LES PIONNIERS

Il y a 120 ans, une compétition de football en bonne et due forme était organisée pour la toute première fois sur le sol belge. Sept clubs y participèrent et, au final, c’est le FC Liégeois qui se para du titre.

Si le premier championnat remonte à l’année de création de notre fédération de foot (fondée le 1er septembre 1895 sous l’appellation d’Union Belge des Sociétés de Sports Athlétiques (UBSSA), puis rebaptisée le 28 juillet 1912 en Union Belge des Sociétés de Football-Association (UBSFA, devenue Royale le 10 février 1920), il n’aura pas fallu attendre cette date pour voir les passionnés de ce sport taquiner déjà le ballon dans notre pays.

Et la Belgique ne serait pas la Belgique si le débat, sur les origines du foot chez nous, n’avait des relents communautaires. Pour les néerlandophones, le berceau du jeu se situe ainsi au Collège de Melle, dans la proche banlieue gantoise, où sa pratique aurait été introduite, dès le beau milieu des années 1860, par un écolier irlandais répondant au nom de CyrilBernardMorrogh.

Côté francophone, on s’en tient plutôt à la ville de Spa, lieu de villégiature prisé des familles fortunées, au 19e siècle, où un noble écossais, originaire du comté d’Ayrshire et lieutenant de la Royal Navy, SirEdwardHunterBlair aurait, à la même époque, mis sur pied le FC local. Un club qui, à ses débuts, était constitué des membres de son clan ainsi que d’une famille amie, rassemblée autour du rentier JamesOgilvyFairlie.

Flandre d’un côté, Wallonie de l’autre, c’est peut-être aller un peu vite en besogne et oublier, qui sait, Bruxelles, comme berceau du football belge. Car si, au 19e siècle, l’empire britannique comptait, sur notre Vieux Continent, des ressortissants dans tous les grands ports (comme Anvers) ainsi que dans toutes les villes industrielles (telles Liège et Verviers, entre autres), la présence anglaise n’était nulle part aussi marquée, à l’époque, que dans notre capitale.

5 CLUBS BRUXELLOIS PARMI LES 10 MEMBRES FONDATEURS DE L’UBSSA

Au beau milieu du 19e siècle, un recensement démographique dénombrait, en tout cas, un total de quelque 4098 Anglais sur le territoire belge. La province de Liège en comptait 238, Anvers 577 mais le Brabant n’en affichait pas moins de 1937. Qui étaient-ils ? D’une part, des descendants de soldats qui avaient combattu Napoléon, à Waterloo, et qui étaient restés ensuite dans nos contrées.

D’autre part, il est peut-être bon de se souvenir que le français était, à l’époque, la langue de l’aristocratie. Et les riches Britanniques et leur descendance, attirés par nos langue et culture, considéraient un peu Bruxelles comme un mini-Paris. Nettement moins cher aussi, par ailleurs, que la capitale française. On signalera, par exemple, que pour perfectionner leurs connaissances de la langue de Molière, les soeurs Emily et CharlotteBrontë, à qui l’on doit des monuments de la littérature, comme les HautsdeHurlevent ou JaneEyre, étudièrent à Bruxelles.

Dans la foulée de tous ceux ou de toutes celles-là, des écoles eurent tôt fait de s’ouvrir dans la capitale, l’une des plus connues étant le JenkinsCollege à la rue Saint-Bernard. Un lieu situé non loin de la plaine sablonneuse de Ten Bosch, près de la rue homonyme et de l’avenue Louise actuelle. Un endroit où jeunes et moins jeunes s’adonnaient au ballon rond, comme en témoignent bon nombre de clichés d’époque. Alors, Bruxelles quand même comme point de départ ? Sans doute.

Force est de constater, à cet égard, que sur les 10 clubs fondateurs de l’UBSSA (Antwerp FC, FC Brugeois, AA La Gantoise, FC Liégeois, Verviers FC, Athletic and Running Club de Bruxelles, Léopold Club de Bruxelles, Racing Club de Bruxelles, Sporting Club de Bruxelles, Union FC d’Ixelles) les cinq derniers cités, soit la moitié, sont bruxellois.

Et ce, même si l’Athletic and Running Club de Bruxelles, comme son nom l’indique, ne possédait pas de section football à l’origine. Idem, au demeurant, pour La Gantoise, simple société de gymnastique à sa création, en 1864, mais reprise sous la même bannière puisque, à ses débuts, l’UBSSA était une fédération omnisports qui, outre le football, regroupait d’autres disciplines comme l’athlétisme, la boxe, la gymnastique, la lutte, le rugby, l’haltérophilie, le cricket et le cyclisme, entre autres.

ENJEU : UN TROPHÉE BAPTISÉ LA COUPE DU CHAMPIONNAT

L’enjeu de la nouvelle compétition, en 1895-96, est un trophée en argent, désigné sous le nom de Coupe du Championnat, et appelé à revenir définitivement à l’équipe qui aura remporté l’épreuve deux fois d’affilée. Comme la date de fondation de l’UBSSA est le 1er septembre, on ne s’étonnera pas qu’il ait fallu attendre deux mois pour la mise en place de la formule.

En outre, deux courants s’opposaient, parmi les édiles fédérales, quant à sa forme, les uns prônant un système par élimination directe, comme pratiqué déjà à l’époque en Coupe d’Angleterre, tandis que les autres étaient favorables à un schéma par matches aller et retour. C’est finalement cette variante qui fut adoptée.

Un calendrier n’était toutefois pas encore à l’ordre du jour. A charge donc des clubs de définir entre eux le jour et l’heure de la programmation de leurs matches. Sept clubs vont, en définitive, participer à cette première compétition.

Le dimanche 10 novembre, c’est l’Antwerp qui donne le ton, au propre comme au figuré d’ailleurs, en atomisant par 8-0 son adversaire du jour, le Sporting Club de Bruxelles, dans ses installations, au coeur du vélodrome de Zurenborg.

Le GreatOld table, il est vrai, sur bon nombre de joueurs de nationalité britannique, rompus au ballon rond, (les patronymes Wolff, Chapman, Groom, Freedman, Jenkinson, Robertson, Wilkinson et Hood en disent long, à ce sujet) alors que les Bruxellois, pour faire bonne figure, sont renforcés in extremis par l’embrigadement de trois Belges bon teint, MarcelMonnoyer, LouisDeschrijver et DanielNazy.

Actif jusqu’alors chez un autre représentant de la capitale, le Brussels Football Association, ces joueurs avaient, lors d’une joute amicale, fait bonne impression aux dirigeants du Sporting, qui les avaient donc attirés le plus simplement du monde…et de manière définitive cette saison-là. Car le premier règlement fédéral stipulait que dès qu’un joueur disputait un match officiel pour un club, il y restait attaché jusqu’au terme de cette campagne.

Malgré cet apport, les Bruxellois sont donc laminés par une formation où l’un des rares Belges, Cornelius Ledeboer, se met tout particulièrement en verve en inscrivant le premier hat-trick du championnat frais émoulu.

ANGLAIS, ARISTOCRATES BELGES ET SOBRIQUETS

L’Antwerp, considéré comme l’équipe à battre par les journaux d’époque, tels LeMatin ou LaMétropole, tombe toutefois de haut dès son deuxième match, une semaine plus tard, au parc du cinquantenaire, face au FC Léopold (3-2). Point de Britanniques dans cette dernière phalange, mais plutôt des représentants du beau monde, comme le prouve la composition d’équipe.

Avec, entre autres, le baron EdouardEmiledeLaveleye au goal (v.cadre protagonistes), PaulDeBorman (conjointement tennisman de haut vol et futur finaliste de la Coupe Davis en 1904 au côté de William de Warzée), ou encore AlbertDeBassompierre. Echaudé par cette défaite en terre bruxelloise, l’Antwerp refuse dans la foulée, le 24 novembre, de se produire dans le même parc, mais sur l’aire de jeu voisine du Sporting CB cette fois, sous prétexte qu’il ne présente pas les dimensions réglementaires.

Pas faux mais la vérité est sans doute ailleurs : venus en train, les Anversois ne sont que 10 avant le coup d’envoi. Un report les arrange donc plutôt bien !

Au même moment, toujours dans la capitale, a lieu le premier derby entre le Racing Club de Bruxelles et l’Union FC d’Ixelles, au Vélodrome d’été. Les journaux d’époque rapportent que dans le but des Rats joue alors un certain Zim. De fait, il s’agit tout simplement du sobriquet de GustavePelgrims.

Une pratique courante en ces temps reculés car il n’est pas de bon ton, pour les familles aisées, d’avoir un rejeton s’adonnant à un sport qualifié souvent de brutal. Au sein du même Racing CB, bien des années plus tard, l’international JulesLemaire va d’ailleurs disputer ses matches sous l’identité de JulesLavigne.

Pour en revenir à  » Zim « , l’histoire retiendra qu’il aura été le héros malheureux de ce derby. Sur un dégagement, le ballon, porté par un vent intense, termine en effet sa course dans ses filets. Ce sera là la seul but du match. Et la seule victoire des visiteurs sur l’ensemble du championnat !

UNE SEULE DÉFAITE POUR LE FOOTBALL CLUB LIÉGEOIS

Après le but-gag, place à un autre phénomène qui remonte donc lui aussi à la nuit des temps : les critiques envers l’arbitre. Nous sommes le 22 décembre et le même Racing CB est appelé à en découdre sur son terrain face au FC Brugeois. Celui-ci mène 1-3 avant d’être rejoint à la marque. Le but égalisateur entraîne moult contestations, l’arbitre décrétant que le gardien a capté le ballon derrière la ligne fatidique alors que celui-ci jure le contraire.

Et les palabres se font plus véhémentes encore après que le referee annule un 4e but des visiteurs. De rage, ceux-ci insultent le directeur de jeu avant de quitter le terrain. Aujourd’hui, pareille attitude leur aurait valu d’être gratifiés d’un forfait. Là, en guise de sanction, le score de 3-3 est tout bonnement maintenu.

Un mois plus tard, fin janvier, le classement provisoire renseigne le Léopold Club de Bruxelles aux premières loges, avec un total de 10 points en 6 matches, devant l’Antwerp, le Racing CB et le Sporting CB, 6 unités chacun. A ce moment-là, c’est le FC Liégeois qui ferme encore la marche. Mais quoi de plus normal, puisque les principautaires n’ont toujours pas disputé la moindre partie à ce moment-là.

Il faut attendre le 2 février pour qu’ils entrent en lice, forgeant un nul (2-2) au Sporting CB. Ensuite, les Liégeois frappent fort : victoires 4-1 face au Racing CB, 1-2 au FC Brugeois et 3-1 contre le Léopold CB. Leur seul revers, les principautaires le concédèrent le 8 mars 1896 au Racing CB : 3-2. Pour le reste, ils n’abandonnent plus qu’une seule et maigre petite unité : un partage (1-1) face au FC Brugeois le 22 mars. Un match qui compte pour du beurre car les Liégeois sont alors déjà champions.

PAR BRUNO GOVERS – PHOTOS PG

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