« LES PLAY-OFFS SONT UNE BÉNÉDICTION « 

L’entraîneur du Club Bruges explique pourquoi son équipe est deuxième, pour l’heure, et les progrès qu’elle a réalisés tactiquement, techniquement et mentalement.

Sur son site (www.juancarlosgarrido.com), le coach des Bleu et Noir annonce que le Club lutte pour le titre mais dimanche soir, à l’issue de sa 4e victoire consécutive en PO1, l’Espagnol s’est refusé à le dire, estimant qu’il fallait vivre au jour le jour, rester concentré. C’est son mot-clef.

Au Standard, sa tactique, sans avant-centre, a fonctionné mais il n’a pas accepté de compliment : c’est la victoire des joueurs. Pourtant, il aurait pu prendre sa revanche sur tous les observateurs qui ont mis en doute son aptitude à renverser un match.

Non, l’homme reste braqué sur son sujet et travaille tous les jours, comme le jeudi de l’Ascension, où, dans son bureau, il est revenu pour nous sur six mois de travail.

Le Club est-il la surprise des play-offs ?

Juan Carlos Garrido : Pourquoi le serait-il ?

Vous présentez le meilleur bulletin alors que vous étiez cinquièmes du championnat régulier.

Nous n’avons encore rien en mains et seul le résultat final sera déterminant.

Avez-vous compris les motifs de vos débuts si pénibles ?

Vous avez sans doute remarqué que je parlais toujours d’un processus qui concernait tout le club, joueurs, staff, président. Nous essayons de mettre en place une meilleure culture d’entraînement. (Il s’interrompt.) Oh, je réponds à côté ! Franchement, je ne sais pas. À mon arrivée, j’ai essayé de coordonner une série de choses. Il fallait synchroniser 40 personnes. Un club doit fonctionner comme une horloge et ça n’a pas toujours été le cas un moment donné. N’étant pas encore là, j’ignore pourquoi et même si je le savais, je me tairais par respect pour mon prédécesseur. Nous avons déjà discuté et il me paraît être un type bien. Je suppose qu’on m’a offert un contrat pour mes méthodes de travail. Pour le moment, je suis satisfait. Nous progressons en tout. L’engagement à l’entraînement, la mentalité des joueurs, le soin apporté aux détails, la diététique, le travail avec le psychologue et les préparateurs physiques… Nous obtenons un meilleur rendement des joueurs. Nous voulions aussi plus de stabilité et là encore, c’est réussi.

Votre football a évolué.

Oui. Initialement, je voulais un jeu dominant. Quatre défenseurs, trois médians dont un défensif, Ryan Donk, et trois attaquants, généralement Refaelov, Bacca et Lestienne, mobiles, vifs et dotés de profondeur. Mais à certains moments, nous avons dû nous adapter au déroulement du match. Quand vous ne monopolisez pas le ballon, vous devez changer votre fusil d’épaule. Nous avons dû mûrir. Depuis quelques semaines, le groupe fait front, malgré les blessures et les suspensions, il sait qu’il doit être plus compétitif et qu’il doit également user du contre, grâce à la vitesse de Carlos et de Maxime.

Rotation

C’est typiquement belge…

Tout à fait, sans que je profère un jugement. Vous rappelez-vous mon premier match à Waasland-Beveren ? Attaque : Lestienne, Bacca, Refaelov. Entrejeu : Donk, Vadis, Jörgensen. Cinq buts sur six en contre. Je n’ai jamais nié que le contre est une partie importante du football. Il faut maîtriser quatre aspects : l’attaque en possession du ballon mais aussi en contre, une défense qui peut presser haut et bas. Il faut maîtriser ces variantes tout en cherchant son style de jeu. Le Club doit pouvoir être dominant dans 80 % de ses matches. Je ne suis pas surpris que nous y parvenions après six mois. Nous avons joué le contre face à Anderlecht, en PO1. En déplacement, en première mi-temps, nous avons fait le contraire : nous avons dominé et nous avons finalement été déçus du nul.

Pourquoi avoir effectué autant de changements après la trêve ?

Blessures, suspensions… Une équipe doit conserver son équilibre malgré les deux ou trois remplacements qu’il faut effectuer à chaque match, pour conserver au noyau fraîcheur et motivation. Il faut instaurer une certaine rotation. On ne dispute pas un championnat avec onze joueurs mais seize. Les joueurs doivent savoir qu’on compte sur eux, qu’ils seront peut-être alignés la semaine suivante. Quand toute l’équipe sait ce que veut l’entraîneur, le remplacement de trois joueurs ne change rien au concept. En décembre, Tom Högli était quasiment banni mais grâce à son labeur, il est titulaire depuis six mois. Michael Almebäck a rejoué parce qu’il s’est toujours entraîné en professionnel accompli et qu’il a compris que je le respectais. Idem pour Carl Hoefkens. Un joueur accepte d’être écarté si sa relation avec le coach est basée sur la franchise, l’honnêteté. Évidemment, avec un noyau aussi large, il est normal que certains ne jouent jamais et soient mécontents.

S’ils sont trop nombreux, ils pourrissent l’ambiance.

Nous avons énormément travaillé à l’amélioration de l’ambiance générale. La cohésion interne s’est renforcée, les joueurs entretiennent de meilleures relations et sur le terrain, je décèle beaucoup plus d’ambition. Les joueurs ont compris qu’ils pouvaient aller plus loin s’ils se battaient les uns pour les autres et c’est un changement très important : on est passé d’une ambition individualiste à une collective. Tom Högli récupère un ballon et permet à Carlos Bacca de marquer… On loue Bacca mais je veux que tout le monde comprenne que Högli a été aussi déterminant. Ceci dit, Bacca est dans sa meilleure forme depuis que je le connais.

Conscientisation

Alors qu’il marque moins ! Seuls deux des 18 buts de Bruges en play-offs.

Il bouge plus, il participe mieux au jeu ainsi qu’à la défense, il aide davantage l’équipe, y compris sur le plan mental. Son objectif reste de marquer mais quand il n’y parvient pas, ce n’est pas grave car il a travaillé au profit des autres.

Il ne trouve pas ça grave non plus ?

Il a évolué. Il a compris que le travail était aussi utile à l’équipe que ses buts, qu’il devait être concentré jour après jour. Penser à l’avenir ne sert à rien. Maxime et Victor Vazquez pensent aussi en termes collectifs. Max travaille bien depuis longtemps. Il comprend qu’il peut devenir un grand joueur et qu’il doit afficher son ambition, chaque jour, à l’entraînement comme dans sa vie privée. On remarque ses progrès sur le terrain. Victor s’implique aussi dans l’équipe. Il n’a pas tant été confronté à une adaptation physique qu’à l’importance de changer certains détails, y compris sur le plan humain. Il a conscience de pouvoir apporter davantage que sa technique. Croyez-moi, je connais Victor depuis qu’il a treize ans et je savais qu’il pouvait mieux faire. Il sait que je suis très exigeant et cela provoque parfois des tensions mais elles sont positives puisqu’elles incitent les joueurs à prester.

Son volume de jeu est impressionnant.

Il ne doit pas attendre le ballon car ça le rend trop prévisible. Avant, il délivrait peut-être une passe mais on ne le voyait pas pendant 80 minutes. Il a compris qu’il devait se mouvoir, quitte à reculer pour récupérer le ballon. L’entrejeu formé par Ryan, Victor et Vadis était idéal.

Pourquoi avez-vous avancé Ryan Donk dans l’entrejeu ?

Ryan possède les qualités requises pour devenir un médian de haut niveau : bon jeu de tête, excellente technique. Ryan est un médian, certes capable de jouer de temps en temps en arrière, plutôt qu’un défenseur qui tire son plan dans l’entrejeu.

A posteriori, êtres-vous satisfait du mercato de janvier ?

Oui. C’est une période de transferts très difficile. Il peut arriver qu’un club ne libère pas le joueur que vous voulez. Nous avons transféré Eidur Gudjohnsen, Laurens De Bock, Oscar Duarte et Adu. Ces quatre joueurs ont amélioré notre noyau et multiplié les options. D’autre part, il a été difficile pour ces nouveaux de s’imposer directement car ils arrivaient dans une équipe qui tournait bien. Personne n’a été titulaire d’emblée, même pas Oscar, mais il a reçu sa chance rapidement car nous avions un problème en défense. La recherche de joueurs est un processus continu de concertation entre le président, le directeur technique et l’entraîneur.

Adaptation

Ne vouliez-vous pas d’autres joueurs ?

Le directeur technique est responsable de l’embauche des joueurs. Moi, je donne mon avis, sans plus. Idéalement, les décisions devraient être unanimes mais un entraîneur doit se plier aux réalités. Je peux demander Messi mais il est inaccessible. Le directeur technique doit avoir une réserve de noms en cas d’imprévus. Je respecte le directeur technique et celui-ci doit accepter que ce soit moi qui dirige l’équipe. Il doit aussi comprendre que les nouveaux ont besoin d’un temps d’adaptation. On ne peut pas attendre d’eux un bon rendement après un mois.

L’évolution du Club n’est-elle pas flagrante au vu de ses matches à domicile contre Anderlecht ? En championnat, il a galvaudé un avantage de deux buts mais il l’a préservé dans les play-offs…

Les observateurs ont remis notre physique en cause après le premier nul mais je pense que c’était surtout un problème mental. Nous possédons toutes les données : le kilométrage de chaque joueur, etc. Quatre facteurs déterminent un résultat : le mental, le physique, la technique et la tactique. Un seul paramètre ne peut tout expliquer, même s’il peut avoir un impact sur les autres. Si vous êtes techniquement limité et que vous perdez souvent le ballon, vous devez courir davantage et vous vous fatiguez peut-être plus vite. Si vous êtes mal dans votre peau, vous commettrez peut-être plus vite une erreur tactique. Durant ce premier match, l’équipe avait peur et elle a reculé. Ce n’est pas interdit, à condition de bien s’y prendre. Nous aurions également pu concéder un nul lors du dernier match mais nous étions animés d’une tout autre mentalité. Nous avons eu plusieurs fois le 3-1 au bout du pied et nous étions plus forts mentalement. La chance en football est le résultat d’un labeur quotidien acharné. Tout est question d’entraînement : gérer la pression, les hauts ballons… Pour le moment, tous les matches sont capitaux, chaque ballon peut déterminer l’issue du championnat. Il est crucial que tous les joueurs le comprennent. Chaque ballon est le ballon de la saison.

Demain, après votre succès au Standard, vous pouvez prendre une seconde revanche sur ces play-offs. Qu’est-ce qui n’a pas marché contre Zulte Waregem ?

Nous avons perdu beaucoup de ballons dans le compartiment offensif, ce qui nous a exposé à des contres alors que nous avions quitté nos positions. De là à dire que nous ne nous sommes pas battus, que nous n’avons pas joué en équipe… Nous avons réagi avec courage à cette crise. D’ailleurs, parfois, les crises sont positives.

Relation

Que s’est-il passé à la mi-temps ?

Vincent Mannaert voulait apporter son soutien à l’équipe dans le vestiaire mais je lui ai dit que ce n’était pas le moment, ce qu’il a compris. Les gens intelligents ressortent plus forts de ce genre de moments. Nous étions tous fâchés. Vincent sait qu’il doit respecter l’entraîneur, s’il veut que les autres en fassent autant et retire le maximum de son noyau.

Après la victoire à Genk, vous avez vanté le soutien du président.

Oui car il a joué un rôle très important. À ce moment-clef, j’ai senti qu’il me respectait, me soutenait. Pour moi, le contact, la relation au quotidien sont plus importants qu’un contrat. Je veux me sentir heureux et respecté, ce qui est le cas ici. Un contrat n’est qu’un papier.

PAR PETER T’KINT – PHOTOS/ IMAGEGLOBE /KETELS

 » Le contact avec les gens est plus important qu’un contrat.  »

 » Chaque ballon peut être le ballon de la saison.  »

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