Loi de Lorraine

Rencontre avec une tête dure du championnat à la caboche bien pleine.

« Vous êtes venu faire un article sur les tueurs en série ? », envoie Matthieu Assou-Ekotto, chambreur attitré de l’Excelsior, à la sortie de notre interview. Au-delà de la vanne, il y a la réalité du terrain : Jérémy Sapina ne passe pas pour un tendre. Dans l’axe défensif mouscronnois, c’est à lui de faire le ménage. Et depuis son arrivée, à l’été 2007, ça semble plaire. Que ce soit sous Marc Brys ou aujourd’hui avec Enzo Scifo, le Français fait figure d’indécrottable. Son sérieux, sa régularité et sa présence physique, quelques éléments qui plaident en faveur de ce garde-chiourme de seulement 23 ans.

 » C’est vrai que j’aime le combat physique, mais je ne suis pas un joueur vicieux « , tempère-t-il.  » Pendant un match, je donne tout, j’utilise mon corps et je n’hésite pas à mettre le pied. Je fais tout pour prendre le meilleur sur mon adversaire, quoi de plus normal. S’il le faut, je suis prêt à sortir le nez cassé. « 

On l’a compris, le Hurlu est un guerrier des pelouses. Et avec 1,87m sous la toise pour 83 kg, le répondant physique le lui permet.  » Quand je vois les interviews ou le jeu de Benjamin Nicaise, je me reconnais en lui. Il vient, tout comme moi, du centre de formation de Nancy et je décèle certaines similitudes. En Lorraine, on vous forme véritablement à la dure. Il suffit d’assister à un derby de jeunes entre Metz et Nancy pour s’en convaincre : ça cogne, c’est costaud. Même aux entraînements, ça y allait gaiement avec des tackles très limites et des bastons régulières entre les joueurs. Et jamais l’entraîneur n’intervient : il regarde et attend que ça se calme. Ce climat très viril faisait tout simplement partie de notre écolage je crois.  »

 » En Belgique, le physiquec’est relax « 

On est fort éloigné de l’ambiance dépeinte dans le documentaire L’académie du foot, diffusé actuellement sur TV5, consacré au centre de formation du FC Nantes. La vitrine mêle sérieux, camaraderie et concurrence.  » C’est clair que ce que j’ai vécu n’est pas propre à l’ensemble de la France, mais bien à la Lorraine. Les gens issus de cette région ont encore un sentiment, non pas nationaliste, mais très ancré. Quand tu vis en Lorraine, tu n’es pas français, tu es lorrain. Dans le sud, à Cannes par exemple, on joue beaucoup plus au ballon. Mais attention, la base à Nancy, c’est également la technique. On a juste une préparation physique très, très poussée.  »

Comparativement, la Belgique, ça donne quoi ?  » C’est incomparable… Ici, c’est relax. Avec Brys, c’était rien du tout. Cette année avec Scifo, c’était quand même autre chose ; mais loin encore de ce que je vivais en France. Pour se faire une idée de la préparation, même en CFA, c’était six jours sur sept avec à chaque fois une séance de musculation en fin de journée. Ça m’est une fois arrivé de craquer, d’aller vomir, tellement j’étais à bout. Souffrir, ça faisait partie de l’identité du club. Si Nancy réalise des résultats en L1, il le doit en partie à cette mentalité. « 

Depuis un peu plus d’un an, Sapina aurait donc découvert la face Club Med du foot pro en débarquant en Belgique :  » Faut pas non plus exagérer. A Mouscron, on réalise aussi de l’excellent travail ; rien qu’avec le Futurosport par exemple. Il faut continuer dans cette voie, et que le football belge injecte des sous auprès des jeunes. C’est une lapalissade, mais c’est l’unique moyen pour votre foot de s’en sortir

En France, on fait mousser les compétitions de jeunes. En demi-finales de la Coupe Gambardella, j’ai joué devant 2.000 personnes. Et si vous arrivez en finale, vous jouez en lever de rideau de la Coupe de France. Tout ça vous motive. Être passé par l’écolage traditionnel du foot français, j’en suis heureux. Très jeune (14 ans), j’ai quitté mes parents, l’Ain, ma France profonde, pour rejoindre le centre de formation de Louhans-Cuiseaux. Au final, je peux être fier de m’être accroché. J’ai un bac en vente/action marchande et un brevet de coach qui me permet d’entraîner jusqu’en 5e division française. Ces diplômes je les ai acquis pendant que je vivais au centre de Nancy. J’étudiais dans d’excellentes conditions. A cinq dans une classe avec un prof qui est à votre écoute, on passe pour des privilégiés par rapport à l’enseignement général…  »

 » Je suis ambitieux. Anderlecht ne me fait pas peur « 

Un premier diplôme d’entraîneur en poche, est-ce déjà une indication pour l’avenir ?  » C’est bien trop tôt pour le dire, mais c’est vrai que je me verrais bien travailler auprès des jeunes. « 

Et appliquer la formule gagnante apprise en France pour faire un bon coach ?  » On m’a toujours répété que le plus délicat, c’était de gérer une équipe. Entraîner, tout le monde sait le faire. Il faut une certaine psychologie et Scifo est très fort à ce niveau. Il a ce petit truc en plus. Il sent son groupe, sait quand il faut détendre son équipe ou redonner le coup de sang nécessaire. Les résultats aidant, on voit qu’il prend davantage confiance. Il garde aussi ce côté star qu’il était quand il était joueur. Il le gardera encore quelques années. On se défait, dit-on, difficilement de son statut de joueur après sa carrière. « 

Pour continuer dans l’analyse, parlons de ce que Scifo doit améliorer :  » Tactiquement, il doit encore apprendre. Et ça viendra avec le diplôme d’entraîneur qu’il va passer et l’expérience accumulée : notre coach n’a encore que très peu de matches au compteur. Brys, c’était l’inverse. Tactiquement, c’était le top. Il analysait à merveille votre adversaire, trop peut-être, car on avait tendance à jouer en fonction de lui. Par contre, son rapport au groupe était moins concluant. Ses entraînements très longs devenaient éprouvants mentalement plus que physiquement. Son approche un peu policière du groupe a fini par entraîner une cassure. « 

Sapina affiche aujourd’hui 34 matches de Jupiler League au compteur. Ses prestations empreintes de sobriété auront tapé dans l’£il d’un bon nombre de clubs. Comment ne pas souligner l’intérêt, ou du moins le regard, porté par Anderlecht à quelques jours de les affronter ?

 » J’ai appris que Pär Zetterberg était présent en tribune l’an dernier pour me suivre. C’est déjà une reconnaissance pour moi. Maintenant, je suis loin d’être arrivé à mes fins car je suis ambitieux. Si on me proposait un club de cette envergure, je foncerais. Pourquoi attendre ? Le rêve reste toutefois d’évoluer en Premier League. Je peux passer des heures à mater des matches anglais à la télé. Là-bas, un beau tackle glissé est applaudi. En France ou en Belgique, on préfère les petits ponts. Pourtant, c’est compliqué de réaliser un beau tackle. Il faut choisir le bon moment, se jeter, etc. Ne croyez pas que je sois malheureux à Mouscron, que du contraire. Depuis que Scifo est arrivé, le club continue à se moderniser et le noyau est de qualité. L’amateurisme en Belgique ? Il y a certains trucs qui me dérangent, comme voir des gens se mêler du sportif alors qu’ils occupent une fonction administrative, par exemple. En France, chacun reste à sa place. Et je ne vise pas l’Excel en particulier. Reste que je suis heureux ici. On voit que c’est un pays qui aime le foot. En France, vous devez payer pour regarder le foot à la télé. Ici, sur le service public, on vous montre de larges résumés de tous les matches. Ça ne restreint pas l’audience à un public de niche.  »

Avant de s’attaquer aux Mauves, l’ambiance est au beau fixe au Canonnier. Les résultats positifs ont donné le ton à tout un groupe. Les vannes fusent, la salle des joueurs respire l’humour potache.  » Cette année, on est beaucoup plus mature. Je parle du jeu car pour le reste ( il rit)…  »

par thomas bricmont

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