» Les triathlètes sont mes clients les plus fous « 

Samedi prochain, Frederik Van Lierde (35 ans) défendra à Hawaï son titre en triathlon complet. La psychologue du sport, Els Snauwaert, suit l’athlète flandrien depuis quatre ans.  » Il a commencé à gagner quand il a pris de l’audace et a assumé à fond ses décisions.  »

Dans son bureau d’Oostduinkerke, à son domicile, une feuille A4 attire notre attention. Il s’agit des processus-clés de l’Acceptance and Commitment Therapy (ACT), la forme la plus récente de thérapie du comportement, qui doit amener plus de souplesse psychologique et qui a déjà fait ses preuves dans l’amélioration des performances sportives. Els Snauwaert, psychologue du sport, s’occupe aussi des sportifs de haut niveau du BLOSO, l’équivalent flamand de l’ADEPS.  » Nous essayons d’importer un maximum des évolutions et tendances étrangères en la matière « , explique-t-elle.  » Les dix psychologues du sport de haut niveau du Bloso Expertenplatform Sportpsychologie (BES) suivent toutes les formations, ils acquièrent de l’expérience pratique et transmettent leur savoir aux entraîneurs et aux athlètes.  » Outre la thérapie ACT, elle a également étudié la thérapie biofeedback, celle de la cohérence cardiaque et l’EMDR.  » L’Eye movement desensitization and reprocessing est une technique basée sur les mouvements de l’oeil. Je l’utilise pour soigner les traumatismes « , dit-elle.  » Pendant ma formation EMDR, je me suis fait traiter moi-même, suite à la chute de mon fils Neo. J’étais enceinte de huit semaines de mon troisième bébé quand il a chuté dans l’escalier. Sa tête gisait dans le sang. Il ne respirait plus et j’ai cru qu’il était mort. Nous avons vécu 24 heures horribles avant d’être sûrs qu’il resterait en vie. Il s’est miraculeusement rétabli mais j’ai subi un fameux traumatisme. Depuis mon traitement EMDR, je ne perds plus mon équilibre émotionnel dès que je me rappelle l’accident. Je reste calme quand j’entends quelque chose tomber ou Neo pleurer. Je peux en parler sans fondre en larmes. Depuis, j’ai appliqué ce traitement à de nombreux sportifs, notamment à quelqu’un qui a vécu un traumatisme aux Jeux olympiques. J’ai aussi aidé Frederik à digérer sa lourde déception d’Hawaï en 2011.  »

Joueur d’équipe

Van Lierde avait été contraint à l’abandon à dix kilomètres de la ligne d’arrivée. Par la suite, il n’a cessé de progresser. En 2012, il a terminé troisième de l’Ironman d’Hawaï, qu’il a gagné l’année dernière.  » En 2010, Frederik m’a demandé d’assurer son suivi pour améliorer ses performances « , explique Els Snauwaert.  » Une des premières choses que nous avons faites a été de comparer sa meilleure et sa plus mauvaise prestations. Ensuite, nous avons procédé à une analyse plus approfondie : que pense-t-il, que fait-il, que ressent-il avant, pendant et après la course ? Quelle est la différence entre la meilleure et la pire prestation ? Nous en avons retiré plusieurs éléments essentiels sur base desquels nous avons pu travailler, en les associant à des aspects de sa personnalité. Je travaille souvent avec Action Type, un moyen pratique pour faire réfléchir les gens et observer leurs points forts.  »

Le système Action Type s’appuie sur quatre dualités : Extroverted-Introverted, Intuition-Sensing, Thinking-Feeling, Judging-Perceiving. Frederik Van Lierde a le profil ESFJ : Extroverted, Sensing, Feeling, Judging. On l’appelle le Soigneur ou le Joueur d’équipe : il est chaleureux, ouvert, énergique, il apprécie la stabilité et la sécurité. En sport, les personnes dotées de ces traits veulent être entraînées avec chaleur et sentiment. Elles doivent veiller en particulier à rester décontractées car elles ont tendance à aborder les compétitions de manière trop émotionnelle, et elles doivent apprendre à travailler de manière stratégique.

 » Les ESFJ sont des profils sympathiques, très appréciés des autres « , explique Els Snauwaert. Frederik est manifestement extraverti, tourné vers les autres. Il s’exprime aisément et puise son énergie dans ses contacts. Les S sont très sensoriels et pratiques. Quand il prend des décisions, il s’appuie surtout sur ses sentiments – le F – mais sans négliger les aspects logiques. Enfin, dans ses choix de vie, Frederik est un J : il est structuré, il agit selon un plan. C’est un de ses points forts et nous l’utilisons pour le rendre plus fort et l’aider à améliorer ses performances.

Audace accrue

Je donne ces profils à mes clients pour qu’ils y travaillent. Je leur indique ce qui est typique en eux et ce qui ne l’est absolument pas. Cela nous incite à la discussion. L’athlète apprend ainsi à mieux se connaître. Le premier élément que nous avons mis en exergue chez Frederik, c’est qu’il n’avait pas toujours l’audace d’y aller à fond. Il avait réalisé ses meilleures courses quand il assumait pleinement ses décisions et se livrait à fond. Dès qu’il a osé, il a commencé à gagner. Au début, il était trop préoccupé par les autres. Il se comparait à eux, ce qui avait tendance à diminuer son audace. Il ne s’appuyait pas assez sur ses propres atouts. Frederik est charmant. Donc, nous avions un autre chantier dans sa personnalité : ose suivre ta voie, ne t’occupe pas des autres ni de ce qu’ils pensent et repousse tes propres limites !  »

C’est ce qu’il a fait l’année dernière à Hawaï. Après 60 kilomètres, quand l’Allemand Sebastian Kienle, le meilleur cycliste, a démarré, Frederik a été le seul à le suivre. Il a pris la bonne décision et a ainsi posé les jalons de sa victoire.

 » Dès que le déclic s’est fait, il s’en est servi dans son plan d’avant-course : à quoi dois-je prêter attention ? Il a continué à évoluer. Une fois qu’on ose croire à fond en soi-même et en ses atouts, qu’on ose lutter, on franchit une étape : sur quel aspect de son sport peut-on tendre à la perfection ? Quel petit adjuvant mental peut-il donner à cet élan ? Par exemple, Frederik devait veiller à conserver sa sérénité et à l’utiliser à bon escient : qu’est-ce qui peut m’aider mentalement à conserver l’équilibre dont j’ai besoin dans une épreuve aussi longue ? Je peux aider les athlètes à améliorer leurs performances en leur apprenant à percevoir ces processus et à travailler avec eux. C’est mon job. D’après son profil mental, Frederik est constamment disposé à chercher des éléments neufs, susceptibles de perfectionner ses plans d’avant-course « .

Un plan de compétition

 » Frederik veut une préparation de compétition très structurée et il veut la construire lui-même « , poursuit Els Snauwaert.  » Dans la mesure du possible, il veut savoir à l’avance ce qui va arriver. Donc, un plan de compétition le plus réaliste possible, tenant compte de différentes options, lui permet de se préparer sereinement et de se concentrer sur ses tâches. Ce plan comporte ce qu’il doit faire et les pensées qui y sont liées. Il retire également une grande motivation des tests de mesure. Ils constituent un pilier.  »

L’Ironman World Champion 2013 insiste beaucoup sur l’aspect mental, souligne- t-elle.  » Maintenant, il parvient à retirer des éléments de ses courses pour étudier quels trucs mentaux nous pouvons y appliquer. Nous cherchons ensemble la manière de faire travailler de concert pensées et motricité. Comme ça, il sait qu’il fera ceci quand cet événement se produira.  »

Van Lierde a recours à de nombreux trucs mentaux pour améliorer ses prestations : analyse de ses pensées pour en extirper les erreurs, entraînement de la pensée, de la concentration, de l’attention, visualisation…  » Les techniques de visualisation sont applicables dans tous les domaines « , relève Els Snauwaert.  » En montée, par exemple, Frederik a recours à des trucs acoustiques. Pour atteindre un certain rythme, il repasse dans sa tête une musique que son corps va suivre. En reconnaissant le parcours de Francfort, il a réalisé qu’il devait franchir un pont à huit reprises, deux fois par tour, ce qui pouvait s’avérer éreintant dans la deuxième partie du marathon. Je lui ai donc proposé de chantonner, dans sa tête, le même air marrant, chaque fois qu’il franchirait le pont, pour hausser son rythme. Il a choisi Eat-sleep-rave-repeat de Fatboy Slim, Riva Starr et Beardyman. Ça l’a aidé à passer les ponts avec plaisir.  » Elle éclate de rire.

En visualisation, nous avons une tradition : les films que son frère cadet, Olivier, réalise. Il monte des séquences de compétition sur un fond musical adéquat et moi, je choisis les paroles et les phrases qui apparaissent sur l’écran. La participation de Frederik est essentielle. Il formule des phrases courtes qui résument ce qu’il est et ce que sont ses particularités.  »

Remettre le couvert

 » Il a énormément progressé sous un aspect : le déclic se produit plus vite quand une pensée lui vient : il sait ce qui l’aide ou pas. Frederik est devenu plus conscient de ses atouts au sein de cette approche structurée et analytique. Il a progressé dans la gestion de ses résultats, dans le contrôle de ses sentiments et dans l’association des bonnes initiatives et décisions tactiques. Il a énormément besoin de se concentrer pleinement sur lui-même et de conserver son calme quand survient un événement inattendu. A Deinze, fin août, il a perdu trois minutes en natation à cause de problèmes avec son maillot. Avant, il aurait paniqué et il aurait été perdu, mentalement, mais là, il a commencé à raisonner : trois minutes, ça va encore. Ça ne représente quasiment rien dans un demi-triathlon… Il a continué à y croire. Une fois sorti de l’eau, il s’est lancé à la poursuite de Pieter Heemryck et après 65 kilomètres de vélo, il avait déjà refait son retard.  »

Frederik Van Lierde a réalisé son rêve l’année dernière : il a franchi la ligne d’arrivée de l’Ironman d’Hawaï, après 3,86 kilomètres de natation, 180,2 kilomètres à vélo et 42,195 kilomètres de course. Ce succès n’a pas diminué ses ambitions.  » Non, au contraire. Il m’a immédiatement dit qu’il voulait remettre le couvert « , se souvient Els Snauwaert.  » Il veut encore progresser. Cette année, il s’est concentré sur une seule chose : s’améliorer physiquement et mentalement. C’est la différence entre les athlètes qui placent le résultat avant tout et ceux qui veulent vraiment progresser.  »

La principale qualité de Van Lierde dans ce sport d’extrême endurance qu’est le triathlon complet reste la capacité à travailler d’arrache-pied.  » J’appelle les triathlètes ma population d’athlètes les plus fous « , confie la psychologue.  » Sans être déterminé à travailler tous les aspects, à s’entraîner et à persévérer coûte que coûte, on ne peut courir de triathlon. C’est un sport très dur, qui vous confronte à toutes vos limites. Une personne normale n’en est pas capable. Mais la qualité majeure de Frederik est surtout d’être et d’être resté très authentique. Ce trait rayonne de tout ce qu’il fait et dit. Je pense que c’est pour ça que tout le monde apprécie tant travailler avec lui. Il est franc, honnête et appréhende la vie de manière positive.  »

Retirer le maximum

 » Il est difficile de décrire ses sentiments « , disent mes athlètes.  » Mais Frederik me communique vraiment tout ce qui peut nous être utile, parce qu’il veut vraiment retirer le maximum de lui-même. Certains n’osent pas s’ouvrir complètement. Cette attitude nous freine. Lui, il me délivre tous les éléments qui nous permettent d’aller en profondeur. Le mois passé, j’ai commencé quelque chose de nouveau car j’ai décelé un schéma dans ses évaluations. Nous allons continuer et l’utiliser à Hawaï pour lui insuffler encore plus d’assurance.

Frederik ne fait pas de show. C’est une des caractéristiques des gens qui visent vraiment le sommet. Il ne dédaigne personne et il reste très fidèle au staff qui l’entoure. C’est peut-être parce qu’il attire les bonnes personnes, des gens qui sont un peu comme lui.  »

 » Frederik Van Lierde est tout à fait prêt pour l’Ironman World Championship 2014 de Kailua-Kona, Hawaï, le 11 octobre « , conclut Els Snauwaert.  » L’objectif est de tout faire de manière optimale. Que demander de plus ? C’est comme ça qu’il a évalué sa deuxième place à l’EURO de juillet à Francfort : sa course a été parfaite, il ne pouvait pas faire mieux et ce jour-là, un autre avait été en mesure de le surpasser. Frederik est ainsi fait : il est capable de formuler les choses telles qu’elles sont.  »

PAR CHRISTIAN VANDENABEELE – PHOTOS: BELGAIMAGE

 » Au début, Frederik était trop préoccupé par les autres.  »

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