Limbourg glamour

Genk subit un gros test ce week-end : un déplacement à Bruges pour la passe de six victoires d’affilée.

Un bulldozer ! Le Racing Genk de Frankie Vercauteren écrase tout sur son passage depuis le départ du championnat : 15 points sur 15, 19 buts marqués, trois goals encaissés. Et le Ket renaît complètement après ses deux dernières expériences qui s’étaient mal terminées : à Anderlecht et chez les Diables Rouges. Voici comment il travaille.

Comment il a vaincu les doutes en interne

Dirk Degraen, le directeur général de Genk, se souvient que l’arrivée de Vercauteren, en décembre de l’année dernière, n’avait pas été applaudie par tout le monde :  » Je le connaissais depuis longtemps, notamment parce que je suis proche de René Vandereycken, dont Vercauteren a été l’adjoint en équipe nationale. Je savais beaucoup de choses sur sa personnalité et sur sa façon de fonctionner. J’étais donc pour sa venue mais dans le club, tout le monde ne me suivait pas. Certaines personnes n’avaient pas envie qu’on le contacte. Dans la presse aussi, il y avait beaucoup de sceptiques. Nous avions reçu une quarantaine de CV après le renvoi de Hein Vanhaezebrouck, mais parmi tous ces entraîneurs, il y en avait peu qui connaissaient le club et étaient prêts à travailler à court terme. Genk était pris au dépourvu. Un grand club doit faire du scouting sur les entraîneurs comme il le fait sur les joueurs, mais ici, ce n’était pas encore dans les m£urs. J’ai poussé pour qu’on ne prenne pas de risques, pour qu’on n’engage pas un coach à l’aveuglette, pour qu’on ne donne pas la chance à un inconnu. En pleine saison, et alors que l’équipe était très mal classée, ce n’était vraiment pas le moment.  »

Très vite, le vent a tourné dans la direction.  » Après quelques matches, j’ai senti un consensus pour qu’on continue avec Vercauteren. Il a vite montré qu’il pouvait être l’homme de la situation. Il avait signé jusqu’en fin de saison dernière et nous avions une option pour le prolonger d’un an : nous l’avons rapidement levée. « 

Comment il a construit l’équipe

Francky Dury est peut-être le coach belge le plus proche de Vercauteren, qui l’avait appelé comme adjoint chez les Diables. Le T1 de La Gantoise n’est pas surpris par le départ en fanfare de Genk.  » Vercauteren a souffert lors de ses débuts. C’est normal, on ne redresse pas en quelques semaines une équipe aussi malade. Son premier travail a été de procéder à un screening approfondi du noyau, il a voulu voir ce que chacun avait dans le ventre et a réfléchi à la meilleure façon de faire jouer ses hommes. Vers la fin de saison, on a vu un progrès spectaculaire et les play-offs ont confirmé qu’il avait parfaitement les choses en mains. Aujourd’hui, Genk continue simplement sur sa lancée. C’est clair que cette équipe a été la meilleure de D1 depuis la reprise. Tous les joueurs dégagent une confiance impressionnante. Qu’on analyse l’équipe de n’importe quelle manière, on voit que c’est costaud partout. Son carré défensif est exceptionnel : Joao Carlos et Eric Matoukou dans l’axe de la défense, David Hubert et Daniel Tozser devant eux. Il faut être costaud pour percer une muraille pareille. Les backs, Anele et Daniel Pudil, ont aussi un très bon niveau. Et il y a ces six gars bourrés de qualités qui se disputent les quatre postes offensifs : Kevin De Bruyne, Thomas Buffel, Elyaniv Barda, Jelle Vossen, Dugary et Marvin Ogunjimi. Cette équipe est bonne en perte de balle, dangereuse en reconversion et ses attaquants sont en pleine confiance. Pour le moment, chaque fois que Vossen tire au but, ça rentre. Et dès que Barda essaye quelque chose, ça réussit. Idem pour Ogunjimi. Mais bon, il faut bien être conscient que ça ne durera pas toute la saison. L’état de grâce est là depuis un bon mois mais il a toujours ses limites dans le temps.  »

Pierre Denier, l’adjoint de Vercauteren :  » Avec ces trois-là, nous avons tout. Vossen marque comme il respire. Ogunjimi peut faire des ravages quand il reçoit un ballon dans la profondeur. Et Barda excelle dès qu’on le sert dans les pieds.  »

Le défenseur central Joao Carlos ne reconnaît plus le Racing du début de saison dernière :  » A l’époque, il était fréquent que sur des phases précises, des joueurs ne savaient pas où ils devaient se placer. Maintenant, c’est complètement différent, tout le monde a son rôle. Sur les coups francs, par exemple, c’est 0 % d’improvisation. Et le fonctionnement du quatre arrière est archi-rodé. Vercauteren a essayé deux systèmes pendant la préparation : avec trois et quatre défenseurs. Un jour, il a tranché, il a estimé que c’était mieux à quatre et il a dit : -On y va comme ça. Et nous avons commencé à travailler ce système jusque dans les plus petits détails.  »

Elyaniv Barda :  » Tout le monde se sent bien dans le 4-4-2 actuel. « 

Comment il a déroulé dans son match référence

 » C’est peut-être dans le match à Gand que tout le monde s’est rendu compte de la philosophie offensive du coach « , affirme Barda.  » Nous avons fait un festival, notre équipe n’en avait jamais assez. Beaucoup de coaches auraient tout fermé à 0-1 ou 0-2, pas Vercauteren : il a demandé de continuer à jouer vers l’avant. Au final : 0-4. Notre système actuel est plus offensif que celui de Vanhaezebrouck, même quand il n’alignait que trois défenseurs. « 

 » Ce soir-là, Gand n’était pas bien mais ce n’est pas la seule explication à ce 0-4 « , lâche Dury.  » C’était un tout grand Genk. Vercauteren a l’art d’exploiter les points faibles de l’équipe d’en face. Il a vite vu que mes joueurs étaient insuffisants dans la reconversion et son équipe a frappé. Nous avons eu cinq ou six occasions, sur des centres et des phases arrêtées. Genk n’en a pas eu plus mais a mis quatre goals en jouant dans les espaces que nous laissions. Dès qu’il y avait une petite ouverture, l’adversaire s’y engouffrait et montait jusqu’au but. C’était du grand art. « 

Comment il a géré ce début de saison abordable

Denier reconnaît que le programme des cinq premières journées était très abordable : Germinal Beerschot, Gand, Charleroi, Eupen et Lierse.  » Le premier gros test, c’est pour ce week-end, à Bruges. A Gand, ce n’était pas un examen trop sérieux car l’adversaire n’était pas bien. « 

Joao Carlos constate que les matches supposés faciles, Genk les gérait beaucoup moins bien il y a un an :  » Au niveau mental, la différence est comme du jour à la nuit. La saison dernière, il suffisait d’un tout petit problème pour que toute l’équipe perde sa concentration et abandonne le fil du match. Aujourd’hui, tout le monde est alerte de la première à la dernière minute et même quand nous avons un petit contretemps, nous retrouvons directement le fil de notre football. C’est aussi une question de confiance : nous savons que ce n’est pas un petit détail qui va nous faire sombrer, nous savons gérer les petits passages à vide, les coups du sort. Depuis qu’il est chez nous, Vercauteren a travaillé autant nos têtes que nos jambes… « 

Comment il reste obsédé par les petits détails

Denier a travaillé à Genk avec plusieurs coaches de très haut niveau :  » J’ai eu Aimé Anthuenis, Sef Vergoossen, Vandereycken, Hugo Broos. Toutes des personnalités et des gars qui savaient de quoi ils parlaient. Vercauteren n’a sûrement rien à leur envier. Etre plus pro que lui, c’est impossible. Il ne laisse jamais rien au hasard. Il veut que tout soit préparé, planifié, programmé : absolument tout ! Quand la semaine commence, il sait exactement ce que chacun fera au cours des jours suivants. Et si une personne du staff a un peu tendance à s’endormir, il la réveille très vite ! Le préparateur physique n’a pas intérêt à bégayer, à chipoter quand il détaille son planning de la semaine… Vercauteren exige aussi que tous les entraînements se fassent avec cardiofréquencemètre et il peut demander les résultats à tout moment.  »

Comment il soigne sa communication

Vercauteren n’a jamais été un bavard. Ni avec la presse, ni avec ses joueurs, ni avec ses patrons. A l’approche du match à Bruges, il a été abondamment sollicité pour donner des interviews mais il a eu la même réponse pour chacun : attendez que je sois revenu de ce déplacement-là. Comme pour éviter une pression supplémentaire sur les épaules des leaders.  » C’est vrai qu’il ne parle pas beaucoup « , reconnaît Degraen.  » Mais c’est un homme de la capitale et on ne peut pas lui demander d’être aussi chaleureux qu’un Limbourgeois. « 

Beaucoup de joueurs qu’il a eus sous ses ordres se sont plaints de son côté hermétique : il n’a pas changé.  » Quand il n’y a rien d’important à dire, il se tait « , dit Denier.  » Mais quand une mise au point est nécessaire, il prend ses responsabilités, il appelle le joueur et balance tout ce qu’il a à lui dire. Il sait aussi se montrer très humain. S’il apprend qu’un joueur a des problèmes privés, il l’invite dans son bureau, le questionne et le conseille. Il ne délaisse jamais les réservistes ou les blessés non plus. Demandez par exemple à Fabien Camus ce qu’il en pense : il ne joue pas beaucoup mais Vercauteren s’intéresse souvent à son cas et cherche à lui remonter le moral.  »

Dury :  » Vercauteren et moi, nous avons pas mal de points communs, dont celui de n’être jamais satisfaits. Le soir où j’ai gagné la Coupe de Belgique avec Zulte Waregem, je n’étais pas content parce que notre dernière demi-heure n’avait pas été bonne. Vercauteren râle souvent, lui aussi. Même quand il gagne, il ne peut pas s’empêcher de mettre le doigt sur ce qui n’a pas bien fonctionné. Cela surprend la presse mais il s’en moque : il s’est toujours plus préoccupé du foot que des médias. « 

Comment il appréhende la folie autour de ses stars

Quand on évoque Genk cette saison, on parle d’abord de Vossen et de De Bruyne. Deux stars qui éclipsent beaucoup le reste de la troupe dans les médias.  » S’il y avait eu la même médiatisation de deux joueurs la saison dernière, cela aurait été dangereux car des jalousies seraient sûrement apparues dans le noyau « , note Joao Carlos.  » Mais aujourd’hui, ça passe très bien. Quand nous voyons Vossen ou De Bruyne à la une des journaux, tout le monde rigole. On leur demande combien ils ont payé les journalistes pour qu’on publie encore une fois leur photo ou leur interview. Cette bonne ambiance, c’est d’abord le coach qui l’a façonnée. « 

Comment il a zappé Anderlecht et les Diables

Dury est persuadé que Vercauteren est passé à côté d’une chance unique chez les Diables Rouges.  » Nous étions coincés en transit entre Vandereycken et Dick Advocaat. Souvenez-vous de la conférence de presse de présentation d’Advocaat : c’était Dieu qui débarquait à Bruxelles. Plus personne ne s’intéressait à Vercauteren. Il devait pourtant continuer à travailler, dans un climat extrêmement négatif. Je suis certain que s’il avait été nommé à long terme, il aurait réussi. Heureusement pour lui, il a zappé ses deux dernières expériences qui se sont mal terminées, à Anderlecht et à l’Union belge. Nous restons en contact régulier. Nous allons parfois manger avec nos femmes, il m’a envoyé des mails et des sms quand mon équipe souffrait en début de saison. On dit qu’il est difficile d’avoir des amis dans le foot et c’est sûrement aussi vrai chez les entraîneurs que chez les joueurs. Pour moi, Frankie est un vrai ami, et un gars qui a les mêmes conceptions que moi. Dans nos discussions, j’ai bien compris qu’il ne pensait plus à Anderlecht et aux Diables. Quand on a fait une carrière pareille comme joueur, avec des titres et un séjour à l’étranger, on a assez de caractère pour passer au-dessus des divorces.  »

Comment il pourrait (peut-être) aller au bout

 » Jouer le titre, je n’y crois pas vraiment « , affirme Dury.  » Anderlecht a terminé la saison dernière avec plus de 20 points d’avance sur le deuxième, c’est un handicap qu’on ne refait pas en quelques mois. Le Sporting reste largement au-dessus du lot. Mais Genk pourrait se battre pour la deuxième place. Son noyau a plus ou moins le même potentiel que le groupe du Standard, de Bruges et de La Gantoise. « 

Denier émet lui aussi des réserves :  » Notre noyau n’est pas large, c’est clair. L’équipe de base tourne remarquablement pour le moment mais il y a pas mal de joueurs dont nous ne pourrions pas nous passer. C’est surtout au niveau défensif que nous avons des soucis en profondeur. Je crains aussi une surcharge pour nos jeunes. De Bruyne joue tout avec nous, il a fait les matches européens et il y a maintenant les Diables Rouges : ce n’est pas étonnant qu’il commence à souffrir du dos. C’est la première de nos victimes et j’ai l’impression qu’il y en aura d’autres dans les prochaines semaines. Je m’attends à un passage difficile en octobre et novembre. Mais si nous terminons dans le top 5 avec ce noyau, notre saison sera tout à fait réussie. « 

Joao Carlos :  » C’est clair que nous allons tomber un jour. Genk ne gagnera pas dix matches d’affilée. Si même le Real en est incapable… La première défaite sera un moment-clé de notre championnat. C’est à ce moment-là qu’on verra si tout le monde est vraiment prêt pour aller haut. Si nous nous relevons directement, cela voudra dire que les têtes sont prêtes. Si nous enchaînons par une deuxième défaite, il y aura danger. « 

Barda pointe un avantage pour Genk par rapport à d’autres :  » C’est malheureux d’avoir été éliminé rapidement en Coupe d’Europe mais cela ne pourra nous faire que du bien en championnat. Je ne vois pas comment notre noyau aurait pu gérer, en plus, une succession de matches d’Europa League. Maintenant, nous pouvons nous concentrer à 100 % sur la compétition et c’est sûr que Bruges, Anderlecht et Gand vont laisser des plumes à cause de leur programme européen. Peut-être encore plus sur le plan mental que physique. « 

par pierre danvoye – photos: belga

« Chaque fois que Vossen tire au but, ça rentre. Dès que Barda essaye quelque chose, ça réussit. Idem pour Ogunjimi. (Dury) »

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