Les réseaux sociaux taclent dur !

De plus en plus de joueurs ont cédé aux sirènes des réseaux sociaux. Pourquoi ? Et comment font les clubs pour maîtriser la communication ?

« Anderlecht a maintenant déjà acheté deux arrières gauches… ? ? ! ! Je veux être clair et je peux dire que je suis 100 % fit « . Voilà comment Olivier Deschacht a réagi récemment sur son compte Twitter. En montrant son mécontentement, sa désapprobation et son mal-être, Deschacht a en quelque sorte prouvé qu’une nouvelle forme de communication pouvait menacer les clubs. Alors que les grands clubs du royaume verrouillent la communication, l’explosion des réseaux sociaux et leur utilisation par les footballeurs menacent cet équilibre de nature précaire. Car on ne peut contraindre un homme de se taire. Deschacht, qui se fait pourtant très discret dans les médias depuis que ceux-ci ont évoqué sa vie privée, en est l’exemple parfait.

Facebook et Twitter peuvent court-circuiter la communication des clubs mais également amener de multiples problèmes dont on se passerait bien. Récemment, Kevin De Bruyne a annoncé sur son compte Twitter sa sélection pour les Diables Rouges le mercredi alors que la sélection ne devait être dévoilée que le vendredi.

Mais pourquoi cette nouvelle mode importée d’Angleterre où les footballeurs ont pris l’habitude de communiquer uniquement par Twitter ? Tout simplement parce que cette façon de communiquer prend peu de temps et que les joueurs vont trouver les gens où ils sont. Or, il y aujourd’hui 4 millions de Belges qui utilisent les réseaux sociaux. Les hommes politiques l’ont compris en premier. Yves Leterme et Vincent Van Quickenborne ont ouvert la voie dans le nord du pays ; Paul Magnette a construit sa première victoire électorale en 2009 autour de l’utilisation des nouvelles technologies et Elio Di Rupo a façonné son image grâce aux réseaux sociaux. Quant à Michel Daerden, sa page Facebook est un véritable plébiscite quotidien (79.000 personnes l’aiment).

Les sportifs suivent. Avec 16 millions d’abonnés à son compte Twitter, Lionel Messi vient de battre le Real Madrid tout seul. Bien loin devant Usain Bolt (1,7 million de suiveurs).

 » La vague sociale a commencé avec le blog « , explique Mateusz Kukulka, spécialiste des réseaux sociaux.  » C’est d’ailleurs par cette voie que communiquait exclusivement Justine Henin. Si les sportifs préfèrent aujourd’hui Twitter, c’est simplement qu’il suffit de se brancher sur son téléphone et d’envoyer une phrase ou deux.  »

Pourtant, les footballeurs belges restent clairsemés sur Twitter et seuls Ryan Donk, Romelu Lukaku ou Deschacht ont fait parler d’eux.  » Je fus le premier de la Jupiler League car aux Pays-Bas, Twitter était devenu un phénomène de société au sein des footballeurs « , explique le défenseur hollandais du Club Bruges.  » Pour moi, c’est le moyen idéal pour maintenir le contact avec les gens que je ne vois plus aussi souvent. A chaque moment de temps libre – chez moi, au club ou dans ma voiture – je surfe sur mon GSM et je vais sur Twitter.  »

Si Donk utilise internet pour communiquer aves ses fans, il ouvre aussi une porte sur sa vie privée. On sait ce qu’il mange, quand il va dormir, qui il voit à Amsterdam et on reçoit même des photos de sa famille et de ses enfants. Et parfois, il va jusqu’à raconter la vie du vestiaire :  » J’ai reçu des leçons de danse africaine de Dorege Kouemaha et Joseph Akpala « , a-t-il même tweeté un jour.

 » Les gens peuvent voir comment je vis mais je ne raconte pas tout « , se défend Donk,  » Je reste dans les limites. Je n’ai en tout cas pas encore reçu de commentaires négatifs de mes coéquipiers ou de l’entraîneur.  » Pourtant, la saison passée, son activité sur Twitter s’est retournée contre lui puisque des supporters ont critiqué son manque d’implication et de professionnalisme en dehors des terrains. C’est également lui qui annonça la blessure au pouce de Stijn Stijnen alors que le Club ne voulait pas communiquer sur le sujet.

 » Je ne pense pas qu’il y ait un calcul quand un footballeur ouvre un compte Twitter « , dit Kukulka.  » Il le fait plutôt parce qu’on lui en a parlé. Il peut en tirer certains avantages et, par exemple, lui donner une visibilité médiatique. A l’image d’ Ashton Kutcher, acteur moyen qui a explosé sa popularité grâce à Twitter. Cela peut aussi permettre à un joueur de se mettre les fans dans la poche en se montrant ouvert, proche d’eux et en répondant à leurs messages. Malgré une saison mitigée, l’Américain Sacha Kljestan était apprécié car il avait donné une bonne image sur Twitter.  »

Des photos de vacances dans la presse

 » Pourtant, au niveau de la communication, je suis persuadé que les footballeurs perdent davantage qu’ils ne gagnent « , explique Kukulka.  » Le problème de Twitter, c’est son immédiateté. Parfois, c’est la rage qui parle. Or, dans un club coté en Bourse, tout ce que les gens racontent peut faire chuter le cours de l’action.  »

Toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire et les Anglais en font régulièrement l’amère expérience. Wayne Rooney a complètement oublié qu’il comptait de nombreux fans lorsqu’il a commencé à insulter un supporter sur Twitter. Non, cette conversation n’était pas privée ! Même réflexion pour Sam Deering, ce joueur d’Oxford United envoyé à l’hôpital suite à un choc, s’est branché sur Facebook et à la question d’un fan demandant s’il était soigné par de jolies infirmières, s’est cru bon de répondre :  » Non, par de sales Pakistanais « . Ces propos racistes et déplacés ont forcé le club à lui infliger des travaux d’intérêt général dans les milieux défavorisés.

Il n’y a pas que la confusion entre sphère publique et privée qui peut entraîner des ennuis. Certains peuvent se servir de Twitter ou Facebook pour régler leurs comptes. C’est ce qui est arrivé au modeste joueur d’Aldershot, Marvin Morgan, qui après avoir été insulté par ses supporters, a répliqué sur Twitter en lançant un  » Je voudrais remercier les fans qui m’ont sifflé à la sortie du terrain. Où cela va-t-il vous mener ? J’espère que vous allez tous mourir.  » Les fans protestèrent et forcèrent les dirigeants à limoger leur joueur.

La vengeance peut avoir également la forme d’une remise en cause de l’arbitrage comme Samir Nasri et Ryan Babel ont essayé de faire. Mais la Fédération anglaise veille et a puni ces deux joueurs d’une lourde amende. Cela peut pousser également certains joueurs à déballer les dessous peu reluisants des transferts. En 2009, ulcéré d’être considéré comme une marchandise par Tottenham qui essayait de le refourguer au plus offrant, Darren Bent a poussé une gueulante sur Twitter en insultant son président et en marquant clairement son désaccord devant les destinations qu’on lui proposait alors que son choix portait clairement sur un autre club (Sunderland).

Reste alors l’histoire de l’arroseur arrosé : ces footballeurs qui se servent des réseaux sociaux pour leur image mais qui retrouvent certaines de leurs photos dans la presse. C’est ce qui est arrivé à Maxime Lestienne dont une tentative de drague est parue dans les médias qui s’étaient servis sur Facebook. Même chose pour Sinan Bolat qui a retrouvé des photos de ses vacances dans le quotidien Het Laatste Nieuws.

Enfin, la douche peut également s’avérer très froide pour certains. Tout fier d’avoir ouvert un compte Twitter, le médian de Manchester United, Darren Gibson a dû le fermer aussitôt, inondé par un déluge d’insultes qui le traitaient de  » plus mauvais joueur de Manchester depuis longtemps « . C’est aussi cela le média participatif : être en contact direct avec les supporters, dans les bons et les mauvais moments.

Anderlecht et ses 147.000 fans sur Facebook

Cette nouvelle mode pose également des problèmes aux clubs.  » Pour les clubs, c’est clairement un danger car quand les joueurs sont en interview, ils sont naturellement sur la défensive. Pas sur Twitter où cela ressemble davantage à une discussion et où tu baisses la garde « , reconnaît Kukulka.

A Anderlecht, la sortie de Deschacht ne fut pas du tout appréciée.  » Je m’étais déjà posé la question en arrivant à Anderlecht « , explique le directeur de la communication, David Steegen.  » Car j’avais été alerté par le cas du défenseur de l’Ajax, Grégory van der Wiel. Ce dernier avait écrit sur son Twitter qu’il était allé à un concert alors qu’il avait fait l’impasse sur une tournée de l’équipe nationale en Australie pour une commotion cérébrale et qu’on lui avait prescrit du repos. Le sélectionneur avait d’ailleurs très peu apprécié. Finalement, à Anderlecht, on a décidé de ne pas interdire en disant bien aux joueurs que tout ce qu’ils écrivent tombe sous leur responsabilité. On a mis une exception : s’ils attaquant le club ou si les propos peuvent nuire à l’image ou aux valeurs du club, ils sont mis à l’amende.  »

En résumé, un joueur a le droit de parler de sa vie privée mais pas de sa vie professionnelle, sauf s’il se réjouit d’avoir signé un nouveau contrat ou d’avoir marqué un but. Et quid des sujets sensibles ?

 » Un joueur peut par exemple écrire qu’il vote pour le PS « , continue Steegen. Et pour le Vlaams Belang ?  » Là, c’est une bonne question. Il s’expose à des problèmes. Il ne recevra peut-être pas d’amende mais je lui expliquerai que sa démarche n’est pas très intelligente et qu’en écrivant cela, il rejette certaines cultures. « 

Pour éviter tout dérapage, Anderlecht verse dans le dialogue et la prévention.  » Il y a un dialogue permanent entre les joueurs et moi. Récemment, un joueur avait mis sur son compte Twitter des photos de lui lors d’une sortie. Je lui ai expliqué qu’il s’exposait à ce que ses photos ressortent un jour ou l’autre dans un contexte défavorable, après une défaite ou un mauvais match. Je lui ai expliqué que son image pouvait en pâtir et il a compris. Chaque année, j’organise également une grande réunion avec tous les jeunes du club et je leur fais part de l’impact d’Anderlecht dans les médias.  »

En concertation avec le staff technique, Deschacht sera donc sanctionné.  » Ce genre de tweets n’est pas permis. Mais Oli est quelqu’un avec qui on peut discuter. Il comprendra et reconnaitra son erreur. « 

Au Standard : essai concluant sur Twitter

Au Standard, on est moins avancé sur la question.  » Le phénomène Twitter, je ne le connais pas encore bien mais je pense que les joueurs sont assez malins pour comprendre les dangers des réseaux sociaux « , explique le directeur de la communication, Sacha Daout.  » Le pire qui puisse arriver sur Facebook concerne les faux profils. Witsel me demande trois fois par semaine d’être son ami alors que je sais qu’il ne veut pas intégrer Facebook. On a donc une certaine méfiance et je surveille juste pour qu’il n’y ait pas d’abus. Quand j’en constate un, je fais un rapport et c’est efficace puisque les profils sont enlevés dans les 24 à 48 h. Récemment, j’ai remarqué que Sergio Conceiçao disposaient de cinq profils différents – je ne parle pas ici des pages de fans – et nous avons fait enlever les faux profils.  »

En ce qui concerne Twitter, le Standard n’a pas encore constaté d’abus :  » Certains ont leur propre philosophie de communication et créent leur propre site internet. « , dit Daout qui songe sans doute à l’incident Stijnen (cf. cadre)  » C’est le cas de Steven Defour. Mais récemment, il a choisi son site pour communiquer sur ses blessures, ce qui peut être en porte-à-faux avec la communication du club. Tous les joueurs sous contrat sont actuellement soumis à des règles tacites et écrites, comme l’interdiction de donner des interviews sans l’accord du club mais il n’y a rien qui interdit le joueur d’utiliser les réseaux sociaux. Si on remarque une dérive, peut-être ajoutera-t-on une ligne dans le contrat mais ce n’est certainement pas la priorité du club pour le moment. On met simplement les joueurs au courant des dangers en leur disant que tout ce qui est écrit sur Facebook ou Twitter peut se retourner contre eux et qu’ils ne peuvent pas s’y mettre pour uniquement tester leur popularité. Pour cela, il y a le stade.  »

Autre problème : la concurrence éventuelle entre le compte Twitter d’un joueur (ou son site internet) et le site du club :  » Le site est créé aussi pour qu’il soit visible et visité car nous y avons des partenaires qui recherchent la publicité « , continue Daout.  » Les annonces officielles doivent donc se faire sur le site du club. Pas sur celui du joueur.  »

Si les clubs doivent gérer l’utilisation des réseaux sociaux par les joueurs, ils peuvent également se servir de ces réseaux à leur profit. Ainsi, Anderlecht teste sa popularité sur Facebook en attirant 146.000 fans sur son profil (plus que la chaîne sportive flamande Sporza). Ce chiffre laisse ses concurrents belges loin derrière puisque le Standard n’a actuellement que 96.000 fans sur sa page et le Club Bruges seulement 27.000.  » Tout ce qui est publié sur le site est également visible sur Facebook « , commente Steegen.  » On remarque que les vidéos marchent mieux sur le réseau social que sur le site. Cela nous permet également d’atteindre des gens qui ne vont pas au stade, comme le public féminin. Par contre, on utilise Twitter uniquement comme bande annonce.  »

Au Standard, le club a fait un essai… concluant.  » On a remarqué un vif intérêt pour la page du Standard sur Twitter lors de notre essai « , acquiesce Daout,  » L’idée que, via Twitter et même si on n’est pas au match, on arrive à avoir des nouvelles de l’équipe, cela intéresse les gens. Lors de l’échauffement, j’avais posté une photo des joueurs et directement, on a pu constater un nombre élevé de commentaires.  »

PAR STÉPHANE VANDE VELDE ET BREGT VERMEULEN

 » On remarque que les vidéos marchent mieux sur Facebook que sur le site d’Anderlecht  » (David Steegen)

 » Les gens peuvent voir comment je vis mais je ne raconte pas tout  » (Ryan Donk)

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