LILLE… DE LA PASSION
Le jeune attaquant liégeois en est à sa troisième saison chez les Nordistes.
Lorsqu’il est monté au jeu à Villarreal lors du dernier match de poule de Ligue des Champions, un commentateur néerlandophone a souligné que, malgré son nom, Kevin Mirallas (18 ans, 1m82, 75 kg) était un vrai Belge, un pur produit du Standard. Même si, aujourd’hui, le Standard se conjugue au passé pour ce jeune attaquant qui en est à sa troisième saison au LOSC. Une période pendant laquelle il a sans doute beaucoup plus progressé que s’il était resté à Sclessin. Kevin ne regrette pas d’avoir mis le cap sur le Nord même si, il l’avoue d’emblée : » Mon premier rêve était de devenir footballeur professionnel, mon second sous le maillot du Standard. Malheureusement, cela n’a pas été possible. Dommage car j’étais affilié au Standard depuis l’âge de six ans, le Standard qui est aussi le club dont mon père et des tas d’amis sont supporters. Sur le plan sportif, je n’ai rien à reprocher à ce club mais, bon, on n’y fait pas confiance aux jeunes. La preuve : dans mon année, il y avait des talents. Parmi les noms qui me viennent à l’esprit, je citerai JonathanLegear, qui se retrouve à Anderlecht, JordanRemacle et SébastienPocognoli, qui sont à Genk. C’est quand même dur de constater qu’aucun d’entre eux n’a vraiment reçu sa chance au Standard « .
Kevin aussi avait du talent, ça sautait aux yeux. Plusieurs clubs anglais, espagnols, italiens, néerlandais et français sont d’ailleurs venus frapper à sa porte alors qu’il n’avait pas 15 ans. Il est resté un an de plus à Sclessin même si certaines offres étaient de celles que l’on ne devrait pas refuser. Arriva 2003. Deux semaines après la reprise, il n’était plus question de rejeter la proposition de Lille.
» Il n’y a rien à faire, pour progresser on est obligé de partir « , précise directement Kevin. » On prétend souvent que les jeunes partent pour l’argent mais ce n’est pas la raison principale. Avec le Standard, nous avons disputé de nombreux tournois internationaux, notamment contre des équipes françaises auxquelles nous donnions régulièrement la leçon. Souvent, j’entendais dire que, jusqu’à 15 ans, les Belges étaient largement supérieurs aux Français mais que dans les années qui suivaient, la tendance s’inversait. Maintenant, j’ai compris pourquoi. Au Standard, nous avions six entraînements : deux le lundi, deux le mardi et deux le jeudi. Ici, il y en avait autant mais un par jour. On alternait les séances physiques et les techniques ; le jeudi, on jouait un match contre la Réserve, et le samedi, il y avait un entraînement spécifique par poste, les attaquants, par exemple, travaillant plus le démarquage et les défenseurs les duels « .
Depuis 2001, plusieurs jeunes ont quitté le Standard. Quelques-uns ont mis le cap sur Pérouse, en Italie. Aucun d’entre eux n’a percé, leur rêve de Calcio s’envolant bien vite. On a beaucoup parlé de ces garçons-là. Kevin Mirallas y a-t-il pensé au moment de prendre le chemin de Lille ? » Non, car j’avais confiance en mes moyens comme probablement ceux qui sont partis avant moi. Mais Pérouse, c’est le Calcio et là, comme en Espagne, on ne fait pas confiance aux jeunes. Même pas dans les clubs de milieu de classement, on ne prend que les joueurs qui ont déjà fait leurs preuves et tant pis pour les jeunes du cru. Attention, si cela avait été Lyon ou Marseille, cela aurait été la même chose. Il suffit de compter le nombre d’éléments issus du centre de formation que l’on retrouve dans le noyau pro, pour s’en rendre compte. Au LOSC, c’est le contraire. J’ai l’impression que le rêve de ClaudePuel est d’aligner une équipe entièrement issue du centre de formation. D’ailleurs, il assiste à tous les matches à domicile de la Réserve, des -18 et des -16 ans. Il connaît tous les joueurs « .
» Des gamins de 10 ans faisaient des trucs qu’au Standard personne n’était capable de faire à 15 ans »
Lille consacre un budget de 3 millions d’euros à la formation et cela fait belle lurette que son centre de formation figure sur la liste des établissements de première catégorie. Kevin se souvient de sa prise de contact même s’il n’a éprouvé aucun problème d’intégration.
» A ce niveau, le fait de parler la même langue facilite les choses d’autant que, dans le noyau, il n’y avait que trois Africains et moi comme étrangers. Au début, certains vous regardent d’une manière qui peut sembler bizarre. En fait, c’est plus de la curiosité. Ils se disent que si l’on vous a fait venir de l’étranger, c’est que vous devez être plus fort. A la reprise des entraînements, j’étais en avance sur mes équipiers puisque j’avais déjà entamé ma préparation avec le Standard. Les premiers jours, je me suis senti à l’aise, mais les quinze suivants, j’ai souffert. Nous sommes restés trois semaines sans toucher le ballon. Courir, toujours courir. Enfin, j’ai passé le cap. Les matches à l’entraînement, c’était beaucoup plus méchant qu’au Standard, où l’on évitait de blesser les copains avec lesquels on jouait depuis plusieurs années. Ici, chacun essaie de garder sa place, se donne à fond, tire le maillot, donne des coups et met le pied. Tant pis s’il y a des blessures. Evidemment, le coach met le halte-là si l’on va un peu trop loin « .
Alors qu’il était toujours Scolaire (14-16 ans), Kevin Mirallas a été versé chez les Juniors (16-18 ans). Jean-Michel Vandamme, le directeur du centre de formation, avait déjà entendu parler de lui et les rapports qu’il avait reçus allaient dans le même sens, positif. A son arrivée, Mirallas savait à quoi s’en tenir. Des objectifs bien précis lui avaient été assignés et il était conscient des faiblesses qu’il devait gommer tant sur le plan physique que technique.
» Ce qui m’a le plus surpris, en fait, c’était de voir à la sortie des entraînements des gamins de 10 ans faire des trucs que personne au Standard n’était capable de faire à 15 ans. A Sclessin, je n’ai pas vraiment travaillé ma technique. Le seul à véritablement accorder une importance à cet aspect était Monsieur SimonTahamata. Pour lui, peu importait le résultat. En match, il fallait oser. Si un joueur commettait une erreur, il l’encourageait en lui disant qu’il devait répéter sans cesse son geste et qu’à la fin, il l’intégrerait. Evidemment, cela ne plaisait pas à tous les parents qui estiment que, même à 10 ans, seule la victoire compte. AlexCzeniatynski a lui aussi porté une certaine attention à la technique mais il s’agissait plus d’un travail devant le but. Enfin, j’ai eu pendant quatre ans, pas consécutivement, ChristopheBenoît qui a, de temps à autre, dispensé des entraînements axés sur la technique. En revanche, ici, dès le départ, outre l’entraîneur principal, il y a des préparateurs spécifiques qui se chargent soit du technique soit du physique trois à quatre fois par semaine. Les joueurs sont répartis en différents groupes selon leurs qualités. Un garçon doué techniquement ne se retrouvera pas avec ceux dont le jeu est essentiellement basé sur le physique. Et vice versa, celui qui est très fort physiquement ne se retrouvera pas au milieu de manieurs de ballons où il perdrait son temps. Personnellement, je devais apprendre à mieux protéger mon ballon pour éviter les coups et améliorer mon jeu de tête. Et sur le plan mental, à en vouloir encore plus « .
Un but important pour sa première
Du coup, Mirallas passait des heures à soigner son contrôle de balle et à lutter contre des potences garnies de ballons. En fin d’exercice, le rapport fut positif, une déduction logique puisqu’il s’est retrouvé en équipe B, celle qui milite en 3e division.
» Cela te fait devenir adulte plus vite « , précise Kevin, qui n’insiste pas trop sur ses progrès. » Les contacts sont plus méchants et cela m’a forcé à me protéger encore plus. Notre groupe était solide. Nous avons été champions de CFA, la D3. Je n’ai pas joué tous les matches parce qu’au beau milieu de la saison, j’ai été appelé à m’entraîner avec les pros. Les séances étaient plus exigeantes à tous les points de vue. Lors de mon premier entraînement, j’ai pris le ballon à ChristopheLandrin, qui est parti l’été dernier au PSG. Directement après, il m’a séché et m’a fait comprendre que ce n’était pas un gamin qui allait la lui faire. Outre les entraînements, je continuais à améliorer mon jeu de tête et je faisais de la musculation. Pour éviter la surcharge, je passais deux/trois semaines avec les pros, puis deux/trois semaines avec la Réserve « .
Ces aller-retour ont duré jusqu’en avril 2005, date à laquelle Kevin a définitivement été repris dans le noyau pro. Le 7 mai (35e journée), il montait pour la première fois au jeu en championnat (il avait fait une apparition en Coupe de l’UEFA) à la 83e contre le PSG et inscrivait deux minutes plus tard l’unique but de la partie. Un goal qui propulsait le LOSC en Ligue des Champions.
» On a beaucoup parlé de ce but mais je me suis vite rendu compte qu’à ce niveau, ça ne rigole pas. C’est clair que j’étais heureux puisque je voulais devenir pro, que je jouais en D1 dans un championnat relevé et que je marquais un but important. Mais, le lendemain, je me suis remis au travail. Tout le monde est conscient qu’il y a une différence de rythme entre les -18 ans, la Réserve et l’équipe Première mais, de la tribune, on ne se rend pas compte de la vitesse à laquelle ça va. Moi aussi, je ne m’en doutais pas alors que j’avais assisté à pas mal de rencontres. Je n’ai pas fait le malin et j’ai été honnête avec moi-même en déclarant que j’étais heureux de ne pas avoir commencé car, après dix minutes, j’étais un peu essoufflé. Le but a été ma bonbonne d’oxygène. » (Il sourit).
Un vrai contrat pro en 2006
Désormais, Kevin tient mieux la distance. Comme tous les autres, il a effectué le stage, fort exigeant, de trois semaines en montagne et celui, un peu plus collégial, à la mer. Il fait souvent office de joker, comme contre Villarreal où il s’est distingué par un tir instantané en pleine foulée et par une passe à un équipier qui a envoyé le ballon sur les montants alors que le but aurait qualifié le LOSC pour les huitièmes de finale de la Ligue des Champions. Manifestement, il a appris à connaître ses partenaires dont certains évoluent avec lui depuis son arrivée. Et ceux-ci savent désormais comment lui servir le ballon, quelles sont les balles qu’il appelle.
» C’est clair que j’aimerais jouer plus mais il ne sert à rien de brusquer les choses. Claude Puel est un vrai formateur, qui a lancé plusieurs jeunes dont DavidTrezeguet. A Lille, il a notamment fait confiance à EricAbidal, qui est parti l’année dernière pour 10 millions d’euros à Lyon où il est devenu international. En public, notre entraîneur se limite aux consignes et aux règles de base. Il parle beaucoup en tête à tête. Ainsi, il m’explique toujours pourquoi je vais jouer ou pourquoi il ne me reprendra pas dans son groupe. C’était déjà le cas la saison dernière quand il me disait qu’il préférait que je me repose plutôt que d’aller jouer avec la Réserve. Bref, je suis heureux de mon sort. Si je vois la vie en rose, je ne plane toutefois pas. Mon père me répète sans cesse que je dois travailler et vivre de manière sereine. Pour bien prester, un joueur doit être bien dans sa tête « .
Kevin n’est pas seul à Lille. José, son père, n’est jamais bien loin. Quand le jeune homme a pris la direction du nord de la France, José a quitté son boulot et s’est expatrié lui aussi. » Même si Liège n’est pas à l’autre bout du monde, je ne voulais pas que mon fils se retrouve seul à l’étranger « , explique-t-il. » Ce n’est déjà pas facile pour un jeune de s’en sortir quand il est bien entouré, alors quand il est seul… En deux ans, j’ai couvert 195.000 km pour le suivre. Je n’ai raté qu’un seul match, à Ajaccio. C’est vrai qu’il y a des avions mais bon, j’ai décidé de faire l’impasse. Le plus important, c’est quand même d’apporter à son fils la sérénité dont il a besoin pour vivre sa passion « .
Voilà des années que José Mirallas avale des kilomètres. Pas question de manquer un match de son fils, même quand lui-même jouait en Amateurs avec l’AF Villers-le-Peuplier. Il avertissait ses coéquipiers que le samedi suivant, il arriverait tout juste parce que Kevin jouait à Mouscron, à l’autre bout du pays.
En juillet, Kevin Mirallas a signé un contrat élite pro. Cela signifie qu’après deux ans de stage, le club lui garantit un contrat professionnel de trois ans. Ce système permet aux clubs de se protéger mais il a son revers car, pendant les années de stage, un joueur peut partir s’il le désire pour un club qui accepte de verser une indemnité de formation. Une somme qui serait sans aucun doute inférieure à celle que toucherait le LOSC en cas de transfert alors que le joueur est pro.
» Rares sont les joueurs qui vont au bout de cette période de stage « , explique Kevin Mirallas. » Le club m’a déjà fait comprendre qu’il avait l’intention de me proposer un contrat pro dès janvier. On verra le moment venu « .
Même si en France, il existe un accord tacite pour ne pas piquer un stagiaire d’un autre club, Lille tient à régler la situation le plus vite possible. En effet, un club étranger, lui, n’a aucune raison d’observer la même réserve et pourrait acquérir Mirallas en versant quelques dizaines de milliers d’euros. D’un autre côté, le joueur se sent bien dans le Nord. Il y a donc de grandes chances qu’un accord soit vite trouvé.
NICOLAS RIBAUDO
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici