Les Spurs champions ?

Malgré la surprenante défaite du week-end dernier à Stoke, le club londonien réalise un parcours brillant ces dernières semaines. Jusqu’où la bande à Redknapp peut-elle aller? Analyse.

Jeudi 1er décembre, 23 h. Les mines des supporters des Spurs sont déconfites. Le discours du manager, Harry Redknapp, est désolé. Quelques minutes plus tôt, Tottenham, ogre de la poule A de l’Europa League, a été surpris sur sa pelouse par la modeste équipe grecque du PAOK Salonique (1-2) entraînée par Laszlo Bölöni.  » Je suis déçu car on ne sera vraisemblablement pas parmi les 32 qualifiés pour le prochain tour. Je voulais vraiment en être « , explique-t-il en conférence de presse. Avec une différence de buts de -5 par rapport au Rubin Kazan auquel il ne manque qu’un point pour se qualifier, Tottenham sait que son aventure européenne s’est arrêtée sur sa pelouse.

Mais comment croire complètement au discours de Redknapp ? Malin comme un singe, le manager à succès des Spurs, favori pour la succession de Fabio Capello à la tête de l’Angleterre après l’EURO, sait que cette élimination lui enlève une épine du pied et que cette Europa League pouvait davantage lui coûter que lui rapporter. En faisant neuf changements par rapport à l’équipe qui avait débuté à West Bromwich Albion en championnat, Redknapp a montré clairement où se situaient ses priorités. Surtout quand le calendrier lui réservait le modeste Bolton le week-end suivant. Sans la Coupe d’Europe, à laquelle participent encore tous les candidats au titre excepté Liverpool, Tottenham va pouvoir se concentrer sur son unique objectif : le championnat.

Certes, en termes de rotation, cette probable élimination complique la gestion du noyau pléthorique des Spurs, mais sur le fond, elle allège le calendrier et clarifie la situation de Tottenham.  » L’année passée, Arsenal a tout perdu à force de se disperser sur tous les fronts. Le risque existait aussi pour Tottenham. Aujourd’hui, il n’y a déjà plus la League Cup et sans doute plus l’ Europa League et ce n’est pas plus mal « , expliquait récemment l’ancien joueur Darren Anderton.

Contrairement à des équipes comme Chelsea ou les deux Manchester, le banc de Tottenham est bien loin du niveau du onze de base. Pourtant, en comptant six points de retard sur City, Tottenham s’inscrit dans la continuité des deux dernières saisons et semble même avoir progressé, s’accrochant au train infernal imprimé par le leader mancunien. Or, rien ne semblait l’indiquer au mois d’août. Englué dans la saga Luka Modric (Tottenham avait dû courageusement faire front face aux sollicitations continuelles de Chelsea pour son joueur croate) et confronté à un calendrier dantesque (les deux clubs de Manchester lors des deux premières journées), Tottenham avait sombré, s’inclinant 3-0 à Old Trafford et 1-5 à domicile devant City. Certains avaient parlé de fin de cycle. Pourtant, depuis lors, l’équipe de Redknapp a brillamment relevé la tête, enfilant 10 victoires et un nul lors des 12 derniers matches. Depuis la gifle de City, seul Stoke les a domptés. Et c’était ce week-end.

Les médias se focalisent sur les autres cadors de la compétition et seuls les spécialistes commencent à comparer cette formation avec celle de 1961 qui avait réalisé le doublé et avec celle de 1987, qui avait atteint la finale de la Cup et la demi-finale de la League Cup. Comparaison qui tient d’autant plus la route que le système de jeu actuel ressemble à s’y méprendre à celui mis en place par le manager de l’époque David Pleat, qui s’était inspiré de ce qu’il avait vu à la Coupe du Monde 1986 pour jouer avec un seul attaquant ( Clive Allen) supporté par cinq médians.

C’est l’arrivée de Redknapp qui a tout changé

Depuis trois saisons, Tottenham s’est inscrit comme un club stable dans le haut du tableau. Il y a deux ans, les Spurs avaient coiffé sur le fil les nouveaux riches de City pour une place en Ligue des Champions et l’année passée, ils ne durent leur échec au pied du top four qu’à la débauche d’énergie et la déception d’une élimination en quarts de finale de la Ligue des Champions. Si ce club, habitué aux désillusions en championnat malgré un budget conséquent, a réussi à se hisser au sommet du foot anglais et s’y maintenir, côtoyant des plus gros morceaux que lui comme Chelsea, City, United, Arsenal et Liverpool, il le doit à l’entrée en scène de Redknapp en 2008. Un an et demi après son arrivée, alors qu’il avait repris une formation luttant pour son maintien, le club décrochait une qualification en Ligue des Champions.

Depuis, la magie Redknapp opère toujours à White Hart Lane. Redknapp a remis en selle des joueurs avides de revanche comme Rafael van der Vaart et plus récemment Emmanuel Adebayor ou William Gallas. Il a également permis à des éléments pétris de talent mais souvent inconstants comme Aaron Lennon, Jermaine Defoe ou Modric de s’épanouir pleinement.

Tout cela en formant un duo particulièrement complémentaire avec le président Daniel Levy. Réputé difficile en négociation et s’en tenant à certaines principes très stricts (il refuse de déroger à la règle de 70.000 livres par semaine pour ses stars, bien loin des émoluments des autres clubs du Big Six), il est tout le contraire de Redknapp, habitué à transférer à tour de bras dans tous les clubs dans lesquels il est passé.

Redknapp a ainsi réussi à convaincre Levy de faire quelques exceptions dans sa politique de transfert qui consistait surtout à acheter jeune et à revendre plus cher (comme Michael Carrick et Dimitar Berbatov partis à MU). Il a ainsi fait revenir Defoe et Peter Crouch, entre-temps parti à Stoke, mais surtout il a convaincu le président d’offrir des contrats à des trentenaires comme Gallas, Adebayor et plus particulièrement Scott Parker.  » Tout le monde dit que je ne fais que demander des joueurs et ce n’est pas le cas. Je le faisais lorsque je travaillais dans des équipes plus modestes car il y avait des manquements mais à Tottenham, je n’en demande qu’un ou deux. Mais cela doit être des joueurs capables de faire la différence. Cet été, je n’avais qu’une demande : Parker. Il était en tête de ma liste.  »

Avec d’un côté un Redknapp insistant pour Parker et d’un autre un Levy qui mène les négociations et qui n’a rien lâché dans celles de Modric, on tient les recettes du succès actuel. Deux hommes jamais éloignés de la devise du club – Audere est facere (Oser, c’est agir). Et voilà comment l’effectif de Tottenham est aujourd’hui plus équilibré.

 » Toutes les arrivées estivales étaient intelligentes « , réfléchit Tom Collomosse, journaliste au London Evening Standard et spécialiste de Tottenham.  » Pourtant, elles ne coulaient pas toutes de source. Il fallait oser attirer Adebayor qui portait l’étiquette Arsenal ou donner quatre ans de contrat à Parker. Le choix de Brad Friedel, 40 ans, comme gardien était également risqué. Et pourtant, toutes ces signatures font aujourd’hui la différence et ont fait grandir l’équipe.  »

Sans doute le meilleur entrejeu d’Angleterre

Tottenham a encore franchi un palier. Après avoir mis sur pied un entrejeu quatre étoiles la saison passée (Modric, Gareth Bale, Lennon et van der Vaart en soutien d’attaque), Redknapp l’a densifié en y ajoutant la pièce manquante : Scott Parker. Celui-ci élu, à la surprise générale, joueur de l’année par les journalistes, a quitté West Ham pour Tottenham. A 30 ans, le métronome marathonien retrouvait donc un club du top, après avoir connu Chelsea. Mais la question de savoir s’il pouvait y réussir demeurait ouverte. Depuis le début de la saison, Parker a fait taire ses derniers détracteurs en devenant le complément idéal à Modric. Oubliés les WilsonPalacios ou Tom Huddlestone, trop limités pour permettre à Tottenham de franchir un cap.  » Ce ne fut pas facile de le faire signer à cause de son âge et de la longueur de son contrat mais je savais qu’il nous apporterait beaucoup « , a admis récemment Redknapp.  » Parker est le cheval de trait de cette équipe, capable de courir, tackler et même d’aller vers l’avant « , écrivait d’ailleurs le chef des sports de la BBC, Phil McNulty.

Aujourd’hui, l’entrejeu des Spurs est sans doute le meilleur d’Angleterre. Du moins le plus joueur et surtout le plus vivace. Car, c’est dans ce domaine que réside la force des Londoniens.  » Modric et Parker comptent parmi les meilleurs de Premier League tandis qu’il y a beaucoup de joueurs qui aiment les espaces « , affirme Collomosse.  » La vitesse de Bale, Lennon, Defoe, Adebayor et de l’arrière-droit Kyle Walker sont autant de dangers à contenir pour l’adversaire.  »

Alors, Tottenham peut-il créer la surprise en mai ? Pas si sûr. Les prochaines semaines seront décisives. Au programme : Chelsea le 22 décembre et deux déplacements périlleux en janvier (City et Liverpool). Mais, ce sont surtout les blessures qui peuvent nuire. En attaque, Adebayor possède un profil unique. Si le Togolais se blesse, Redknapp devra changer toute sa philosophie offensive. Les solutions de rechange manquent : seul Roman Pavlyuchenko peut suppléer Adebayor.

La même remarque est valable pour la défense où le blessé récurrent, Ledley King réalise une saison parfaite.  » Il stabilise la défense à lui tout seul. C’est peut-être le meilleur défenseur central quand il peut enchaîner les matches. Cette saison, la première depuis presque dix ans, il peut le faire mais tout le monde se demande jusqu’à quand « , explique Anderton. Sans King, Tottenham n’est plus la même équipe. Walker, transfuge d’Aston Villa, se révèle mais son apport est davantage offensif que défensif. A gauche, Benoît Assou-Ekotto commet trop d’erreurs et la charnière centrale manque de leaders capables de reprendre le rôle de King. Seul Michael Dawson peut le faire mais il est blessé.

Si Tottenham a prouvé qu’il possédait des arguments pour rivaliser avec les meilleurs, le club se situe à la croisée des chemins. Pour grandir, Tottenham devra acquérir de nouvelles rentrées financières car l’accroissement des dépenses salariales (35 % en plus ces deux dernières saisons) menace l’équilibre financier savamment conservé pendant des années par le président Levy. Le stade de White Hart Lane (36.000 places) est trop exigu. Les Spurs avaient imaginé prendre possession du stade Olympique après les JO mais ils se sont fait doubler par West Ham, qui a promis de maintenir la piste d’athlétisme (au contraire de Tottenham).

PAR STÉPHANE VANDE VELDE – PHOTOS: IMAGEGLOBE

 » Il fallait oser attirer Adebayor qui porte l’étiquette Arsenal ou transférer Brad Friedel qui a 40 ans « 

(Tom Collomosse, journaliste au London Evening Standard)

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