Loin du compte

Pierre Bilic

Le médian yougoslave devait être le Marc Degryse des Zèbres…

Les actions de Branko Milovanovic n’étaient pas du tout banales quand il portait le maillot de Milicionar Belgrade. En été dernier, la direction des Zèbres glissa ce meneur de jeu dans son portefeuille avec l’intention de réaliser une plus-value sportive et même financière. A 28 ans, le blond technicien yougoslave était bel et bien attendu comme le Messie, le « Marc Degryse de Charleroi », ont déclaré les patrons carolos. Un compliment qui s’est écroulé comme la courbe des sociétés de la nouvelle économie après les récents crashs boursiers.

Milovanovic ne s’attendait pas à vivre une situation aussi difficile en Belgique. Il ne joue pratiquement pas et les doutes quant à ses chances de réussite dans le Pays Noir sont de plus en plus nets.

« Je ne suis évidemment pas venu à Charleroi pour faire de la figuration », dit-il. « C’est la première fois de ma carrière que je vis ça. Mais je garde confiance car j’ai les qualités techniques nécessaires pour m’imposer parmi le Zèbres ».

« Je m’adapterai »

Comment expliquez-vous vos soucis actuels?

Branko Milovanovic: Je n’en dors pas, je me ronge intérieurement, c’est épouvantable à vivre. J’ai passé des nuits blanches à retourner le problème sous toutes ses coutures. Il est un fait que je découvre un style de jeu assez particulier où l’accent n’est pas mis en priorité sur la technique. Ici, et ce n’est pas une critique, on chasse, on bouscule, on mord dans les tibias, etc. J’ai été étonné et cela ne cadre pas du tout avec l’image que je m’étais faite de la Belgique, de Charleroi où je suis venu d’abord parce qu’Enzo Scifo en est le coach. Rien que son nom signifiait pour moi technique et beau jeu. Autrement dit, c’est ce que j’espérais trouver ici. Et, finalement, on aimerait que je tackle, que je récupère une foule de ballons mais que je sois aussi l’auteur de passes décisives.

Je ne crois pas qu’il soit simple de combiner tout cela. Mais il faut que je change mes habitudes et je le ferai afin de prouver que les Carolos ont acheté un nom, pas un chat dans un sac ou un joueur sur le retour. Je m’adapte à l’équipe dans l’espoir d’être compris. Je n’ai que 28 ans, et même si je ne suis pas un marathonien, j’ai mes atouts: technique, sens de la passe, frappe en mouvement ou sur phases arrêtées. Je suis aussi venu à Charleroi afin d’aborder les plus belles années de carrière. Si je m’étais braqué sur l’argent, j’aurais signé au Japon. Mon contrat y aurait été dix fois plus élevé qu’en Belgique. Je suis en situation délicate mais je sais que tout change vite. Je me suis toujours imposé rapidement dans mes autres clubs étrangers et cette longue découverte m’énerve.

En général, on vous reproche d’être assez lent, trop timoré dans les duels d’homme à homme: il faudra montrer les dents pour réussir.

Je ne m’étais pas mal débrouillé lors de tous les matches amicaux. Charleroi marquait beaucoup de buts. C’est la preuve que le jeu était bien lié. Je n’ai pas pris part au match face au Standard parce que le coach entendait prendre des précautions défensives au centre de la pelouse. Peu après cela, je me suis blessé à la cuisse et j’ai perdu une vingtaine de jours d’entraînement. C’était en tout début de saison et j’ai eu du mal à résorber mon retard. A l’heure actuelle, je me sens de mieux en mieux. Je pèse 78 kilos pour une taille de 1,84 m. Le poids est idéal et je ne me suis jamais autant entraîné de ma vie. Il faut que tout cela se transforme en bonnes sensations et pour cela, j’ai besoin de temps de jeu. Or, je ne monte sur le terrain que quand la messe est dite. Ce fut le cas contre Bruges et je ne peux évidemment pas offrir mes points forts à une équipe qui a déjà coulé à pic. Je ne refuse pas de défendre mais une ligne médiane efficace doit aussi apporter des plus constructifs.

On dit généralement que le secteur offensif des Zèbres a des problèmes de concrétisation. Peut-être. Même Rivaldo ne marque pas quand il n’hérite pas de bons ballons venus de la ligne médiane. Si tous les médians sont avant tout des ratisseurs, il n’y pas d’équilibre dans la conversion du défensif à l’offensif. Je sais que la situation n’est pas facile et que tout le monde doit se retrousser les manches. On n’a pas encore vu le vrai Branko Milovanovic à Charleroi. En Grèce, sur phase arrêtée, je bottais automatiquement le coup franc. A Charleroi, cinq joueurs se précipitent sur la balle.

« Jouer une série de matches »

A vous de prendre la balle et de les écarter poliment mais fermement.

Oui, je sais, mais ce n’est pas évident. Cela se mérite sur le terrain et je ne joue pas assez. Tout le monde est charmant avec moi. En semaine, cela colle avec Enzo Scifo. J’apprécie sa disponibilité. Il est positif avec moi. Toutefois c’est souvent la même chose: c’était bien en semaine et le jour du match, je me retrouve d’abord sur le banc. Or, j’ai la certitude très fortement ancrée en moi que je peux apporter quelque chose de différent, donc d’un peu surprenant pour l’adversaire, dans la ligne médiane. Si on m’analyse avec les lunettes qu’on utilise pour juger un stopper, ce sera très difficile. Je ne joue pas comme Christian Negouai que j’appréciais et, lui, il n’a pas toutes mes armes. Tout est dans la complémentarité et j’ai mes spécificités. Je n’ai jamais dû parler comme ça avant de venir à Charleroi. C’était naturel et on me faisait venir afin de jouer au coeur de la ligne médiane.

Je ne comprends pas ce qui se dit ou s’écrit, ça me fait mal. Il y a incompréhension. Je tente parfois un simple « une-deux », je m’attends à recevoir la balle en retour mais la balle ne revient pas et j’ai l’air perdu sur le terrain parce que je m’inscris dans une phase de jeu qui ne se dessine pas. Je suis en porte-à-faux par rapport à mon potentiel. Pour changer cela, il faut absolument que je joue toute une série de matches. Si c’était le cas, on pourrait me juger d’après des critères réalistes. Je suis dans l’attente de cette confiance à long terme en compétition. Je suis sûr et certain qu’on parlera alors de moi en d’autres termes. J’ai tout à fait confiance en moi et je sais que mon potentiel finira par être reconnu. Tout rentrera dans l’ordre.

Est-ce que cela ne passe pas par une révolte: ne devriez-vous pas frapper du poing sur la table? Robert Prosinecki ne l’avait pas fait au Standard et il y a finalement échoué. A l’heure actuelle, il se refait une santé en Angleterre…

Peut-être mais j’espère encore et toujours que ma technique sera mon principal atout. Un joueur peut réussir dans un pays et pas dans l’autre. Je n’échouerai pas ici. Des managers m’ont déjà contacté pour l’Espagne et la Turquie. Ils ne comprennent pas que je ne joue pas à Charleroi. Non, je ne veux pas partir sur une note négative. On fera le point en fin de saison.

« Toshak comptait sur moi »

On ne connaît pas bien votre tracé sportif.

J’ai d’abord joué dans les équipes de jeunes de Valjevo, dans le centre de la Serbie, une belle petite ville d’où est orginaire Michel Pavic. A douze ans à peine, je me suis retrouvé à l’OFK Belgrade où les jeunes sont soigneusement formés. Pas évident. J’étais fils unique et je découvrais la grande ville. J’étais hébergé à l’internat de ce club qui, avant la dernière guerre mondiale, était déjà célèbre et était proche des milieux royalistes. J’ai joué un an avec Nenad Jestrovic en équipe Première. Je faisais partie de toutes les équipes nationales de jeunes et du team olympique. En 1995, le PSG s’intéressa à moi. J’ai rencontré Luis Fernandez et le club parisien avait alors une pléiade de stars: Rai, Valdo, Djorkaeff, etc.

L’Etoile Rouge me voulait aussi mais je suis finalement passé à La Corogne. Il avait été question de moi à la Real Sociedad et quand John Toshak quitta ce club pour La Corogne, il cita mon nom. Toshak me téléphona et m’a dit en yougoslave qu’il comptait sur moi. Cette attention linguistique me toucha, j’ai signé. La Corogne avait une équipe de cracks avec les Bebeto, Mauro Silva, Djukic, Madar, Martins, etc. Montant du transfert: plus de 50 millions de francs belges, une fortune pour l’OFK. J’ai joué en Coupe de l’UEFA et pris part à quatorze matches de la Liga. Pas mal car les clubs espagnols ne pouvaient aligner que trois étrangers. La Corogne rata le titre sur le fil, suite au penalty raté par Djukic lors de l’ultime minute du dernier match de la saison. Personne n’adressa le moindre reproche à Djukic. Des milliers de supporters l’accompagnèrent à la maison: du jamais vu.

La concurrence devenait de plus en plus forte. Je voulais jouer à tout prix, ne pas perdre mon temps sur le banc, et j’ai eu une belle offre de Vitoria Guimaraes. Je n’ai pas du tout échoué à La Corogne: j’aurais pu y rester. Guimares était entraîné par Jaime Pacheco et nous avons décroché deux fois la troisième place. Je me suis bien amusé au Portugal avant d’être appelé par Oleg Blokhine à l’AEK Athènes. L’année suivante, il a été remplacé par un coach yougoslave qui a amené cinq joueurs dans ses bagages. Pour lui, je n’existais pas: business is business.

Je suis rentré à Belgrade car j’étais un peu las. J’avais appris l’espagnol, le portugais et le grec mais j’avais envie de revoir les miens. J’ai été engagé par Milicionar, le club de l’ancien parti socialiste. Cette équipe cherchait un numéro 10. Les dirigeants étaient très influents. Tout s’arrangeait et je gagnais largement ma vie à une époque où les gens avaient de très petits salaires. C’était c’était la réalité de cette époque. Une réalité dure à accepter. Pas de problème d’argent mais quand il y eut changement de régime, il était évident que ce club n’allait pas rester en D1. On nous payait autant pour une défaite qu’une victoire comme si Milicionar désirait descendre. Cela arriva et Milicionar a changé de nom pour devenir Radnicki Belgrade.

J’attendais une offre de l’étanger. Je suis venu à Bruges qui songea à moi pour remplacer Sven Vermant. Il fallait d’abord que Vermant signe à Schalke. Je suis rentré à Belgrade et un scout de Charleroi m’a suivi lors d’un match avant de me proposer un contrat. Je n’ai pas hésité car le nom de Scifo était une garantie.

Et la vie à Charleroi?

Cela se passe bien. Mon épouse, Branka, et notre fils, Nikola, s’adaptent. Nous vivons dans le centre de la ville. C’est parfois un peu bruyant. Après la Noël, notre fils entrera à l’école gardienne: la vie suit son cours même quand cela ne rigole pas.

Dia 1

Pierre Bilic

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire