» Liverpool, j’y suis, j’y reste « 

Malgré les apparences, l’ancienne étoile du Standard trouve petit à petit ses marques à Anfield Road. Rencontre et confessions.

 » J’ai demandé la nationalité belge il y a six mois  » : Milan Jovanovic (29 ans) n’est jamais avare de surprises quand il rencontre la presse.  » J’ai déjà beaucoup voyagé et je peux vous affirmer que la Belgique est un pays unique. C’est ma deuxième patrie. Je lui dois tout, ma carrière et ce transfert en Angleterre. J’y achèterai un appartement. A la fin de l’année, si j’en ai la possibilité, je passerai quelques jours avec mes amis à Liège. J’en ai besoin. « 

Il a le visage émacié de l’athlète en forme qui retrouve toutes ses sensations. A Liverpool, Jova occupe un penthouse lové dans un grand parc. Un seul joueur des Reds n’a pas de voiture : lui. Alors que d’autres collectionnent les limousines et les carrosses, il jongle avec les taxis :  » Le club a un contrat avec une société de cabs : c’est plus simple, et plus économique. Je suis bien organisé et cela ne me pose aucun problème. Entre les entraînements, les matches et les voyages, je n’ai qu’une chose à faire : me reposer. Et c’est indispensable. Ma femme et mes enfants se trouvent à Novi Sad, en Serbie. Mes deux fils ne peuvent pas fréquenter une école gardienne ici avant l’âge de trois ans. Même s’ils me manquent, c’est plus simple comme ça pour le moment.  »

Le centre de Liverpool a subi un coup de jeune et d’anciens quartiers industriels ont été soigneusement relookés. L’ Albert Dock vaut la promenade avec ses quais, ses bateaux, ses cafés branchés et ses boutiques le long de la Mersey. Les touristes s’y attardent en se souvenant de Gerry and the Pacemakers ( Ferry cross the Mersey ou You’ll never walk alone, l’hymne des Reds) ou, bien entendu des Beatles. Les paroles des quatre garçons dans le vent flottent sur leur ville.

All you need is love, Milan ?

Jovanovic : Maybe my friend, maybe. Je dois reconnaître que j’ai passé une période assez difficile mais c’est le passé. Ici, j’ai découvert un nouveau système de jeu, un autre championnat, un club totalement différent de ce que j’avais connu au Standard, une mentalité très intéressante et inconnue pour moi. Mais, après trois mois d’adaptation, de travail et de petits pas sur les chemins du progrès, je me sens mieux. Même si je me suis interrogé, mais sans douter, je savais que c’était une question de temps. Je montre désormais ce que je peux faire et tout est plus facile à l’entraînement ou en match.

Il y a eu un déclic à Naples en Europa League. Je ne dis pas que tout fut parfait mais on a vu le Jovanovic du Standard et de l’équipe nationale serbe. J’ai le potentiel et le talent pour m’imposer en Angleterre. Je vais réussir à Liverpool. Il ne faut pas oublier que mon club traverse une période délicate : un autre coach, des nouveaux joueurs, etc. Liverpool n’était pas au mieux et cela a forcément compliqué mon intégration. C’était une question de temps.

 » Les choses sont désormais plus claires dans ma tête « 

Naples a tout changé ?

On verra mais les choses sont désormais plus claires dans ma tête. Je me suis libéré dans le jeu. A mes débuts à Liverpool, je me suis surtout évertué à remplir les missions que me confiait le coach, à défendre, à ne pas commettre d’erreurs tactiques. Je ne prenais plus le moindre risque dans mon jeu. Je ne tentais plus rien et, finalement, je calculais trop. Ce n’était pas moi. J’ai toujours eu un jeu fait de risques, de dribbles que d’autres n’osent peut-être pas tenter. A Naples, j’ai respecté mon travail défensif mais j’ai aussi été naturel. C’était moi, quoi.

Vous vous sentez mieux à droite ?

Au Standard, je me suis aussi parfois décalé sur la droite pour surprendre et rentrer différemment dans le jeu. Naples a peut-être été surpris par ma position de départ. Je me suis constamment déplacé sur le terrain, que ce soit dans le sens de la longueur, en largeur, à droite, à gauche, dans l’axe. J’ai osé, j’ai tenté, j’ai trouvé des relais. C’est un match sur lequel je peux bâtir. Mais ce n’est pas mon seul point de référence. Avant cela, j’ai pris part à une douzaine de matches, dans leur entièreté ou pas, et ma phase de mise en place est terminée. Je monte en puissance et le reste va suivre, j’en suis tout à fait certain. Il y a des signes qui ne trompent pas. Il ne faut pas oublier que le football anglais est très spécifique.

Spécifique en quoi ?

Il ne faut pas croire que le championnat anglais se résume au jeu de Chelsea, Arsenal, Tottenham ou Liverpool, les équipes les plus techniques. J’ai été étonné par le souci d’avoir des défenses surtout athlétiques. Le football est spectaculaire, évidemment, mais plus défensif qu’on le pense généralement. Et il faut bouger ces bastions. Même Liverpool a d’abord pensé défensivement au cours d’un début de championnat pas très chanceux. Les clubs moins huppés balancent les ballons, surmontent la ligne médiane, bataillent dans les airs. Pour s’en sortir dans ce genre de matches, il faut garder ses arguments mais être capable aussi de jouer parfois de cette façon-là. On n’a pas le temps de faire de la philosophie en Premier League.

Ce n’est pas une révélation.

Non mais je le constate : il y a des batailles permanentes partout sur le terrain et c’est pour cela que la Premier League est le championnat le plus compétitif au monde. Je vais encore vous étonner à ce propos : un nouveau joueur doit s’adapter, comprendre ce que le coach veut, etc. L’adjoint de Roy Hodgson est un Ecossais qui parlait le patois de Liverpool. Même pour un licencié en anglais, c’est incompréhensible. Je crois que le chinois doit être plus simple. Enfin, cela va mieux maintenant. J’ai des cours d’anglais plusieurs fois par semaine. So, you see.

Et Hodgson, il… see ?

Un gentleman !

Mais vous aviez signé à Liverpool pour Rafael Benitez..

Oui, et alors ? Je ne suis pas du style à adapter mon avis à propos d’un coach en fonction de mon statut. D’autres encensent un T1 s’ils sont titulaires. Moi pas : Hodgson est un gentleman…

 » Hodgson me voulait à Fulham « 

Hodgson vous connaît moins bien, non ?

Totalement faux. Je vais vous révéler quelque chose : Hodgson me voulait à Fulham. Et, durant la Coupe du Monde, il a été consultant d’une chaîne de télévision. Hodgson a notamment suivi Allemagne-Serbie. Benitez me voulait, c’était important, mais j’ai signé au FC Liverpool, pas au FC Benitez. Les coaches bougent, pas les clubs. Je suis venu à Liverpool d’abord pour la légende, pour l’ambiance, pour tout ce qu’on peut ressentir dans ce stade. Pour moi, Liverpool et la Juventus sont les deux clubs les plus gigantesques au monde…

Gigantesques ?

J’utilise ce mot pour ne pas dire plus grands. Il y a plus grand que les Reds ou la Juve mais pas plus mythiques. Ici, c’est une religion et Liverpool compte des supporters dans le monde entier, la Juventus aussi. Anfield Road vit pour son équipe, eux c’est nous, nous c’est nous, une famille de 50.000 personnes se réunit à chaque match à domicile. J’en fais partie et j’en suis fier. Cela ne rigole pas pour le moment mais le public est là, exigeant et patient dans la certitude que ce club est éternel et que les résultats et la manière vont suivre. C’est unique et je veux en être digne. J’en serai digne.

Hodgson n’est-il pas plus défensif que Benitez ?

Je n’en suis pas sûr. Tout est plus défensif, ou plus prudent, que je le pensais. Je suppose que Benitez l’était parfois aussi, quand il le fallait. Hodgson a opté en gros pour un 4-5-1 avec Fernando Torres en pointe. Lui aussi est sur le point de retrouver son meilleur niveau.

L’arrivée de Joe Cole vous a-t-elle étonnée ?

Non pourquoi ?

Il joue à votre place préférée, a hérité de votre numéro de maillot…

Rien n’appartient à personne. Joe Cole est un grand et il peut évoluer à d’autres postes. Moi aussi. J’aimerais jouer plus en pointe mais je décroche. J’ai un jeu naturellement offensif. Je travaille, tout le monde bosse et quand l’équipe aura trouvé son rythme de croisière, ce sera plus facile pour tout le monde. J’attends mes beaux jours, mes grands moments. Ils viendront car je sais que je peux faire la différence. Je me suis parfois interrogé mais je ne me suis jamais inquiété. J’ai du métier quand même, je connais la musique et je sais aussi qu’on peut échouer dans un grand club et réussir dans un autre. Alberto Aquilani avait été acquis pour une fortune mais ne s’est pas adapté à Liverpool. Il a été loué à la Juventus où il a retrouvé son football. Cela fait aussi partie du football. Je me sens bien, je m’entends bien avec Fabio Aurelio et je sens de mieux en mieux un énorme joueur, un génie.

Un génie ?

Oui, Steven Gerrard est un génie. J’ai connu ou affronté des supers. Gerrard est le plus grand, le meilleur, il faut le voir au quotidien. C’est…, je n’ai pas de mots.

A ce point-là ?

Gerrard joue juste, donne le bon ballon au bon moment, percute, patiente ou distribue quand il le faut, pas trop tôt, jamais trop tard. Son placement est judicieux et il s’appuie sur une technique 24 carats…

N’en jetez plus, la cour est pleine…

C’est mérité, mille fois mérité. Il y a du talent dans toutes les lignes : Torres, Cole, Dirk Kuijt, Maxi Rodriguez, Paul Konchevsky, Pepe Reina, Jamie Carragher, Sotiriod Kyriakos, Raul Meireles, Ryan Babbel,… Je peux continuer. Un paquet d’internationaux…

 » J’ai un des meilleurs contrats de Liverpool « 

Mais pourquoi Liverpool brille-t-il en Europa League et pas Premier League ?

Nous avons eu un peu de chance en Europa League, jamais en championnat. Au top niveau, il n’y a pas de grandes différences entre les équipes. Tout se joue parfois sur le mental, la force d’un détail tactique. Une équipe continentale peut plus facilement gagner contre un top anglais que Liverpool ou Arsenal face à Bolton ou Sunderland. Je vous avais promis une surprise, la voici : le Standard des deux titres terminerait dans le top 6 anglais…

Vous rigolez ?

Ah… mais pas du tout. Anderlecht aussi. On a tort de snober la D1 belge avec son engagement et ses duels. Le Standard dont je parle a fait jeu égal avec Liverpool, sorti Everton avant de signer d’autres exploits. Il y a de bons joueurs belges en Premier League : Vincent Kompany (un des meilleurs arrières d’Angleterre), mon cher Marouane Fellaini (nous nous sommes promis d’échanger nos numéros de portable et on va se voir), Thomas Vermaelen (superbe), Moussa Dembélé, Jelle Van Damme qui…

… selon la rumeur pourrait être loué à Anderlecht en janvier.

Ah, tiens.

Ben, oui, comme vous ?

Comme moi, je ne pense pas. J’ai entendu ces rumeurs. J’ai laissé une trace en Belgique et ce sont des compliments qui me font plaisir.

Pas plus ? Anderlecht or not Anderlecht ?

Liverpool, only Liverpool. Pour le moment, tout passe par Liverpool. Evidemment, je ne sais pas de quoi demain sera fait. Personne ne peut lire l’avenir en football. Tout peut basculer du jour au lendemain. La valise d’un joueur professionnel est toujours prête. J’ai signé un contrat de trois ans à Liverpool. Je suis ici pour relever un challenge sportif. Je le gagnerai. Je reste ici car je suis un compétiteur. Je rêvais de Liverpool, j’y suis, j’y reste. C’est une récompense pour moi, pour…

Pour vous et le Standard, blablabla…

Non, non, je le pense.

Herman Van Holsbeeck va être déçu d’apprendre que vous resterez à Liverpool. Il a eu raison de déclarer : – Plus on en parle, moins il y a de chance qu’il vienne.

Je sais qu’on m’apprécie à Anderlecht. J’en suis fier comme je suis fier du souvenir que j’ai laissé en D1. Et je n’ignore pas que ce club était prêt à faire un effort financier. Anderlecht est le club belge le mieux coté à l’étranger. Il n’y a pas plus prestigieux en Belgique. Il faut me comprendre : j’ai un des meilleurs contrats de Liverpool. Je ne peux pas y renoncer comme cela. J’aime bien Anderlecht. Mbark Boussoufa est un grand joueur. Même si je ne lis pas beaucoup la presse, je sais que les clubs anglais, surtout Tottenham, Chelsea et Arsenal, suivent Romelu Lukaku. S’il vient, il cassera la barque. J’ai appris qu’Olivier Deschacht a été opéré. Il faudra que je lui téléphone.

Et le Standard ?

Quoi, le Standard ?

Ben oui, quoi ?

C’est mon club. C’est chez moi, je suis Standardman et jouer ailleurs en Belgique, je ne sais pas.

 » Lucien D’Onofrio ne m’a pas mis des bâtons dans les roues « 

Mémé Tchité a joué au Standard et à Anderlecht avant de revenir à Sclessin !

Oui, comme quoi on ne sait jamais. Le Standard est un club qui forme ou relance des joueurs. Steven Defour et Axel Witsel sont d’ailleurs cités en Angleterre. Steven à Manchester United, je crois. Pourquoi pas ? J’ai passé des moments magnifiques au Standard où je suis arrivé à l’essai, j’ai réussi grâce au soutien du tout un club et d’un joueur qui est parti : Milan Rapaic. Il a été fantastique avec moi. Le Standard…

… ne vous a pas salué au moment de votre départ : pas une gerbe de fleurs, rien !

Cela m’a fait un peu mal quand même, ce départ par la petite porte. Mais je suppose que cela s’arrangera.

Vous auriez dû signer en Italie comme Lucien D’Onofrio vous le demandait et vos adieux auraient été grandioses, non ?

Ne vous méprenez pas. Je n’ai pas signé en Italie alors que j’adore ce pays, son football, sa culture, sa cuisine, sa façon de vivre et sa mode. Mon meilleur ami, Milos Krasic, est hyper-heureux à la Juventus. L’AC Milan, c’était aussi une opportunité fabuleuse pour moi. Mais j’ai estimé que Liverpool me convenait mieux. Lucien D’Onofrio ne m’a pas mis des bâtons dans les roues. Il m’a aidé, permis de réaliser le grand transfert de ma carrière. Il est venu à la remise du Soulier d’Or et a bien relayé mon désir d’avoir Paul Van Himst et Wilfried Van Moer à côté de moi pour cette circonstance. Lucien D’Onofrio est et reste un ami, Pierre François aussi.

Pourtant, la dernière saison a été difficile.

Oui. J’avais été opéré au genou, j’ai souvent eu mal mais j’ai joué comme je le pouvais, avec mes moyens du moment. Je ne me suis jamais épargné. Si je l’avais fait, je n’aurais pas décroché deux titres, le trophée du Footballeur pro, le Soulier d’or, deux Supercoupes de Belgique et de grands matches européens. Maintenant, je reconnais que le transfert à Liverpool a occupé mes pensées. Je me suis farci deux examens médicaux approfondis à Liverpool. J’y ai été examiné des pieds à la tête avant d’être jugé bon pour le service.

Les relations avec Dominique D’Onofrio ont parfois été tendues, n’est-ce pas ?

Oui mais c’était normal. Je n’avais pas apprécié l’une ou l’autre remarque publiée dans la presse. Je suppose que Dominique et Jean-François de Sart voulaient plus de moi mais c’est simple, je ne pouvais pas. Et cela arrive dans la carrière d’un joueur. J’aurais aimé qu’ils s’en rendent compte. Bon, cela ne m’empêche pas de reconnaître leurs mérites : ils nous ont permis de prolonger notre campagne européenne.

Beau compliment alors que vous étiez le chouchou de Laszlo Bölöni.

Je n’étais le chouchou de personne. Bölöni est un grand coach et je l’aime encore plus actuellement que quand il était mon coach au Standard. Moi, je n’ai pas attendu son départ pour le critiquer. Je ne l’ai pas fait via la presse, je lui ai dit ce qui n’allait plus devant tout le monde, dans le vestiaire. Si d’autres préfèrent autrement, c’est leur problème, pas le mien. Ils ne doivent pas en tout cas m’adresser des reproches. Il faut être logique et juste : avant de perdre pied, Bölöni a prolongé l’£uvre de Michel Preud’homme, lancé des jeunes et préparé des exploits européens.

Le Standard n’est pas un fleuve tranquille, Liverpool non plus avec un changement de proprio.

Cela ne concerne nullement l’effectif. Je ne fais pas de soucis. Quand le stade entonne son You’ll never walk alone, j’en ai la chair de poule. On mesure tout ce que Liverpool représente pour eux. Fabulous, my friend.

PAR PIERRE BILIC – PHOTOS REPORTERS

 » Le Standard des deux titres terminerait dans le top 6 anglais. « 

 » Je n’étais pas le chouchou de Bölöni. « 

 » Anderlecht est le club belge le plus prestigieux à l’étranger. « 

 » Le Standard, c’est mon club, c’est chez moi. « 

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