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LES VIES MULTIPLES DE YASSINE EL GHANASSY

Combien de vie a-t-il eues ? A seulement 26 ans, la question pourrait paraître prématurée. A voir son curriculum vitae, elle semble pourtant s’imposer. Retour sur le come-back le plus soudain du football belge.

Le temps fait parfois bien les choses. Yassine El Ghanassy en sait quelque chose. Passé du statut d’indésirable dans le Gand de Hein Vanhaezebrouck en septembre 2014 à celui d’accélérateur de particules dans l’actuel onze ostendais d’Yves Vanderhaeghe, YEG a entre-temps découvert les joies du football norvégien. Une expérience à part à plus d’un millier de kilomètres de ses nouvelles aspirations ostendaises, mais qui a eu le mérite de remettre cet ex-enfant star sur le droit chemin.  » Il n’a certainement pas choisi de rejoindre Stabaek pour l’argent, mais parce qu’il avait besoin de se reconstruire. Mentalement, mais aussi, et surtout, physiquement.  » Il n’y a pas de personnalité mieux placée que Bob Bradley, ancien sélectionneur des États-Unis, et ex-entraîneur du club norvégien, pour évoquer les sautes d’humeur d’El Ghanassy.  » C’est un joueur à part dans un vestiaire. Quelqu’un de très sensible qui demande une attention particulière. Nous n’avons jamais utilisé de psychologue, mais chaque jour, je prenais le temps de discuter avec lui avant et après chaque entraînement.  »

REMIS EN SELLE PAR BOB BRADLEY

Ce traitement de faveur, Yassine le mettra à profit pour avancer. Et comme le garçon ne fait jamais rien à moitié, les choses s’accélèrent très vite. Moins de deux semaines après son arrivée dans la banlieue d’Oslo, le renégat gantois fête déjà sa première titularisation. Rien d’exceptionnel quand on sait que les qualités intrinsèques du joueur n’auraient jamais dû croiser la route cabossée de la Tippeligaen norvégienne.

La grande première a lieu le 12 avril 2015 à Skien. Si Bob Bradley le sort à la mi-temps ce soir-là, c’est avant tout pour le préserver. El Ghanassy sort d’une année sabbatique pour le moins mouvementée et son nouveau mentor n’a pas envie de prendre le moindre risque avec sa nouvelle pépite. Une vedette sur le retour dont la dernière apparition en match officiel remonte à près d’un an et son ultime rencontre disputée avec Al Ain, aux Émirats Arabes Unis, en mai 2014. Entre les deux, un énorme trou noir de 341 jours passés à vivre essentiellement la nuit. Un contraste de plus dans une carrière aux dissonances trop nombreuses.

UN CLOCHARD DEVENU BANKABLE

À cette époque, le joueur lui-même se définit comme  » un SDF, un clochard du foot.  » Les mots sont durs, autant que la descente aux enfers vécue après avoir cassé son contrat avec Gand en septembre 2014. Très vite, Yassine sombre dans une espèce de dépression morbide. De ces quelques mois sans contrat, il gardera surtout ses entrées dans la moitié des boîtes de nuit de Bruxelles et de Paris, un compte en banque à moitié vide et une petite dizaine de kilos en trop. La faute à des journées rythmées par l’alcool, commencées sur le coup de 15 heures et finies au petit matin. C’est finalement l’agent hollandais Peter Ressel qui trouvera les mots pour convaincre Bob Bradley d’accepter de le relancer du côté de Stabaek.  » Il n’avait jamais été aussi gros qu’à cette période « , s’amuse presque Pelé Mboyo, un des rares à être resté proche du joueur dans cette période de trouble et à lui avoir toujours dit ses quatre vérités.  » Ce qui est marrant avec lui, c’est que même quand il prend deux ou trois kilos, ça se voit. Heureusement, ça a toujours été quelqu’un qui perdait aussi vite du poids qu’il n’en prenait. Le vrai déclic, il s’opère à son arrivée en Norvège. C’est là qu’il a repris goût au foot, et sincèrement, il était temps parce qu’il avait suffisamment déconné.  »

Conscient de l’ampleur de la tâche qui l’attend, Bradley lui impose des séances de travail supplémentaires. La meilleure façon de procéder avec Yassine quand on veut lui montrer qu’on compte sur lui selon Hervé Kage, un autre complice de longue date.  » Quand un joueur a du mal à retrouver son meilleur niveau, les gens pensent souvent que c’est dans la tête qu’il y a un problème. Mais avec Yassine, c’était surtout physique « , prévient son ancien coéquipier gantois.  » C’est un mec qui a besoin d’être à 100 % physiquement pour donner le meilleur de lui. Quand il est fit, il est inarrêtable sur un terrain. Dans notre bande, ça a toujours été le rôle de Pelé de lui remonter les bretelles. Moi, je n’ai jamais voulu lui donner de conseils parce que je ne me suis jamais considéré comme un psychologue. Mais ce que je sais, c’est que ça a toujours été un gentil garçon, un mec qui mérite de réussir.  »

Un flambeur certes, mais un gentil garçon donc. En Norvège, Hervé Kage et Yassine communiquent par SMS. Une correspondance réduite au strict minimum qui traduit la volonté de Yassine de se relancer pour de bon :  » Au début, je me suis dit que ça allait être facile « , rappelait Yassine dans une interview donnée à Sport Foot Magazine en novembre 2015.  » C’était en fait tout le contraire (…). Là-bas, ils ne font que courir, ce sont tous des machines. Ils vont beaucoup à la salle, ils ont un gros bagage physique, et les matches, ce ne sont que des allers-retours.  »

Un style de jeu aux antipodes de cet amoureux d’un football basé sur les contrôles de la semelle. Blessé de s’être fait recaler par des clubs de seconde zone en Belgique, Yassine accepte de mettre son orgueil de côté et se fait violence jusqu’à s’infliger lui-même des charges de travail supplémentaires. Sans surprise, les retombées positives ne tardent pas : 26 matches, 14 passes décisives et 3 buts plus tard, il tient une partie de sa rédemption. En huit mois, l’ancien pestiféré du football belge vient de se refaire une image de joueur bankable. Pas de ceux qu’on s’arrache, mais de ceux qu’on observe soudain avec un oeil plus attentif.

PAS ASSEZ BON POUR LEEKENS ET PREUD’HOMME

Entre novembre 2015 et janvier 2016, le CV de Yassine El Ghanassy transite par la majorité des clubs de l’élite et bien plus encore. Son nom est cité en Turquie, mais le joueur refuse de repartir jouer les aventuriers à l’autre bout de l’Europe. Celui qui emportera finalement le gros lot s’appelle Luc Devroe.  » Le plus compliqué dans cette histoire était de parvenir à démêler le vrai du faux « , avoue le manager général ostendais, pas peu fier d’avoir finalement participé à relancer la carrière de celui qui est aujourd’hui la principale attraction offensive des côtiers.  » Je suis incapable de vous dire le nombre de coups de téléphone reçus de personnes qui se prétendaient être l’agent de Yassine tellement chacun voulait profiter de son come-back.  »

Sauf que cette fois-ci, Yassine refuse de confier sa destinée au premier venu. C’est finalement Karim Mejjati, habitué à travailler avec des jeunes issus de la communauté marocaine, dont Reda Jaadi (ex-Standard, aujourd’hui à Malines), qui obtiendra la confiance d’El Ghanassy avant de convaincre Devroe.  » Contrairement aux autres, Karim, nous a directement permis de discuter avec Yassine sans passer par 36 intermédiaires.  »

L’amorce est faite par un coup de téléphone reçu dans le car qui relie Jerez de la Frontera à Séville lors du stage hivernal des côtiers le 9 janvier dernier. Luc Devroe répond et s’entretient une première fois avec El Ghanassy. A leur retour en Belgique, et suite à l’insistance d’un Marc Coucke qu’on sait friand de ce genre de trajectoires sinueuses à la El Ghanassy, la triplette Devroe-Vanderhaeghe-Coucke relance les pourparlers avec Karim Mejjati et le principal intéressé. Les discussions ne dureront finalement pas plus d’une heure, le temps pour les deux parties de s’accorder sur un contrat de 18 mois avec deux ans en option. Pour ce qui est des émoluments du joueur et étant donné les antécédents de celui-ci, il a été convenu de garder le montant secret. Le seul indice nous vient de Mejjati :  » Je peux juste vous dire que c’est un bon salaire. Incomparable avec ce qu’il touchait en Norvège.  »

Le contentement de Mejjati s’explique par la complexité du dossier. Il suffit de revenir une semaine en arrière pour comprendre. Le 7 janvier, deux jours avant d’appeler Devroe, Mejjati et Yassine El Ghanassy sont à Reims pour sabrer le champagne et parapher un contrat avec le club de Ligue 1 depuis lors redescendu en Ligue 2. Les négociations buteront finalement sur la durée du contrat. Le clan El Ghanassy exige un minimum de sécurité, quand les Rémois ne proposent qu’un contrat de six mois payé à la prestation.  » C’était un vrai coup dur sur le moment parce que malgré sa bonne saison en Norvège, les réticences étaient encore nombreuses. Personne ne le voulait, et avec le temps, ça devenait tout doucement compliqué à gérer « , concède Mejjati. Les refus de Michel Preud’homme à Bruges et de Georges Leekens à Lokeren n’arrangeront pas les choses.  » C’est pour ça que je tiens surtout à remercier Luc Devroe et Marc Coucke pour leur confiance.  »

 » Si nous avons accepté de lui offrir une dernière chance, c’est parce qu’il avait l’air d’avoir changé, et visiblement, nous ne nous sommes pas trompés « , avoue Devroe. Neuf mois après son retour en Belgique, El Ghanassy a en effet réussi son opération séduction.  » Pas un accroc avec ses coéquipiers, rien avec ses adversaires, ni même ses entraîneurs, il est irréprochable pour l’instant « , s’enthousiasme le même Devroe. Mieux, pour la première fois, Yassine El Ghanassy est même revenu de vacances sans le moindre excès pondéral !  » C’est un malin mon Yassine « , prévient Mboyo.  » Il s’est fait oublier pendant un petit temps, il est revenu sur la pointe des pieds comme une petite souris, et aujourd’hui, il est de retour. Je suis vraiment content pour lui.  »

VANDERHAEGHE, L’HOMME QUI TOMBE À PIC

A entendre ses proches, la rédemption de Yassine passerait par une relation de couple équilibrée. Apaisé parce qu’enfin mieux encadré. Un grand classique dans une vie de footballeur souvent démarrée en trombe et sans repère.  » Nous sommes une génération qui avons eu l’habitude d’être trop souvent livrée à nous même « , déplore Habib Habibou, qui a côtoyé Yassine à Gand.  » Et pour des gars comme Yassine ou moi qui ont un vrai besoin de stabilité, cela n’a pas toujours été facile à gérer.  » À l’écart des turpitudes de la vie nocturne bruxelloise depuis près d’un an et demi, Yassine El Ghanassy aurait donc enfin trouvé la quiétude tant recherchée tant au niveau personnel que professionnel.  » Je sais qu’il est en tout cas très épanoui dans son couple, et je suis encore plus persuadé que Vanderhaeghe est l’entraîneur qui lui convient « , assure Mboyo.  » Je l’ai connu à Courtrai et c’est quelqu’un qui avance avec une vraie philosophie, un système clair qui ne laisse que peu de place à l’improvisation. Comme moi, Yassine à ce besoin d’être encadré et de ne pas bénéficier de trop de liberté. Ce sera le cas avec Yves qui sait comment profiter des qualités de chacun au maximum. Cela va donner un cocktail explosif dans les mois à venir, j’ai hâte de voir ça.  »

Si Pelé Mboyo doit encore attendre quelques petites semaines avant de se relancer à Sion, Yassine lui espère encore une fois faire parler la poudre ce vendredi à l’occasion de la réception de Saint-Trond et contribuer à enfin faire marquer ses attaquants peu en réussite jusqu’ici. Parmi eux, le jeune Landry Dimata (19 ans) qui découvre encore émerveillé l’agilité technique de son aîné.  » C’est un super joueur et un homme très attachant. Moi, perso, il me considère un peu comme son petit frère. Il me donne beaucoup de conseils mais n’hésite pas à me taquiner aussi. Par exemple, il va me traiter de petit gamin et puis, moi, quand je le chambre à mon tour, il me dit que je me la raconte parce que je joue en équipe nationale Espoirs. Il faut le suivre, mais c’est un personnage, quelqu’un qui met une bonne ambiance dans le groupe. « 

Yassine El Ghanassy en mode grand frère protecteur, on aura tout vu. Récemment il avouait même dans les pages du journal Het Nieuwsblad ne plus avoir consommé une seule goutte d’alcool depuis un an. Il s’en est donc passé du temps depuis les débuts professionnels d’un joueur tout juste majeur au moment de sa grande première dans le Gand de Michel Preud’homme en novembre 2008. À l’époque, Wesley Sonck n’est pas encore consultant mais un attaquant qui n’a pas besoin de deux occasions pour faire trembler les filets du stade de Bruges. Tout l’inverse d’un joueur qu’il juge trop peu efficace.  » Je me souviens de ses débuts à Gand. Comme beaucoup, j’ai tout de suite été impressionné par ses qualités, mais il n’a jamais eu le dernier geste juste, comme s’il ne sentait pas bien le jeu, comme s’il avait un problème de timing.  » Effectivement, Yassine El Ghanassy devra attendre son 42e match de championnat pour marquer son premier but en D1.  » Il est incontestablement dans une bonne période pour l’instant, mais avec lui, on ne sait jamais combien de temps ça va durer… « , poursuit Sonck.  » Et puis, en dehors des terrains, son style de vie m’a aussi toujours posé question. Il paraît qu’il a changé, mais c’est un peu tard. Huit ans trop tard en fait…  »

Si Yassine El Ghanassy a mis du temps à reconquérir une partie de son public, il lui reste manifestement encore quelques détracteurs à faire taire. La bonne nouvelle dans tout ça, c’est qu’à 26 ans, le numéro 8 ostendais a encore le temps de se relancer dans une nouvelle vie.

Une de plus.

PAR MARTIN GRIMBERGHS – PHOTOS IMAGEGLOBE

 » C’est un joueur à part dans un vestiaire. Quelqu’un de très sensible qui demande une attention particulière.  » – BOB BRADLEY, SON COACH À STABAEK

 » Pas un accroc avec ses coéquipiers, rien avec ses adversaires, ni même ses entraîneurs, il est irréprochable pour l’instant.  » – LUC DEVROE, MANAGER GÉNÉRAL D’OSTENDE

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