Leur nouvel univers

Sport/Foot Magazine dans les pas des deux ex-icônes rouches à l’occasion de Porto – Donetsk et Benfica – Manchester United alors que le duel de ce week-end entre les deux géants portugais est dans toutes les têtes.

Semaine infernale et pleine de sensations fortes pour deux anciens Souliers d’Or. Cette fois, ça y est : Steven Defour a enfin joué un match en Ligue des Champions, avec Porto contre le Shakhtar Donetsk. C’est fait aussi : Axel Witsel a affronté le géant Manchester United, avec Benfica. Dans les deux cas, 90 minutes pleines. Des prestations individuelles sans tache. Des ambiances de feu dans des stades qui font rêver. Et des commentaires élogieux. Nous avons suivi les deux ex-machines du Standard dans leurs aventures. Observé, pour bien comprendre leur impact dans leur nouvel entourage. Tendu l’oreille, pour bien saisir l’image qu’ils donnent aux Portugais. Discuté avec des personnes pour lesquelles Porto et Benfica n’ont aucun secret.

Tests grandeur nature : rien à redire

Estádio do Dragão, mardi 13 septembre, 19 h 42 heure locale. Porto, auteur d’un quadruplé la saison dernière (titre, Coupe et Supercoupe du Portugal, Europa League), monte sur la pelouse de sa cathédrale. Il y a quelques trous parmi les 50.400 sièges mais ça fait beaucoup de bruit quand même ! Steven Defour est titulaire : il l’a appris le matin et en a immédiatement averti par SMS son agent Paul Stefani (qui est venu avec le directeur sportif et le directeur financier de Malines pour discuter d’un prochain partenariat éventuel).

Hymne Champions League, photo d’équipe, puis Defour fonce vers son coéquipier Fernando pour lui taper dans la main, ensuite il fait l’accolade à João Moutinho. Ils vont former le trio médian, un triangle sur sa pointe : Fernando derrière, Defour (sur la droite) et Moutinho (à gauche) devant lui. Ça sent déjà le punch : devant eux, il y a encore les Brésiliens Hulk et Kleber. Après cinq minutes, Defour est à deux doigts de scorer. Involontairement ! Il dévie du dos le tir d’un coéquipier, le ballon lèche la transversale. La dixième minute approche, il est à la base d’une action amenant un penalty qui ne sera pas transformé. C’est simple : il est impliqué dans tous les mouvements dangereux.

Au début, chaque belle intervention de Defour provoque des applaudissements. Les gens se manifestent dès que le ballon arrive dans ses pieds. Un rythme d’adoption qui bat des records. Les Ukrainiens de MirceaLucescu ( remember : ce coach roumain qui avait failli signer au Standard dans une autre vie) prennent l’avance mais c’est anecdotique : ils vont être enfoncés en terminant avec deux exclus et le Futebol Clube do Porto gagne les doigts dans le nez. Defour a été un des meilleurs hommes du match. Il a impressionné sur tous les plans : nombre de kilomètres parcourus, nombre de ballons négociés, pourcentages de passes propres. Le bilan de sa première dans la Coupe d’Europe des grands garçons ? Nickel.

Le lendemain, Axel Witsel fait un match très propre contre Man U. Il y a le feu à l’ Estadio da Luz : 63.800 spectateurs. Les Anglais ne jouent pas à leur niveau, mais si pour une fois, Wayne Rooney ne marque pas, des gars comme Witsel y sont sûrement pour quelque chose. Le Liégeois est souvent repéré dans les parages immédiats des Anglais les plus dangereux : Rooney, Ryan Giggs, Park. Il bloque efficacement leur approvisionnement. Avoir reçu des consignes fort défensives l’empêche de briller comme il l’avait fait contre Twente, par exemple. Les journaux portugais du lendemain parlent d’une  » bonne affaire « , et de toute façon, on voit mal comment Benfica ne terminerait pas au pire à la deuxième place d’un groupe où il y a aussi les Suisses de Bâle et les Roumains de Galati.

Witsel reçoit des cotes dans la moyenne de son équipe. Pour toute la presse, le gardien Artur et l’attaquant Oscar Cardozo ont été au-dessus du lot alors que Pablo Aimar et Ruben Amorim sont passés à côté de leur match. Commentaires sur Witsel : il a été discret mais efficace, et c’est tout ce qu’on lui demandait dans ce duel de prestige à ne pas perdre. Finalement, ça aurait pu se terminer beaucoup plus mal.

La perception à leur arrivée et aujourd’hui

Le jour où Steven Defour et Eliaquim Mangala sont transférés à Porto, Benfica vient de se qualifier pour les poules de la Ligue des Champions en éliminant Twente grâce à un fantastique Axel Witsel. Le journal Record consacre 11 pages à cette qualification. A Bola noircit 12 pages sur le sujet. Et bien plus loin, on trouve quelques lignes sur les arrivées de Defour et Mangala. Seul O Jogo, plus proche de Porto, publie quelques photos des deux joueurs.

En discutant en marge du match contre Donetsk, on comprend vite que Defour et Mangala n’ont pas fait fantasmer les gens ici. Il était alors question d’un départ de Moutinho, cité notamment à Chelsea, à Manchester United, à Arsenal et à Everton qui proposait jusqu’à 18 millions. Réaction du Tout-Porto :  » Le Belge Defour pour remplacer le grand Moutinho ? Bof !  » On aurait pu comprendre et accepter qu’il joue aux côtés de Moutinho, pas qu’il prenne le poste de celui que l’on considérait comme le plus grand talent du noyau.

Et dans le cas de Mangala, l’étonnement général fut encore plus énorme. Surtout au vu du prix déboursé par Porto : 6,5 millions. Déjà un Defour à 6 millions, ça paraissait démesuré. D’autant que le club n’a vraiment pas l’habitude de casser sa tirelire mais plutôt de faire gonfler ses comptes. Au cours des dernières années, quatre joueurs seulement ont coûté plus cher que Mangala et Defour : Hulk (19 millions), Moutinho (11), Danilo et AlexSandro (9) qui arrivera du Brésil en janvier. Pendant ce temps-là, le club a fait des opérations extraordinaires : plus de 200 millions en transferts sortants depuis sept ans, avec par exemple Ricardo Carvalho à Chelsea (30 millions), Pepe au Real (idem), Anderson à Manchester United (32), Lucho Gonzalez à Marseille (18), Bruno Alves au Zenit Saint-Pétersbourg (22), et tout récemment Falcao à l’Atletico Madrid (40). Balance financière : 15 millions d’investissements, 200 millions en sorties. Alors, mettre 13 millions pour le duo de quasi nobodies Defour/Mangala…

Le club a surtout profité de l’effet Europa League. La victoire dans cette Coupe d’Europe a rapporté beaucoup d’argent, et il faut remonter très loin dans l’histoire du club pour trouver trace d’un été où on avait dépensé autant d’argent. Parce qu’en plus de Defour et Mangala, Porto a aussi fait venir notamment Kleber, Djalma et RafaelBraccali. Et dès le début 2012, il y aura aussi Alex Sandro, considéré comme  » le nouveau Lionel Messi « . Bon à savoir aussi : de nombreux clubs portugais tournent avec des fonds d’investissement, et de nouveaux bailleurs sont apparus récemment à Porto. Ce qui a permis de monter le budget à une centaine de millions, une forte augmentation par rapport à la saison dernière. C’est le plus gros budget du pays.

Le directeur du quotidien A Bola est honnête quand il nous parle d’Axel Witsel.  » Si je le connaissais avant qu’il arrive ici ? Euh… Non. Les médias sportifs portugais s’intéressent à beaucoup de monde mais pas en priorité aux footballeurs du championnat de Belgique. Pour nous, son transfert a été une grosse surprise. Et aujourd’hui, c’est une surprise hyper positive. Une vraie découverte. Il a déjà étalé un talent fou en quelques semaines et on décèle chez lui un potentiel énorme. Des joueurs qui étaient au-dessus du lot chez eux, qui débarquent ici et ont besoin d’une longue période pour s’acclimater, ça court les rues. Parce que le Portugal n’est pas un pays facile, c’est une culture compliquée, un championnat ardu pour celui qui ne le connaît pas. Je pourrais en citer beaucoup qui avaient plein de talent mais ont eu besoin d’un an ou deux pour trouver leurs marques. Avec Witsel, rien de tout ça, on dirait qu’il connaissait déjà notre football. On remarque qu’il joue depuis le début avec l’esprit complètement libéré, qu’il ne se pose pas de questions. Le coach est le premier surpris. Il avait clairement dit qu’il commencerait par l’aligner 20 ou 30 minutes en fin de match, le temps qu’il s’adapte. Mais il a vite été obligé d’en faire un titulaire. Oui, Axel Witsel est un étonnement total pour toute la presse sportive portugaise.  »

Et donc, son prix d’achat est considéré comme une affaire en or. Benfica a dépensé 6,5 millions dans un premier temps, et il y a des bonus. Dès la qualification pour la phase de poules de la Ligue des Champions, le Standard a touché sa première surprime : 500.000 euros. On affirme ici qu’à partir du moment où Benfica a réussi à fourguer son (mauvais) gardien Roberto à Saragosse pour 7,5 millions, l’achat de Witsel pour un montant équivalent est un excellent deal.  » Roberto nous coûtait des points, Witsel nous en rapporte. Il y a un mois, nous le trouvions cher. Aujourd’hui, les avis ont complètement basculé. Point de vue rapport qualité/prix, il peut devenir une référence de l’histoire récente du club, du moins s’il confirme.  »

Defour accueilli comme un chef d’état

Le jour où Steven Defour a signé son contrat, il a cru débarquer sur une autre planète. Après l’accueil à l’aéroport en Porsche Cayenne, une grande bande a mangé dans un restaurant high-class de Porto : Defour, sa femme, son beau-père, Stefani, Eliaquim Mangala et son agent y étaient aussi : il y avait la crème de la crème du club : huit directeurs et les avocats. En fin de repas, le clan Defour a lancé à la rigolade :  » Et maintenant, on va peut-être aller découvrir le stade ?  » Bien visé : tout le monde a pris la route pour l’Estádio do Dragão, où on a allumé tous les spots. Il était minuit… Visite guidée privée. Steven Defour s’est rendu compte ce soir-là du niveau d’organisation du club. Il y a des responsables pour tout : les maisons des joueurs, les voitures, les enfants, etc. Il a aussi ouvert de grands yeux en voyant l’hôpital situé dans le stade. Et la piscine.

Combien ils gagnent ?

La presse portugaise ne parvient pas à connaître le salaire de Steven Defour. Il faut estimer à la grosse louche. Stefani affirme qu’il gagne trois fois moins que ce qu’on lui proposait au Lokomotiv Moscou. Et il semble qu’en Russie, il aurait pu toucher environ 1,6 million par saison. Il tournerait donc autour de 500.000 euros par an net au Portugal. C’est assez loin des stars du noyau, très loin du recordman Hulk (près de 2,5 millions). C’est souvent comme ça à Porto : les transferts n’ont pas des revenus extraordinaires lors de leur première saison. Même Hulk et Falcao avaient des salaires très raisonnables à leurs débuts. Mais les meilleurs sont rapidement augmentés.

Witsel touche un bon million d’euros net par an, et il a déjà reçu une prime d’un million à la signature. C’est un bon chiffre pour le championnat du Portugal mais il reste assez loin des joueurs les mieux payés de Benfica : Pablo Aimar, Oscar Cardozo, Javier Saviola et Luisão (joliment augmenté parce qu’il a accepté de rester cet été alors qu’il était fort convoité) sont dans une catégorie bien supérieure. Witsel est simplement dans la moyenne de son club.

Leur rôle sur le terrain

Depuis les années 90, Porto a une vraie tradition de 4-3-3. Si le coach aligne un triangle sur sa pointe, Defour sera un des deux joueurs offensifs de l’entrejeu. Si le triangle est sur sa base, il reculera probablement, pour laisser la priorité à Moutinho dans un rôle offensif. Mais il n’est pas exclu que l’arrivée du Belge provoque à l’occasion un changement de système : récemment en championnat, Vitor Pereira a essayé une mi-temps en 4-4-2, histoire de voir ce que Defour était capable de produire dans l’axe avec cette occupation. Là aussi, il était plus créatif que défensif, il avait un homme dans son dos pour gérer la récupération. L’intention de l’entraîneur était claire : utiliser son transfert belge tout en gardant sur le terrain le trio médian qui a fait des merveilles la saison dernière (Moutinho, Fredy Guarin, Josef de Souza), et penser aussi à utiliser Fernando Belluschi.

Jorge Jesus, l’entraîneur de Benfica, tient à ce que Witsel ne s’aventure pas trop devant. Il balaye l’axe de l’entrejeu le plus souvent avec Javi Garcia. Le coach estime qu’avec son intelligence, sa discipline tactique, sa vision du jeu, il est surtout utile dans le dos de Pablo Aimar, censé animer les offensives. Et depuis les premiers jours, Witsel et Aimar collaborent parfaitement. Entendu le soir de Benfica – Manchester :  » Le championnat portugais colle parfaitement aux qualités de Witsel. Parce que ça joue au sol, parce qu’il faut être intelligent pour comprendre le jeu pratiqué ici, parce qu’il faut de la technique. Mais on doit craindre un départ rapide. Il a une clause à 40 millions : qu’est-ce que c’est pour un grand club anglais ? Là-bas, ils ont suffisamment d’argent. Et Witsel a assez de qualités pour la PremierLeague. Il ne prestera jamais ses cinq ans de contrat chez nous.  »

La vraie valeur de Porto et de Benfica

Dans toute l’Europe, on a tiqué cet été quand Vitor Pereira a été nommé coach de Porto. Il n’avait connu qu’une seule expérience comme T1 et c’était en deuxième division, à Santa Clara. Un habitué de l’Estádio do Dragão nous dit :  » Pour nous, ce n’était pas une surprise ou un tremblement de terre. Ce club ne cherche pas des grands noms mais a l’habitude de faire confiance à des jeunes coaches. Qui était José Mourinho avant de venir ici ? Il n’avait rien réussi ailleurs. Il s’était planté à Benfica. Idem pour André Villas-Boas, qui était encore un homme de l’ombre quand il a reçu sa chance. On sait ce que vaut Pereira, il a bossé aussi bien avec Mourinho qu’avec Villas-Boas. Et il connaît très bien ce club puisqu’il y a travaillé plusieurs années dans la formation.  » Par rapport à la saison dernière, Porto a aussi et surtout perdu Falcao. On considère ici que l’équipe actuelle ne sera aussi assassine que celle du quadruplé que si Kleber ou un autre buteur se révèle.

A Benfica, Jorge Jesus pense que l’équipe type actuelle est de la même valeur que celle qui a terminé la saison dernière très loin de Porto. Il signale simplement que son noyau est plus fort en profondeur. La presse ne le suit pas, elle estime que le 11 de base d’aujourd’hui est plus performant. Malgré la perte de Fabio Coentrão, vendu au Real pour 30 millions. Parce qu’il y a eu les arrivées de Witsel et d’Artur, un gardien qui fait gagner des points.  » Le c£ur d’une équipe bat dans l’entrejeu et l’apport de Witsel est exceptionnel.  »

PAR PIERRE DANVOYE, AU PORTUGAL

Defour a impressionné : kilomètres parcourus, ballons négociés, passes propres. Le bilan de sa première dans la coupe des grands garçons ? Nickel. » Witsel ne restera jamais cinq ans au Portugal, il partira vite en Angleterre. «  » Jorge Jesus avait dit qu’il commencerait par aligner Witsel 20 ou 30 minutes. Mais il a vite été obligé d’en faire un titulaire. C’est étonnant…  » Witsel gagne un million par saison. Le double de Defour, qui reçoit cinq fois moins que Hulk !

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