LION BELGE

Bruno Govers

Le néo-Diablotin entend marcher sur les traces de son père, Abdellatif, un ancien gardien pro marocain.

Son premier match complet sous la vareuse des Rouches, face au Steaua Bucarest, Marouane Fellaini (18 ans et 1m93) l’a dédié à son père, Abdellatif (57 ans). Non sans raison car cet ancien professionnel du Raja Casablanca et de l’Hassania Agadir, conscient du talent de son fils, s’est investi corps et âme pour lui. Avec l’espoir qu’il fera une carrière plus belle encore que la sienne.

Abdellatif Fellaini : Je suis originaire de Tanger et c’est là que j’ai débuté, au poste de gardien de but, dans les rangs du Proton local, une formation constituée essentiellement de joueurs espagnols (il rit). A 16 ans, je me suis retrouvé pour la première fois entre les perches de l’équipe A, active en D3. Après quelques mois, j’ai été incorporé au sein d’une sélection des meilleurs jeunes du nord du Maroc. C’est dans ce cadre-là que je me suis fait enrôler par le Raja Casablanca, l’un des grands noms, au même titre que le WAC ou les FAR Rabat. Au terme de la saison 1970-71, en raison de promesses non tenues, j’ai été prêté l’espace d’un an à l’Hassania Agadir. Passé ce délai, en lieu et place de retourner à Casa, je me suis envolé à destination de la Belgique. En attendant la régularisation de ma situation footballistique, j’ai travaillé à Bruxelles en tant que chauffeur de tram d’abord, puis de bus. Après deux ans de patience, j’ai rejoué à Uccle Sport, au Racing Malines, au FC Boom et, enfin, au Daring Louvain. Je valais sans doute davantage qu’une place en D2 mais contrairement à certains équipiers qui avaient la possibilité de se concentrer à 100 % sur leur métier, ma vie n’était pas de tout repos. Tous les jours, je me levais à 4 heures du matin pour commencer mon service une heure plus tard. Le soir, après l’entraînement, il était rare que je me couche avant minuit. Dans ces conditions, il était utopique de faire une belle carrière. Aujourd’hui, j’essaie de la réaliser par procuration avec Marouane. Depuis son plus jeune âge, j’ai toujours veillé à ce qu’il puisse s’épanouir dans les meilleures conditions.

Est-ce la raison pour laquelle il a été inscrit à Anderlecht à l’âge de 7 ans ?

Marouane Fellaini : Non. Mon affiliation au Sporting était tout simplement dictée par la proximité. A l’époque, mes deux frères, mes parents et moi habitions avenue de la Reine, à Laeken. Le club le plus proche de notre domicile était le centre de formation du RSCA, au Heysel. Nous y avions été accueillis, un beau jour, par l’ancien soigneur des A, feu Fernand Beeckman. Avec son énorme moustache, il était impressionnant. Je me souviens que sa toute première question était de savoir si je savais réellement jouer car  » Anderlecht, c’était la haute école du foot « . Après une séance d’essai, il n’était subitement plus question que je quitte son bureau sans avoir apposé ma griffe sur un formulaire d’inscription (il rit). A trois reprises, il demanda d’ailleurs à mon père s’il était sûr que je n’avais jamais signé le moindre papier ailleurs. Après une saison au pied de l’Atomium, j’aurais dû en principe être muté à Neerpede. Mais pour être rentré trop tard de vacances du Maroc, aussi bien après ma première qu’après ma deuxième saison, je suis finalement resté au Heysel. Mais l’endroit où je jouais n’avait guère d’importance. L’essentiel était de m’amuser avec les copains. Pendant trois années, j’ai vraiment pris mon pied là-bas. Surtout quand on battait les nationaux de Neerpede. Ce fut un crève-c£ur de rallier l’AEC Mons car je quittais une bande de copains. Enfin, il fallait bien s’y résoudre, dans la mesure où toute notre petite famille avait déménagé à Jemappes. Et papa, vu son emploi du temps, n’avait évidemment pas l’occasion de me conduire à Bruxelles. Par rapport au RSCA, l’Albert c’était un pas en arrière. Mais mon père a toujours soutenu que si j’étais bon, les meilleurs me remarqueraient de toute façon.

A l’école en courant

Abdellatif : La grande ville, avec ses problèmes de délinquance et de drogue, me faisait peur. Aussi, dès que mes économies me l’ont permis, j’ai acheté une petite maison dans le Hainaut. A Bruxelles, nous devions nous rendre jusqu’au parc de Laeken pour trouver un espace vert. A Jemappes, il suffisait tout simplement de descendre dans le jardin. C’était plus pratique car, après mes heures de travail, je ne devais plus charger ma voiture avec des cônes et des ballons. C’était un rituel chez nous : tous les jours, tantôt le matin, tantôt le soir, nous allions courir et taper la balle. Le vallon du Heysel, Marouane le connaît par c£ur.

Marouane : Si je suis habile des deux pieds, c’est à mon père que je le dois. Droitier naturel, il m’a obligé, dès mon plus jeune âge, à me servir du gauche, arguant avec à propos que ce pied-là ne devait pas servir simplement à monter dans son bus (il rit). Et si j’ai du souffle à revendre, c’est à lui aussi que j’en suis redevable. Il m’a toujours obligé à me dépenser. Au départ, j’avais davantage un penchant pour le ballon que pour l’exercice physique. A la longue, je me suis parfaitement accommodé de cette situation. Contrairement aux gars de ma classe qui se rendaient à l’école en voiture, à moto ou à vélo, moi j’y allais toujours en courant. Et je ne m’en plains pas aujourd’hui car j’ai du fond à revendre. En même temps qu’un diplôme de technicien de bureau d’ailleurs (ilrit).

 » Le nouveau Vieira…  »

Après l’AEC Mons, où il a joué de 10 à 13 ans, Marouane a abouti aux Francs Borains, où il est resté trois saisons également. Pourquoi cette mutation ?

Abdellatif : L’écolage et le suivi d’un joueur sont parfois meilleurs dans les petits clubs que dans les grands. J’avais perçu des échos favorables de ce club et c’est pourquoi mon fils a abouti là-bas. Ce fut une bonne décision car il s’est pleinement épanoui à Boussu avant d’être repéré par Khalid Karama, qui officiait à ce moment-là en qualité de scout du Sporting Charleroi. Après avoir vu à plusieurs reprises Marouane à l’£uvre, il m’a dit : -Faites-le venir au Mambourg et on en fera un nouveau Patrick Vieira.

Marouane : Khalid Karama, c’était une référence pour nous. C’est lui, ex-Unioniste, qui avait montré la voie à suivre à des garçons comme Nordin Jbari, Mohamed Lashaf ou encore Nourredine Moukrim. A 16 ans, il va de soi qu’on ne reste pas de marbre devant pareil langage élogieux. Aussi, j’ai suivi ses conseils et je suis passé dans les rangs des Zèbres. J’y ai été incorporé en Réserves après quelques semaines. Je ne pouvais prétendre à plus car je menais encore de front les études et le football.

Abdellatif : J’ai toujours voulu qu’il aille jusqu’au bout de son cycle scolaire. Et je ne suis pas peu fier de lui qu’il y soit parvenu. Combiner les deux n’était pas tous les jours évidents. Après un match des doublures à Bruges, nous étions de retour à la maison aux petites heures, invariablement. Il n’empêche que Marouane potassait quand même ses cours avant de se rendre à l’école. En courant (il rit).

Marouane : L’ardeur à la tâche, je l’ai héritée de mon père aussi. Il a toujours souqué ferme et constitue un modèle pour mes frères Hamza, Mansour et moi. Lorsque nous habitions encore Jemappes, il prenait tous les jours, le premier train à destination de Bruxelles à 4 h 36. Pour ne revenir que tard le soir. Malgré tout, il avait toujours du temps pour chacun d’entre nous. Ce sont des choses qui marquent.

Abdellatif : On n’a rien sans mal dans la vie. Il faut bosser pour se faire une petite place au firmament car le talent seul ne suffit pas. Il est heureux que Marouane ait saisi ce message. Il n’a jamais lésiné sur le travail et en a été récompensé cette année sous la forme de son incorporation en équipe fanion du Standard.

La parole est sacrée

Comment a-t-il abouti à Sclessin ?

Abdellatif : Pour moi, une parole, c’est sacré. Si je suis arrivé en Belgique un jour, c’est parce que certains dirigeants, au Maroc, n’avaient pas tenu leurs engagements verbaux vis-à-vis de moi. A Charleroi, il n’en est pas allé autrement. Mogi Bayat promet toujours monts et merveilles mais à l’heure de finaliser un dossier, sa mémoire lui joue souvent un mauvais tour. Désolé, mais si l’on ne tient pas promesse, l’affaire est classée pour moi. Dans la mesure où le Standard était preneur et disposé à faire un geste envers nous, il y avait de quoi réfléchir. Personnellement, j’ai pris ma prépension pour pouvoir mieux m’occuper de Marouane. Il était normal qu’il y ait une compensation à la clé. Nous sommes logés dans une villa au Bois-Saint-Jean et bénéficions de l’un ou l’autre avantage. Il eût été sot de ne pas prêter une oreille attentive au langage de la direction liégeoise dans ces conditions. Et je le regrette d’autant moins, un an plus tard, que Marouane accumule le temps de jeu en Première.

Marouane : Quand mon père a appris que Johan Boskamp allait être entraîneur cette saison, il m’a dit : -Ton heure va bientôt sonner. Les événements lui ont donné raison. Personnellement, je ne m’attendais pas à recevoir ma chance aussi tôt. Mais, au fond de moi, j’ai tout fait pour débuter en D1 au Standard. Au moment de plier bagage en direction de Liège, certains m’ont dit, au Mambourg, que je commettais une erreur en rejoignant un club où les jeunes avaient été allègrement snobés ces dernières années. Et c’est vrai que des joueurs comme Kevin Mirallas, Landry Mulemo, Jonathan Legear ou Sébastien Pocognoli, qui ont porté la vareuse des Rouches en classes d’âge, se sont en définitive réalisés ailleurs. Qu’à cela ne tienne, j’ai répondu aux dirigeants zébrés que je serais l’exception qui confirme la règle. Je n’en suis pas peu fier. Même s’il me reste pas mal de choses à bonifier dans mon jeu.

Abdellatif : Marouane doit encore appren-dre à canaliser son impulsivité. Il veut à ce point bien faire que, parfois, il en fait trop et dépasse les bornes. Deux cartons jaunes en autant de matches complets, ce n’est pas permis. Et j’ai frémi en revoyant les images de son altercation avec Tjörven De Brul lors de la récente rencontre à domicile face à Zulte Waregem. Le football, ce n’est pas du catch. Je l’ai d’ailleurs sermonné en lui disant que je ne voulais plus jamais voir ça de ma vie.

Marouane : Moi aussi, j’ai été surpris par ma réaction. D’accord, j’avais été touché et chambré, mais ce n’était pas une raison pour m’emporter de la sorte. Je regrette amèrement mon attitude, tout comme je déplore mes commentaires à la télévision. C’était la première fois qu’on me brandissait un micro sous le nez et j’ai répondu du tac au tac. îil pour £il, dent pour dent, croyez-moi, ça ne me ressemble pas. Je ne suis pas du genre à répliquer sur un terrain, même si je veux me faire respecter. J’ai fait une erreur de jeunesse et je m’en repens. On ne m’y reprendra plus.

Belgique ou Maroc ?

Une autre erreur de jeunesse, d’un autre genre, a eu lieu au Steaua Bucarest.

Marouane : Je ne m’attendais pas à ce fameux ballon d’Eric Deflandre sur une rentrée en touche. D’autant plus que le banc liégeois lui avait dit de propulser le cuir vers les attaquants. J’avais déjà les yeux tournés vers l’avant au moment de réceptionner l’envoi. La suite, chacun la connaît, ma perte de balle a entraîné un but. Je ne suis pas blanc sur cette phase. Mais notre capitaine aurait peut-être été plus inspiré aussi en ne lançant pas la balle dans ma direction.

Ce contretemps ne vous a pas empêché d’être repris en sélection Espoir face à l’Irlande. Entre le Maroc et les Diablotins, votre choix serait-il fait ?

Abdellatif : Il y a quelques mois, Marouane a été convoqué dans le groupe élargi des Espoirs marocains en vue du Championnat du Monde des moins de 20 ans qui se déroulait aux Pays-Bas. Il a effectué un stage à Casablanca et a même disputé un match à Emmen, contre les promesses néerlandaises. Après cette rencontre, perdue 3-1, il n’a toutefois plus rien entendu de la fédération marocaine. Entre-temps, la Belgique s’est manifestée. Né le 22 novembre 1987 à Etterbeek, il a toujours vécu ici et bénéficié d’une éducation footballistique typiquement belge. Il me paraît donc tout à fait normal qu’il ait renvoyé l’ascenseur. Plus tard, il aura encore l’occasion de choisir.

Marouane : Tant que je n’aurai pas joué de match officiel pour le compte des Diables Rouges, je pourrai toujours bifurquer vers les Lions de l’Atlas. Du moins, jusqu’à l’âge de 21 ans. Personnellement, je me sens belge et marocain, marocain et belge (il rit). De toute façon, dans l’immédiat, je veux faire mon trou au Standard. Il me reste encore pas mal de choses à apprendre et à améliorer. Comme ma vitesse sur les premiers mè-tres. Je fais d’ailleurs du saut à la corde tous les jours.

Abdellatif : Marouane apprend vite. Christophe Dessy m’a dit un jour que, sous ses ordres, il avait davantage progressé en deux mois que d’autres en l’espace de deux ans.

Comment entrevoyez-vous l’avenir ?

Marouane : Je veux devenir une valeur sûre chez les Rouches. Après, il ne me déplairait pas de découvrir d’autres horizons. Je pense avoir le bon gabarit, au demi défensif, pour me débrouiller dans des championnats plus musclés.

Abdellatif : Comme tout papa, j’espère que mon fils ira loin et qu’il deviendra l’un des meilleurs à son poste en Europe. La comparaison que Khalid Karama a faite avec Patrick Vieira me trotte toujours en tête (il rit).

BRUNO GOVERS

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