Lilas et danse classique

Estimez-vous que vos efforts sont récompensés à leur juste valeur?

Frank De Bleeckere : Beaucoup de gens sont surpris de voir comment nous nous entraînons en semaine. Les arbitres doivent aussi s’entraîner? Faites-nous courir avec les joueurs et nous ferons bonne figure. Pendant Lierse-Club Brugeois, un match qui n’était pas rapide, j’avais un appareil de mesure des distances parcourues. Nous avons dépassé les douze kilomètres. En moyenne, nous avons dix ans de plus que les footballeurs. Je pèse 68 kgs mais je viens de 75. Mon grand-père en pesait plus de 140, mon père 120. Ce ne serait plus possible pour un arbitre, à l’heure actuelle. En effet, ma famille est plutôt solidement bâtie. Nous ne sortons pas beaucoup, c’est impossible. Si je dois arbitrer le dimanche, je vais dormir après Goal, l’équivalent flamand de Match 1. Comme nous sommes convoqués dix jours avant un match, nous pouvons difficilement organiser quelque chose. Nous prenons rendez-vous avec des amis mais combien de fois n’avons-nous pas dû les annuler… Le soutien de ma femme est donc indispensable car si nous nous disputions, je risquerais de traîner ces soucis pendant le match.

Vous travaillez aussi à temps plein.

Le réveil sonne à sept heures. Je pars à huit heures. Si jamais je dois arbitrer le dimanche soir à Genk, je suis au lit à deux ou trois heures du matin, avec un peu de chance. C’est parfois dur. Je pense que les arbitres internationaux doivent certainement devenir semi-professionnels. Le problème quand on travaille à temps plein -je parcours plus de 70.000 kilomètres par an en voiture-, c’est de trouver le temps de s’entraîner. En hiver, le soir tombe à cinq heures et je cours autour du terrain d’Audenaerde sans la moindre lumière. Je ne vois pas beaucoup ma petite fille. Sa naissance m’a d’ailleurs appris à relativiser les choses. J’ai la chance de travailler pour un patron compréhensif depuis douze ans. Car à quel autre employeur pourrais-je dire: -Je suis prêt à travailler pour vous mais j’ai besoin de deux mois de congé par an? Evidemment, tout n’est pas négatif. Quand je visite des sociétés, parfois, on discute trois quarts d’heure de football et un quart d’heure des affaires. Ma renommée m’est précieuse dans la vente et mon employeur le sait.

Souhaitez-vous utiliser votre renommée?

Avant les élections, deux ou trois partis sont venus me solliciter. J’ai refusé. Un, par manque de temps, deux, parce que je ne voulais pas figurer dans une petite case.

Etes-vous ambitieux?

Quand même. Et très conséquent. Je suis bavard mais si on me marche sur les pieds, il n’est plus question de discuter.

Pourquoi êtes-vous devenu vendeur de cravates?

Après mon service militaire, j’ai immédiatement commencé à travailler dans cette firme. A la longue, je m’y suis intéressé. Une cravate est un très bel accessoire. Vous pouvez porter un superbe costume mais si votre cravate ne s’y harmonise pas, il ne vaut rien. A Knokke, lors du Gala du Footballeur Pro, les joueurs de Bruges ont critiqué ma cravate, qui était lilas, mais c’est la couleur à la mode. Oui, je suis attentif à la mode. Il faut avoir de la présentation. Sur le terrain aussi, je suis la mode. J’ai été un des premiers à porter des bandeaux aux poignets pour absorber la sueur. J’ai choisi une tenue verte, un sifflet de la même couleur. Ce genre de détails. Quand nous allons à l’étranger, nous portons le même costume. Je trouve ça beau. Je porterais volontiers des publicités. D’ailleurs, nous devrons y venir tôt ou tard, sous peine d’être des mendiants.

Quel est le cauchemar d’un arbitre?

Ma mère continue à préparer mon sac. Elle n’a encore rien oublié. Parfois, je rêve que j’arrive une heure en retard. Ça m’est arrivé une fois, pour un match international, en plus. J’avais mal inscrit la date. Marnix Sandra a téléphoné à mon père de Zaventem pour voir ce que je faisais. Je n’avais pas encore de GSM, j’étais à la Côte, injoignable. Heureusement, j’ai pu prendre le vol suivant, le jour même, et j’ai débarqué vers onze heures du soir à l’hôtel. Ça ne m’arrivera plus jamais. J’ai été suspendu pour un match international, à juste titre.

Qu’est-ce qui compte, dans votre vie?

Saskia Verbeurgt : Ma famille passe avant tout. Ensuite, la santé et la carrière de Frank. Je le soutiens sans réticence. Je consens beaucoup de sacrifices. Le soir, il n’est presque jamais à la maison, ou si peu… Je vais bientôt fêter mon anniversaire seule car il est en stage en Italie, cette semaine-là. Je n’ai pas la possibilité d’avoir un hobby car il doit beaucoup s’entraîner et les matches prennent du temps. Je suis seule chaque week-end: un arbitre doit être présent trois heures avant le match. Ce n’est pas toujours évident d’être la femme d’un referee. Nous sommes souvent seules. Les épouses des joueurs peuvent plus facilement tisser des liens. Frank était déjà arbitre quand je l’ai connu. A cette époque, il arbitrait les équipes d’âge. Sa passion a donc immédiatement fait partie de ma vie.

Discutez-vous beaucoup de football à la maison?

Non, pas ici. Je n’y connais rien et Frank est heureux de pouvoir parler d’autre chose. Mais il zappe sur toutes les pages possibles et imaginables du télétexte qui traitent de football. Chez son père, 99,9% de la conversation tourne autour du football. C’est grave chez Frank mais plus encore dans le chef de son père. Il suit tout, retient tout. Quand Frank a un dimanche de congé, il entreprend quelque chose en famille. Il ne se sent pas obligé de suivre tous les matches à la télévision. Le samedi, je travaille et il s’occupe de sa fille, il l’emmène au parc, au zoo, au cinéma. C’est sa principale détente.

Vous travaillez.

Oui mais ce n’est pas trop contraignant car je travaille dans le magasin de mes parents. Une boutique de confection pour dames. Ça me permet de voir du monde tout en emmenant ma fille avec moi. Je suis d’un naturel sociable. Pas question de rester entre mes quatre murs! J’ai besoin d’avoir des contacts. D’ailleurs, quatre semaines après mon accouchement, je reprenais le travail. Nous sommes spécialisés dans l’habillement des femmes bien en chair. Elles sont délaissées par le marché mais la mode a énormément évolué. Avant, c’était jupe-chemisier. Maintenant, les femmes plus lourdes peuvent avoir des vêtements très modernes. Elles peuvent être élégantes.

La mode est-elle importante à vos yeux?

Je la suis, puisque je suis dans la branche. C’est important pour Frank aussi. Ma fille ne manque pas d’habits non plus. Frank achète lui-même ses affaires mais il me téléphone toujours pour me demander conseil. Ou nous en discutons avant. Je m’intéresse aussi à l’architecture d’intérieur. J’achète des revues qui traitent de ce thème. Je voudrais également suivre un cours d’arrangement floral mais je dois d’abord connaître son programme d’entraînement. Avant la naissance de notre enfant, je l’accompagnais souvent quand il allait courir mais je n’en ai plus le temps.

Vous partagez la vie d’un sportif de haut niveau. La diététique est-elle importante?

Oui. Frank fait très attention. Il consomme des cornflakes, des fruits, des plats maigres. Dans le cas contraire, il grossirait vite puisqu’il vient d’une famille bien bâtie.

Vous aimez la mer.

Nous rêvons d’un appartement à la mer. Dès que nous avons un peu de temps libre, nous le passons à la côte. Nous ne voulons pas y vivre, du moins pas moi, mais avoir la possibilité d’y aller régulièrement, pour nous promener. Même quand le temps est mauvais, on s’y sent en vacances.

Avez-vous pratiqué du sport?

Beaucoup de natation, de l’équitation, de la danse classique, longtemps. J’ai arrêté quand j’ai fait la connaissance de Frank. Il n’aimait pas.

Sa renommée vous gêne-t-elle parfois?

Non. A la kermesse d’Audenaerde, tout le monde nous aborde. Au magasin, les gens en parlent souvent aussi. Je n’imaginais pas qu’autant de gens le connaissaient ou savaient ce qu’il faisait.

Combien de remarques déplacées avez-vous déjà entendu sur les sifflets?

Moi, pas beaucoup (elle rit). Je pense que les gens n’osent pas blaguer à ce sujet avec moi.

Peter T’Kint

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