thierry Henry et Dennis Bergkamp ont tous les deux leur statue au pied de l’Emirates Stadium.

Même s’il n’y a pas grand-chose à redire à la conception du nouveau stade – les différents bars et espaces privés ont été décorés par des posters de film et des tables de football – les supporters se plaignent souvent de l’ambiance un peu trop feutrée qui règne pendant les matches d’Arsenal. On se croirait au théâtre, disent certains. Arsenal cultive cette image d’un club propre sur lui. Le football soigné fait partie de cette culture, tout comme la propreté des sièges – le club loue les services d’un fauconnier tous les 15 jours pour chasser les pigeons – et l’amabilité des stewards.  » Pendant leur formation, on insiste sur le fait qu’ils doivent toujours garder le sourire « , explique Solorio.  » Après tout, le souvenir que les gens gardent de leur visite au stade dépend souvent de leur attitude. Personnellement, je suis un supporter de Charlton, mais peu importe : on ne doit pas nécessairement être un fan d’Arsenal pour prendre place dans l’Emirates Stadium, il faut simplement s’y sentir bien.  »

C’est une ligne de conduite qui est propre à tous les grands clubs londoniens. En fait, ce sont des clubs intercontinentaux établis en Angleterre, qui s’adressent à un public mondial. Une évolution que Colin Hutchinson, le CEO de Chelsea à l’époque, avait déjà prédite en 2000 alors que la Premier League n’était pas encore le monstre commercial qu’elle est aujourd’hui.?

PAR MATTHIAS STOCKMANS À LONDRES – PHOTOS BELGAIMAGE

A côté de l’armoire de Terry, une autre reste inoccupée : celle de Lampard, le meilleur buteur de tous les temps de Chelsea. Personne ne veut en prendre possession.

 » Cela ne fera pas plaisir à l’UEFA, mais j’estime que la Premier League est la plus grande compétition au monde, plus encore que la Ligue des Champions.  » RICHARD LAMB, WEST HAM UNITED

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