LES ROIS DU MATELAS

Juste avant que les joueurs n’entrent sur le terrain, l’hymne du club résonne dans le vestiaire. Les joueurs intériorisent le cantique et se dirigent vers le tunnel, le torse bombé. Le coach Diego Simeone est déjà dans tous ses états. Au même moment, les 54.000 spectateurs entonnent à pleins poumons, dans le stade Vicente Calderón : ‘Atleti, Atleti, Atleti !’

L’Atlético Madrid est le club du peuple. Des ouvriers madrilènes, qui attendent chaque match des  » Rouge et Blanc  » avec impatience. Ils ont vécu pendant des dizaines d’années dans l’ombre du richissime Real Madrid mais, cette saison, ils ont dépassé les voisins au classement. En février, ils ont même triomphé dans l’antre du rival historique. Cette simple victoire fait déjà de la saison une réussite.

C’est le Français AntoineGriezmann qui a inscrit le but victorieux au stade Santiago Bernabéu. Comme d’autres, il ne restera probablement pas longtemps chez les  » Rojiblancos « . A l’Atlético Madrid, on est habitué à devoir vendre les meilleurs joueurs…

Avec un budget de 170 millions d’euros, le club ne peut pas rivaliser avec le top européen sur le plan financier. Mais l’équipe compense son manque de qualités intrinsèques par un engagement de tous les instants. Celui qui ne mouille pas son maillot, ou ne comprend pas ce que l’on attend de lui, n’a rien à faire là.

L’exemple du Colombien JacksonMartínez, arrivé du FC Porto pour 35 millions d’euros l’été passé, est éloquent à ce sujet : il n’a jamais su convaincre et joue aujourd’hui en Chine. Les socios sont particulièrement fidèles.  » Atlético Madrid un jour, Atlético Madrid toujours. « . On naît supporters des Colchoneros.  » Atlético, je veux mourir pour toi !  » et  » Atlético, je ne t’abandonnerai jamais « , sont des chants que l’on entend régulièrement dans les travées.

La petite place GlorietadePirámides se pare rapidement de rouge et de blanc, les jours de match. Les supporters de l’Atlético Madrid se désaltèrent en rue et avalent des petits pains avant de se rendre au stade. Entre les deux, ils chantent à tue-tête : Atleti ! Atleti ! Atleti !

Un peu plus loin, sur le PaseodelosMelancólicos, le noyau dur fait tournoyer des drapeaux. Sur les rives du fleuve Manzanares, les socios de l’Atlético Madrid règnent en maîtres. L’ambiance prend aux tripes. C’est impressionnant. La passion pour le football est perceptible à tous les coins de rue. Les supporters défilent, habillés d’anciens ou de nouveaux maillots rouge et blanc.

Dans leur dos, des noms illustres apparaissent, comme Futre, Vieri, Forlán, KunAgüero, Torres et notre Courtois national. Au fur et à mesure que l’heure du coup d’envoi approche, les coeurs battent plus fort. Les supporters ne quittent la rue pour le stade qu’à la dernière minute. Juste à temps pour entonner l’hymne du club.

COLCHONEROS OU INDIOS

L’Estadio Vicente Calderón est le quatrième stade occupé par le club au cours de son histoire. Un club créé en 1903 par trois étudiants basques, qui l’ont imaginé comme une filiale de l’Athletic de Bilbao et lui ont donné le nom d’Athletic Club de Madrid. Durant les premières années de son existence, le club a joué dans le parc du Retiro, au centre de la capitale.

Dix ans plus tard, il a déménagé un peu plus loin, au Campo de O’Donell, puis en 1923 à l’Estadio Metropolitano, jusqu’à l’ouverture de l’Estadio Manzanares en 1966. LuisAragonés, une légende du club, y a inscrit le premier but de l’Atlético, lors du match inaugural contre Valence.

L’enceinte a été rebaptisée Estadio Vicente Calderón en 1971, en hommage au président, qui a assuré le financement du stade avec beaucoup de difficultés. Entre-temps, l’heure de la fermeture du stade approche à grands pas. Un nouveau stade, l’Estadio de Madrid, est en construction depuis des années, près de l’aéroport de Barajas.

Il est plus connu sous le nom de LaPeineta ; la brosse à cheveux. La date du déménagement a déjà été déplacée à plusieurs reprises. Selon les dernières estimations, le club devrait emménager dans son nouveau temple durant l’été 2017. L’enceinte pourra héberger 67.000 spectateurs.

De nombreux supporters ont encore du mal à imaginer que  » leur  » stade Vicente Calderón laissera bientôt la place à un parc communal entouré d’immeubles. L’endroit est sacré pour  » LosIndios  » qui, comme les indiens d’Amérique, ont bâti leur maison au bord d’une rivière.

Ces dernières années, on n’a plus investi un centime pour la rénovation d’un stade qui a, malgré tout, conservé ses cinq étoiles de l’UEFA. Les supporters de l’Atlético ne se plaignent pas de devoir gagner leur place par des escaliers dont le béton a tendance à s’effriter. Assister à un match des  » Rojiblancos « , ce n’est pas une simple sortie, c’est une obligation.

Dans le petit musée de l’Atlético Madrid, c’est un voyage dans le temps qui attend les visiteurs. On se rend vite compte que ce club est celui du commun des Madrilènes. Dans une maison d’ouvrier reconstituée, on distingue un matelas rayé de rouge et de blanc. C’est là que dormait la communauté madrilène au siècle passé.

Et c’est à cela que les joueurs de l’Atlético Madrid doivent leur surnom :  » LosColchoneros « , les matelassiers. Beaucoup de supporters n’apprécient pas que le dos du maillot soit, cette saison, entièrement rouge, et plus rayé rouge et blanc.

MEILLEURS DU MONDE

Dans les vitrines du petit musée, on peut découvrir l’évolution du maillot au cours des années. A la fin des années 40 et au début des années 50, le Marocain LarbiBenBarek et le Suédois Henry Carlsson portaient un maillot qui est aujourd’hui vendu comme  » tenue rétro  » au fanshop du club, pour le prix de 50 euros.

Ben Barek est connu à Madrid sous le surnom de  » La Perle Noire « . II est l’un des meilleurs footballeurs qu’ait produits le Maroc et figure dans la liste des meilleurs joueurs qui ont défendu les couleurs du club populaire de Madrid. En 1950 et 1951, Ben Barek a conduit l’Atlético au titre de champion. L’Olympique de Marseille l’a ensuite rapatrié en France.

Dans les années 60 et 70, l’Atlético Madrid a connu ses premiers succès internationaux. Le club a remporté la Coupe d’Europe des Vainqueurs de Coupes en 1962 en battant la Fiorentina en finale (1-1 et 3-0). L’attaquant espagnol JoaquínPeiró en fut le grand animateur, en prenant deux des quatre buts à son compte. L’attaquant JoséEulogioGárate, né en Argentine, a permis de remporter quatre titres de champion, deux coupes d’Espagne et une Coupe du Monde des clubs entre 1966 et 1977.

En 1974, l’Atlético a perdu de façon dramatique la finale de la Coupe d’Europe des Clubs Champions contre le Bayern Munich. L’attaquant Luis Aragonés semblait avoir conduit son équipe vers la victoire lorsqu’il lui a donné l’avance, dans la deuxième mi-temps de la prolongation, au stade du Heysel à Bruxelles. Mais HansGeorgSchwarzenbeck a égalisé à une minute du terme.

Deux jours plus tard, l’Atlético a perdu le replay sur le score de 4-0. Maigre consolation : les Espagnols ont été autorisés à disputer la Coupe du Monde des clubs à la place des Allemands. L’Atlético l’a remportée, en deux manches, face aux Argentins de l’Independiente. Cette coupe figure en bonne place dans le musée du club.

Entre 1987 et 2003, le club a été présidé par l’excentrique JesúsGilyGil. Le nom de cet homme d’affaires est continuellement associé à des scandales de corruption, mais la plupart des supporters de l’Atlético le portent en haute estime. Il a dirigé le club comme un véritable dictateur.

Gil y Gil a licencié ses entraîneurs les uns après les autres. Durant la saison 1993/94, six entraîneurs ont pris place sur le banc. En 1996, l’Atlético a cependant vécu la meilleure année de son histoire, en réalisant le doublé. Mais, quatre ans plus tard, ce fut la chute libre : malgré un JimmyFloydHaisselbank très prolifique en attaque, le club est descendu en Segunda División A.

Le maillot n°17 de Haisselbank trône dans les vitrines. Tout comme celui de Thibaut Courtois, au demeurant. En attendant, probablement, celui de Yannick Carrasco qui est en train de faire son trou au stade Vicente Calderón.

UN FOOTBALL ENGAGÉ

Au total, l’Atlético a remporté dix titres de champion d’Espagne. La dernière fois que les supporters ont pu fêter un titre à la fontaine de Neptune, en face du Musée du Prado, c’était en 2014, lorsque DiegoCosta emmenait l’attaque. L’Atlético s’est assuré la première place après un partage au Camp Nou, mais a vu Diego Costa filer à Chelsea.

Comme la saison dernière, lorsque le Barça a pris sa revanche en devenant champion au stade Vicente Calderón, la lutte pour les écussons semble devoir être remportée par les Catalans cette année. Ce n’est pas une catastrophe. Contrairement à ce qu’il se passe pour les voisins du Real Madrid, gagner des trophées n’est pas une obligation pour l’Atlético. Simeone n’a rien gagné la saison dernière, mais son contrat a tout de même été prolongé jusqu’en 2020.

L’entraîneur argentin est en train de se faire une place parmi les légendes du club comme Luis Aragonés, José Gárate, Paulo Futre et Fernando Torres. Comme joueur, Simeone a été actif à l’Atlético à deux reprises : de 1994 à 1997, puis de 2003 à 2005. Le Sud-Américain a donné à l’équipe un style qu’affectionnent les supporters des  » Rojiblancos  » : il exige un engagement de tous les instants.

Lorsqu’il était joueur, il n’a jamais retiré le pied et exige la même chose de ses ouailles, aujourd’hui. En cinq ans, ElCholo (un terme utilisé en Amérique latine pour désigner une personne qui fait partie d’un gang de rue) a fait de l’Atlético une équipe quasiment invincible. Il est fier de constater que son équipe est crainte par beaucoup d’adversaires.

Simeone a poussé les sympathisants du club à croire en eux-mêmes, alors qu’ils souffraient d’un complexe d’infériorité jusque-là. En 2012, avec le Colombien RadamelFalcao en pointe, il a remporté l’Europa League et la Supercoupe d’Europe. Et en 2013, Simeone a mis fin à une série de 25 matches sans victoire de l’Atlético Madrid contre le Real Madrid.

Aujourd’hui, les rôles sont inversés : c’est le Real qui ne parvient plus à triompher de l’Atlético. En février 2015, les Merengue se sont même inclinés 4-0. Les supporters de l’Atlético en avaient les larmes aux yeux et ont pris des photos du marquoir.

Cette victoire a sonné comme une revanche après la défaite dramatique en finale de la Ligue des Champions en 2014. Comme en 1974, l’Atlético semblait avoir la partie gagnée après un but de DiegoGodín, mais SergioRamos a trompé Thibaut Courtois à la 93e minute, égalisant in extremis.

Dans la prolongation, les rivaux n’ont fait qu’une bouchée de l’Atlético et se sont imposés 4-1. Depuis lors, les sympathisants du Real Madrid chambrent les supporters adverses en chantant ‘Minuto93 !’ lors de chaque derby.

EXERCICES DE STYLE

L’Atlético Madrid rêve toujours de la Ligue des Champions. Cette saison, l’équipe s’est facilement qualifiée pour les huitièmes de finale dans une poule qui comportait Benfica, Galatasaray et Astana. Et ses supporters ont applaudi lorsque le nom du PSV Eindhoven est sorti de l’urne comme adversaire.

En 2008, les Colchoneros avaient battu les champions des Pays-Bas à deux reprises. Ce même stade Vicente Calderón était de nouveau en ébullition, la semaine dernière, pour accueillir le PSV. Les deux équipes s’étaient quittées sur un partage blanc à Eindhoven. Et c’est un nouveau score vierge qui scella le retour, avant que les Madrilènes ne s’imposent aux tirs au but : 8-7. L’Atletico Madrid en quarts : la Ligue des Champions peut commencer…

PAR KOEN GREVEN – PHOTOS BELGAIMAGE

En cinq ans, Diego Simeone a fait de l’Atlético une équipe quasiment invincible.

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