Les secrets d’un buzz

Après un parcours difficile, le médian du Sporting crève l’écran à 18 ans.

La fin de saison de Charleroi s’annonçait longue comme un hiver suédois. Le public carolo avait du mal à s’enflammer pour les affiches qu’on lui proposait (comme Brussels ou Lokeren) mais voilà qu’il se met à sortir de sa torpeur. D’abord parce que la venue de l’ancestral rival standardman s’annonce. Ensuite parce qu’une nouvelle perle étincelle sur la pelouse de l’ancien Mambourg. En quelques apparitions, Geoffrey Mujangi-Bia a montré toute la palette de ses gestes techniques et commence à susciter les compliments les plus vifs. Pourtant, le buzz fonctionne depuis décembre. Moment choisi par ce Belgo-Congolais pour sortir une bicyclette imparable. Le problème, c’est que ce soir-là, le Sporting s’était incliné 5-1. La chance, c’est que l’adversaire du soir se nommait le Standard. Et comme chacun sait, un but contre le club de Sclessin en vaut trois contre Dender. Dender qui aura assis la réputation du gamin. Ce soir-là, Charleroi offre un récital avec Mujangi Bia en soliste : un but, un assist, un tir sur la transversale.

Pourquoi le découvre-t-on seulement maintenant ?

Entre sa découverte contre le Standard et son explosion contre Dender, quatre mois se sont écoulés. Quatre mois durant lesquels son club a couvé le gamin, l’empêchant de s’ouvrir à la presse. A toute la presse. Pour le protéger ou pour lui éviter de planer et de se disperser. Car à 18 ans, on se laisse vite séduire par les sirènes du succès. Mais, ce qui était compréhensible en décembre est vite devenu intenable. Comme lorsque Mujangi Bia fut largement sollicité lors de la victoire des Zèbres à Bruges. Ce jour-là, la télévision lui demande une interview. Le joueur décide de s’y plier avant de croiser son entraîneur et de lui demander son accord. Ce dernier lui conseille de téléphoner à Mogi Bayat. Les journalistes tentent de joindre le directeur général du Sporting mais ce dernier ne répond pas. Quant à la nouvelle coqueluche des Zèbres, il attend bien sagement devant le panneau publicitaire que son sort se décide. Finalement, comme le directeur général reste injoignable, le joueur rentre aux vestiaires… sans avoir délivré d’interview.

Devant ce silence, les langues se délient, les rumeurs affluent. Et au lieu de se concentrer sur le talent footballistique du joueur, les gorges se plaisent à évoquer les problèmes passés de l’ancien sociétaire de l’école des jeunes d’Anderlecht.

Pourquoi Anderlecht l’a-t-il lâché ?

Mujangi Bia a débuté sa formation au Parc Breughel de Zellik, où Gilles De Bilde avait lui aussi été repéré. Mais c’est à l’Union Saint-Gilloise et à Anderlecht qu’il aboutit quelques années plus tard.

 » J’estime qu’il est plus fort que Vadis Odidja et qu’ Anthony Vanden Borre mais pas que Vincent Kompany « , explique Albert Martens qui l’a recruté pour les Mauves.  » Il dégoulinait de qualités : volume de jeu, très fort homme contre homme et des qualités techniques évidentes. Il était à Anderlecht ce qu’on appelle un full médian (médian offensif). Mais, dès les équipes d’âge, il ne fut pas facile à gérer. Il avait un tempérament je-m’en-foutiste. Un jour, lors d’un tournoi à Bassevelde, il en est venu aux mains avec Raoul N’Gadrira. Je les ai enfermés dans le vestiaire après avoir fait sortir tous les autres et leur ai dit que j’ouvrirais la porte quand ils se seraient calmés. Deux minutes avant le coup d’envoi, ce fut la délivrance et tous deux jouèrent un match du tonnerre. Il était tellement ingérable qu’à 11 ans, je lui ai dit – A 18 ans, tu seras soit en Première, soit derrière les barreaux « .

 » A 15 ans, j’étais influençable. Le décès de ma grand-mère, en décembre 2004 a contraint mes parents à rentrer au Congo. Je me suis alors retrouvé seul à la maison et j’ai déconné « , a expliqué Mujangi Bia dans les colonnes du Soir. S’ensuivent vols de GSM, indiscipline à l’internat, voyages en train et tram sans ticket et au bout du compte 40 heures de travaux d’intérêt général. Anderlecht le renvoie et c’est Charleroi qui le récupère. Il presta ses heures à nettoyer les sièges des tribunes du stade carolo et à distribuer des prospectus les jours de match.  » Après Anderlecht, j’ai douté. D’autant plus qu’un club belge du top m’avait contacté mais avait laissé tomber après avoir été mis au courant des bêtises que j’avais commises « , rajoute-t-il.

Depuis, il est en train de se racheter une conduite. Il faut dire que le gamin ne manque pas d’atouts : il est parfait bilingue (français-néerlandais) et vient de décrocher son diplôme de technicien commercial à l’Athénée des Marlaires à Gosselies.

Comment Charleroi le coache médiatiquement ?

 » Tu peux l’empêcher de fréquenter les médias dans un premier temps « , dit Frank Defays,  » mais, à un moment donné, il va falloir que le joueur vole de ses propres ailes. Refuser des interviews peut constituer un frein pour sa carrière car si un club acquéreur se montre intéressé, il va inévitablement se poser des questions. Il se demandera si le joueur est intelligent ou pas, vu qu’il ne parle pas. Il faut trouver un juste milieu. Mais c’est clair qu’un jeune doit se focaliser sur sa tâche de professionnel et ne pas s’enflammer « .

Après sa prestation contre Dender, le vernis craque. Certains médias évoquent les problèmes du garçon. Et le club d’offrir à deux médias ( La Gazette des Sports et Le Soir) le droit de recueillir les propos de Mujangi Bia. Pourtant, lorsque Sport/Foot Magazine tente sa chance, il se voit refoulé.

-Mogi Bayat :  » Il ne veut pas parler à Sport/Foot Magazine. J’ai Geoffrey à côté de moi, il va vous le confirmer « ,

-Sport/Foot Magazine :  » Bonjour, je suis un journaliste de Sport/Foot Magazine et je téléphone pour voir si vous seriez d’accord de nous accorder une interview. Pendant plusieurs mois, je vous l’ai demandé et vous m’avez toujours répondu que cela ne dépendait pas de vous. J’ai vu que vous aviez récemment accordé deux interviews et c’est pour cette raison que je réitère ma demande « .

-Geoffrey Mujangi Bia :  » Oui, mais pour les deux interviews, Mogi Bayat était présent !  »

-S/F M :  » Pas de problème pour nous. Il peut participer à l’interview « .

-Mujangi Bia :  » Alors, dans ce cas, vous n’avez qu’à vous arranger avec lui. Pour moi, c’est OK « .

-S/F M à Mogi Bayat :  » Le joueur est d’accord avec votre présence « .

-Mogi Bayat :  » Pas question que je dégage cinq minutes de mon agenda pour vous. Geoffrey a décidé de ne pas donner d’interviews mais de se concentrer sur les quatre derniers matches du championnat… « .

-S/F M :  » Mais il a accordé deux interviews ! Vous sélectionnez donc les médias ? »

-Mogi Bayat :  » Evidemment que nous ciblons les médias. Nous avons choisi le journal le plus sérieux de Belgique et la gazette locale. Nous agissons comme Frankie Vercauteren qui avait sélectionné deux journalistes ( -NDLR : lors de sa conférence de presse, l’ex-coach d’Anderlecht avait en effet fait une sélection : huit journalistes francophones et néerlandophones). Geoffrey n’est pas intéressé par les salades qui s’écrivent dans les autres journaux. Ce qui intéresse la presse, c’est le nombre de GSM qu’il a volés et quel ticket de train il n’a pas payé « .

-S/F M :  » Mais vous n’allez pas cacher le joueur toute sa carrière ? »

-Mogi Bayat :  » Non. Il donnera une conférence de presse… à l’issue du championnat et vous pourrez lui poser toutes les questions que vous voudrez « .

-S/F M :  » Pourquoi à la fin du championnat et pas maintenant ? »

-Mogi Bayat :  » Car, maintenant, il est titulaire et il doit se concentrer sur les quatre derniers matches « .

-S/F M :  » Mais ce qui vaut pour lui vaut pour les autres joueurs. Eux aussi doivent se concentrer. Pourquoi alors leur permettre de répondre à la presse ? »

-Mogi Bayat :  » Geoffrey a décidé de gérer sa carrière au calme. Le club, et moi le premier, n’a pas ménagé sa peine pour entourer le joueur. Et nous continuerons dans cette voie « .

Fin de la communication.

Comment Charleroi s’en est-il occupé sportivement ?

Contrairement aux apparences, Mujangi Bia s’éclate à Charleroi. Arrivé il y a deux ans, sa progression est fulgurante.  » Il a d’abord rallié l’équipe Espoirs durant une saison avant de monter en A « , explique Mario Notaro, entraîneur adjoint en charge des Espoirs la saison passée.  » Lors de son arrivée, on a travaillé d’abord le côté athlétique. Il a reçu un programme physique spécial car à ce niveau-là, il avait un certain retard dû à quelques blessures mais aussi au fait qu’il n’avait plus joué pendant plusieurs mois. On a mené un travail d’endurance avec des tests VMA. Il a progressé à une vitesse V/V’. Il est devenu plus costaud et a encore grandi de quelques centimètres. Sur le plan technique, quand il est arrivé, il était fort individualiste. Il ne regardait pas ce que faisaient les autres. On a réussi à lui donner une stabilité collective. De plus, il a conservé cette créativité : il est aussi fort du pied gauche que du droit même si, lui, ne s’en rend pas vraiment compte. Il dispose d’une bonne frappe. Il sait donner un ballon de finition et il sait finir lui-même les actions « .

Que demander de plus ?  » Il peut progresser dans sa vision collective et panoramique du jeu ainsi que dans son jeu de tête « , continue Notaro, qui regrette que Mujangi Bia tente encore le dribble de trop ou oublie des coéquipiers mieux placés.  » Contre Dender, il fait un match incroyable mais si au lieu de tirer neuf fois dans les nuages, il lève la tête et fait une passe, il serait à l’heure actuelle en tête du classement des assists « , ajoute un joueur.

Lancé par Jacky Mathijssen la saison dernière, c’est Philippe Vande Walle qui lui offrit sa première titularisation contre le Standard et c’est avec Thierry Siquet qu’il s’épanouit.  » Intrinsèquement, c’est le meilleur du groupe « , dit de lui Tim Smolders. D’autres joueurs avoueront même qu’il est un des plus assidus aux entraînements.

Pour l’amener à ce niveau, Charleroi n’a pas ménagé sa peine. Ainsi, Mogi Bayat a même confirmé qu’il lui confisquait son GSM, son lecteur DVD et ses jeux vidéo 48 heures avant tous les matches afin qu’il puisse se concentrer dans des conditions idéales.  » Sur le plan humain, j’insiste, je n’ai qu’à me louer de son caractère. C’est un taiseux. Il est parfois solitaire et un peu renfermé mais il fait des efforts et écoute ce qu’on lui dit « , affirme Notaro.

Et quand on lui demande s’il a bénéficié d’un régime spécial (outre son programme physique), Notaro répond :  » Quand quelqu’un possède de telles qualités, on essaie de ne pas le perdre en chemin. Il faut donc faire preuve d’une attention particulière « .

Et peut-il encore fortement progresser ?  » Je le pense bien. Je l’espère. Il doit franchir des paliers en visant la constance et la maturité. Il faut qu’il se prenne en charge et choisisse bien son entourage. Car, à cet âge-là, souvent, quand on fait des bonnes prestations, on retombe aussi vite « .

par stéphane vande velde – photos: belga

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