Les Rayures du Zèbre

Derrière le succès promis à ce film, il y a toutes les dérives du foot.

José (Benoît Poelvoorde), agent bruxellois de footballeurs, cherche les perles rares en Afrique. Il découvre un phénomène dans un quartier miteux d’Abidjan : Yaya (Marc Zinga). Le Sporting de Charleroi l’engage. Les Rayures du Zèbre, par le scénariste et réalisateur Benoît Mariage, c’est ça. Sortie le 5 février. Tous les ingrédients sont là pour que ce film cartonne. On y mélange les genres : beaucoup d’humour, pas mal de tragédie aussi. Et surtout, en toile de fond, des excès du monde du foot : les dérives d’agents, les rêves européens de joueurs africains, les filles, la misère du continent noir, la supériorité présumée du Blanc,…

C’étaient des thèmes pour un homme de cinéma décalé comme Benoît Mariage. Strip-tease, programme culte qui illustrait des réalités accablantes, c’était lui. Les convoyeurs attendent, c’était encore son idée. L’histoire de son nouveau film commence à Beveren…  » Après avoir vu un documentaire sur Jean-Marc Guillou et les joueurs ivoiriens de ce club, j’ai voulu comprendre leur cheminement « , dit-il.

Benoît Mariage contacte Serge Trimpont, l’ancien agent qui a fait sortir quelques futurs cracks de la misère africaine : Aruna Dindane, Cheick Tioté (aujourd’hui à Newcastle), Arouna Koné (Everton), Kolo Touré (Liverpool), Sekou Cissé (Genk),…

Serge Trimpont la joue franco, il ne veut pas blanchir le trait. Les Rayures du Zèbre, au final, ce sont toutes des scènes qu’il a lui-même vécues. On a du mal à le croire en voyant le film.  » Pourtant, c’est encore en dessous de la réalité « , dit-il. On comprend mieux pourquoi il a entre-temps largué le métier d’agent.

 » Le football dans son ensemble me fait vomir. Et le pire du pire dans ce monde, ce sont les agents. Pendant ma carrière, je n’ai pas croisé cinq managers honnêtes. Je devais arrêter ce métier. Pour ma santé mentale ! »

Les dirigeants de clubs en prennent aussi pour leur matricule.  » Pour faire des magouilles, les agents ont besoin de complices. Ils les trouvent dans les clubs. Je parlerais de collusion d’individus qui ont des intérêts communs.  »

 » Le Blanc est là  »

Dans le film, José est un agent considéré comme surpuissant à Abidjan. Les jeunes footballeurs y sont à ses pieds, l’homme à la grosse chaîne en or se permet de les traiter avec mépris à certains moments, il leur fait miroiter la Ligue des Champions, il exige qu’on lui déniche un attaquant  » avec une tête de fils de pute et un QI zéro « , il se fait larguer par son poulain qui croit aux belles paroles d’un autre manager, le père longtemps absent du héros refait subitement surface pour demander de l’argent quand son fils se prépare à monter dans l’avion pour la Belgique (Serge Trimpont a vécu cette scène quand il était manager), un joueur lui ment sur son âge, l’arrivée en Europe s’accompagne de la découverte de la grande vie avec discothèques et autres,…

Serge Trimpont se retrouve dans José.  » Inconsciemment, j’étais moi aussi arrivé en Afrique avec le sentiment de supériorité du Blanc qui allait casser la baraque. Là-bas, tu es considéré comme un dieu parce que tu incarnes la réussite européenne. Quand je m’occupais du CF Bibo, le club de quartier à Abidjan où j’ai découvert Tioté et d’autres, je passais une semaine par mois sur place. Dès que j’atterrissais, les téléphones se mettaient en route : -Le Blanc est là ! Et, comme dans le film, quand j’arrivais à mon hôtel, des gamins et leur père m’attendaient. Il suffisait que je sois au bord d’un terrain pour que les jeunes soient prêts à mourir. Ils auraient fait n’importe quoi pour me prouver qu’ils avaient le niveau. Je représentais la solution. Ton statut peut te griser, c’est comme ça que tu deviendrais fou.  »

Dans Les Rayures du Zèbre, c’est ce qui arrive à Koen (Tom Audenaert), l’associé de José. Il se fait embobiner par une beauté locale et décide de rester définitivement sur place. Il est marié, sa femme l’attend en Belgique : tant pis. Il sort ses billets pour sa nouvelle conquête.  » Ce personnage existe, il va se reconnaître « , dit Serge Trimpont.  » Des Koen, il y en a partout en Afrique. Des Européens qui croient subitement qu’ils sont devenus Jean-Paul Belmondo ou Dieu le père, qui ne comprennent pas que des filles les draguent non pas pour leur physique mais pour l’argent et les papiers qui leur permettront de venir s’installer en Europe.  »

40 nanas dans le lit du joueur

Le passage qui illustre le mieux l’histoire de Serge Trimpont est sans doute la décision de Yaya de changer d’agent. S’il a abandonné son métier, c’est d’abord à cause de l’ingratitude de l’un ou l’autre joueur.  » Le football d’aujourd’hui fait dans le cynisme absolu. Il y a plein d’agents qui sont prêts à tuer leur père et leur mère pour faire un coup. J’ai formé des jeunes à Bibo, je les ai sortis du foot de rue, puis subitement, ils sont partis avec un autre manager.

Un salopard qui les a convaincus que je ne travaillais pas bien, qu’il allait leur offrir un plus bel appartement ou une plus grosse voiture, ou même qu’il allait les transférer au Real. Les joueurs sont naïfs et des agents se rincent la gueule sur leur compte comme les proxénètes exploitent les prostituées bulgares à la rue du Cirque à Bruxelles… Les joueurs, eux, ne savent plus où ils sont.

Un orphelin qui dormait sous un pont gagne subitement 8 ou 9 millions par an, il peut tout se payer, il a 40 nanas qui veulent venir dans son lit pour lui prendre son argent, alors il pète les plombs. Il y a deux catégories de personnes qui peuvent basculer dans la folie absolue : les très riches qui deviennent très pauvres et les très pauvres qui deviennent très riches ! »

Serge Trimpont a par exemple été largué par Arouna Koné, qu’il était allé chercher en D2 ivoirienne pour l’amener au Lierse. Quand il s’est retrouvé au PSV, Koné est parti avec l’agent de Didier Drogba.  » Je ne lui pardonnerai jamais sa trahison.  »

Dégoûté après un nouveau mauvais coup, Serge Trimpont a arrêté de financer le CF Bibo en 2007, après avoir permis, en quatre ans, à une douzaine de joueurs du centre de devenir pros en Europe. Il y est retourné quand il a emmené Benoît Mariage à Abidjan afin de repérer les lieux en vue du tournage.

C’est Aruna Dindane qui avait servi de déclencheur à l’aventure africaine de Serge Trimpont. Il l’avait repéré au tournoi de Toulon et amené à Anderlecht.  » J’ai décidé d’aller jeter un oeil en Côte-d’Ivoire, convaincu que je pourrais y dénicher d’autres talents. Très vite, j’ai découvert Tioté. L’histoire de Yaya, c’est la sienne. Tioté était orphelin de père et de mère, il vivait d’entraide, à l’africaine.

Anderlecht l’a pris mais n’a jamais cru en lui. Pendant ses trois saisons là-bas, on s’est amusé à lui balancer que c’était un charlot, aussi bien la direction que le staff. Une seule personne croyait en lui : Glen De Boeck. Aujourd’hui, Tioté est capitaine de Newcastle et va jouer sa deuxième Coupe du Monde.

19 ans + TVA

– » T’as quel âge ?  »

– » 19 ans.  »

– » Ah ouais, plus TVA.  »

Cette réplique qui figure dans la bande annonce du film pourrait devenir culte. Elle illustre un autre dérapage du foot, selon Serge Trimpont.  » Tricher sur l’âge, c’est un sport national en Afrique. Et les clubs européens continuent à se faire rouler. Tu vois un joueur avec une barbe blanche qui fait croire qu’il a 18 ans. Ou un gars bâti comme Dieumerci Mbokani, on dit qu’il en a 17. C’est impossible. On se fout de la gueule de qui ?

Un Africain de 17 ans souffre de malnutrition. J’en ai amené un de cet âge-là à Anderlecht, il a pris cinq kilos en deux mois, simplement en commençant à manger à sa faim. La façon dont les clubs se font avoir, c’est à faire pipi de rire, les agents n’en reviennent pas de la naïveté des dirigeants européens. Pour nous, leur âge réel se voit à l’oeil nu, à leur visage, à leur morphologie. Mais qu’on triche de sept ou huit ans, c’est la routine.  »

PAR PIERRE DANVOYE – PHOTOS: PG/ BARDAFEU DISTRIBUTION

 » Agent de footballeur et imprésario d’artiste, c’est le même topo. Le gars prend 10 % sur ce que tu gagnes et si tu ne lui rapportes plus rien, il t’envoie chier.  » Benoît Poelvoorde

 » Le football me fait vomir. Le pire du pire dans ce monde, ce sont les agents.  » Serge Trimpont

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire