Libération

« Tout le monde trouverait normal de voir le Club devenir champion ».

Philippe Clement: « J’ai des muscles et des tendons courts, et des articulations raides. Chevilles, genoux, hanches, épaules: toutes mes articulations, tout mon corps est raide. Alors que les autres savent poser les mains à plat sur le sol, jambes tendues, je n’atteins que mes genoux… »

Au Beerschot, on disait que Clement (27 ans) était aussi souple qu’une échelle. On a ajouté, au moment de son transfert au RC Genk: « Quarante millions, c’est beaucoup pour Philippe! » Ensuite, lorsqu’il est devenu international: « Quoi? Lui, Diable Rouge? » Depuis lors, lorsqu’il s’étire, Philippe parvient à toucher ses chevilles.

Vous n’avez jamais aussi bien joué au Club Brugeois. A quoi est-ce dû?

Philippe Clement: Je me sens bien depuis le début de la saison. J’ai pu participer à l’ensemble de la préparation et jouer souvent. A cause de ma constitution, j’ai besoin d’un certain temps pour atteindre ma forme idéale, mais à deux reprises ces dernières années, j’ai été handicapé par des blessures sérieuses juste avant le début du championnat, ce qui a cassé mon rythme.

Waseige a même dit qu’il avait besoin de vous en défense, en Tchéquie, pour votre vitesse! Que vous est-il arrivé?

La saison passée, j’ai énormément travaillé mon explosivité, ma vitesse sur les premiers mètres. J’ai profité de la période durant laquelle je ne jouais pas: j’avais assez d’énergie pour ce travail. Je suis aussi plus mobile, ce qui a amélioré ma vitesse. Avant chaque séance d’entraînement, je m’exerce pendant trois quarts d’heure à assouplir mon corps. C’est un plaisir dans la mesure où je sens que ça me permet d’effectuer de gros progrès. Il m’arrive même de le faire deux fois par jour. Je n’hésiterais même pas à prolonger les entraînements d’une demi-heure, s’il le fallait.

Et vous semblez affûté.

Depuis mon passage à Genk, j’ai perdu trois kilos alors qu’à l’époque, je m’entraînais certainement aussi dur que maintenant. Je le dois à Nicole, qui respecte les principes de la méthode Montignac dans sa cuisine.

Vous rayonnez. Vous semblez vraiment libéré. Que s’est-il passé?

Ecoutez, votre femme est enceinte mais vous êtes blessé et vous vous occupez de votre corps à chaque seconde de la journée. Vous culpabilisez parce que vous ne pouvez pas lui accorder l’attention qu’elle mérite pour vivre ensemble cette grossesse. Les sentiments de culpabilité pompent votre énergie. Par-dessus le marché, le bébé vient cinq semaines en avance, c’est la panique parce qu’il y a une hémorragie… L’enfant naît enfin, vous recommencez à jouer, mais pendant cinq mois, le bébé ne passe pas une seule nuit. Il pleure dix, douze fois par nuit… Certes, je ne devais pas me lever, mais chaque fois, mon sommeil était quand même perturbé, ce qui m’épuisait encore un peu plus. Tous ces événements, mis l’un dans l’autre, m’ont privé de toute énergie alors que j’en avais justement besoin plus que jamais, pour revenir après ma blessure.

« Je me sens mieux dans l’axe »

Vous évoluez dans l’axe central de la défense. Cette position vous convient-elle mieux?

Oui. Dans le passé, chaque fois que j’étais en forme et que les circonstances m’obligeaient à jouer à cette place, je m’en suis bien tiré. A cette position, on est plus tranquille, on doit moins courir et on a donc une meilleure vision du cours du jeu. Par-dessus le marché, on est plus frais. On peut donc mieux diriger les autres. Par contre, lorsque l’équipe n’est pas bien équilibrée, un médian défensif est plus exposé. Quand un défenseur est submergé, tout le monde le voit: les adversaires sont en supériorité numérique. Si votre entrejeu est noyé, peu de gens le remarquent. Mais votre rendement s’en ressent, parce que d’autres ne font pas leur travail. Regardez ce qui arrive à Yves Vanderhaeghe à Anderlecht.

Avez-vous déjà été meilleur?

Je me sens aussi libéré qu’avant la Coupe du Monde 1998. Je pensais: fonce! A l’époque, je venais de mettre fin à la combinaison, stressante, du football et de l’école. J’étais bourré d’énergie. Ma sélection en équipe nationale m’a insufflé confiance, m’a donné des ailes. Comme le fait que tout marchait avec Genk et que j’avais de bons contacts avec Aimé Anthuenis. Tous les ingrédients étaient réunis.

A ce moment, avez-vous travaillé votre technique?

Quand vous êtes bien dans votre peau, votre technique est meilleure que si vous êtes crispé. Mais si je suis plus habile avec le ballon, c’est tout simplement parce que Sollied nous entraîne avec ballon.

« Sollied veut que je marque »

Vous marquez plus facilement, aussi.

L’entraîneur joue un rôle important. Il est extrêmement convaincant dans ses entretiens personnels. Selon lui, avec mes qualités, je devais atteindre x buts par saison. Au début, je n’y croyais pas vraiment, mais ses arguments étaient tellement crédibles, nous travaillions tellement la finition en semaine, sans oublier les matches joués avec de grands buts, que ma confiance est devenue quelque chose de spontané. Je crois davantage en mes chances dans les parages du rectangle, j’y arrive plus souvent qu’avant et je tente ma chance.

Vous n’avez jamais été champion de Belgique. A 27 ans, connaissant votre rage de vaincre, vous devez rêver de ce titre.

Ce serait effectivement mon premier titre, ce qui est une source de motivation supplémentaire, surtout que je sens que chacun, dans ce club, convoite ce sacre de tout son coeur.

Les problèmes d’Anderlecht ont transformé le Club en grandissime favori, bien que vous n’ayez pris qu’un point sur six lors des chocs contre Genk et La Gantoise.

Oui, mais quand on analyse les circonstances, on remarque que Genk, malgré ses intentions offensives, n’a pratiquement pas dépassé la ligne centrale de tout le match et qu’il a pris l’avantage grâce à une erreur de notre part. Nous l’avons pressé pendant tout le match, nous avons égalisé et encaissé un penalty injustifié dans les arrêts de jeu. En football, il faut que la chance soit de votre côté aussi.

A La Gantoise, nous avons évidemment été vite réduits à dix. Chapeau à l’entraîneur, qui a osé jouer homme contre homme en défense pour que nous puissions continuer à attaquer. Peu d’équipes en infériorité numérique le feraient sur le terrain d’une formation d’élite qui est spécialiste du contre, en plus. Revenir dans ces conditions de 2-0 à 2-2 nous a insufflé confiance. Le groupe a prouvé qu’il avait une bonne mentalité, que chacun était prêt, dans des conditions difficiles, à travailler d’arrache-pied pour les autres. Ces faits me rendent optimiste quant au déroulement de la saison.

« Notre noyau est bien plus stable »

Le Club est-il plus fort que la saison passée?

Le noyau est en effet plus stable, la concurrence y est plus rude et nous avons tiré les leçons de l’exercice précédent. Au second tour, nous n’avions sans doute pas assez de concurrence et ça s’est retourné contre nous. Cette expérience, jointe à nos duels contre des clubs étrangers, a aidé le groupe à mûrir.

Qu’est-ce qui pourrait empêcher le Club d’être champion?

Il faut à tout prix conserver au groupe son ambiance et son calme. Le plus important, c’est que chacun reste affûté jusqu’à la fin de la saison. Ceux qui font banquette plusieurs semaines de suite doivent rester capables d’entrer au jeu et éventuellement de faire la différence à la fin d’un match.

Quels sont vos principaux rivaux?

La Gantoise et Anderlecht. Les Buffalos ont une base solide, large et bien rodée, ils prennent peu de risques et concèdent peu de buts. Ils sont donc rarement menés à la marque, et dès qu’ils mènent, ils peuvent pratiquer leur jeu favori: le contre. Anderlecht reste Anderlecht: son noyau ne manque pas de talent. Peut-être trop de joueurs recèlent-ils les mêmes qualités, qu’ils sont tous trop similaires et que ça provoque des frictions au sein du groupe.

Genk n’est-il pas candidat au titre?

Selon moi, il y sera longtemps prétendant mais pas jusqu’à la fin. Le groupe est jeune, le noyau moins large que ceux de Bruges, Anderlecht et La Gantoise. Je m’attends à ce qu’il ait davantage de problèmes à pallier blessures et obligations internationales de ses joueurs-clefs. Enfin, je crois.

« Plus d’espaces en Europe? »

Comment envisagez-vous votre avenir en Coupe de l’UEFA contre Lyon?

Lyon était et reste un test extrêmement important, que toute l’équipe a préparé avec le plus grand soin. On sent déjà que tout le monde trouvera normal, voire banal, que le Club soit champion de Belgique, alors qu’éliminer Lyon créerait la sensation et offrirait une fameuse publicité au club.

Gert Verheyen a déjà averti que Bruges ne devait pas trop attendre de la Ligue des Champions. D’accord?

Nous devons d’abord tâter de cette épreuve. De fait, nous ne pourrons pas diriger le cours du jeu comme nous en avons l’habitude en championnat, mais ce serait justement une bonne évolution pour ce groupe et notre style de jeu. Peut-être nos qualités s’exprimeront-elles mieux face à des formations d’un niveau supérieur, car nous disposerons de plus d’espaces.

Vous n’entonnez pas le refrain habituel sur le football belge?

On peut l’améliorer sur de nombreux plans mais il en va de même à l’étranger. Nous ne touchons pas de plantureux droits de retransmission mais il est possible de faire des miracles avec peu d’argent aussi. Le jugement qu’on porte sur l’ensemble du football belge ne doit pas dépendre de la qualification des Diables pour la Coupe du Monde car ce genre de choses se joue parfois sur cinq centimètres: le ballon est dedans ou il rebondit sur le poteau.

J’ai particulièrement apprécié l’interview télévisée de Georges Grün, qui parlait des barrages de 1985. Il expliquait que les Diables Rouges avaient dû avaler beaucoup de critiques, qu’on disait avoir affaire à une génération dépourvue de talent. Cette génération, apparemment incapable de jouer, s’est quand même qualifiée pour le Mondial mexicain, elle y a atteint les demi-finales et est mainteannt considérée comme une levée légendaire. Il s’en faut de peu, donc. Qui sait ce qui nous attend bientôt au Japon et en Corée du Sud?

« J’étudie tout »

Au Beerschot, on disait déjà que vous aviez un style britannique. Ne rêvez-vous pas de retourner en Premier League, ne serait-ce que parce que les blessures ont raccourci votre séjour à Coventry?

Gordan Strachan – NDLA: l’ex-coach de Coventry, maintenant à Southampton– m’a déjà contacté à deux reprises mais je suis très heureux à Bruges. De beaux moments nous attendent si nous pouvons continuer à travailler avec le même groupe.

Christian Vandenabeele

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