Lion Indomptable

Le meilleur buteur du championnat de Belgique a passé cinq jours avec Samuel Eto’o et l’équipe nationale du Cameroun.

Herzogenaurach, à 30 kilomètres de Nuremberg. La petite ville bavaroise est coupée en deux : d’un côté, la partie Adidas ; de l’autre, la partie Puma. C’est le résultat d’une dispute entre les frères Adolf (fondateur d’Adidas) et RudolfDassler (fondateur de Puma). Aujourd’hui, la hache de guerre semble enterrée : Puma, qui a invité les Lions Indomptables à effectuer un stage dans la localité, les a logés à l’hôtel Herzogs Park, dont la propriétaire n’est autre que la petite fille d’… Adolf Dassler. C’est dans ce même hôtel, catalogué comme l’un des dix meilleurs d’Allemagne, que logeait l’Argentine durant la Coupe du Monde 2006.

La température frise le zéro degré et la neige est même tombée, au point que l’on avait craint, un moment, que les entraînements doivent avoir lieu en salle. Il n’en sera finalement rien, mais c’est bien emmitouflés que les gens de la délégation camerounaise se risquent à mettre un orteil dehors.

 » Il fait froid, n’est-ce pas ? » lance Bertin Tomou, invité-surprise de ce stage.  » C’est encore pire qu’à Mouscron ! Aujourd’hui, cela va encore, mais hier, c’était la cata…  »

 » Où se trouve le grand joueur qui écumait les équipes de jeunes ? »

 » Beaucoup de personnes ont l’impression que Bertin est un petit nouveau au sein du top camerounais, mais c’est l’un des plus anciens de la sélection « , confirme MadeleineSoppi, qui travaille pour la Radio Camerounaise.  » Il a franchi toute la filière des sélections nationales de jeunes. Lorsqu’il est parti en Chine, on l’a un peu perdu de vue. On a essayé de le suivre du mieux qu’on pouvait : des gens envoyaient des vidéos et on recevait des informations via le net, mais c’était parfois très vague. Certains s’inquiétaient, d’autant qu’il a souvent changé de club : – Legrandjoueurquiécumaitlessélectionsdejeunes, setrouvetil, maintenant ? se demandait-on. Depuis qu’il évolue en Belgique, c’est plus facile de le suivre. Les Camerounais scrutent l’actualité du football de très près et savent qu’il est le meilleur buteur de votre championnat. Au Cameroun, on dit beaucoup de bien de lui. On pense que c’est un garçon qui peut apporter beaucoup à l’attaque des Lions Indomptables. Il est susceptible de créer un effet de surprise, car les adversaires le connaissent mal. Il pourrait être utilisé comme un joker offensif. Le nouvel entraîneur, l’Allemand OttoPfister, a déclaré que chaque joueur devrait gagner sa place sur le terrain. Le nom et le palmarès ne comptent pas, à ses yeux. Le Cameroun est très riche, footballistiquement parlant : on a des joueurs qui évoluent dans les plus grands championnats européens. Mais certains éléments, comme sa spécificité liée aux options tactiques qui vont être choisies, pourraient jouer en faveur de Tomou « .

Qu’en pensent les joueurs ?

SamuelEto’o, qui se remet d’une déchirure au tendon, a effectué un crochet par l’Allemagne. Son état ne lui permet pas encore de s’entraîner, mais il se devait d’être présent pour la présentation du nouveau maillot away du Cameroun et faire la connaissance de Pfister.  » Juste le temps de le saluer, et dimanche, je reprends l’avion pour Barcelone « , précise-t-il.

Connaît-il Bertin Tomou ?  » Oui, bien sûr que je le connais ! Enfin… pas depuis très longtemps. J’ai jeté un coup d’£il aux entraînements. C’est un très bon joueur. Si nous pourrions former une paire complémentaire à la Coupe d’Afrique des Nations ? Pourquoi pas ? Mais c’est l’entraîneur qui décidera… « 

Le capitaine RigobertSong, qui évolue cette saison à Galatasaray, semble connaître Tomou depuis plus longtemps :  » Ce n’est pas sa première sélection. Il a toujours été avec nous et c’est un joueur qui possède d’indéniables qualités. Je songe en particulier à son gabarit et à sa puissance. C’est l’un des joueurs qui pourraient nous apporter un plus durant la CAN. Lors d’un stage précédent, il avait déjà montré de bonnes choses. Cette fois encore, il prouve qu’il est bien intégré. Sa sélection définitive dépendra sans doute de la tactique que l’on utilisera. Une paire Tomou-Eto’o pourrait fonctionner : un grand, un petit, pourquoi pas ? Je verrais très bien Bertin comme pivot et Samuel qui tourne autour. Pour Tomou, ce serait un rêve « .

 » Avant qu’il ne débarque ici, pour le stage, j’avais vu quelques extraits de ses matches et il m’avait impressionné « , précise Achille Emana, un autre ancien de la sélection qui évolue actuellement à Toulouse.  » Oui, je suis le championnat de Belgique. J’ai fait ajouter des chaînes à mon récepteur. Lorsqu’on est footballeur professionnel, on s’intéresse à tout ce qui touche au métier. Je découvre Bertin en chair et os, et je trouve que c’est un très bon attaquant. Je découvre aussi le personnage et il m’apparaît très sympa. Très posé, également. Je pense qu’on pourra bien s’entendre et qu’il est digne de faire partie de cette grande famille que forment les Lions Indomptables. Ce stage a laissé entrevoir des perspectives intéressantes pour lui. Il devra confirmer, mais il a des chances de faire partie d’un groupe en plein renouvellement, avec un nouvel entraîneur et plusieurs nouveaux joueurs « .

 » Jouer avec Eto’o me donnerait encore plus confiance « 

Pour Tomou, se retrouver à nouveau au milieu de toutes ces stars est un événement qu’il apprécie à sa juste valeur. La récompense de son travail.  » Je n’ai jamais lâché prise dans les moments difficiles que j’ai traversés et cette convocation est une grande satisfaction « , reconnaît-il.  » Jouer la Coupe d’Afrique serait un rêve ? Je dirais plutôt un objectif. Comme tout footballeur, j’aspire à participer à des grandes compétitions : la Coupe du Monde, la Ligue des Champions… et bien sûr, également la CAN au Ghana dans deux mois « .

MarcBrys ne verrait pas le départ de son attaquant d’un très bon £il, mais peut-on empêcher un footballeur de défendre les couleurs de son pays ? Pour un Africain, comme pour un Européen ou un Sud-Américain, une sélection est toujours un honneur difficile à refuser :  » Je comprends le raisonnement de mon entraîneur à Mouscron mais je n’y peux rien si la Coupe d’Afrique est organisée en janvier et février. Tous les joueurs africains évoluant en Europe sont confrontés au même problème et d’autres clubs sont réticents à l’idée de libérer leurs internationaux. Vous comprendrez qu’après les moments de galère que j’ai traversés, j’apprécierais une sélection à sa juste valeur. J’ignore ce que pourrait donner un duo formé par Eto’o et moi, vu que nous n’avons pas encore eu l’occasion d’évoluer ensemble, mais cela contribuerait à me donner encore plus de confiance « .

A 29 ans, Tomou se révèle tardivement au plus haut niveau. De quoi regretter toutes ces années passées en Chine ?  » C’est clair, j’ai perdu mon temps là-bas « , reconnaît-il.  » Mais le destin en a décidé ainsi et il faut que je l’accepte. Lorsque j’ai voulu quitter le Cameroun, l’Asie fut quasiment la seule possibilité qui s’est offerte à moi: d’abord la Corée du Sud, puis la Chine. Aujourd’hui, je dois regarder devant moi. Il n’est pas trop tard, mais il est temps « .

Un titre de meilleur buteur du championnat de Belgique fait souvent office de tremplin. Aujourd’hui, déjà, on chuchote qu’Auxerre suivrait Tomou de près.  » On verra plus tard « , rétorque-t-il.  » Je sais que cela bouge énormément autour de moi, mais j’essaie de ne pas me prendre la tête. Pour l’instant, je continue à me concentrer pleinement sur Mouscron. Après, ce qui arrivera, arrivera. Jouer avec le ballon doré dans le dos me procure énormément de plaisir, mais je suis conscient que je dois aussi mon efficacité au travail de toute une équipe « .

 » Chez nous, on l’appelle Bayard « 

En soirée, la délégation est invitée à Nuremberg pour un dîner. Nous partageons notre table avec JeanJacquesEwong, qui travaille pour camfoot. com. Il s’interroge lorsque nous lui parlons de Tomou.  » Qui ça ? » demande-t-il.  » Ah ! Vous voulez parler de Bayard ? Au Cameroun, nous l’appelons comme cela. C’est son prénom. En Europe, vous avez plutôt tendance à l’appeler Bertin, je ne sais pas pourquoi. En fait, je connais peu de choses de lui. Je sais qu’il joue en Belgique et qu’il est actuellement le meilleur buteur du championnat, mais c’est à peu près tout. Au Cameroun, il est connu dans le milieu du football, mais pas par le grand public. Beaucoup de gens se sont étonnés lorsque la liste des joueurs sélectionnés pour le stage a été publiée : – Bayard ? Ah bon, il joue toujours au football ? Personnellement, je le découvre durant ce stage. Je trouve qu’il a les bons réflexes pour un attaquant, mais ce ne sont que des entraînements. J’attends avec impatience de le voir en match officiel. Je suis l’équipe nationale du Cameroun depuis dix ans et on a souvent organisé des stages à la va-vite. Ce n’est pas facile de rassembler l’équipe pour des préparations sérieuses. Les automatismes sont difficiles à créer et les résultats souvent obtenus grâce au talent individuel des joueurs. Ici, en Allemagne, ce stage était une première prise de contact avant la Coupe d’Afrique des Nations. Il était aussi destiné à ce que les joueurs fassent connaissance avec le nouvel entraîneur Pfister, mais celui-ci n’est resté que deux jours : il était retenu par un match au Soudan. L’élimination de la dernière Coupe du Monde reste encore une blessure ouverte pour beaucoup de Camerounais et j’espère qu’on pourra rebondir durant la CAN, même si je trouve que c’est une génération un peu vieillissante. C’est la même ossature depuis longtemps et on se demande ce qui arriverait en cas de blessure, car la relève se fait attendre. Ou alors elle a plafonné parce qu’elle était barrée par les joueurs en place. Le capitaine Song est une pièce maîtresse depuis 1992 déjà. Eto’o n’est pas vieux, (il a 26 ans), mais lui aussi est déjà là depuis 1998. Je trouve aussi qu’on n’a pas encore trouvé le successeur de MarcVivienFoé, tragiquement décédé sur le terrain de Lyon pendant la Coupe des Confédérations 2003 « .

 » Un bon joueur du championnat belge mérite d’être convoqué « 

L’entraîneur adjoint JulesNgweahIkouam a dirigé les entraînements pendant l’absence de l’entraîneur principal :  » Je connais Bayard depuis sa période à Bamenda. Il avait déjà été appelé dans des petites sélections. Cette fois-ci, on l’a appelé parce qu’on a constaté qu’il réalisait de bonnes prestations en Belgique et on voulait le juger durant ces entraînements. On respecte votre championnat : il est d’un bon niveau et un joueur qui s’y impose mérite, au moins, de recevoir une chance. Je pense qu’on a eu raison de convoquer Tomou. On ne peut pas se contenter d’avoir un seul buteur dans l’équipe, il vaut mieux en avoir plusieurs. Mais ce stage en Allemagne n’était qu’un début, il restera deux étapes à franchir par la suite. Il n’y a pas que les qualités footballistiques qui entreront en ligne de compte, il y aura aussi l’aspect mental. Actuellement, il est trop tôt pour se prononcer sur les chances de Bayard d’être sélectionné. Cependant la première impression est bonne : il s’intègre bien, est très gentil et semble bien s’entendre avec ses partenaires. Mais il faut que ceux-ci apprennent comment lui donner le ballon, et inversement, que lui apprenne comment servir ses équipiers. Les Lions Indomptables ont besoin de joueurs conquérants, très forts sur le plan mental. Je pense que Tomou pourrait entrer en ligne de compte, car on est à la recherche d’attaquants qui ont un certain gabarit et c’est son cas. Il devra continuer à se montrer performant dans son club, à marquer des buts aussi. Je trouve qu’il a progressé par rapport à l’impression qu’il m’avait donnée il y a quelques années. Il joue avec beaucoup plus de précision et est très présent dans le rectangle. Mais la décision finale reviendra à Otto Pfister « .

par daniel devos – photos : reporters/van de vel

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire