LES PREMIÈRES ANNÉES GANTOISES DE MBARK BOUSSOUFA

 » Le prince de Gand  » : c’est ainsi que le speaker du stade a appelé Mbark Boussoufa à la fin de sa première étape chez les Buffalos, entre 2004 et 2006, lorsqu’il a marqué trois buts contre Club Bruges. Retour sur ces années placées sous le signe de la croissance.

La semaine dernière, l’annonce de son retour à Gand a fait la une de tous les journaux belges, mais il y a 12 ans, l’arrivée de MbarkBoussoufa (alors âgé de 20 ans) n’avait fait l’objet que d’un bref petit écho dans le quotidien De Standaard du 3 septembre 2004. Extrait :

Mbark Boussoufa, un Néerlandais de 20 ans, a trouvé hier un accord avec les Buffalos. Le petit (1m67) mais rapide meneur de jeu s’entraînait déjà depuis plusieurs jours avec le groupe et a joué une bonne deuxième mi-temps, lundi passé, avec les Réserves contre Anderlecht. Boussoufa a été formé pendant six ans à l’Ajax et était sous contrat avec Chelsea ces deux dernières saisons. Ce contrat a expiré et il s’est donc retrouvé libre. « 

Derrière ces petites nouvelles, se cachent souvent des histoires compliquées. Après avoir quitté les Espoirs de l’Ajax, où l’entraîneur Danny Blind ne croyait pas en lui, Boussoufa s’est retrouvé à Londres où son éclosion éventuelle coïncidait avec l’arrivée de Roman Abramovich.

Lorsque celui-ci a délié les cordons de sa bourse, six nouveaux joueurs se sont subitement retrouvés sur le terrain d’entraînement. Il n’y avait plus de place pour les jeunes et Boussoufa, qui gagnait 20.000 livres par an (environ 30.000 euros), a demandé à son agent de lui trouver un club en Belgique ou aux Pays-Bas.

L’OEIL DE LEEKENS

A Westerlo, qui avait un accord de collaboration avec Chelsea, il n’était pas un inconnu. Mais Jan Ceulemans possédait déjà un joueur du même style en la personne de Mosia Boy Boy, et il disposait aussi d’un attaquant de poche : Tosin Dosumnu, Caje désirait un autre style de joueur.

En 2006, Herman Wijnants a déclaré à notre magazine :  » Non, nous n’avons pas estimé que Mbark était trop léger. Nous l’avons vu jouer avec les réservistes de Chelsea lors de nos premiers contacts avec le club. Nous avions été invités à visionner les joueurs extra-communautaires sous contrat avec Chelsea, et à visiter les installations du club. Chelsea nous a juste dit que Boussoufa arrivait en fin de contrat.  »

Au Lierse, Boussoufa a passé un test avec l’équipe Réserve. Emilio Ferrera l’a remplacé après une mi-temps : il était d’accord de louer le Néerlandais, mais était surtout tombé sous le charme du Camerounais Bernard Tchoutang, qui n’a finalement pas pu se libérer de son contrat au Metallurh Donetsk. Dans la tribune, lors de ce match de Réserves, un spectateur attentif a noté le nom de Boussoufa : Georges Leekens, alors entraîneur de Mouscron.

Il y eut ensuite Saint-Trond. Qui n’a pas dit non, mais n’avait pas d’argent. Harm van Veldhoven, l’entraîneur du Cercle Bruges, n’était pas intéressé. Pas plus que le RC Genk. Ostende, alors ? Le président Eddy Vergeylen en 2006 :  » Son nom a été cité ici, mais il ne s’est jamais entraîné avec le groupe et n’a jamais passé un test. Chez nous, on s’est souvent posé la question : quel âge a-t-il, quelle taille fait-il ? Eh bien, il n’est pas très grand… Aujourd’hui (Boussoufa a signé pour Anderlecht en 2006, ndlr), tout le monde est fou de lui, mais c’était loin d’être le cas à l’époque.  »

En août 2004, Boussoufa a donc passé un test à Gand. Dont Leekens, qui avait assisté à ce fameux match avec les Réserves du Lierse, était entre-temps devenu l’entraîneur. Il n’avait pas oublié la bonne impression que lui avait laissée le petit Néerlandais. Impression confirmée lors d’un match avec les Réserves de Gand contre Anderlecht.

Mbark s’est joué de plusieurs adversaires bien plus costauds que lui, dont Yves Vanderhaeghe. Le lendemain, il a participé à l’entraînement. Après une demi-heure, Leekens en avait vu assez : bonne technique, frappe du gauche et du droit, vision tactique.

Un nouvel arrivant pouvant se targuer d’un passé à Chelsea et à l’Ajax : il n’en fallait pas plus pour que le journal Het Laatste Nieuws s’intéresse à lui. Leekens a d’emblée brouillé les pistes en déclarant au reporter :  » Techniquement, il n’est sans doute pas le plus doué (sic), mais il se bat comme un fou.  »

CYNISME GANTOIS

Le 11 septembre 2004, Boussoufa effectue ses débuts contre Saint-Trond. Il a passé les tests physiques avec succès : ses allées et venues sur le flanc gauche lui ont conféré une belle endurance. Ses débuts ne sont pas mauvais, il réussit quelques belles actions. Gand s’impose 2-1, mais il a loupé une belle occasion.

Il a trop regardé le ballon et n’a pas vu que le gardien DusanBelic était sorti. Il faudra attendre la fin septembre, contre Mouscron, pour qu’il débloque son compteur-buts en championnat de Belgique. Et la mi-octobre pour ses premiers assists, sur la pelouse du Lierse.

Des actions, des dribbles : les supporters de Gand ont enfin quelque chose à se mettre sous la main. Patrick Lips, alors public-relations chez les Buffalos, déclare à Sport/Foot Magazine en 2006 :  » Lorsque Boussoufa a débarqué ici, on s’est moqué de nous. ‘Qu’avez-vous acheté ? Unjoueur d’1m50 ?’ J’entends encore les critiques : ‘Certes, il a joué à l’Ajax, mais si ce club ne l’a pas retenu, ildoit y avoir une raison. ‘

Ce cynisme est typiquement gantois. FrédéricHerpoel a été élu joueur de l’année quatre fois d’affilée. Avec tout le respect que je dois à Fred : ce n’est pas normal que votre gardien soit, durant quatre ans, votre meilleur joueur sur le terrain. Aujourd’hui, les gens se déplacent pour Boussoufa, pour De Beule (qui a finalement signé pour Gand après avoir cassé son contrat à Lokeren), pour NordinJbari…  »

Bous habite à Melle, à la périphérie de Gand. Un fameux contraste avec les grandes métropoles que sont Amsterdam et Londres.  » Mais peu importe, le centre de Gand n’est qu’à dix minutes « , rétorque-t-il. De plus, il peut souvent compter sur la présence de son père alors qu’à Londres, il se retrouvait souvent seul et passait des heures au téléphone.

Dans ses premières interviews, il parle encore souvent de Chelsea : les conseils de Gianfranco Zola pour botter un coup franc, son clash avec Eidur Gudjohnsen. Comme ZinédineZidane, Boussoufa a grandi dans la rue, et parfois, il faut faire comprendre aux gens de quel bois on se chauffe.

Si quelqu’un vous manque de respect, il faut réagir. Et donc, Boussoufa, alors âgé de 17 ans, refuse de donner sa place sur la table de massage à l’Islandais, qui la lui réclame.  » S’il me l’avait demandé poliment, je la lui aurais cédée « , justifie Mbark.

Le 25 mai 2005, Sport/Foot Magazine dresse le bilan de la saison de Gand, la première de Boussoufa chez les Buffalos. Il a été titularisé 23 fois et a joué à chaque fois les 90 minutes. Avec 4 buts et 5 assists, son apport est acceptable, au terme d’une saison mouvementée pour les Gantois, chez qui un jeune étudiant en droit détient les clefs de la défense : NicolasLombaerts.

GRAND ANIMATEUR

Gand termine finalement sixième et se qualifie pour l’Intertoto. L’analyse de notre journaliste est élogieuse pour Mbark :  » En pointe, dans l’entrejeu ou entre les lignes : Boussoufa s’est érigé en grand animateur des Buffalos et du championnat. Des dribbles, des feintes, des coups francs, des accélérations : tout cela fait partie de son arsenal.  » Gand récompense son artiste et lui offre une prolongation de contrat jusqu’en 2008.

Mais Leekens met d’emblée les points sur les i avec Boussoufa : moins de show pour la galerie et plus d’efficacité dans les moments-clefs, telle sera sa mission pour la saison suivante. Un processus d’évolution logique dans le chef d’un jeune joueur de 20 ans qui adore discuter de football.

Avec Wouter Vrancken, il élabore souvent un plan pour le match du lendemain. Vrancken dans S/FM en 2006 lors de son transfert au RC Genk :  » Il était sans cesse en mouvement, et je n’éprouvais donc aucune difficulté à le servir. Ce qui est bien, avec lui, c’est qu’on est toujours sûr de recevoir le ballon en retour.

Beaucoup de joueurs techniques demandent le ballon et le gardent pour eux pendant dix minutes. Durant sa deuxième saison, surtout, Mbark s’est souvent mis au service du collectif. Il a appris à attendre le bon moment pour délivrer la passe décisive.

Lorsqu’un milieu de terrain s’infiltre, il est important qu’il reçoive le ballon au moment adéquat, et pas deux ou trois secondes trop tôt ou trop tard, sinon il a fourni son effort pour rien. C’est un aspect de son jeu que Mbark a dû travailler.

Lors de sa première saison, il avait tendance à tournoyer avec le ballon au pied. Jusqu’à ce que Leekens pointe cette lacune du doigt.  » Boussoufa appelle cela être égoïste :  » Je ne recherche pas le succès personnel. Si c’était le cas, je serais égoïste.  »

Mais il faut un certain temps avant que cette prise de conscience produise ses effets. Lorsque Gand s’incline à Charleroi, en novembre, et se retrouve dans la mauvaise colonne du classement, les supporters grognent, Leekens est mis sous pression et Herpoel ne se montre pas tendre envers ses équipiers.

 » Boussoufa ? Aussi mauvais que les autres.  » Dans ses interviews, au début décembre, l’Amstellodamois le reconnaît lui-même :  » Je ne peux pas tout faire seul. Si l’équipe ne tourne pas, mon rendement s’en ressent. Je suis capable de réaliser une action, mais il faut que tout le monde suive.  »

JOUJOU AVEC BRUGES

On lui reproche aussi de ne pas assez se montrer dans les matches au sommet : il marque contre le Beerschot, Beveren, Roulers ou La Louvière, mais pas contre les grands. Il ne veut pas invoquer l’excuse de son âge, 21 ans :  » Les gens ont raison d’attendre beaucoup de moi. Aux Pays-Bas, on apprend très jeune à prendre ses responsabilités et à jouer sous pression. Ce n’est pas un problème.  »

Cela se vérifie lors de la cérémonie du Soulier d’Or en janvier 2006 : il n’obtient pas le moindre point au premier tour, et seulement15 au second. Le vainqueur, Sergio Conceição, en réunit 230. Ce score très bas ne manque pas d’interpeller, en cette soirée de janvier, car le petit Néerlandais a déjà entamé sa mue depuis un bon bout de temps.

Avant sa blessure, à la mi-avril, Boussoufa est l’homme le plus en vue du championnat. Davantage que le fougueux Portugais du Standard, ou que Vincent Kompany, qui quittera Anderlecht durant l’été 2006 pour partir à Hambourg. Boussoufa brille, distribue le jeu, marque, porte le jeu vers l’avant et fait de Gand l’équipe du deuxième tour.

Il délivre un assist ou marque dans quasiment chaque match. Au final, son compteur affichera 16 passes décisives et 9 buts. Et il apporte un cinglant démenti à tous ceux qui lui reprochent de passer inaperçu dans les grands matches.

Au début avril, il scelle le sort de Jan Ceulemans, l’entraîneur du Club, dans ce qu’il ne considère même pas comme son meilleur match sous les couleurs gantoises. Mais il inscrit trois buts et fait joujou avec le duo BirgerMaertensJasonVandelannoite. C’est la première fois en six ans que Gand parvient à battre Bruges à domicile (4-1).

Le prince de Gand s’extasie le speaker du stade. Boussoufa après le match :  » Un prince, moi ? Je ne suis que Mbark Boussoufa, un footballeur.  » Mais lorsque, quelques heures après le coup de sifflet final, un couple se jure fidélité à den Ot, il ne peut contenir sa joie dans les coulisses.

Trois jours plus tard, Roger Vanden Stock confirme les rumeurs qui envoient le petit Néerlandais au Parc Astrid : il déclare ouvertement sa flamme pour l’attaquant de poche. Ivan De Witte est dans tous ses états :  » J’ai déjà téléphoné à HermanVan Holsbeeck pour lui dire qu’il n’était pas question que nous laissions partir Boussoufa.

Anderlecht n’a rien à tirer de son manque de fair-play. Lorsque nous avons discuté en tête-à-tête, Roger Vanden Stock ne m’a pas touché un mot de son intérêt pour Boussoufa, alors qu’il lui lance un appel du pied le lendemain lors d’une conférence de presse. Cela ne se fait pas.  »

TRANSFERT-RECORD

Finalement, après un dîner durant le week-end de Pentecôte, Anderlecht et Gand se mettent quand même d’accord. Le Joueur et Jeune Professionnel de l’Année (Boussoufa fait passer aux oubliettes le doublé de Kompany l’année précédente) est transféré chez les Bruxellois, durant l’été 2006, pour un montant record de 4 millions d’euros.

Il débarque en même temps que Lucas Biglia. L’un doit succéder à Walter Baseggio, l’autre à PärZetterberg. Boussoufa refuse cependant d’endosser le numéro du Suédois.  » Je me suis, dans un premier temps, senti honoré, mais après réflexion, j’ai préféré refuser : il a déjà réalisé tellement de grandes choses pour Anderlecht.  »

De Witte est obligé de s’incliner : d’une part, il craint que Bous, devenu international marocain entre-temps, n’utilise la loi de 78 pour partir à moindres frais, et d’autre part, la construction du nouveau stade n’a toujours pas été entamée. Dans ces conditions, il ne peut rien promettre aux joueurs. En outre, l’argent récolté permettra d’apurer encore un peu plus les dettes, et un successeur a déjà été trouvé : un certain Bryan Ruiz Gonzalez…

PAR PETER T’KINT – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Il donnera encore beaucoup de plaisir aux Gantois, car il s’est toujours comporté de manière très professionnelle durant sa carrière.  » DAVID VAN HOYWEGHEN, ANCIEN COÉQUIPIER CHEZ LES BUFFALOS

 » Lorsque Boussoufa a débarqué ici, on s’est moqué de nous. ‘Qu’avez-vous acheté ? Un joueur d’1m50 ?’  » PATRICK LIPS, RELATIONS PUBLIQUES DE GAND

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