» LESTIENNE, C’EST UN BALOTELLI, UN CASSANO… « 

Vincent Mannaert évoque les problèmes d’image et la politique du Club Brugeois, qui a ouvert ses portes la semaine dernière.

Plus de 19.000 personnes étaient présentes à la Cristal Arena, dimanche, pour assister, sous le soleil d’automne, au match opposant Genk, désormais entraîné par Alex McLeish, à une équipe du Club Brugeois fortement renforcée. Deux heures plus tard, cependant, il s’avère que pas grand-chose n’a réellement changé. La marge de progression du Club Brugeois est encore importante. Il faut intégrer les nouveaux qui ne sont pas encore prêts physiquement et il manque encore des attaquants. Bref, à la veille du premier match de poule d’Europa League (ce jeudi à 19 heures face à Torino), Michel Preud’homme a du pain sur la planche.

Du travail, Vincent Mannaert en a aussi. Ces derniers jours, le manager du Club Brugeois et son président, Bart Verhaeghe, ont ouvertement commenté la politique menée par le club. Souvent critiqués au cours des dernières années, les deux hommes s’étaient murés dans le silence. Le fait d’être restés dans l’ombre ne les a pas empêchés de travailler. Maintenant que la période des transferts est terminée, l’heure est au rapport financier : révision des comptes, préparation du bilan annuel… La première question tombe donc sous le sens.

Le Club Brugeois s’est-il à nouveau mis dans le rouge ?

Vincent Mannaert : Sans doute. Pas de Coupe d’Europe, une élimination rapide en Coupe de Belgique… Il aurait déjà fallu vendre beaucoup pour compenser. Mais pour 2014-2015, nous devrions atteindre au moins l’équilibre. Ma politique est la même depuis des années : il faut compenser les mauvais résultats et les investissements par des transferts. Les trois millions de l’Europa League, les recettes de la coupe et celles du championnat doivent nous permettre d’atteindre l’équilibre. Si nous remportons un trophée ou que nous vendons bien, nous ferons du bénéfice. D’un point de vue budgétaire, le fait de sortir des poules de Coupe d’Europe ne change pas grand-chose. Cela représente une prime de 400.000 euros et une belle recette supplémentaire mais il faut également payer davantage de primes.

Les clubs étrangers continuent à faire de gros efforts en matière de transferts. Malgré les règles du fair-play financier, le fossé semble se creuser de plus en plus.

Il ne faut pas se tromper sur les objectifs du fair-play financier. Le premier est de savoir d’où vient l’argent, d’être sûr qu’il ne s’agit pas de blanchiment. Le second consiste à s’assurer à l’avance que, si on dépasse les possibilités budgétaires, celui qui investit aura suffisamment de liquidités pour assumer. Il ne s’agit donc pas de plafonner les investissements, sans quoi on casserait le marché et ce serait stupide. Pourquoi cela nous dérangerait-il que quelqu’un, au PSG, ait envie d’acheter les meilleurs joueurs du monde ? Qu’est-ce qui a fait du Standard, d’Anderlecht ou du Club Brugeois de grands clubs ? Le fait qu’à un certain moment, Roger Petit décide d’acheter Wilfried Van Moer à l’Antwerp pour 6,5 millions de francs belges (162.000 euros, ndlr). Le fait que Michel Van Maele amène Ernst Happel au Club Brugeois et lui donne carte blanche en matière de transferts. Le fait que Constant Vanden Stock affaiblisse systématiquement ses rivaux. Ce système est propre au football mais la globalisation et les sommes investies lui confèrent à présent une autre dynamique.

Clôture du mercato au 31 juillet

Quelle est la place du Club Brugeois dans tout cela ?

Heureusement, la globalisation fonctionne dans les deux sens. Des pays non traditionnels commencent aussi à avoir de l’argent. Cela a pour conséquence qu’un club comme Salzbourg vous expulse du marché si vous convoitez le même joueur que lui mais cela veut aussi dire qu’on joue aussi au football dans des pays auxquels on n’aurait même pas pensé par le passé. Si on dispose d’un bon réseau, on peut faire des affaires. Le meilleur exemple, c’est le marché sud-américain. A qualité égale, un joueur brésilien coûte cinq fois plus cher qu’un Equatorien ou un Costaricien. En début de saison, nous menons toujours une discussion très intéressante avec la cellule de scouting au sujet des pays à explorer. Nous avons toujours ratissé très large, peut-être même un peu trop large au début.

Avez-vous le sentiment que c’est un deuxième championnat qui a repris le week-end dernier ?

C’est un phénomène mondial. Torino a également perdu deux de ses meilleurs joueurs à la fin du mercato. Si vous posez la question à mes confrères, ils seront tous d’accord pour dire qu’il faut ramener la clôture du mercato au 31 juillet car la plupart des championnats commencent début août. Il en va du football comme des études : la plupart des étudiants ne se mettent à bosser qu’à l’approche des examens. Ce n’est pas chouette pour les entraîneurs, pour les joueurs et pour les supporters. On en parle de plus en plus. Quelques grands clubs s’y opposent encore parce qu’ils veulent pouvoir se retourner en cas de participation ou non à la Ligue des Champions. Mais s’ils veulent être sûrs, ils n’ont qu’à être champions…

Comprenez-vous qu’un joueur comme Lestienne, qui a 20 ans à peine, estime avoir fait son temps au Club Brugeois ?

Je lui ai proposé de signer au Qatar pour le confort financier tout en restant un an chez nous. Les Qataris étaient d’accord mais, depuis l’été dernier, Max se disait qu’il pouvait partir. En hiver, il avait failli aller à Wolfsburg. Les deux fois, il était resté mais il se réjouissait que la saison se termine. Je pense que c’est pour cela qu’il a moins bien joué lors des play-offs. Tout le monde se pose des questions quant à son transfert en Italie. Je pense qu’il a une chance de s’y imposer, laissons-lui au moins le bénéfice du doute. Il est plus fort dans sa tête que certains le croient, il peut se concentrer sur ce qui se passe sur le terrain, se focaliser sur le ballon et le but. C’est une qualité.

Est-il suffisamment coachable ?

Il est plus facile de le motiver que de lui faire comprendre certains aspects tactiques. Tout dépend de l’entraîneur. C’est un Balotelli, un Cassano… Ces gens-là sont moins collectifs mais ils apportent quelque chose de spécial devant. Je me réjouis de voir.

Plusieurs joueurs sont arrivés à Bruges au cours du mercato. Lequel d’entre eux doit vous apporter le plus vite quelque chose ?

Celui qui s’intégrera le plus facilement, c’est Vormer mais il n’a pas beaucoup joué ces derniers temps et il faudra lui laisser le temps de trouver le rythme. J’attends aussi beaucoup de Silva qui a joué la Coupe du monde, connaît l’Espagne et a déjà 28 ans, donc pas de temps à perdre. Des deux joueurs offensifs, Gedoz est le plus collectif. Il est assez complet, peut jouer à plusieurs places. Techniquement et tactiquement, il devrait s’adapter assez vite. Izquierdo joue davantage à l’instinct, un peu comme Max. Il a une vitesse exceptionnelle, c’est une flèche. II lui faudra peut-être davantage de temps. Il doit apprendre les lignes de course, comprendre sa tâche défensive, etc.

Lestienne est parti avant d’être tout à fait formé, pareil pour Batshuayi. Le championnat de Belgique est-il devenu un championnat de clubs formateurs ?

Il se confirme que les joueurs quittent de plus en plus tôt et qu’ils arrivent de plus en plus jeunes en équipe première également. Au cours des cinq dernières années, la moyenne d’âge des noyaux est passée de 26 à 23 ans ou de 27 à 24. Si Lestienne l’avait vraiment voulu, il serait déjà parti l’an dernier. Pareil pour Tielemans cet été. C’est aussi une question d’évolution budgétaire. Un nouveau marché, celui des pays du Golfe, a fait son apparition. Nous voulions Manuel Lanzini, le meneur de jeu de River Plate. Mais dès que son club a été champion, son prix a grimpé en flèche. Je me suis dit qu’il allait signer en Allemagne, en Espagne ou en Angleterre mais il a opté pour Al Jazira.

De plus en plus de joueurs sont achetés par des tiers. Devons-nous nous tracasser ou est-ce un combat d’arrière-garde ?

Je pense toujours qu’un transfert doit se faire de club à club mais je ne vois pas bien comment on peut empêcher un club d’avoir des accords avec d’autres investisseurs. C’est une transaction économique comme une autre. Il faut cependant que cela réponde à des conditions strictes. D’où vient l’argent ? Il faut aussi que les droits sportifs du joueur soient transférés de club à club. Il n’est pas possible de négocier en partie avec celui qui détient 70 % des parts et en partie avec celui qui détient les 30 autres. Nous ne discutons qu’avec les clubs. A eux de s’arranger avec les autres… On peut aussi abandonner à un joueur une partie des droits économiques. Ce fut le cas avec Lestienne. Il était libre de transfert lorsqu’il a quitté Mouscron et avait l’embarras du choix. Il a opté pour le Club parce que nous lui avions promis un pourcentage en cas de revente. Contrairement à ce que j’entends parfois, il n’y a pas de honte à cela et ce n’est pas mauvais pour le football.

Trop peu d’ex-pros directeurs sportifs

Arnar Gretarsson parti, vous déterminez désormais la politique sportive avec l’entraîneur. Pourquoi le rôle de directeur technique est-il si difficile à définir en Belgique ?

Je pense que ce sont les gens qui font la différence. Il ne faut pas travailler dans son coin mais en équipe. Arnar pouvait le faire mais il se sentait oppressé, il trouvait qu’il avait trop peu d’impact sur le processus de décision en matière sportive. Pour moi, c’est davantage une question de dynamique personnelle que de fonction. Je crois en la collaboration entre un directeur sportif et un entraîneur mais s’il s’agit d’un domaine identique, l’un doit prendre le leadership et être soutenu par l’autre. Je pense également que les professionnels belges investissent trop peu dans une carrière de directeur sportif. Aux Pays-Bas et en Allemagne, on voit beaucoup plus d’ex-pros se demander ce qu’ils feront après leur carrière. Etre directeur sportif, c’est bien plus que regarder l’entraînement, visionner quelques DVD et téléphoner au président ou au manager. Il faut connaître le budget, maîtriser les ressources humaines, être organisé… Voici peu, lors d’une réunion, j’étais assis aux côtés de Luis Figo, qui est chargé des relations internationales de l’Inter. Il m’a dit qu’il allait suivre un cours de management d’une durée de deux ans. En Allemagne, il y a Bierhoff, Zorc… Si on s’en tient à ce qu’on a vécu au cours de sa carrière, on court le risque de ne jamais explorer d’autres angles. Il y a tellement de consultants… Je ne donne de leçon à personne mais je lance un défi : investissez un ou deux ans dans l’apprentissage des langues ou dans autre chose. Car il y a des places à prendre.

Parlons un peu de votre problème d’image…

Nous en avons un ? Je ne vois pas les choses comme ça. Pour moi, la perception est différente de la réalité.

Un président flamboyant, un entraîneur flamboyant, des supporters flamboyants. Cela fait parfois des étincelles.

Ils ont en commun la passion. Ils sont très exigeants, se disent qu’en faisant ceci, ceci et cela, le succès ne peut qu’être au rendez-vous. Quand ce n’est pas le cas, il est humain et logique que les gens pensent devoir s’en mêler. Le monde du football est conservateur, on n’aime pas le changement. On nous en a voulu parce que nous n’avons rien gagné pendant trois ans mais, selon moi, on a oublié de souligner ce que nous avions fait de bien. Aujourd’hui, nous tentons de nous concentrer davantage sur notre boulot et pas sur des choses qui ne nous concernent pas. Le club fonctionne, le budget augmente, nous sommes presque à l’équilibre, des jeunes arrivent en équipe première. Il ne nous manque qu’un trophée et c’est à cela que nous devons nous atteler.

PAR PETER T’KINT

 » Le fair-play financier n’est pas là pour plafonner les investissements. Ça casserait le marché, ce serait stupide. « 

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire