Levez-vous pour Bijou !

« La joya » (le bijou), tel était le surnom de l’attaquant d’Anderlecht en Argentine. On est en train de voir pourquoi.

Plus de peur que de mal. Lors du match à Dender (un match décidément maudit, puisque c’est là que DanielZitka s’était fracturé le péroné), MatíasSuarez avait ressenti une gêne au genou. Le même que celui opéré trois mois plus tôt. Mais les examens qu’il a passés en début de semaine dernière n’ont rien révélé d’inquiétant…

Le jeune Argentin avait connu des débuts plutôt perturbés en Europe, puisqu’il s’était blessé en Biélorussie, lors du match retour contre le BATE Borisov (un autre match maudit…).  » Il n’y a pas de bon moment pour se blesser, mais c’est vrai que là, c’était le pire qui soit « , reconnaît-il.  » Je venais de débarquer et mon envie de démontrer mon potentiel était énorme. Ce coup d’arrêt m’a procuré une grosse déception. C’était la première fois que je me retrouvais sur la touche. Heureusement, l’opération s’est bien déroulée. J’ai récupéré mes sensations avant de connaître un nouveau frisson voici dix jours. On m’a simplement préconisé un peu de repos, par mesure de prudence. Touchons du bois, espérons que je ne subirai pas de complications dans les jours qui viennent. « 

Les supporters anderlechtois l’espèrent aussi. Ils n’ont pas encore eu beaucoup l’occasion d’admirer leur nouveau Bijou, mais les quelques gestes techniques dont Suarez les a gratifiés lors de ses rares apparitions ont permis de s’apercevoir que le garçon avait de l’or dans les pieds. Contre Westerlo, il l’avait étalé au grand jour, dans des conditions pourtant peu habituelles pour lui puisqu’il avait découvert la neige et le froid :  » De toute ma vie, je n’avais jamais joué sur un terrain enneigé. Et puis, la semaine dernière, il y avait ce froid intense. Pour moi, c’était vraiment très, très froid. Là où je vis en Argentine, il y a du soleil et de la chaleur pratiquement toute l’année.  »

Jamais avare d’efforts

Sa ville, c’est Cordoba, située en plein centre du pays. En partant de Buenos Aires, il faut prendre la route vers le nord-ouest. Direction Rosario (à 300 kilomètres), Santa Fé (la ville de Nicolas Frutos, à 500 kilomètres) puis Cordoba (à 750 kilomètres). La ville compte deux clubs importants qui, comme souvent, se livrent une rivalité féroce : Talleres ( Ateliers en espagnol) et Belgrano (du nom d’un général argentin), d’où Suarez est originaire.

 » J’ai commencé à jouer dans un club de quartier, avec les copains, comme tout le monde « , explique-t-il.  » La première équipe à laquelle je me suis affilié fut l’Union San Vicente, également de Cordoba mais qui évolue dans les divisions inférieures. Je devais avoir une dizaine d’années. A 13 ans, je suis parti à Belgrano où j’ai gravi les échelons. « 

Le football, c’est naturel chez lui.  » Mon père a joué au foot également, mais pas à un niveau très élevé. Idem pour mon frère aîné, qui a 27 ans. On est six enfants dans la famille : deux garçons et quatre filles. Je suis le plus jeune. « 

Et le plus talentueux aussi, probablement :  » Le plus talentueux, je ne sais pas. Ce qui est sûr, c’est que j’ai toujours aimé m’entraîner. Je n’ai jamais été avare d’efforts et cela m’a servi pour progresser. « 

Suarez a débuté en équipe Première à 17 ans :  » Ce n’est pas exceptionnel en Argentine. Comme les joueurs partent très tôt à l’étranger, il faut les remplacer. On puise alors dans le réservoir… qui semble inépuisable. Plus il y a des joueurs qui s’en vont, plus il y en a qui arrivent, encore et encore. Et il en reste beaucoup qui n’ont pas été découverts, dans des tout petits clubs dont, parfois, on ne soupçonne même pas l’existence. « 

Suarez est-il, lui aussi, passé à travers les mailles du filet ? C’est la grande question des sceptiques. Pourquoi un jeune joueur que l’on dit talentueux n’a-t-il pas attiré l’attention des grands clubs argentins, comme Boca Juniors ou River Plate, voire de clubs espagnols ou italiens ?

 » Je n’en ai pas la moindre idée « , reconnaît Matías.  » Peut-être d’autres clubs se sont-ils intéressés à moi, mais on ne m’en a jamais parlé. La première offre concrète qui me soit parvenue fut celle d’Anderlecht. Je l’ai étudiée et je l’ai acceptée. « 

L’une des explications avancées est que la plupart des scouts se concentrent sur Buenos Aires et vont rarement voir des matches en province :  » C’est possible. Il y a tellement d’équipes dans la capitale fédérale que je peux comprendre que les observateurs ne prennent pas la peine de se déplacer dans l’intérieur du pays. Mais on ne sait pas toujours qui se trouve dans les tribunes. Je n’étais pas au courant non plus que des émissaires belges me suivaient, jusqu’à ce que cette offre me parvienne. « 

Une équipe physique, sauf lui

En Argentine, les joueurs de Belgrano sont surnommés LosPiratas (les Pirates). A l’abordage, donc !  » C’est un peu cela « , rigole Matías.  » Belgrano a toujours été considérée comme une équipe agressive, composée de joueurs à fort caractère, qui n’hésitent pas à mettre le pied. Le public local apprécie ce style de jeu. Il pousse ses joueurs à donner le meilleur d’eux-mêmes, à mouiller leur maillot comme on dit ici.  »

C’est peut-être pour cela que Suarez, dont le jeu tout en technique tranche avec les caractéristiques locales, a été surnommé LaJoya (traduction : le bijou, le joyau, la perle).  » Je ne sais pas qui a eu l’idée de me surnommer ainsi. Mais, de fait, la plupart des footballeurs argentins sont affublés d’un surnom. On ne dit pas simplement Matías, Nicolas ou Lucas, comme ici. Il faut autre chose. Ce que j’en pense ? Rien de spécial. Je n’y accorde pas beaucoup d’importance. Je l’accepte, c’est tout.  »

Belgrano a connu quelques difficultés financières. Mais, selon Suarez, c’était à une autre époque. Pas tellement lointaine, cependant.  » Il y a quatre ou cinq ans, effectivement, le club a souffert de graves problèmes financiers. Depuis, une nouvelle direction a pris le relais et les finances ont été assainies. C’est devenu l’un des clubs les plus sains d’Argentine, tous les joueurs sont payés à heure et à temps. « 

Ce qui n’a pas empêché Belgrano d’échouer dans sa quête de rejoindre la D1 :  » On a perdu le match décisif des barrages, 1-0, sur le terrain du Racing Avellaneda, après avoir concédé le partage 1-1 chez nous lors du match aller. Dans le stade du Racing ( NDLR : qui se trouve à 200 mètres de celui d’Independiente, où jouèrent Frutos, Biglia et Losada) la fête était incroyable. Pour nous, en revanche, ce fut une énorme déception. On a failli précipiter la chute en D2 de l’un des plus grands clubs argentins. Je crois, pourtant, que l’on aurait mérité de l’emporter : on a très bien joué, on s’est créé de nombreuses occasions, mais on a manqué d’efficacité. L’expérience du Racing a payé : il n’a pas livré une prestation très brillante, mais a réussi à marquer le but nécessaire et suffisant.  »

Comme souvent en Argentine, où la patience n’est pas la première vertu, l’entraîneur de Belgrano a fait les frais de cet échec. Et Suarez n’a pas pu quitter son club par la grande porte, comme il l’aurait souhaité.  » C’est vrai, cet échec me laisse un peu de remords. J’aurais tellement aimé offrir un ticket pour la D1 comme cadeau d’adieu. Je continue toutefois à suivre les évolutions de mon ancien club par internet et je constate avec plaisir qu’il se débrouille bien. Il a longtemps occupé la tête du classement avant d’être battu 2-0 et a glissé à la deuxième place. « 

A Cordoba, comme ailleurs en Argentine, on vit le football avec passion.  » Le stade est souvent plein, cela représente 40.000 spectateurs. C’est un public fanatique. En Argentine, on en vient souvent aux mains. Parfois, il y a des morts. Ici, on me vante les ambiances qui règnent lors des chocs face au Standard ou à Bruges, mais c’est de la rigolade par rapport à ce que l’on vit là-bas. C’est très tranquille ici. Parfois un peu trop. Je vois des gens qui restent assis pendant tout le match, ce serait impensable dans mon pays. L’idéal, pour Anderlecht, ce serait un public aussi enthousiaste qu’en Argentine,… mais avec l’agressivité en moins. « 

Jouer devant un public aussi chaud que celui de Cordoba, c’est impressionnant.  » Lors de mon premier match en équipe fanion, j’étais très nerveux « , reconnaît Suarez.  » Je ne dis pas que j’avais peur, mais tout de même : je me demandais comment les gens réagiraient si, par malheur, je loupais mon match. « 

Et Anderlecht ?  » C’est un club très agréable, qui jouit d’un certain prestige en Europe. Il ne m’était pas inconnu. La télévision argentine diffuse énormément de matches, y compris européens. Le championnat de Belgique n’est pas souvent mis à l’honneur, mais les compétitions internationales, oui. Et comme Anderlecht y participe chaque année… Je connaissais Bruges, aussi. En revanche, je ne savais rien des autres équipes. « 

 » Les médias argentins nous suivent « 

La présence d’autres joueurs argentins a joué un rôle également :  » C’est sûr, grâce à eux, les médias argentins s’intéressent davantage au Sporting qu’aux autres clubs belges. Je connaissais un peu Frutos : Santa Fé, ce n’est pas très loin de Cordoba, à l’échelle argentine. Sa présence a constitué un argument supplémentaire, mais ce ne fut pas un facteur décisif dans mon choix. Je ne lui ai pas téléphoné avant de signer et j’aurais accepté la proposition d’Anderlecht même s’il n’y avait eu aucun compatriote dans le noyau. « 

Mettre un pied en Europe, reste pour un joueur argentin une consécration. Et même si le championnat de Belgique est moins médiatisé, il représente une belle vitrine pour un éventuel départ pour l’Espagne, qui demeure la destination la plus prisée.  » C’est mon rêve aussi, je ne le cache pas. Je ne m’impatiente toutefois pas. D’abord, m’imposer en Belgique. Après, on verra. « 

Ce qui lui plaît en Belgique ?  » Au risque de me répéter : la tranquillité, le mode de vie. C’est très différent de ce que l’on vit en Argentine. Plus sécurisant, aussi. J’ai été très impressionné par ce calme. Le revers de la médaille, c’est le climat… Mais je m’adapte. « 

Le jeu est également différent :  » Il est plus physique. En tout cas, comparé à la D1 argentine, qui est très technique. En D2, ce n’est pas pareil et le fait d’avoir fait mon écolage à Belgrano constitue peut-être un avantage pour moi : là-bas aussi, on courait beaucoup, on envoyait de longs coups de botte, on allait au duel… « 

S’il n’a pas établi de véritable plan de carrière, et s’évertue à prendre les choses comme elles viennent, un point semble clair dans l’esprit de Suarez :  » J’aimerais terminer ma carrière à Belgrano, rejouer un jour pour ce club dont toute ma famille est supporter et que j’ai quitté alors qu’il était aux portes de la D1. La boucle serait alors bouclée. J’espère que, d’ici là, j’aurai extrait le maximum de ma carrière. « 

par daniel devos

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