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LES VISAGES DU PHARAON

Débarqué il y a bientôt deux ans à Anderlecht avec l’étiquette de grand espoir du football égyptien sur le dos, Mahmoud Hassan Trezeguet a dû s’exiler à Mouscron pour offrir ce qu’il a de meilleur. Portrait d’un ambitieux tapi dans l’ombre.

Le premier constat quand on jette un oeil rapide dans le rétro de la jeune carrière de Mahmoud Hassan Trezeguet, c’est que le garçon a déjà parcouru un petit bout de chemin depuis son arrivée en grande pompe à l’aéroport de Zaventem le 11 septembre 2015. Débarqué avec l’étiquette d’international égyptien (4 sélections à l’époque, 18 aujourd’hui) en puissance, Trezeguet intrigue alors plus qu’il n’enthousiasme du côté des suiveurs attentifs du Parc Astrid. En cause, une sombre histoire de manipulation d’image.

À peine arrivé à Bruxelles, l’Egyptien se fait remarquer à la suite d’un photomontage pour le moins douteux. Un T-shirt brandi par des supporters bruxellois sur lequel était à la base inscrit  » Dennis Praet blijf  » se transforme en quelques clics mal sentis en  » Welcome Mahmoud Trezeguet « . Si elle s’était arrêtée là, l’anecdote aurait pu prêter à sourire. Le floutage de l’ensemble des visages féminins présents à l’arrière-plan du cliché lui donnera malheureusement un écho tout différent.

Si le joueur présente rapidement ses excuses, précisant  » n’avoir voulu blesser personne « , le mal est fait. Depuis ce fait divers un peu glauque, le joueur a d’ailleurs décidé de blinder sa communication avec une règle claire : plus un mot à la presse  » dans l’attente d’avoir quelque chose d’intéressant à raconter  » selon son accompagnateur et traducteur, l’Egyptien AbouBassem, qui rajoute, comme pour convaincre :  » Vous savez, son rêve à lui, c’est le Real Madrid. Alors, à ce stade, il considère qu’il n’a encore rien fait.  »

UNE COMMUNICATION VERROUILLÉE À DOUBLE TOUR

S’ensuivront 18 mois de silence presque total pour se prouver qu’il était à sa place en Belgique. Une période pendant laquelle le joueur formé du côté d’Al Ahly, au Caire, n’accordera, en effet, sa parole que très rarement. Celui qu’on dit  » poli et courtois  » dans l’intimité du vestiaire hurlu ne s’exprimera en fait qu’à trois reprises face caméra depuis son arrivée au Canonnier : le jour de l’officialisation de son transfert pour se présenter en quelques mots et à deux reprises en zone mixte après des succès à Westerlo et contre Genk, le 15 octobre.

Depuis, c’est silence radio. Sur toutes les ondes et dans toutes les langues. À une exception près : en Égypte, au sortir de la CAN, où le joueur s’est présenté dans un show télévisé local.  » Normalement, je ne regarde pas beaucoup les médias « , avoue Ahmed Talal Shokr, supporter emblématique d’Al Ahly.  » Mais là, quand j’ai appris qu’il y avait Trezeguet, je ne pouvais pas faire autrement qu’être devant ma télévision.  »

Ce soir-là, l’Égypte du foot découvre pour la première fois celui qu’elle considère comme l’un des plus grands talents de sa jeune génération, à égalité avec Ramadan Sobhi de 3 ans son cadet et actif à Stoke City. Pas de grandes déclarations, mais un constat pour Ahmed :  » La chaîne était visiblement très fière de l’avoir en direct, parce qu’elle n’a cessé de mettre des publicités. Je n’ai pas les chiffres d’audience, mais ça a dû cartonner.  » En Égypte, comme en Belgique, un homme qui se tait, est un homme qui intrigue. Forcément.

UN SHOWMAN AMOUREUX DU JEU

Et pour cause, puisque son actualité récente ne manque pas de rebondissements. Une finale de CAN perdue avec l’Égypte, début février, et un maintien surprise avec l’Excel il y a 10 jours en ont même sans doute fait l’une des attractions de notre championnat. De celle dont les dénivelés abrupts arrachent bien souvent quelques haut-le-coeur à ses visiteurs d’un jour. Comme à Courtrai, récemment, où les trajets sinueux empruntés par l’Égyptien ont laissé blême l’arrière-garde flandrienne et assuré le maintien mouscronnois.

À croire que le garçon serait taillé pour les grands rendez-vous et que la soudaine ferveur des supporters hurlus lui aurait rappelé ses débuts professionnels – il y a déjà cinq ans – dans la chaleur de son premier derby cairote disputé avec Al Alhy contre Zamalek.

 » Je n’en savais rien, mais cela ne m’étonne pas qu’on l’ait balancé directement dans un match à haute intensité, c’est un joueur qui joue pour l’équipe, mais aussi pour faire le show « , détaille en expert, son capitaine mouscronnois, DavidHubert.  » C’est un amoureux du jeu. Dès qu’il a la balle, il cherche à être décisif. Il refuse le jeu facile, ce qui a tendance à le rendre prévisible pour l’adversaire et qui amène logiquement aussi une double couverture sur lui. Ce qui lui a joué des tours cette saison. À lui, mais aussi à toute l’équipe.  »

DES STATISTIQUES MOYENNES

Jouette, le joueur manque aussi encore d’un gros moteur capable de le faire tenir 90 minutes sans fausse note, ce qui n’est pas sans impacter sur son rendement. Ses statistiques ne plaident pas franchement sa cause. Trop peu décisifs, ses 4 petits buts et ses 4 passes décisives manquent clairement de relief dans une équipe longtemps entièrement dédiée à sa cause.

Pire, à la lecture détaillée de la saison mouscronnoise, un constat : 50 % des points conquis par les Hurlus l’ont été sans le concours de leur principal atout offensif dès le coup d’envoi. Preuve du déséquilibre créé par le jeu tout en dribble de Trezeguet, l’utilisation parcimonieuse qu’en a faite MirceaRednic dans le sprint final, allant même jusqu’à le placer sur le banc pour le match décisif contre le Standard lors de l’avant-dernière journée. Pas franchement la fin de saison idéale pour un homme censé se mettre en vitrine.

 » Ne vous en faites pas pour lui, c’est un bosseur invétéré et je suis convaincu qu’il est sur la bonne voie « , explique Abou Bassem.  » Au lendemain du maintien avec Mouscron, je l’ai déposé à l’aéroport. Il ne partait pas en vacances, mais en Égypte pour s’entraîner à la fédération dans la perspective des deux échéances internationales de l’Égypte. Personne ne sait s’il arrivera au bout de ses rêves, mais la vérité, c’est qu’il s’en donne les moyens et que tous ceux qui l’ont côtoyé de près ou de loin ne peuvent que lui souhaiter de réussir.  »

Même son de cloche du côté de David Hubert.  » Il est tellement à fond qu’il a même tendance à en faire parfois un peu trop. Il n’est pas dans le calcul, donc il ne dose pas ses efforts, jamais. Il a une mentalité en or.  »

EMINEM ET INSTAGRAM COMME EXUTOIRES

Fonceur sur le terrain, plus timide en dehors. C’est d’ailleurs entre autres parce qu’il ne se voit pas d’avenir à long terme en Belgique que l’Égyptien a mis le paquet sur l’anglais et non le français depuis son arrivée à Bruxelles. Cette année, il a ainsi suivi des cours particuliers à raison de 3 à 4 séances par semaine. Sans compter les heures de voitures passées au côté de NathanKabasele et MickaelTirpan, son covoitureur attitré.

 » On passe minimum deux heures côte à côte chaque jour. Du coup, je me suis mis en tête de lui apprendre le français, mais ce n’est pas gagné (rire). J’avais pourtant fait une playlist avec du Booba, mais ça n’a pas pris. Il restait bloqué sur ma seule chanson d’Eminem : Mockingbird.  »

Pas franchement de quoi surprendre Fabrice N’Sakala, le premier à avoir percé le mystère Trezeguet à son arrivée à Bruxelles.  » Trezi ? Dans le vestiaire déjà, ce n’était pas le genre à prendre le micro (rire), mais moi j’adorais l’embêter sur son niveau école primaire en anglais « , détaille le Franco-Congolais.  » Au début, alors qu’il était pourtant mon voisin dans le vestiaire, je ne le croisais qu’au stade ou au Westland Shopping avec son frère. Et puis un jour, alors que j’étais à la muscu avec Youri (Tielemans, ndlr) il est venu nous demander s’il pouvait s’entraîner avec nous. À partir de là, on s’est échangé nos Instagram et c’est là que j’ai compris.  »

Ce que le joueur désormais exilé en Turquie du côté d’Alanya dans la province d’Antalya vient de réaliser, c’est que celui qu’il appelle Trezi n’a pas franchement besoin du marché belge pour travailler sa popularité sur les réseaux sociaux.  » C’était un truc de ouf : il avait près d’un million de followers sur Insta alors qu’il n’avait pas encore joué le moindre match en Belgique ! Le seul truc qu’il a trouvé à me dire à ce moment-là, c’est ‘Yes, but I’m a top player in Egypte.’ On a éclaté de rire avec Youri.  »

TACTIQUEMENT PERFECTIBLE

Le résultat est sans appel et la méthode fonctionne. Pour faire grimper son nombre d’abonnés, Fabrice s’affiche au côté de son coéquipier sur Instagram et partout ailleurs. Youri Tielemans suit la même méthode. La triplette n’est pas que virtuelle, elle s’entend aussi bien sur le terrain.  » Ils étaient tout le temps fourrés à trois « , appuie DodyLukebakio, aujourd’hui à Toulouse.

 » Faut dire qu’ils étaient vachement sympas avec lui : ils lui parlaient calmement en anglais, prenaient le temps de se poser. Mais contrairement à ce qu’on peut croire, Trezeguet, ce n’était pas un vrai discret à Anderlecht, il avait son petit caractère.  »

Vrai discret ou faux bavard, le joueur fait l’unanimité sur un point.  » Footbalistiquement, c’est un ouvre-boîte incroyable, doté d’une grosse frappe. Mais il y a un souci au niveau tactique « , s’inquiète MohamedOuahbi, ex-T3 anderlechtois sous Besnik Hasi, aujourd’hui à la tête des U21.

 » Même s’il a prouvé à la CAN, avec un entraîneur aussi rigoureux qu’HectorCuper, que le problème était peut-être principalement linguistique, il doit absolument comprendre que le football est un sport d’équipe qui demande des sacrifices. Parce que malheureusement, il va déjà avoir 23 ans (en octobre, ndlr) et que le monde du foot ne l’attendra pas.  »

S’il veut un jour réinventer le football champagne au Real Madrid, un passage réussi dès l’an prochain au Sporting d’Anderlecht semble, dès lors, tout indiqué. Pas de stress cependant pour Fabrice N’Sakala qui tempère les impatients.  » Aux dernières nouvelles, tout allait bien. Je l’ai même vu encore récemment apparaître sur l’Instagram de Stéphane Badji. Tout roule pour lui (rire).  »

Au moment d’écrire ces lignes, le compte Instagram de Trezeguet pointait à 1,6 million d’abonnés. Le signe d’une saine évolution, sans aucun doute.

PAR MARTIN GRIMBERGHS – PHOTO BELGAIMAGE

 » Il avait près d’un million de followers sur Instagram alors qu’il n’avait pas encore joué le moindre match en Belgique !  » FABRICE N’SAKALA

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