Pierre Bilic

Sa musique à lui, c’est le football. Et la volonté de Mémé semble aussi grande que celle de Bob Geldof.

Il n’est pas du style à hausser la voix ou à rouler des mécaniques sur un terrain de football. Mohammed Tchité a d’autres armes, souvent redoutables, qui se nomment courage, travail, confiance et surtout vitesse.

Quand ce léopard déroule sa foulée, personne ne le rattrape : les défenseurs n’ont plus qu’à noter le numéro de son maillot, le 25. Live 25 car ce sera son concert pour réussir sa carrière. Depuis le début juillet, il est beaucoup question de l’Afrique avec les concerts du Live 8 de Londres, Rome, Paris, Berlin, Philadelphie, Johannesburg, Tokyo, Moscou, Toronto et Edimbourg (suivis par 2 milliards de spectateurs) mais on nota une trop maigre représentation d’artistes africains. Ils sont heureusement plus nombreux à manier un ballon dans les plus beaux stades européens. Plus personne n’imagine le football de notre continent sans eux.

Si certains étaient connus en débarquant en Europe, la grande majorité a affronté l’incertitude et la solitude avant de mériter, éventuellement, une place au soleil. C’était le cas de Mohammed Tchité. Il y a un an, le grand public ne le connaissait pas. Il avait passé des tests à Lokeren, à Charleroi et à Anderlecht mais c’est Daniel Boccar, alors en charge des brigades des jeunes à Sclessin, qui cerna le mieux son potentiel, l’aligna lors de huit matches de l’équipe Réserve en fin de saison 2003-2004. Quelques semaines plus tard, l’Africain était repris dans le noyau A pour le championnat suivant.

 » Je suis satisfait mais sans plus  »

 » C’était peut-être étonnant aux yeux de ceux qui n’avaient jamais entendu mon nom mais pas pour moi « , dit-il.  » J’ai toujours vu plus loin. Je savais que j’étais capable de bien jouer en Europe. Ce que j’ai fait jusqu’à présent, ce n’est rien. J’ai joué, d’accord, mais cela ne suffit pas. Je dirais même : et alors ? Je suis satisfait, sans plus. Je retiens aussi la deuxième partie de la saison. Elle fut moins brillante que la première. Même si cela s’explique par une blessure, cela m’a un peu déçu. Pour moi, rien n’est acquis, tout reste à faire. Je ne suis pas encore une valeur stable de la D1. Mais je peux le devenir « .

En début 2004-2005, le Standard fit ses courses lors des marchés de la fin de l’été. Il manquait un peu de tout : de l’ail, du fenouil, des courgettes, des poivrons, etc. Mohammed Tchité avait pas mal d’ingrédients dans son sac et il ajouta même un peu de pili-pili à la cuisine liégeoise. Au resto de la D1, le jeune homme fit office de révélation du début de la saison. Sa remarquable pointe de vitesse suscita l’étonnement et même une comparaison avec Emile Mpenza en personne. Beau compliment. Alexandre Kaklamanos ayant les idées ailleurs, le gamin forma un couple intéressant avec SambegouBangoura.

La nouvelle flèche noire de Sclessin plongeait sans cesse dans les espaces, améliorait régulièrement le record du monde du 100 mètres. Un spécialiste du trafic aérien et un sprinter : Sam et Mémé s’entendaient comme des frères jumeaux. Tchité portait littéralement une grande partie du poids de l’attaque liégeoise sur ses frêles épaules. Avec le recul, on mesure mieux tout ce qu’il a apporté. Sans lui, le Standard aurait eu d’autres maux de tête avant d’intégrer des stars comme Sergio Conceição, Milan Rapaic, etc. La charge de travail était-elle cependant trop lourde pour ce jeune qui était passé brutalement de l’amateurisme propre à l’Afrique au rythme professionnel ? Probablement. Après avoir rendu service jusqu’en décembre, il s’effaça.

 » Je ne crois pas que la multiplication des matches épuisa progressivement mes ressources « , avance-t-il.  » Tout a commencé par une blessure au pied droit contre Parme. J’ai aussi été touché à la cheville face à Maasmechelen en Coupe de Belgique. J’ai mordu sur ma chique jusqu’en fin de premier tour. Un début de pubalgie m’ennuya aussi. J’ai dû prendre du repos. Or, l’équipe s’envola après le stage d’hiver. Quand un entraîneur trouve la bonne formule, il n’y touche plus beaucoup, c’est normal. J’étais dans l’incapacité de revendiquer ma place. C’est un de mes grands regrets. Je me suis révélé dans une équipe qui se cherchait. J’aurais aimé progresser avec des fournisseurs de bons ballons comme Sergio Conceição, Milan Rapaic, etc. A mon avis, mon bilan aurait été plus beau. J’ai marqué cinq buts. C’est déjà quelque chose mais ce n’est pas suffisant. A la fin du deuxième tour, je suis monté au jeu en tant que joker. J’espérais plus car j’étais frais et même en grande forme. Je n’ai jamais eu peur de la concurrence « .

 » Je n’ai plus vu ma famille depuis deux ans et demi  »

Mohammed Tchité ne se grise pas. Rien ne lui monte à la tête.  » Je sais que tout passe par le travail « , affirme-t-il.  » Au Standard, j’ai tout de suite été soutenu par le coach, Dominique D’Onofrio, et le groupe. Des gars comme Eric Deflandre, Philippe Léonard, Wamberto, Sergio Coinceição, Drago et Milan Rapaic m’ont sans cesse encouragé. IvicaDragutinovic me prit tout de suite sous son aile. Il est persuadé que je peux réaliser une grande carrière. Honnêtement, cela fait vraiment plaisir. La volonté, je l’ai. Mais le reste appartient à Dieu. « .

Son prénom indique que Tchité pratique la religion musulmane qui est restée présente en Afrique centrale.  » Non, ce n’est pas tout à fait exact. J’ai des racines au Congo au Rwanda et au Burundi. Mon prénom est en quelque sorte un héritage du passé de mon père. Il n’y a qu’un seul dieu et il dépasse toutes les religions. C’est en lui que je crois « .

Son meilleur ami, José De Médina, nous éclaira à ce propos :  » Il n’a pas encore fait son choix en faveur de l’une ou l’autre religion : c’est Mémé tout craché « .

L’heure du choix définitif de nationalité, il la reporte aussi entre le Rwanda, le Burundi et la République démocratique du Congo. Il a joué au Rwanda (Prince Louis de Bujumbura) et au Rwanda (Victory Sport Mukura) mais l’appel du Congo est pressant aussi. Il verra plus tard. A la fin de la saison passée, le Standard lui décerna une belle récompense. Avec Michel Garbini, Mohammed Tchité compléta l’effectif de la Juventus qui s’envola pour une tournée en Asie.

 » J’avais envie de rentrer en Afrique « , confie-t-il  » Je n’ai plus vu ma famille depuis deux ans et demi. Michel Preud’homme m’a dit que ce voyage était un signe de confiance que le Standard avait placé en moi. Cela me faisait plaisir d’entendre cela. Et ce fut une belle aventure. Il y avait des géants du football mondial autour de moi : Lilian Thuram, Pavel Nedved, FabioCannavaro, LuigiBuffon, David Trezeguet, etc . Nous les avions rejoints en Allemagne avant de prendre un avion pour le Japon. Tous ont été remarquablement gentils avec nous, surtout le coach, Fabio Capello. Je n’ai pas osé déranger ces stars durant le vol. Je n’ai joué que quelques minutes au cours de cette tournée. Mais ce n’était pas le principal. J’ai surtout découvert un autre univers, le top mondial. J’ai pu m’entraîner et mesurer les progrès que je devais faire. La saison passée, j’ai amélioré mon physique, ma lecture du jeu, ma gestion des faits d’un match, mon calme à la finition. Mais quand on voit un Alessandro Del Piero à l’£uvre, on mesure qu’il y a encore du pain sur la planche : c’est normal « .

A son retour d’Asie, Mémé se reposa chez son ami José De Médina à Bruxelles. Petit à petit, il fut question d’un prêt au FC Brussels, à La Louvière, à Lokeren, etc. Le joueur est resté très prudent dans ses déclarations, ne refusa rien mais préférait visiblement rester à Sclessin au Standard.  » Je me concentre sur le Standard « , affirme- t-il.

Alors que Bangoura était victime d’une attaque de malaria en Afrique, Mémé empila les buts lors des premiers matches amicaux du Standard. Il en parla avec joie. Pour lui, l’essentiel sera de jouer le plus souvent possible tout au long du prochain championnat.

Ce moineau d’Afrique s’est envolé avec son numéro 25 dans le dos

 » Le Standard a éprouvé la formule des prêts pour que des promesses amassent du temps de jeu en D1 « , rappelle Dominique D’Onofrio.  » Ce fut le cas d’ Onder Turaci qui s’est élancé à La Louvière avant de revenir au Standard. Ce passage au Tivoli lui fit un grand bien. J’imagine que Mémé pourrait vivre la même chose en passant une saison dans un autre club. La saison passée, il a un creux pendant le deuxième tour. Mémé a besoin de jouer « .

Michel Preud’homme partage le même avis que son entraîneur. Il a eu des contacts avec pas mal de clubs, dont surtout le FC Brussels. Johan Vermeersch, le patron de Molenbeek, veut à tout prix engager Mémé Tchité. La Louvière a trouvé chaussure à son pied avec Nordin Jbari et l’Argentin SergioSanchez. Lokeren attend son heure et a l’avantage de posséder une colonie africaine.

 » Pour le moment, nous étudions le dossier « , affirme Michel Preud’homme.  » Il y a deux paramètres : le club et le joueur. Le Standard peut-il se passer de ce joueur ? Notre noyau offensif est-il suffisamment étoffé ? Puis, il s’agira de choisir le club qui, en cas de prêt, conviendra le mieux au potentiel de Mémé. Il ne s’agira pas de le céder n’importe où car il en va de son avenir. Ce joueur a un énorme potentiel. Il faut le préserver, lui offrir le meilleur cadre pour son épanouissement que ce soit ici ou dans un autre club. Ce n’est pas une décision qui se prend en une fraction de seconde « .

Mémé Tchité est sur la bonne voie. Il y a un an, ce gamin de 21 ans ne pesait pas lourd dans l’actualité. Avec ses 69 kilos pour 1,76 m, ce moineau d’Afrique s’est envolé avec son numéro 25 dans le dos, grillant des défenseurs puissants comme des rugbymen et grands comme des rois du basket. Il ne doit rien à personne, a joué tout seul son Live8, sans U2, Madonna, Calogero, Bon Jovi, Crosby Stills and Nash, Snow Patrol, Dido, Annie Lennox, Wet Wet Wet, etc. Où auront lieu les prochains concerts de Mémé ?

Pierre Bilic

 » Ce que j’ai fait jusqu’à présent, CE N’EST RIEN « 

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