« Les stars sont toujours un peu compliquées »

Un Jovanovic explosif, un Biglia brosseur, un Mbokani en vacances prolongées : s’ils sont bons le week-end, à la limite, le manager d’Anderlecht en redemande…

Herman Van Holsbeeck a modifié ses habitudes alimentaires, repris la course à pied et acheté un vélo d’appartement : bonnes résolutions pour un homme victime d’un gros coup de fatigue. C’était en novembre, il avait fait un malaise soudain :  » Le coeur a encaissé, j’ai pris un bon avertissement.  » Le manager des Mauves a vécu ses premières grosses émotions anno 2013 lors du clasico face au Standard.

Vous n’auriez pas préféré que la série de victoires s’arrête contre n’importe quel autre adversaire ?

Herman Van Holsbeeck : Euh… oui… Mais il faut savoir être objectif. Le Standard a joué un match plein. Les spectateurs neutres ont passé une belle soirée avec de l’ambiance, des beaux buts, un jeu de bon niveau, du suspense. Je retiens la force de caractère de nos joueurs. A 1-2, à 10 minutes de la fin, à 9 contre 10, qui aurait encore parié sur une égalisation ? C’est important de pouvoir montrer aussi une envie d’aller au combat quand ça va moins bien dans le jeu.

Il n’y a pas encore eu de vrai clasico cette saison ! Quand vous avez joué contre le Standard et Bruges, ils étaient loin derrière ! Vous ne trouvez pas que ça manque un peu de saveur ?

Je dirais que ça manque de sel dès le moment où on sait que ces matches-là ne peuvent pas être décisifs. Et c’est toujours le cas en phase régulière. Dans un championnat normal, avec l’avance que nous avons sur le Standard et Bruges, tout serait pratiquement dit pour le titre. Mais avec les play-offs, on ne peut jurer de rien. Ce sont 10 matches et tous nos adversaires partiront du principe qu’ils pourront nous battre deux fois. A leur place, je raisonnerais aussi comme ça… C’est à ce moment-là qu’on aura des rendez-vous au sommet.

Mais personne n’imagine que le titre vous échappe !

Nous ne voyons pas les choses comme ça. Mais nous savons que nous sommes favoris. Normal, vu notre avance et notre noyau. Nous pouvons remplacer plusieurs titulaires. Il y a sur notre banc un Ronald Vargas, un Tom De Sutter, un Sacha Iakovenko,… Gohi Bi Cyriac va revenir… Nous n’aurons pas d’excuse si nous ne sommes pas champions. Quoi qu’il arrive dans notre noyau, nous devons toujours avoir une équipe plus forte que toutes les autres.

Anderlecht est suivi par Zulte Waregem et Lokeren : vous trouvez ça sympa ou c’est inquiétant par rapport au niveau du championnat ?

Ces équipes réussissent un parcours extraordinaire. Pour moi, ça ne veut pas dire que le niveau d’ensemble a baissé. Le Standard est loin mais c’est un cas particulier. Là-bas, il a fallu quelques mois pour recadrer les troupes, Mircea Rednic est arrivé… Le match chez nous a illustré l’importance d’un entraîneur : c’était la même équipe qu’avant le Nouvel An, les transferts de janvier étaient sur le banc, mais on ne voyait plus du tout la même chose.

 » Ce serait naïf de ne pas déjà préparer un après-Kouyaté  »

Quand vous vous êtes tournés vers les Pays-Bas pour remplacer Ariel Jacobs, vous ne vous êtes pas intéressés à Ron Jans ?

Non parce qu’il n’avait pas le profil que nous recherchions. J’ai remis trois noms à Roger Vanden Stock : John van den Brom, Ralf Rangnick et Stale Solbakken. Avec Van den Brom en numéro 1. Ils avaient la réputation d’améliorer leurs joueurs. Van den Brom l’a fait à AGOVV, à La Haye, à Vitesse. Je n’avais pas oublié la façon dont il avait relancé Dmitri Bulykin. Le transfert le plus raté qu’on m’ait jamais reproché ! Nous nous sommes bien renseignés avant de le contacter et les avis étaient unanimes : une communication directe, la façon de trouver rapidement les bons morceaux du puzzle. Evidemment, comme tous les autres coaches, il est tributaire des résultats. Si Georges Leekens avait qualifié Bruges pour la Ligue des Champions, ça aurait changé toute l’histoire là-bas. John van den Brom, lui, nous y a fait participer pour la première fois depuis tant d’années ! D’un coup, une grosse pression est retombée. Le match gagné contre Limassol lui a donné beaucoup de crédibilité.

Et il a ramené du foot à Anderlecht !

Tout à fait. C’est un Hollandais, il a donc une culture du football offensif, sans être naïf. On voit la même chose à Genk avec Mario Been. C’est d’ailleurs normal que les matches entre les deux équipes soient spectaculaires. Anderlecht joue beaucoup plus haut qu’avant, se trouve la plupart du temps dans le camp adverse, il y a du jeu en triangles et toujours beaucoup de monde autour du ballon.

Vous ne demandiez jamais à Jacobs de produire un peu de spectacle ?

Chaque entraîneur a sa vision. Il a quand même été deux fois champion.

Mais on s’ennuyait…

Ce n’était pas la même chose qu’avec Van den Brom. Les victoires suivaient mais il y avait régulièrement une distance énorme entre les défenseurs et les attaquants, parfois une soixantaine de mètres. Et donc, impossible de construire du beau jeu en partant de derrière.

Anderlecht est rarement aussi actif que cette année en janvier. Parce que vous vous attendez à perdre beaucoup de titulaires en fin de saison ?

Malgré la dernière place, des joueurs se sont mis en évidence en Ligue des Champions. Nous savons qu’il y aura de l’intérêt en juin. Pour certains, ça sent la fin de l’aventure chez nous. Quand Cheikhou Kouyaté dit qu’il veut partir, nous serions naïfs si nous ne préparions pas un après-Kouyaté. Même chose pour Dieumerci Mbokani et Lucas Biglia. Maintenant, est-ce qu’ils vont partir tous les trois ? Je ne crois pas. C’est l’idéal de prendre des nouveaux joueurs en janvier et de leur donner quelques mois pour s’acclimater. C’est encore mieux quand on peut les louer avec option d’achat car ça diminue le risque. C’est ce que nous avons fait avec Demy de Zeeuw. Nous avons cinq mois pour voir si nos transferts de janvier sont aussi forts que ce que nous pensons. Quand on met trois ou quatre millions pour un joueur et qu’on se rend compte après une demi-saison qu’il ne s’adapte pas, on a un problème.

 » Van den Brom dit ce qu’il pense et pense ce qu’il dit  »

Van den Brom avait dû faire le forcing pour avoir Bram Nuytinck en août. Sa réussite lui a donné un crédit qu’il a utilisé pour vous convaincre de faire venir Demy de Zeeuw et Samuel Armenteros ?…

Armenteros, notre cellule scouting l’avait à l’oeil depuis un moment. Il avait des atouts : jeune, beaucoup de potentiel, en fin de contrat. Le coach a été un argument supplémentaire pour le persuader de signer chez nous. Il y a combien de temps qu’un club belge était encore parvenu à transférer un international hollandais ? Depuis pas mal d’années, les mouvement se font dans l’autre sens, ce sont des bons Belges qui partent aux Pays-Bas. De Zeeuw, c’est 27 matches en équipe nationale !

Parlons du cas Milan Jovanovic… Il arrive en fin de contrat, c’est un quatrième pilier susceptible de partir.

Les choses sont claires entre Jovanovic et la direction : si nous sommes champions et donc automatiquement qualifiés pour la Ligue des Champions, nous lui proposons une prolongation d’un an. Par contre, si nous devons nous contenter de l’Europa League, ce sera sans lui car il faudra laisser partir quelques gros contrats. Nous savons qu’il peut encore nous rendre des services. D’ailleurs, l’entraîneur dit que quand il est fit, il a d’office sa place. Depuis qu’il est ici, il a souvent été important. Malheureusement, parfois, il pète un câble… La direction est d’accord avec l’entraîneur : vu son expérience, ce qu’il a fait contre le Standard est inadmissible. Mais ça ne change rien dans le dossier d’une prolongation éventuelle.

John van den Brom ne l’a pas épargné dans la presse après le match alors que beaucoup d’entraîneurs auraient protégé leur joueur.

Ça fait vingt ans que je fais ce métier et j’ai vu de nombreux entraîneurs qui jouaient un rôle. Quand je discutais avec eux, c’étaient des gens normaux. Mais dès qu’ils montaient sur le terrain, ils changeaient de visage. L’avantage avec Van den Brom, c’est qu’on sait à tout moment quelle personne on a devant soi. Il est direct, dans la vie et sur la pelouse. Il estimait que la réaction de Jovanovic était inacceptable et il l’a dit en public. Même chose après l’affaire de la bouteille à Limassol. J’étais dans le vestiaire et il ne s’est pas privé pour le recadrer devant tout le monde. C’est un comportement qui plaît aux joueurs. Van den Brom ne met pas de masque, il n’a pas de double agenda… Il dit toujours ce qu’il pense et fait toujours ce qu’il croit devoir faire ! C’est un héritage de son passé, je m’en suis rendu compte en parlant avec lui. Il m’a expliqué qu’en fin de carrière, il était un mec compliqué ! A ce stade-là, tu crois toujours que tu dois jouer, et si l’entraîneur te met sur le banc, tu penses qu’il n’est pas bon. Il sait comment son groupe réagit, il voit quand il doit être dur et quand il doit calmer les choses. Ce n’est pas un jeu, c’est naturel chez lui. Les grands entraîneurs ont ça, l’art de sentir les événements, la faculté de gérer les stars. Guus Hiddink a cette qualité, José Mourinho aussi. Même si pour Mourinho, ça devient un peu difficile au Real…

 » Si Mbokani rentre en retard dans un club anglais, il se retrouve six mois en tribune  »

Mbokani n’a plus qu’un an de contrat et n’a pas l’intention de prolonger.

S’il veut encore monnayer ses qualités, c’est maintenant. Nous travaillerons à un transfert en fin de saison, à condition que toutes les parties s’y retrouvent.

Combien vaut un Soulier d’Or à qui il ne reste qu’un an de contrat ? Cinq millions ? Dix ?

Plus ! Quand on voit ce que les Anglais osent payer… Pour lui, je dirais entre quinze et vingt. Si je dis dix, des clubs vont venir avec sept… Tous les clubs cherchent un attaquant comme lui, qui fait la différence dans les gros matches. Maintenant, il doit comprendre que s’il repart dans un grand championnat, il devra s’appliquer dès le premier entraînement.

On n’a toujours pas compris qu’il ne soit pas rentré à temps de la CAN pour jouer contre le Standard.

L’excuse des papiers de son fils, c’est comme la migraine de Biglia ! Nous avons fermé les yeux parce qu’il est bon dans les matches importants. Il n’avait pas eu beaucoup de congés en décembre. Nous lui avions dit qu’il pouvait prendre deux ou trois jours après l’élimination, c’est devenu quatre ou cinq… Mais il doit savoir que s’il fait ça en Angleterre, ce sera moins toléré que chez nous. Il y aura trois gars de son niveau pour une place et il se retrouvera six mois en tribune.

Vous n’aimez pas travailler avec des amendes… Même Biglia n’a pas été puni.

Ce n’était pas possible. On ne peut pas donner une amende à un employé qui présente un certificat médical. Donc, nous sommes partis du principe que Biglia avait souffert de migraines. Il est revenu, il rejoue, on refera le point en fin de saison. Pour lui aussi, nous collaborerons à un transfert si nous atteignons nos objectifs. Nous ne demanderons plus huit millions, probablement quelque chose comme cinq et demi.

Vous n’avez reçu aucune offre en janvier ?

Non. C’est la crise. Et pour qu’Anderlecht ait huit millions, le club acquéreur devait en débourser plus de dix. Personne n’allait mettre ça pour Biglia.

Comment est-il possible qu’il y ait plus de deux millions de commissions sur un transfert pareil ?

C’est souvent compliqué avec les joueurs sud-américains. Nous avons eu le même problème avec Matias Suarez. Là-bas, c’est habituel que les clubs qui vendent un joueur en restent en partie propriétaires. S’ils gardent 20 % de la propriété, ils ont droit à un cinquième du montant de transfert quand le joueur est revendu. Dans le cas de Biglia, l’acquéreur doit aussi rétribuer une société qui avait aidé financièrement un de ses anciens clubs, Argentinos Junior. Et il faut ajouter la commission de son agent.

 » Dans l’affaire Biglia, on a marqué des points face aux observateurs  »

Comment a réagi Biglia quand il a vu débarquer un médecin conseil et un huissier en Argentine ?

Il a été surpris et vexé.

Et qu’est-ce qu’ils ont constaté ?

Biglia leur a dit qu’il avait des migraines et leur a présenté son certificat. Une migraine et un mal de dos, ce sont les deux maux les plus difficiles à détecter ! En envoyant ces deux personnes, nous avons voulu marquer un point et montrer aux autres joueurs que nous pouvions la jouer à la dure à partir du moment où quelqu’un n’était pas correct. Beaucoup d’agents et de joueurs ont tout observé, ils voulaient en savoir plus sur notre politique. Heureusement qu’il y a eu unanimité dans la direction pour continuer à exiger huit millions. Si certains avaient dit qu’on allait essayer de le monnayer pour cinq, ça aurait pu être dangereux. Mbokani a directement dit dans une interview qu’il comprenait Biglia…

Jovanovic, Mbokani, Biglia… C’est parfois lourd pour un manager de travailler avec les stars ?

Non. Les stars, sont toujours un peu compliquées. Le plus important, c’est qu’elles prestent sur le terrain. Je ne vais pas nier, par exemple, que la relation entre le club et Biglia n’est plus la même aujourd’hui. Mais l’essentiel pour nous, c’est qu’il retrouve le niveau qu’il avait en fin d’année. Le rôle de notre cellule sociale est important dans ce processus, nous investissons beaucoup là-dedans et nous le ferons de plus en plus. Ça marche. Je constate qu’avec le noyau d’Anderlecht, on peut aller quelque part ! Nous n’avons aucune crainte quant au comportement de nos joueurs quand nous allons par exemple chez un sponsor. Ce sont des gars bien éduqués, qui ont du savoir-vivre. Ils sont sortables !

Quel est le bilan financier de la campagne de Ligue des Champions ?

Nous n’avons pas encore tous les chiffres. Le bénéfice devrait tourner entre 9 et 10 millions.

Si vous y participez à nouveau, le budget sera automatiquement augmenté pour les prochaines années ?

Attention, les gens oublient que nous avons aussi beaucoup dépensé pour construire l’équipe actuelle. Et nous avons investi plusieurs millions dans la rénovation du stade. Tout dépendra de ce qui se passera lors des prochains mois. Ligue des Champions ou pas ? Transfert de Matias Suarez en Russie ou pas ? Vendrons-nous des joueurs ? Pour le moment, nous avons en tout cas l’avantage d’avoir notre capital essentiellement sur le terrain. Un journal a composé deux équipes avec notre noyau : il estimait la valeur de l’une à 43 millions, le prix de l’autre à 40 !

PAR PIERRE DANVOYE

 » Le prix de Mbokani ? Si je dis 10, des clubs vont venir avec 7. Donc, je dis entre 15 et 20… «  » Nous n’aurons pas d’excuse si nous ne sommes pas champions « 

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