» Les plaintes du milieu du foot sont insupportables « 

Rencontre avec le chef du service des sports de la RTBF, qui donne un éclairage sur le nouveau contrat télé et dévoile quelques pistes du Studio 1 La Tribune de la rentrée.

L’annonce du nouveau contrat télé a eu l’effet d’une bombe dans notre paysage audiovisuel. L’avènement de Telenet dans le foot belge à coups de 166 millions, échelonnés sur trois ans, privant le partenaire depuis six ans Belgacom des rencontres au sommet, va une nouvelle fois modifier notre grille télé. Michel Lecomte était l’homme tout désigné pour éclairer notre lanterne. Présent dans notre tube cathodique depuis trois décades, passé chef du service des sports en 2003, Mister chèvrechoutiste connaît la chanson question négociations.

Passage en revue des différents enjeux du contrat et des derniers buzz télé provoqués parfois à l’insu de son plein gré….

Quelle fut votre réaction à l’annonce de l’acquisition des droits du football belge ?

C’est une satisfaction ! D’autant plus belle que le service public a toujours été partenaire des accords qui se sont succédé. A la RTBF, on ne pouvait pas concevoir que cela ne soit plus le cas. Je me mets à la place de mon collègue de la VRT(NDLR, qui perd les résumés de matches au profit de VTM), c’est une situation très embêtante pour toute son équipe  » foot « . Grosse satisfaction également d’un point de vue financier car on n’a pas suivi la surenchère et plutôt bien maîtrisé les coûts. Il faut savoir que lorsqu’on fait notre offre à la Ligue pro, cela nous coûte quand même 22.500 euros (7.500 en cahier des charges et 5000 par lot) sans avoir quelque chose en mains. La concurrence n’était peut-être pas exacerbée mais on doit toujours se méfier. Rappelons-nous le coup avec AB3 qui empocha l’Europa League, et qui fut une vraie surprise et nous avons pris un sérieux coup sur la tête. Donc chat échaudé craint l’eau froide.

L’importance de l’offre de Telenet (33 millions de plus sur trois ans de ce que Belgacom avait déboursé pour le précédent contrat) vous a-t-elle surpris ?

Je n’imaginais jamais Telenet mettre autant d’argent. Le montant m’a surpris comme ce fut le cas pour beaucoup de gens, je pense. J’aurais voulu être là, voir la tête des gens de la Ligue pro, quand ils ont ouvert les enveloppes. Ivan De Witte, avec son air de ne pas y toucher, a dû faire quelques clins d’£il narquois… On sent en tout cas qu’il y a une vraie volonté de la part de Telenet, auquel Voo est venu s’ajouter, de proposer une très belle offre sportive avec les affiches du championnat. En contrepartie, Belgacom va pouvoir, avec l’argent économisé, également proposer un produit de qualité… Ils disposeront encore de certains matches du Standard et d’Anderlecht et ils vont tenter de valoriser tout cela. Je pense d’ailleurs qu’ils sont capables de nous surprendre, c’est un peu le syndrome de la bête blessée.

Quelle analyse faites-vous de cette envolée des prix alors que la qualité n’est, elle, pas à la hausse ?

La guerre des marchés. C’est cette logique-là qui a permis de faire grimper les prix. Malgré tout ce que l’on peut dire, le foot belge reste attractif. Et De Witte a fait ce qu’il devait faire : attiser la concurrence. En rendant les droits non exclusifs, il a jeté le trouble et aiguisé l’appétit de certains. Telenet a déclaré  » on va faire perdre 150.000 abonnés à Belgacom « . Je ne suis pas suffisamment spécialiste pour savoir ce qu’il va se passer, mais Belgacom ne va assurément pas rester là à attendre de voir ses abonnés s’en aller. (NDLR : Belgacom a déjà supprimé le coût de l’abonnement foot).

Ce nouvel accord peut-il apporter des modifications concrètes dans la construction du football belge ?

C’est presque un v£u pieu mais j’espère que la Ligue pro va mettre une partie de cet argent à profit. On se rend compte qu’à l’heure actuelle, elle est toujours aussi divisée, éclatée. Pour moi, la Ligue pro, ça reste un concept abstrait hormis Ivan De Witte, le président, et Ludwig Sneyers, son directeur général. A notre niveau, on donne déjà beaucoup d’argent et voir qu’on n’est pas suffisamment pris en compte, cela a un côté fatiguant. Je me dis aussi qu’avec tout cet argent, la Ligue pro devrait introduire un projet global. Sans nécessairement entrer dans un grand plan de réforme, mais permettre, par exemple, lors des trois prochaines saisons qu’une partie de l’argent aille dans la formation, dans la protection de nos jeunes. Mais cette organisation est tellement éclatée, chacun y tire un bout de couverture à lui, que c’est illusoire. Disons que dans le cas du contrat télé, ils se sont retrouvés tous ensemble autour du pactole.

Peut-on imaginer que l’on modifie une nouvelle fois le règlement du championnat, que l’on mette fin aux play-offs ?

Pour cette saison-ci, rien ne devrait changer. Mais l’opérateur Telenet va sûrement très vite se positionner sur le type de compétition. A la rentrée, une des premières négociations devrait porter sur l’heure des matches. Il semble bien que la rencontre du dimanche à 20 heures soit vouée à disparaître.

Studio 1 new look

A l’exception du nom  » Studio 1 La Tribune « , qui pourrait changer vu l’arrivée du nouveau diffuseur Telenet, doit-on s’attendre à des bouleversements pour l’émission du lundi ?

Il faut repartir d’une page blanche. L’émission est arrivée en fin de cycle. En termes d’audience, les pertes n’ont pas été si importantes. En parts de marché, ça ne doit pas représenter plus d’un demi-pourcent par rapport à l’année précédente. Mais il faut qu’on la réécrive, qu’elle soit plus claire, elle était devenue un peu fourre-tout.

Et donc la raccourcir ?

Oui, je crois. L’émission est trop longue, même si on a une grande partie de notre public qui nous regarde du début jusqu à la fin. On a fini par mettre trop de choses dedans, on a pêché par gourmandise. Il va falloir la remodeler, en sachant très bien ce qui a fonctionné. Les téléspectateurs viennent pour le débat mais en foot c’est rapidement le tonneau des Danaïdes, on évoque un sujet, et un autre vient s’y greffer, c’est sans fin. Les gens aiment ces joutes verbales mais pour moi et pour les éditeurs, c’est assez stressant car on bouffe souvent du temps sur ce qui suit. Et comme quelquefois la discipline a manqué, il convient de remettre de l’ordre dans tout cela.

Imaginer un talk-show à la française, où le débat est quasi permanent, est-ce envisageable ?

Non, ce n’est pas du tout notre esprit service public. Et puis, l’image est très importante, que ce soit dans la page arbitrage ou dans l’analyse dans les différentes séquences.

Quid du futur de Stéphane Pauwels dans l’émission ? Ses dernières sorties dans les pages médias montrent qu’il devient las de son statut de sniper…

J’ai envie qu’il reste, c’est clair. Je ne suis pas le seul… Pour ce qu’il a apporté et ce qu’il apporte. Lui n’a plus envie de faire la même chose, il s’est clairement exprimé à ce sujet. A nous, dès lors, de trouver un accord sur une collaboration précise. Pourquoi pas le voir tourner une séquence en journée, arriver avec un sujet qui lui tient à c£ur.

Cette volonté de changement s’explique par un manque de crédibilité ?

En effet, c’est une fragilité qui a été entretenue par ses détracteurs, toujours les mêmes. Ils se sont essoufflés, d’ailleurs. Personnellement, ce n’est pas du tout au niveau de sa crédibilité que j’ai eu des questionnements à son propos. Mais plutôt dans la forme qu’ont quelquefois prise ses positions. Pour le reste, c’est quelqu’un qui a le sens de la télé, c’est incontestable.

Qu’est-ce qui vous a dérangé dans la forme ?

Certainement pas son impertinence ; davantage la virulence de certains propos. Dans n’importe quel jeu, il existe un cadre ; celui de Stéphane est déjà plus large que pour n’importe qui d’autre, mais quand il le dépasse et qu’il n’en tient plus compte, ça devient délicat. Et puis, le fait d’être happé de toutes parts, la difficulté de Stéphane de dire non aux gens, tout ça lui a mis une pression qui a pu quelque peu lui faire péter les plombs. Parfois, en voyant toutes ses occupations, je me demandais : -Mais comment fait-il ! Il faut aussi dire qu’il s’est senti un peu seul dans son rôle de  » contradicteur-sniper « . Benoît Thans a refusé à un moment donné d’y donner le moindre relief, il a joué en libéro derrière la défense, sans prendre de risque. La responsabilité est donc partagée. Je crois aussi qu’on a tous, moi le premier, entretenu le face-à-face Thans-Pauwels : à la fin, toutes les questions ne tournaient plus qu’autour de ça…

Clash Pauwels-Thans

La cassure Thans-Pauwels est bien réelle cette fois ?

Oui. Elle est liée, aussi, à la présence de Benoît à la tête d’un comité d’expertise sur le foot wallon. Je pense qu’au vu de ses connaissances, de son regard sur la situation, Stéphane a été frustré de ne pas être appelé, voire consulté. Si vous discutez du fond des problèmes avec lui, si vous prenez le temps, il est très intéressant, très pertinent. Tout comme Benoît, d’ailleurs, je suis sûr que dans ce comité, ils se compléteraient très bien pour peu qu’ils puissent s’écouter. Ce qui est devenu difficile ( sourires).

Sans Pauwels, l’émission peut-elle tenir le coup ?

… Je suis de ceux qui pensent qu’il faut le garder. Mais en répondant cela, on va croire que j’ouvre la porte à toutes ses exigences. Ce qui n’est pas le cas, je crois qu’on doit arriver à trouver une nouvelle direction et s’y tenir. Je pense aussi que ce qui fait la force de cette émission, c’est l’ensemble, le mélange des genres. L’émission a acquis une belle notoriété. Au niveau du retour du public, je n’ai jamais connu ça dans ma carrière et pourtant j’ai vécu une période où l’audience était quatre fois supérieure.

Le fait qu’il prenne autant de place, ça peut déranger à l’intérieur même de la rédaction…

Oui, c’est comme dans le public, il y a les pros et les anti-Pauwels. Mais dans la rédaction, les professionnels de la télé font la part des choses. Ce que je peux dire, c’est qu’au niveau de ma hiérarchie, personne ne met en cause sa légitimité. Aujourd’hui, imaginer un débat sans contradiction, je n’en ai plus envie, et ça n’arrivera pas.

Qu’est-ce qui vous dérange le plus dans votre fonction ?

Eteindre les incendies, c’est usant. C’est aussi très usant pour les deux éditeurs, Vincent Langendries et Pierre Deprez, qui dépensent beaucoup d’énergie dans notre Tribune avec un sens collectif que je salue. Personnellement, à propos des incendies à éteindre, je passe quasi mon mardi à ça, à presque légitimer l’émission, alors qu’elle l’est totalement. Il faut à un moment que le milieu du foot comprenne, que certains arrêtent de se plaindre, ça en devient insupportable. Il faudrait qu’ils se disent que c’est grâce à des émissions comme la notre que la valeur du foot augmente, et qu’ils arrivent à décrocher pareil contrat.

Et qu’est-ce qui vous plaît ?

Je n’ai qu’un seul objectif : mettre en valeur les gens. Je n’ai pas le temps de suivre le foot comme mes journalistes qui ont, normalement, tout lu, tout entendu, et qui peuvent apporter un regard sur l’actualité. Être à la présentation, c’était aussi une façon  » d’assumer  » Stéphane, que j’ai choisi et que j’ai soutenu dans les moments difficiles du début. Aujourd’hui, je suis là aussi pour le protéger et le tempérer, parfois avec fermeté. Et puis en termes purement télé, c’est un langage qui me plaît bien. Je pense qu’à l’avenir il faudra garder de la légèreté. Certains diront toujours que l’émission n’est pas assez foot, mais je crois qu’au bout de 90 minutes d’analyse, les téléspectateurs zappent. Il faut être pointu, c’est une évidence, mais il ne faut pas non plus passer à côté de ce que le foot peut amener comme variété.

Les relations clubs-médias

Vous parliez de légèreté, les clubs n’en manquent-ils pas ? Vous avez été longtemps boycotté par le Standard, Anderlecht empêchait à ses joueurs de se rendre sur le plateau cette saison suite à certains propos de Pauwels.

Les choses ont clairement changé. Quand on revoit les images du Mexique, c’en est presque surréaliste. Il n’y avait pas tous ces filtres avec les joueurs. A cette époque, les joueurs pouvaient te dire ce qu’ils avaient sur le c£ur. Aujourd’hui, on en arrive à un produit de plus en plus aseptisé : les joueurs sont briefés, faut parler de ceci, pas de cela. Stéphane m’a d’ailleurs fait pleurer de rire avec Aloys Nong quand il s’est levé et mis derrière le joueur du Standard et a dit : Sacha (Daout), sors de ce corps. C’est caricatural mais il y a de cela.

Est-ce que les sportifs sont moins charismatiques que par le passé ?

Je pense que c’est surtout le milieu qui a lissé les personnages, n’a fait qu’élever le piédestal sur lequel se trouvent les joueurs. Mais il y a encore beaucoup de personnages intéressants. Prenez le cas de Kompany : quand on prend le temps, la parole est très intéressante, alors que vu son statut de star du foot anglais, il pourrait prendre les choses avec une certaine distance. Chez Lukaku, on perçoit une richesse, chez Defour il y a quelque chose aussi. Et il y en a beaucoup d’autres encore. Après, la difficulté pour les jeunes joueurs de totalement se libérer lors de leur venue à Studio 1, c’est le décorum, les caméras, etc. Les mettre à l’aise, c’est ce que j’aime faire. Mais ça n’empêche, attendre 25 minutes, débarquer quand les gens sur le plateau sont chauds, arriver au beau milieu de tout ça, ce n’est pas évident. Les attachés de presse devraient les accompagner, les détendre, leur boulot devrait aussi être celui-là… Voilà un rôle qu’ils devraient ajouter à la panoplie de leurs tâches. Le joueur a tout intérêt à être ce qu’il est vraiment, même s’il ne peut évidemment pas tout dire. De notre côté, on n’est pas non plus une entreprise de déstabilisation. Quelqu’un qui a compris que la communication était importante, c’est Georges Leekens. Il sait qu’il doit être présent et sur notre plateau de Studio 1, on a toujours le temps de développer ses idées. Michel Preud’homme quand il a décidé de donner une interview, tu sais qu’elle va être consistante. Il tourne moins autour du pot que notre entraîneur national, très fort dans l’esquive.

La RTBF reste très présente sur les autres sports et grands événements (F1, Tour, Roland-Garros, Coupe du Monde, JO). C’est le service des sports issu du public le mieux loti ?

Il y a un seul pays où le service public est encore plus gâté : la Suisse car il n’y a pas de concurrence. En 2010, on a diffusé 1.400 heures de sport, ce qui est énorme. Et puis, ce qu’on oublie souvent, et ce qui est notre difficulté, c’est qu’on a en permanence la concurrence des chaînes françaises : TF1 avec la F1, France 2 avec le Tour et Roland-Garros et donc il faut gagner ce duel à chaque fois. Ce que vit RTL sur la Ligue des Champions, on le vit aussi. Mais on tient très bien la distance grâce à Gaëtan Vigneron en F1 qui a imposé un style très particulier entre événement et sport, Rodrigo Beenkens en cyclisme est une vraie référence, l’ajout de Cédric Vasseur comme consultant est une superbe réussite, comme Vincent Langendries, en athlétisme, avec Noël Levêque. Malgré les qualités de nos journalistes, ça reste difficile pour moi, car l’adversaire met tellement plus de moyens et qu’il y a une tradition d’écoute du téléspectateur francophone vers la France. C’est un cadre avec lequel on doit composer mais qui doit aiguiser notre créativité. Quant au foot, l’aspect positif, c’est que par rapport à il y a trois ans où on n’avait plus rien, on est de retour sur les Diables en déplacement, on a déjà l’Euro 2012 et la Coupe du Monde au Brésil. Plus la Coupe de Belgique qui a très bien fonctionné cette saison essentiellement grâce aux résultats du Standard. J’espère, d’ailleurs, que leur parcours va titiller les autres grands, Anderlecht en premier lieu. N’oublions pas non plus l’effort que l’on fait sur le basket, en proposant chaque samedi soir un long résumé.

Vu la descente du Sporting Charleroi et la présence d’autres clubs francophones en D2, risque-t-on d’assister à un traitement différent de la RTBF de cette division ?

Il y a une vraie réflexion à ce sujet et une quasi-obligation de s’y intéresser davantage. Ça pourrait être l’un des aspects de notre émission du lundi par exemple.

PAR THOMAS BRICMONT – PHOTOS: REPORTERS/ GYS

 » Studio 1 était devenu un peu fourre-tout. « 

 » On en arrive à un produit de plus en plus aseptisé : les joueurs sont briefés, faut parler de ceci, pas de cela. « 

 » Personne au sein de ma hiérarchie ne met en cause la légitimité de Pauwels. « 

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