Liverpool-Cl. Bruges : 1-0

 » J’aurais dû prendre ce ballon de Dalglish  » se lamente toujours l’ancien gardien des Blauw en Zwart, 30 ans après la finale de C1.

B irger Jensen porte un regard optimiste sur la vie… ce qui n’est pas évident quand on souffre du dos. Après sa carrière de gardien, il a successivement travaillé au port de Zeebrugge, pour un garage qui a fait faillite et une usine de pneus. Il sait ce qui est essentiel :  » Je sors d’une période difficile. Mon frère ne va pas bien, ma femme a été malade. En janvier, j’étais au plus bas, j’ai frôlé la dépression. Je ne sortais presque plus, je n’avais plus goût à rien. Heureusement, ma femme a surmonté ses problèmes. Depuis, plus que jamais, j’essaie de profiter de la vie. J’ai toujours été un noceur et je le suis resté, en fin de compte. L’âge ne m’a guère changé. Quand on est coincé, on ne preste pas « .

Jensen n’a jamais coupé le cordon ombilical avec le Club. Il assiste à chaque match à domicile, jubile lors d’une victoire, se morfond d’une défaite. Sinon, il se résigne à son sort : toute sa vie, Jensen a souffert de maux de dos, qui se sont aggravés ces dernières années :  » Le cartilage est usé entre deux vertèbres. Je peux me faire opérer mais il y a 50 % de chances que je perde ma mobilité. Je ne veux pas courir ce risque « .

A 57 ans, il ne travaille plus depuis quatre ans. Il perçoit une allocation d’invalidité et vit au c£ur de la Venise du Nord.  » J’aide ma femme à accomplir les tâches ménagères, je fais les commissions et je roule beaucoup à vélo. J’ai vendu ma voiture : je n’en ai plus besoin. En hiver, les journées passent plus lentement. Parfois, je regarde des vidéos jusqu’à trois heures du matin. Nous effectuons aussi du baby-sitting chez ma fille, qui habite à Veurne et a deux enfants. Nous partons souvent au Danemark. Mon fils, qui a grandi en Belgique, vit à Copenhague… il a fait la connaissance d’une Danoise « .

Intimidation

Birger a joué pour le Club pendant 14 ans et est devenu extrêmement populaire. Il assurait le spectacle, il était un véritable acteur dans la cage brugeoise. Il aimait provoquer et intimider :  » Quand j’avais paré un envoi, je regardais l’avant l’air de dire : – Quel minable tu es. C’était une sorte de guerre psychologique « . Il lui est arrivé de laisser rouler un ballon facile à travers ses jambes pour le cueillir juste avant qu’il ne franchisse la ligne de but :  » Je trouvais qu’il fallait rire pendant un match aussi, même si des gens me disaient que c’était mauvais pour leur c£ur « .

Il était la… colonne vertébrale de l’équipe que le légendaire entraîneur Ernst Happel a menée en finale de la Coupe des Clubs Champions il y a trente ans, le 10 mai 1978. Depuis quelques semaines, on ne lui parle plus que de ça.  » Quatre jours avant cette finale, nous devions nous produire au Sporting Charleroi, en Coupe de Belgique. Nous déplorions tellement de blessés que Happel nous avait interdit de tacler. Nous avons été battus 3-0. Charly Jabobs a été l’homme du match. Il ne comprend toujours pas aujourd’hui par quel miracle il a pu se balader ainsi à travers la défense du Club… Mais pour la lutte contre Liverpool, nos batteries étaient vides. C’était à cause de la seconde manche des demi-finales, à Bruges, contre la Juventus. A l’aller, nous avions été battus 1-0. Ernst Happel a aligné quatre attaquants. Blessé au genou, Raoul Lambert a reçu une infiltration avant le match. Nous nous sommes imposés 2-0. Grâce aux droits de retransmission, le Club a gagné 550.000 euros lors de ce seul match, alors que son budget était de 4 million d’euros « .

La finale contre Liverpool n’a donc pas été un succès.  » Lambert n’a pu être rétabli à temps. Nous sommes donc passés du 4-3-3 au 4-4-2. Le Hongrois Lajos Kü, qui avait disputé son premier match à Charleroi, a été aligné. Paul Courant n’a pas joué, Jos Volders n’était pas tout à fait rétabli et Leen Barth, notre deuxième gardien, a pris place sur le banc alors qu’il souffrait d’un déboîtement de l’épaule. C’est vous dire « .

Le Club s’inclina 1-0. Birger Jensen livra le match de sa vie, même s’il fut battu, à la 64′, par un lob de Kenny Dalglish, la grande vedette de Liverpool :  » J’aurais dû attraper le ballon de Dalglish. Les attaquants britanniques shootent toujours sèchement, ils sont faciles à intercepter. Seul Dalglish avait parfois recours à ces tirs flottants. J’aurais dû le savoir. Le ballon m’est passé à côté des mains « . Il secoue la tête, sans trouver anormal que nul ne l’eût averti de ce genre de particularités :  » Sous Happel, nous tenions très peu de discussions tactiques. Il se contentait d’écrire au tableau la composition de l’équipe adverse. Il visionnait rarement un match. Avant la finale, planté devant le tableau, il a dit : – Liverpool est Liverpool et nous sommes le Club Bruges. Sans plus. C’est là que résidait la force de Bruges : nous ne nous occupions pas de nos adversaires, nous appuyant sur nos propres possibilités. Maintenant, quand on pénètre dans le bureau d’un entraîneur, on a l’impression de se retrouver dans une bibliothèque : c’est rempli de livres, de bandes vidéo et de toutes sortes de choses de ce genre. Sur le bureau de Happel, il y avait un calendrier et un verre « .

Un casque de mineur

On ne peut évoquer le Club Bruges des années 70 sans rendre hommage à Happel :  » Il débordait d’audace. Cela me plaisait. Maintenant, en cours de match, les entraîneurs remplacent souvent un attaquant par un autre. Happel, quand ça n’allait pas, remplaçait un défenseur par un avant. Il nous parlait peu. Il était hargneux. Son mot préféré était Scheisse (merde). Il buvait des quantités incroyables d’alcool, cognac, genièvre, etc. Quand on passait devant lui avant un match, on inhalait l’alcool. Mais pendant le match, il était très attentif. Une fois, au vert à Knokke, il avait invité quelques amis autrichiens à jouer aux cartes. Le lendemain matin, j’ai poussé le nez dans l’alcôve où ils s’étaient tenus. Il y avait 24 bouteilles de boissons fortes. Vides, évidemment. J’étais tellement stupéfait que je les ai comptées deux fois. Happel déjeunait et aucun indice ne laissait supposer la nuit qu’il venait de passer « .

Les entraînements de Happel étaient remarquables :  » Toujours avec ballon et tellement variés qu’on se demandait d’où il tirait ses idées. Il faisait tout lui-même. Son adjoint, Thieu Bollen, était son souffre-douleur. Il l’appelait le provincial limbourgeois. Quand, pendant l’entraî- nement, un ballon volait dans les buissons et que Bollen tardait à le retrouver, Happel lui criait : – Allume la lampe de ton casque de mineur ! Nous éclations de rire, évidemment. En fait, Happel faisait du show car quand il a rejoint le Standard, il a emmené Bollen. Il était particulier à l’égard des joueurs aussi. Il avait interdit à Georges Leekens de dépasser la ligne médiane, sous peine d’écoper d’une amende de 125 euros. Au repos, quand nous changions de camp, Leekens demandait toujours en souriant : – Puis-je franchir la ligne médiane ? Happel raffolait de ce genre de plaisanteries. Leekens était un brillant défenseur. Parfois, on pensait l’avoir passé mais il reprenait le ballon de ses longues jambes. Il formait un formidable duo central avec Edi Krieger. Happel l’avait engagé pendant que nous préparions la saison à Francfort. Krieger était frêle. Je me suis demandé ce qu’on nous avait refilé. Nous l’avons vite appris. Krieger déterminait quand déployer le piège du hors-jeu. Le plus remarquable, cependant, était la profondeur des deux arrières latéraux, Bastijns et Volders. C’était nouveau. Happel avait amené cette idée des Pays-Bas. Nous enfermions l’adversaire « .

La liste des anecdotes concernant Happel est interminable :  » Je ne l’ai vu commettre une erreur tactique qu’à une seule reprise. C’était en Coupe d’Europe, à Wisla Carcovie. Nous avions gagné 3-1 à domicile et nous étions menés 1-0 en Pologne. A dix minutes de la fin, Happel ordonna de renoncer au hors-jeu. Et les Polonais ont marqué à deux minutes de la fin… Quand je suis rentré au vestiaire, j’ai jeté mes chaussures à la tête de Happel. Il m’a répondu : – Tu seras bientôt débarrassé de moi. René Vandereycken bouillait. Nous avons dû le retenir pour qu’il ne se batte pas avec Happel. René a toujours été un homme spécial. Il ennuyait toujours les autres mais il ne fallait pas lui rendre la pareille. Il était cependant un footballeur brillant, comme Happel les aimait. Il n’était pas comme Hassan ou Boussoufa, il courait et travaillait. Je n’ai jamais compris pourquoi, devenu entraîneur, il n’a pas adopté le football aventureux de Happel. Ses deux années en Italie ont dû le déformer « .

 » Bon appétit « 

Birger Jensen est heureux des moments vécus au Club, même si ses débuts furent pénibles.  » Savez-vous qu’Arsenal s’est intéressé à moi et que j’ai aussi discuté avec Constant Vanden Stock concernant Anderlecht ? Mais celui-ci comptait déjà trop d’étrangers. A l’époque, on ne pouvait en avoir plus de trois. Waregem me convoitait aussi pour la finale de la Coupe. Son gardien, René de Jong, était blessé. J’ai choisi le Club car Ulrik Le Fèvre y jouait. Il m’avait conseillé. Nous jouions ensemble en équipe nationale. Les premiers mois ont été très difficiles. Le Club avait des problèmes financiers, nous avons été payés en retard et j’ai dû attendre près d’un an ma prime à la signature. Un jour, j’ai trouvé quelqu’un à la porte de mon appartement : j’étais prié de déménager, le loyer n’étant plus payé depuis des mois. Dans des conditions pareilles, on n’a pas la tête au football. Plus tard, cette saison-là, Michel Van Maele m’a aidé. Il a résolu tous les problèmes « .

Birger Jensen s’est adapté sans problème au jeu du Club Bruges :  » Comme nous jouions loin du but, je faisais fonction de second libéro, ce qui me plaisait. Mon principal atout était de n’avoir pas de point faible. Parfois, je disais, à l’entraînement : – Aujourd’hui, personne ne mettra le ballon dedans. Et je tenais parole ! Mais j’étais trop nonchalant. Quand nous recevions Berchem, il m’était difficile de me concentrer sur le match. Mes pensées s’envolaient « .

Les saisons qui ont suivi le départ d’Ernst Happel ont été les plus difficiles de Jensen, en 14 ans au Club :  » Nous avons été entraînés par Rik Coppens et Spitz Kohn. Coppens n’était pas dur. Il faisait toujours jouer des petits matches, afin de pouvoir y participer. Il se chargeait de tous les coups francs et des corners. Un moment donné, Jan Sörensen était tellement fâché qu’il a dit au coach : – Joue donc dimanche aussi. Puis il est rentré au vestiaire. Spitz Kohn était encore pire. Il demandait aux joueurs quel poste ils occupaient. Au vert, quand nous nous mettions à table pour le souper et que nous commencions à manger, il criait que nous devions attendre qu’il ait dit – Bon appétit. Nous l’avons pris à part : nous n’étions pas à la maternelle « .

Un marrant

Jensen continue à vouer un authentique amour au Club Bruges, même si ses adieux lui ont laissé un goût amer :  » Après 14 ans, j’ai reçu une lettre m’annonçant que mon contrat ne serait pas prolongé et qu’on me remerciait pour les services rendus. J’ai toujours dit ce que je pensais, ce qui m’a parfois valu des problèmes avec des gens comme Antoine Vanhove, par exemple. Plus tard, nous avons eu une conversation d’adultes « .

Depuis, sa femme et lui ont un abonnement gratuit. Il vit au rythme du Club et a son idée sur l’équipe actuelle :  » Le Club a besoin d’un footballeur apte à réaliser une action individuelle, ni plus, ni moins. Cela doit absolument changer. JackyMathijssen ne travaille pas mal, même si on voit qu’il a été gardien de but : il s’appuie avant tout sur une solide organisation défensive. Il n’a pas beaucoup d’audace. Mais qui en a, à l’heure actuelle ? Le groupe recèle deux ou trois pommes pourries mais elles vont partir. J’espère que Mathijssen va accomplir un pas en avant la saison prochaine. C’est surtout une question d’équilibre. Avec le pauvre Sterchele, Sonck était superflu car ils n’étaient pas complémentaires. Sonck a bien débuté la saison mais après sa blessure, il a forcé. Il tente de passer un homme alors qu’il en a toujours été incapable. Qu’il joue simplement !  »

Il trouve la vie actuelle trop sérieuse.  » Il y a peu de joie sur le terrain. Tout est froid. J’aurais du mal à fonctionner dans cette ambiance. J’ai toujours été très sensible à l’atmosphère. Plus il y avait de monde, meilleur j’étais « . Jensen osait même défier et provoquer les supporters adverses :  » Parfois, ils me lançaient des réflexions dénigrantes. J’empoignais le ballon et le leur lançais à la tête. Tout simplement parce que je trouvais qu’il fallait offrir quelque chose au public « .

Birger Jensen suit attentivement le championnat. Il n’hésite pas une seconde quand on lui demande qui est le meilleur portier :  » Olivier Renard. Il est complet, comme moi avant « . Il éclate de rire.

par jacques sys

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