Les tours de sa vie

 » Je ne pense plus à ces 8 secondes de 1989 « . En recevant Sport/Foot Mag aux Quatre Jours de Dunkerque 91, le champion nous dévoilait sa personnalité unique.

« Non, je n’ai pas d’amis dans le peloton « , avoue Laurent Fignon après avoir ouvert la porte de sa chambre dans un hôtel Campanile. Nous sommes en 1991. Plus d’une heure avec ce champion sortant du commun à Armbouts-Cappel, dans le nord de la France : c’est une longue interview qui marque le journaliste et qu’on n’aborde pas sans l’avoir préparée minutieusement.  » Le système a fait de nous des égoïstes et la fraternité n’est plus de mise entre les coureurs.  »

A 30 ans, Fignon connaît déjà les classiques, les étapes et les tours de la vie. Attaquant-né, il a une idée romantique de son sport. Il déteste les tacticiens à la petite semaine, les champions du moindre effort qui obtiennent de beaux bouquets après avoir attendu les défaillances de leurs rivaux. Fignon, lui, ne mise que sur une sueur : la sienne. Blessures et fractures l’ont privé de quelques grandes victoires. En 1982, par exemple, encore inconnu, il s’évade à la fin de Paris-Tours. Le succès ne peut lui échapper jusqu’à cette chute due à un bris de pédale : Jean-Luc Vandenbroucke en profite pour gagner au pied des châteaux de la Loire.

Quelques mois plus tard, Fignon empoche son premier Tour de France à 22 ans. Défaites, victoires : de telles contrastes forgent une personnalité, celle d’un jeune coureur qui a toujours osé regarder Bernard Hinault dans les yeux et le chambrer avec les potes de sa génération. Amoureux de son sport, il a son idée sur les choses de la vie. Dans la campagne de Dunkerque, Fignon évoque ses idées pacifistes :  » J’ai horreur de la guerre. Si les hommes provoquent un nouveau conflit mondial un jour, ce sera sans moi. Si cela arrive, je déserte…  »

C’est inhabituel dans la bouche d’un coureur. Fignon parle de ses lectures et, des années plus tard, prend la plume sans savoir que ses 400 pages deviendront trop vite son testament. Et, étrangement, en terminant son bouquin, Nous étions jeunes et insouciants, publié chez Grasset en 2009, Fignon parle de Lance Armstrong.

 » Moi, la seule fois que j’ai rencontré l’Américain, c’était dans des circonstances tragiques, en 1996 « , écrit-il.  » Malade du cancer, amaigri, chauve, il venait d’annoncer lors d’une conférence de presse à Paris qu’il mettait sa carrière entre parenthèses. Il venait d’être opéré au cerveau. Ses médecins se disaient alors réservés sur le diagnostic vital. Sachez-le : le soir de sa conférence de presse, alors qu’il devait prendre l’avion le lendemain matin pour retourner aux Etats-Unis, il s’était retrouvé tout seul à son hôtel, à Roissy. Tout le monde l’avait laissé tomber. Sachant cela, avec mon ex-femme, Nathalie, nous l’avions invité à dîner. Je garde de cette soirée un souvenir à la fois ému et surprenant. La vérité m’oblige à dire que je me suis demandé si je ne le voyais pas pour la dernière fois. Il nous avait avoué ses peurs mais affirmait sa volonté de se battre de toutes ses forces… Que dire d’un homme qui vainc le cancer de la sorte ? Que dire du sportif qui revient et gagne sept fois le Tour de France, l’épreuve sportive la plus dure qui soit ? A tous points de vue, les mots me manquent…  »

Le regard de l’adieu

Quelques semaines plus tard, le double vainqueur du Tour de France (1983-1984) apprend qu’il est atteint d’un cancer avancé des voies digestives. Le Parisien affronte le destin avec courage, lutte jusqu’à sa dernière goutte de sueur comme il le fit si souvent au cours de sa carrière. Consultant de première force, l’ancien champion français se distingue par son franc-parler en commentant les grandes courses.

Il ne s’emballe pas pour rien ( » Aujourd’hui, quand un coureur pète sur les routes de la Grande Boucle, on croit qu’il a réinventé le cyclisme « ) mais trouve les mots vrais pour apprécier un exploit à sa juste valeur. A la fin de sa vie, il cherche le regard des autres.  » Nous nous retrouvions parfois l’un près de l’autre dans les cabines de commentateurs du Tour de France « , affirme José De Cauwer, ex-directeur sportif de Greg LeMond chez ADR.  » Même si je n’y étais pour rien, il aurait pu me détester à cause du Tour de France 89 perdu pour 8 secondes dans des circonstances exceptionnelles. Et je reste persuadé que cet événement l’a profondément marqué et changé. Fignon ne m’a pas parlé durant des années car j’avais dirigé Greg qui le priva d’un troisième bouquet à Paris. Puis, cette année, au Tour, il demanda de mes nouvelles dans un restaurant : -Alors, mon petit José, comment tu vas ? J’étais sidéré car tout le monde savait qu’il était malade. Je n’oublierai pas son regard, cet adieu…  »

Ce Tour de légende 89 est marqué à jamais dans la légende du cyclisme. Ce Waterloo masque les succès de sa carrière : la Grande Boucle 83, celle de 84 avec cinq succès d’étapes, le Championnat de France sur route (1984), la Flèche Wallonne (1986), Milan-Sanremo (1988, 1989), le Tour d’Italie (1989), le GP des Nations (1989), etc. Il y a aussi le GP de Wallonie (1987) mais il est rayé du palmarès pour contrôle antidopage positif. Fignon ne s’épargne pas au cours de son ascension, s’épuise même physiquement et moralement. Son tendon d’Achille lui pose mille problèmes, limite son tableau de chasse et nous dit aux Quatre Jours de Dunkerque :  » J’ai un regret. Une carrière ne peut pas être complète sans un titre de champion du monde sur route.  » En 91, pour lui, une tenue arc-en-ciel est plus importante qu’un troisième maillot jaune : personne ne le croit, personne ne le croira jamais.

Courage et lucidité

Mais comment un contestataire comme lui, un homme moderne, n’a-t-il pas opté pour le vélo de triathlète de LeMond ? Cette nouveauté a fait la différence en faveur du cow-boy. Derrière le soixante-huitard se cache alors une France du sport qui ne s’est pas engagée sur les chemins du modernisme et de l’innovation. Même blessé à la selle, Fignon n’imagine pas qu’un guidon puisse être la cause d’une défaite face à LeMond et à sa petite équipe (ADR). Miraculé après son accident de chasse (1987), l’Américain signe un Tour de France intelligent, s’accrochant dans la difficulté, calculant, réfléchissant, au point d’énerver Fignon qui lui reproche de ne pas attaquer. Le Parisien, c’est tout à son honneur, pratique le métier à l’ancienne.

 » Non, je ne pense plus à ce Tour « , nous dit-il à Dunkerque.  » Il ne faut pas sur-dramatiser. Personne n’est tombé ou n’a été malade. Même si elle est importante, ce n’est qu’une défaite sportive. « 

De 1982 à 1993 (Renault Elf Gitane, Système U, Castorama, Gatorade), Fignon a croisé le fer avec tout le monde, même avec le directeur qui le lança : Cyrille Guimard. Puis, après sa carrière, il organise Paris-Nice avant de remettre la Course au Soleil à la Société du Tour de France. Dans son livre, il n’épargne personne et avoue avoir avalé des produits dopants. Sa franchise est aussi étonnante qu’en 1991 quand il nous dit :  » Il n’y a qu’un Hinault ou un Eddy Merckx et je n’ai jamais songé à égaler leur palmarès.  » Plus tard, dès 2009, c’est avec la même lucidité qu’il lutte contre la maladie qui l’a finalement emporté le 31 août 2010…

par pierre bilic

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